jeudi 13 décembre 2012 - par Michel DROUET

Le coût du bouchon

Elle a fait les gros titres hier, cette étude réalisée par un cabinet britannique sur le coût des embouteillages en France.

Comme d’habitude tous les médias ont relayé l’info. Pensez-donc ! Des chiffres choc qui vont intéresser le bon peuple : 5,55 Milliards d’euros perdus chaque année dans les embouteillages, soit 623 euros par foyer et par an, des conducteurs bloqués 57 heures par an à Paris, des heures de travail perdues et une surconsommation de carburant…

Et après ? Rien : aujourd’hui on n’en parlera plus et on fera la une avec l’offensive de l’hiver. Pas une once de mise en perspective, de réflexion.

On flatte l’auditeur (ou plutôt, on le prend pour un imbécile) en lui donnant des raisons de s’étonner, de s’indigner, de gueuler, mais on ne lui donne pas les moyens de réfléchir à la situation, de se poser les bonnes questions, d’avoir une attitude réfléchie et citoyenne.

Pourquoi en est-on arrivé à cette situation ?

Il ne s’agit pas de refaire l’histoire, mais simplement de constater les évolutions enregistrées ces quatre dernières décennies : le pavillon pour tous avec son jardinet à 20 ou 30 kilomètres de la ville et de son lieu de travail et les deux bagnoles qui vont avec, parce que financièrement c’était jouable, au début.

Et puis, l’évolution du marché du travail avec la mobilité forcée, les concentrations d’activités dans des zones attractives fiscalement, mais sans logique d’aménagement du territoire, et souvent le chômage et les divorces qui obligent à avoir deux résidences, où à des déplacements de plus en plus longs.

A côté de ces éléments, rien sur la gestion des temps ou si peu, avec comme corollaire l’obligation de tous rentrer en ville entre 8 et 9 heures du matin et d’en ressortir entre 18 et 19 heures : les entreprises soumises aux « lois du marché » ne cherchent pas à innover en ce domaine et laissent le soin à leurs salariés et à la puissance publique de chercher des arrangements ou des correctifs.

Du côté de la « puissance publique », c'est-à-dire en premier lieu les collectivités territoriales, on a tout d’abord accompagné le mouvement de retour à la campagne. Les petites communes qui dépérissaient ont vu une opportunité pour revivifier le tissu rural, sans se poser la question du coût de l’ouverture d’une école, d’une garderie, d’un centre aéré, de la construction d’une salle polyvalente…

Ils n’ont pas vu par contre que ces néo ruraux demandaient le même confort et les mêmes services qu’en ville mais qu’ils bouderaient le commerce local.

Les départements ont joué leur rôle de co-financeurs des projets communaux au nom de « l’aménagement du territoire » et facilité l’accès aux villes centre en créant des routes, des ponts et des ronds points.

Tout le monde trouvait ça bien : l’industrie automobile se frottait les mains, les entreprises de Bâtiments et autres goudronneurs ont vécu leur âge d’or.

Sauf que…

Pendant ce temps ; les villes centre, qui concentrent les activités, se sont rapidement aperçues des inconvénients. Le dépeuplement des villes au profit des zones périurbaines s’est progressivement accentué avec comme autres effets le vieillissement de la population et l’arrivée quotidienne en masse de voitures ventouses.

Les réflexions sur la ville, sur l’habitat, sur les modes de déplacements intra-muros sont récentes et elles s’efforcent de promouvoir des solutions adaptées qui verront le jour au mieux dans 10 ou 15 ans. Pourquoi ces délais ? Tout simplement parce que pour mener à bien des projets immobiliers ou des transports en sites propres, il faut maîtriser le foncier et trouver des financements, ce qui demande du temps, et dedépasser les égoïsmes et les querelles de clochers.

Comment limiter les inconvénients ?

Il devrait s’agir de mesures temporaires destinées à limiter l’afflux des véhicules aux portes de la ville, sauf que ces mesures vécues comme coercitives par les périurbains ont tendance à s’installer de manière durable faute d’une politique coordonnée entre villes, zones périurbaines et zones rurales qui participent à cette situation ou qui la subissent.

Chacun veut bien travailler avec le voisin mais n’est en général pas d’accord pour payer, ce qui limite le champ des politiques coordonnées. On voit bien là les effets de l’émiettement des collectivités territoriales, avec, phénomène plus grave, des mouvements guidés par les opinions politiques ou la fiscalité qui conduisent certaines communes à vouloir changer d’intercommunalité.

Pendant ce temps chaque commune périurbaine ou ville centre aménage son petit territoire de manière à supporter le moins d’inconvénients possibles. Le détournement de transit est devenu l’arme privilégiée : ralentisseurs, rétrécissements de voies, passage de deux voies à une seule, limitations de vitesses à 30 Km/h dans des endroits ne présentant pas de dangers majeurs, le tout bien sûr au nom de la sécurité dans des endroits peu connus pour leur insécurité.

On oblige ainsi l’automobiliste qui n’a pas d’autres choix (absence de transports adaptés aux flux, horaires de travail, déplacements en journée,…) à contourner les obstacles, à faire des kilomètres en plus et à augmenter ainsi le coût des bouchons chiffré par l’étude du cabinet anglais, ce qui marque bien l’échec du système.

Au final…

Le modèle qui s’avérait être le graal, il y a trente ou quarante ans s’avère aujourd’hui être une erreur fondamentale. Avant que les politiques publiques (transports collectifs, habitat…) que l’on commence à percevoir produisent des effets tangibles, il passera encore de l’eau sur les ponts.

C’est pourquoi, ces politiques doivent être gérées au niveau des bassins de vie par un seul interlocuteur, une seule collectivité territoriale et non par un mille feuille dans laquelle chaque couche cherche à préserver les intérêts de ses citoyens au nom, bien évidemment, d’un intérêt électoral bien compris et de la préservation des mandats. 

 



12 réactions


  • jymb 13 décembre 2012 13:28

    L’essentiel est dit, l’attitude actuelle est de culpabiliser et faire payer au prix fort les laborieux qui n’ont pas d’autre choix que de travailler tôt et / ou loin de chez eux. Chaque gestionnaire de voiries qui en a le pouvoir hypertrophie à l’envie les obstacles aux déplacements en espérant éjecter ces laborieux chez le voisin qui lui rendra la pareille. Une fois arrivé, les places de stationnement auront fondu comme neige au soleil, et il faudra se battre à prix d’or pour payer les quelques emplacement de parking souterrains qu’exploitent quelques gestionnaires privilégiés.
    plus fort que tout, la pollution générée par le bouchonnage organisé est prétexte à augmenter encore les contraintes et son cortège de sanctions juteuses ( cf Marseille où la pollution ambiante en centre ville a été un prétexte préfectoral à imposer des obligations de lenteur supplémentaires sur les autoroutes péri urbaine ! )
    Quand reviendra l’intelligence ...on comprendra qu’un véhicule est fait pour être garé, un salarié au travail, un trajet rapide, linéaire et reposant ; il y aura à l’entrée des villes d’immenses panneaux indiquant les emplacements disponibles dans les parkings relais multimodaux gratuits, et les gestionnaires ou les élus seront notés ( avec transfert de crédits à la clé) sur un indice composite associant rapidité d’accés à un stationnement gratuit, vitesse de transit et accidentologie négative.


    • Michel DROUET Michel DROUET 13 décembre 2012 18:21

      Bonjour

      Pris en sandwich entre leur volonté d’éradiquer les voitures des centres villes et celle de soutenir l’industrie automobile (j’habite dans une région où se trouve un site de production) ; les élus essaient de ménager la chèvre et le chou et ne décident pas, sauf à dépenser de l’argent pour des aménagements dissuasifs pour l’automobile et à parler d’argent mis au pot pour soutenir le reclassement des salariés victimes des plans sociaux dans l’industrie automobile.

      C’est la politique du chien crevé au fil de l’eau.


  • Radix Radix 13 décembre 2012 15:34

    Bonjour

    "On oblige ainsi l’automobiliste qui n’a pas d’autres choix (absence de transports adaptés aux flux, horaires de travail, déplacements en journée,…) à contourner les obstacles, à faire des kilomètres en plus et à augmenter ainsi le coût des bouchons chiffré par l’étude du cabinet anglais, ce qui marque bien l’échec du système.« 

    Non ce n’est »l’échec du système", c’est le but poursuivi... Puisqu’on ne peut plus accélérer les transports en commun !

    Radix


    • Michel DROUET Michel DROUET 13 décembre 2012 15:38

      Bonjour Radix

      C’est un point de vue intéressant : un bus urbain coûte 200 000 euros.


    • Radix Radix 13 décembre 2012 16:05

      Bonjour

      Ce n’est pas le coût du bus le bon critère, c’est sa vitesse !

      Si je prend égoïstement mon cas, j’habite en campagne proche de Nantes, si je prend mon véhicule pour me rendre à mon travail en centre-ville c’est vingt minutes.
      Si je prend le tramway et ensuite le Bus-way (sans oublier mon véhicule pour rejoindre le terminus du tramway), c’est cinquante minutes !
      La solution trouvée est simple : suppression de tous les parkings gratuit en centre-ville !

      Le « coût » du bouchon est ainsi supporté par l’usager qui perd une heure par jour... Mais celle la les économistes ne la prennent pas en compte, c’est du bénévolat !

      Radix


    • Michel DROUET Michel DROUET 13 décembre 2012 18:14

      Ok ! Merci pour cette remarque

      La vitesse commerciale maxi des transports en commun est d’environ 22 Km/h.

      On peut trouver encore maintenant un avantage à aller en ville en voiture en se basant sur le temps de transport, mais cela ne va pas durer : en effet, les suppressions de parkings, les suppressions des « bateaux » de stationnement des bus aux arrêts de lignes afin de bloquer la circulation (pour ne parler que de ces équipements) se multiplient et par conséquent la vitesse des voitures tend à diminuer.

      Maintenant, si on compare le coût en bus avec celui en voiture, l’avantage va au bus.

      Ce qui me navre, c’est la politique coercitive et punitive des villes centre qui ne dit pas son nom. Financièrement parlant, on aurait intérêt à interdire l’accès des voitures dans les villes, cela éviterait tout les équipements cités. Mais il faut bien dire que ce n’est pas politiquement payant.


    • Romain Desbois 13 décembre 2012 18:49

      ce qui encombre ce sont les voitures particulières. Il suffirait que seulement 10% des gens utilisent un système autolib pour désengorger et libérer de l’espace.

      L’association caisse commune qui étudie cela depuis déjà plus de 20 ans a calculé que si tout le monde louait une voiture au lieu d’en avoir une à soi, on diviserait par 14 le nombre de voitures !

      Car le propre de l’automobile est qu’elle est immobile le plus clair de son temps.

      C’est autant d’espace pris sur les voies de circulation.


    • Croa Croa 13 décembre 2012 23:08

      C’est faux, autolib ajoute un nouvel usage de l’automobile. C’est intéressant pour ceux qui habitent de très grandes villes, n’ont pas de garage, un besoin intermittent de déplacement et qui donc avaient renoncés à l’automobile. Donc autolib ajoute en fait encore plus de nuisances.
      (Peu cependant.)
       
       Quant au calcul d’une division par 14 (chiffre déjà très exagéré mais admettons) du nombre d’automobiles, c’est très théorique et même impossible puisque les gens gardent leur auto et ça voudrait dire que chaque automobile délaissée serait aussitôt récupérée par un autre usager... Bref 14 fois moins d’autos faisant 14 fois plus de km... Qu’est ce que ça changerait du nombre d’embouteillages ? 


  • Traroth Traroth 13 décembre 2012 18:22

    Une cause encore bien plus fondamentale : l’urbanisation forcenée. On ne parque pas impunément 11 millions de personnes à un seul endroit !


    Alors quand en plus, c’est mal géré, par exemple avec un sous-investissement chronique dans les transports en commun, il ne faut pas s’étonner des conséquences.

    • Michel DROUET Michel DROUET 13 décembre 2012 18:30

      Bonjour Traroth

      L’urbanisation peut parfois être une solution à la disparition constante des terres agricoles, maintenant, et je vous rejoins sur ce point, le sous investissement dans les transports en commun rend cette urbanisation inefficace et mal vécue.


    • Romain Desbois 13 décembre 2012 18:55

      Il faut rapprocher les entreprises des gens et non pas le contraire.

      Le milieu rural se meure alors que l’on enfants les jeunes en villes pour bosser.

      L’Ile de France n’est que constituée de provinciaux qui ont du quitter leur coin pour trouver du boulot.


  • Le péripate Le péripate 14 décembre 2012 08:10

    Ah....

    Il faut donc ne pas étaler. Mais il ne faut pas concentrer non plus. Ah...

    Il faut soutenir les transports en commun. Ah... Mais pour ouvrir une ligne de bus il faut l’autorisation de la SNCF. Ah....

    Il y a bien de quoi occuper une dizaines de commissions.

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