dimanche 15 mars 2020 - par C’est Nabum

Le nerf de naguère

Une autre société.

 

En dépit de toutes les injustices, inégalités, difficultés rencontrées autrefois, il y avait un ciment plus fort que les tourments de l’époque. Les gens vivaient avec la certitude d’appartenir à une communauté humaine, un lien fort qui pouvait se nouer autour d’une paroisse, d’une coopération, d’un groupe social. Au cœur de ce noyau, la solidarité n’était pas une vaine expression comme cette Fraternité de nos frontons, héritée d’une culture judéo-chrétienne qui oublie bien souvent de mettre en pratique ce nécessaire concept.

Le nerf de naguère, celui qui permettait d’affronter les crises, les guerres, les épidémies, les malheurs se nichait dans ce lien indéfectible qui unissait les membres de cette communauté. Il y avait bien sûr des larmes, des horreurs, des calamités, cette notion n’évite pas tous les désagréments qui surgissent dans une existence, mais il y avait toujours quelqu’un sur qui compter. Une épaule sur laquelle s’épancher, un bras pour s’y appuyer, une main qui se tend sans contre-partie.

Les humains, alors, qu’importe le régime politique auquel ils devaient obéissance et respect, se parlaient, non pas par le truchement d’un curieux appareil, non, la chose va vous sembler étrange, mais ils s’entretenaient les yeux dans les yeux en dépit de leurs différences d’âge, de condition, de statut. Point n’était besoin d’instance ou de truchement pour réaliser cette curieuse expérience : à tous propos si j’ose dire, ils dialoguaient sans même connaître le sens de ce verbe.

Que ce soit dans la rue, au travail, à la maison, lors de veillées, la parole était échangée dans le respect de l’autre, avec considération et sérieux. Elle s’habillait parfois des habits de la légende, du conte, de l’épopée, toujours pour transmettre et élever. C’était sans doute le ciment de ces communautés qui se serraient soudainement les coudes dans l’adversité.

C’était un tout autre temps, celui des palabres et des discussions autour de la cheminée, bien loin des formes aseptisées de ce qu’on nomme désormais la communication. Pour satisfaire aux besoins d’un système économique absurde et destructeur, il a fallu briser ce lien intergénérationnel qui transcendait toutes les différences. Le temps de l’individualisme à outrance allait sceller la fin de la solidarité.

Il est vrai que chacun devait avoir sa tondeuse, sa machine à laver, sa voiture, son taille-haie, ses robots et une multitude d’autres objets qui ne peuvent se prêter. Le chacun pour soi devint la règle tandis que les seules conversations possibles se firent désormais entre pareils. L’autre pour peu qu’il ne soit pas de la même tribu ne mérite ni un regard ni même une parole.

Dans un tel univers, la moindre crise provoque des réactions disproportionnées. Il s’agit de constituer des réserves, de se protéger au détriment des autres, de penser en terme uniquement égoïste. C’est là, la plus parfaite expression de ce système économique qui transforme l’individu en un simple pion acheteur, incapable de réfléchir, de penser au-delà des injonctions publicitaires ou médiatiques.

Comme les individus ne s’écoutent plus, se contentant d'échanger des banalités ou des images d’eux-mêmes, ils ne sont plus en mesure de raisonner, d’entendre des propositions se démarquant du discours officiel. Devant une pensée distincte de la leur, ils invectivent, insultent, rompent l’échange mais jamais au grand jamais ne tentent le débat. La communication avec son immense rouleau compresseur, ne vise qu’à confirmer ce qu’on désigne par opinion alors que ce n’est que le fruit d’idées reçues, savamment distillées par une quelconque propagande.

C’est seulement en retrouvant un esprit de corps que le tissu social peut échapper à la catastrophe imminente, non pas en prêtant l’oreille aux individus en place, ceux-là même qui ont contribué à ce chaos sans nom, mais en faisant confiance aux gens ordinaires qui vous entourent. Le nerf de la guerre c’est le retour à l’échange par la parole en direct.

Bavardement votre.

 



29 réactions


  • simplesanstete 15 mars 2020 18:05

    Ce monde est par fait pour le reste c’est malheur aux vaincus du cinéma, ces infameux gens sans histoires de la souffrocratie .fr, catho/coco


  • Mélusine ou la Robe de Saphir. Mélusine ou la Robe de Saphir. 15 mars 2020 18:26

    En Belgique, trois médecins spécialistes sont entre la vie et la mort. A EUX


  • Mélusine ou la Robe de Saphir. Mélusine ou la Robe de Saphir. 15 mars 2020 18:31

    Le transhumanisme est la limité, l’hubris que nous ne devions pas dépasser.... Il ne faut pas narguer les Dieux. Les médecins ont aussi leur part des responsabilité. Le bon bizness de la PMA et GPA. On paie toujours la monnaie de sa pièce ;


  • Clark Kent Séraphin Lampion 15 mars 2020 18:35

    Le concept de judéo-christianisme est en lui même contestable, mais si on admettait une sorte de « culture » (morale, philosophie, valeurs, références, etc.) amalgamant les deux courants concernés, il serait plus que réducteur de considérer qu’il s’agit de notre seul héritage culturel.

    Côté sciences et littératures, la pensée grecque (elle-même devant beaucoup à l’Egypte) a structuré l’architecture de la géométrie, des mathématiques et de la morale au moins jusqu’à la révolution copernicienne avec en particulier Aristote, Hypocrate

    Côté artisanat et agriculture qui concernaient 90% de la population, le vocabulaire de l’outillage et des techniques, mais aussi le savoir-faire étaient hérités des Gaulois, de la civilisation du cheval et ont prévalu jusqu’à 1945 et le début de l’américanisation ’vocabulaire et techniques mécaniques puis informatiques).

    Le catholicisme est lui-même un syncrétisme qui a intégré en se les appropriant les rituels et les divinités antérieurs à son arrivée. Pour ce qui est du lien avec le judaïsme, l’existence des ghettos et des pogroms peut faire se poser des question sur la pertinence du terme « judéo-chrétien ».

    Le « peuple », la « nation » ou même le « pays » au sens que lui donnaient les conscrits quand ils rencontraient un « pays » au régiment, un gars de la même « tribu » (pagis en latin) sont peut-être des concepts plus intéressants à creuser que ceux de « judéo-christianisme » et de « communauté ».


  • eau-mission eau-pression 15 mars 2020 18:36

    Ce naguère est tellement ancien que nous le fantasmons en grande partie. Le film Mon Oncle est sorti en 1958, histoire de donner un repère.

    Je me souviens aussi d’une histoire de pommes de terre sur un bateau, livre de ma prime jeunesse. Une histoire où le partage n’était pas spontané.

    Ce qui ne remet pas en cause votre constat sur la marche vers l’individualisme, dont le Sam’Suffit qu’on lit encore sur les mini maisons de banlieue indique l’ancienneté.

    Le panorama des époques plus solidaires incluait davantage d’animaux, n’influaient-ils pas sur le comportement des gens ?


    • Aita Pea Pea Aita Pea Pea 15 mars 2020 18:47

      @eau-pression

      Mon oncle...58 . Putain de génie notre Tati national...


    • Clark Kent Séraphin Lampion 15 mars 2020 18:48

      @eau-pression

      le naguère n’est pas en synchronie sur tout le territoire
      plus la ville est grosse, plus il est ancien, mais dans les compagnes, il en reste des vestiges.


    • C'est Nabum C’est Nabum 15 mars 2020 19:08

      @eau-pression

      Les trente glorieuses ont sonné le glas de la société humaine


    • eau-mission eau-pression 15 mars 2020 19:09

      @Séraphin Lampion

      C’est vrai. Pour moi, il ne date que de l’an dernier, quand est parti le dernier représentant, avec qui je voulais mettre les réflexions de Nabum en forme.
      Sa façon d’être se caractérisait par une grande indulgence. Jamais un « con » définitif ne de sa bouche, qui n’en était pas avare. Mais peut-on généraliser ? Cherchez le dans le moulin.


    • eau-mission eau-pression 16 mars 2020 08:45

      @eau-pression

      Même si je n’ai rien à faire sur cet article où la nostalgie s’écrit sur papier glacé et dans le respect des procédures, ce qui précisément a éliminé l’objet de cette nostalgie, je vous incite à chercher ce qui s’est passé dans l’affaire des lasagnes au cheval. Je crois qu’on peut serrer sans crainte la main de Laurent Spanghero, qui vous donne sa version ici.

      On s’aperçoit que la technique n’a pas éliminé les risques, ni permis d’identifier l’origine des défauts, alors que bien employée elle aurait pu le faire dans ce cas là. Si j’en crois la rumeur, les chevaux roumains des lasagnes Findus ne venaient pas des zones à risque du delta du Danube, donc celui qui les a glissés dans le minerai n’est qu’à moitié coupable.

      Voyez, je préfère croire la rumeur que les beaux messieurs qui pérorent à la télé, dans les ministères et jusqu’aux forums. Pas de confiance sans proximité.


  • Fergus Fergus 15 mars 2020 19:34

    Bonjour, C’est Nabum

    Beaucoup d’observations très justes dans cet article qui pointe du doigt les pertes de repères que subit notre société. Merci à vous.

    A toutes fin utiles, je mets en lien un article qui n’est pas si éloigné que cela des constats que vous faites : 1953 versus 2013 : paradoxe des conditions de vie.

    Bonne soirée !


    • Fergus Fergus 16 mars 2020 09:05

      Bonjour, San Jose

      Que sont les fils Perret devenus ? Voilà une excellente question que je devrais en effet « creuser », si j’ose dire, eu égard à la suite de votre commentaire.

      Merci de me donner des nouvelles de l’aînée des Meynadier. Je ne savais pas qu’elle était au conseil municipal de Busseau. Il va de soi que lors de mon prochain passage dans cette belle région  il m’arrive de séjourner à Guéret ou Aubusson —, je ne manquerai pas d’aller la saluer, si toutefois le confinement est levé d’ici là.

      Bon courage à vous pour affronter la difficile période qui nous attend !


    • C'est Nabum C’est Nabum 16 mars 2020 09:11

      @Fergus

      Merci beaucoup

      Bel article


    • sylvain sylvain 16 mars 2020 12:46

      @Fergus
      Nostalgie, nostalgie...
      Moi vers 1963 mes parents se prenaient des tartes dans la gueule tous les jours, des fois à l’école, des fois à la maison, souvent les deux .Trois de mes grand parents étaient alcoolique, et il gagnaient, dans la semaine, de quoi aller se bourrer la gueule au bar le soir de paie . Heureusement, les mères venaient à la sortie de l’usine les ramener directement à la maison, elles se prenaient une baffe ou deux au passage, mais c’était mieux que de pas bouffer de la semaine.

      Dans la campagne ou je vis maintenant, l’exode rurale battait son plein, les tracteurs commençaient à se multiplier et certains pouvaient se les payer, d’autres non . Ces derniers, incapables d’investir et de se lancer dans l’agriculture moderne, partaient en ville travailler à la chaine . Ceux qui restaient, ayant rachetés tous leurs voisins, se lançaient dans 50 années d’endettement et de course à l’investissement, espérant que leurs voisins ne puissent pas suivre et espérant en même temps qu’ils s’en sortent . Ils ne s’estimaient pas malheureux, ils payaient maçons et journaliers une douzaine d’oeufs et trois litres de vin par jour, et n’avaient qu’à les regarder pour se sentir privilégiés...

      On pourrait continuer longtemps, et conter n’importe quelle époque de notre glorieuse histoire sur ce thème . il existait cependant effectivement une union qui s’est émoussée, mais elle n’était pas basée sur la solidarité, ou en tout cas ce n’est pas celle là qui s’est émoussée . Elle était basée sur la nation, en tant que concept, d’idée fédératrice mais surtout en tant que puissance fédératrice, agissante à ramener dans son giron tout élément divergent, toute énergie dissipée . Elle était le père, la force centrale à laquelle on ne pouvait que se rallier, et qu’il ne servait à rien de contester .

      La société qui base son unité et sa force sur la solidarité et l’amour de ses compatriotes reste à inventer .


  • Mélusine ou la Robe de Saphir. Mélusine ou la Robe de Saphir. 16 mars 2020 07:40

    L’entraide est tout aussi égoïste que l’individualisme. C’est un peu comme les porc-épic. On de rapproche pour avoir chaud. On s’éloigne pour ne pas être piqué. Rien de changé.


    • C'est Nabum C’est Nabum 16 mars 2020 08:17

      @Mélusine ou la Robe de Saphir.

      Vous êtes diablement ironique et ça pique


    • Mélusine ou la Robe de Saphir. Mélusine ou la Robe de Saphir. 16 mars 2020 08:44

      @C’est Nabum
       Ma chatte s’appelle Zika. Le moustique, l’hebdo qui pique juste où il faut.... smiley


    • C'est Nabum C’est Nabum 16 mars 2020 09:11

      @Mélusine ou la Robe de Saphir.

      Je n’ai pas eu le plaisir de la caresser


    • eau-mission eau-pression 16 mars 2020 09:25

      @Mélusine ou la Robe de Saphir.

      Ou comme le voile de Mélusine. On souffle pour le soulever. Il vous revient votre image figée, customisée par papi Freud le pervers.


    • Armand Griffard de la Sourdière Armand Griffard de la Sourdière 16 mars 2020 12:03

       @Sans José
       « Normal c’est pas votre voisine »
       Vous faites référence à la chatte à Mélusine sans doute ?
       
      Y’avait pas une chanson de Y. Montand là-dessus ?

       "La chatte à Mélusine ♪
       Qu’on mange dans la cuisine ♪
       Et qui fait des ronrons ♪
       Sur un bel édredon ...don don ♪ ♪ (
      ou un truc comme çà
       
      j’me souviens plus exactement ...  smiley ...bof  !


    • Armand Griffard de la Sourdière Armand Griffard de la Sourdière 16 mars 2020 21:37

      @San Jose
       ah ! ce n’est pas le même répertoire évidemment !

      Yves Montand « utilise » le chat de la voisine pour ne pas parler (tout en le disant )
       De l’homme à son agonie
       ou du soldat qui à peur
       D’échanger une jambe contre une croix d’honneur  smiley
       


  • juluch juluch 16 mars 2020 12:54

    Je pense que cette fraternité existe encore, elle a évoluée avec son temps et avec la technologie mais elle est toujours présente.

    les prêts entre voisins y compris en ville, les discussions sur les pas de porte pendant que le voisin du 2 sort sont chien....je suis pas vraiment pessimiste là dessus, on a encore bien ancré en nous le sentiment d’appartenir à « un clan »....familiale, villageois, d’ensemble d’immeuble.


  • arturh 17 mars 2020 11:50

    Avant, c’était mieux, j’te jure. Mais le premier qui me prive d’Internet, de la sécurité sociale, de la retraite par répartition, de l’assurance chômage, de mon smartphone, mes abonnements télé, de la bagnole pour tous, des congés payés, des avions charters, et même de Facebook, Twitter et surtout Agoravox, alors là, j’te dis pas...


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