Le « ni-ni » de monsieur Colombani
Le rapport Colombani donne un coup de pied dans la fourmilière de l’adoption. En tant que spécialiste de ce domaine, je suis particulièrement touché par le désir de ni banaliser ni stigmatiser.
Le récent rapport sur l’adoption de la mission Colombani (1) parle de la nécessité d’un « ni-ni » : ni banalisation, ni stigmatisation. Ce sont deux pièges dans lesquels il est facile de tomber. Je suis environ 1300 enfants adoptés et j’ai été amené à donner mon avis sur au moins autant de dossiers. Plus je vois d’enfants, plus j’ai envie d’être modeste devant la diversité de chaque histoire. Je suis souvent effaré, et le terme est faible, par les déclarations faites par certains, qui pour suivre quelques enfants adoptés dans leur champ d’activités croient nécessaire de généraliser à partir de cette petite expérience.
Voici trois exemples : On sait, et cette pathologie est à la mode, que certains enfants adoptés souffrent de troubles de l’attachement. Ceci est dû à des souffrances antérieures, chez les enfants qui se sentant trahis ont perdu confiance envers les adultes. Ballotés depuis leur famille de naissance, d’institutions en familles d’accueil, ils manquent de repères. Et, quand arrive enfin une famille désireuse de créer un lien fort avec eux, quelques enfants le refusent. La situation est difficile, parfois dramatique entre des parents déboussolés et des enfants qui les poussent à bout. Une prise en charge précoce permet parfois de recadrer les choses. Mais parler de troubles de l’attachement dès qu’un enfant présente le moindre trouble relationnel est une grave erreur. En l’enfermant dans un diagnostic qui n’est pas le sien, on lui fait perdre, ainsi qu’à sa famille, beaucoup de temps.
Un quart des petites filles adoptées après l’âge de 6 ans développe une puberté précoce. C’est-à-dire qu’après une à deux années de croissance rapide, elles risquent d’avoir leurs règles bien plus tôt que leurs petites camarades du même âge, et surtout que leur croissance va s’arrêter très vite, avec une taille définitive parfois inférieure à 1 m 40. Pour leur classe d’âge, cette proportion est énorme, et ce diagnostic ne doit en aucun cas être méconnu. Mais, tout enfant adopté qui ne grandit pas trop vite ne fait pas une puberté précoce, bien d’autres causes sont envisageables, là aussi un diagnostic précoce et juste sera nécessaire.
Après ces deux exemples qui concernent plus les professionnels de la santé et de l’enfance, mon dernier exemple concerne le grand public, l’homme de la rue, celui qui tombera par hasard sur cet article. Près d’1% des enfants de France sont des enfants adoptés ; doit-on passer à côté d’eux remplis d’a priori à leurs égards ? Est-il utile de parler de « vrais parents » pour nommer les parents biologiques, comme si la loi du sang était la seule vérité ? Est-il indispensable de supposer, comme cela s’entend encore trop souvent, que tout enfant adopté est un enfant volé ou acheté ? Est-il bien fondé de croire qu’il a son pays dans le sang, donc qu’il n’a pas sa place en France ? Est-ce une bonne idée de féliciter ses parents de leur acte généreux (2) ? Est-il vrai de croire que chaque enfant ou adolescent sera obsédé par la recherche de ses origines ? Tout cela c’est de la stigmatisation. A l’inverse, penser que tout va bien parce qu’il est adopté dans une « bonne famille », ou qu’il n’y a aucun souci en relation avec ses origines et son histoire c’est de la banalisation.
Le « ni-ni » de l’adoption, c’est accepter que les enfants adoptés soient avant tout des enfants. Que ces enfants possèdent des problèmes tout à fait particuliers, mais aussi des problèmes communs à leur âge, est une réalité. Mieux connaître l’adoption pour faire la part des choses me semble nécessaire dans le deuxième pays adoptif au monde.
Au-delà de ce meilleur accueil, cette compréhension de l’adoption peut permettre de mieux appréhender la filiation au sens large : Aime-t-on nos enfants pour ce qu’ils sont ou parce qu’ils portent nos chromosomes ?
1- 1- Colombani JM. Rapport sur l’Adoption. Paris, La Documentation Française ; 2008.
2-2- de Monléon JV. « L’adoption n’est pas un geste humanitaire », La Croix du jeudi 10 avril 2008 (à lire aussi sur mon blog).