Les bras cassés
Ils mettent la flèche.
Il est un curieux phénomène qui ne cesse de s'amplifier au point qu'il faille s'interroger sur le comportement de nos semblables dès qu'ils se meuvent sur la route. Le sentiment le plus évident est que désormais chacun fait selon son bon plaisir, allant son train sans se soucier d'avertir les autres de ses intentions. Le code de la route a beau préciser qu'il est primordial de signaler ses intentions, la chose ne semble pas effleurer un grand nombre des usagers.
L'industrie automobile a eu beau effectuer des efforts considérables pour leur faciliter la tâche, le conducteur de quelque engin que ce fut, manifeste la plus grande mauvaise volonté dès qu'il s'agit de faire part de ses intentions. Il convient, pour ne pas tourner en rond, de commencer par le début de cette histoire.
Les sources historiques ne précisent pas ce que fait un cocher au moment de tourner. La vitesse alors laisse supposer que le péril était moindre pour ceux qui suivaient l'attelage. Le problème survint quand ce furent les humains qui assurèrent eux-mêmes la locomotion de leur bicyclette, grand bi et autres draisiennes.
En ce temps lointain, les vélocipédistes n'étaient pas manchots et avaient pris l'habitude de tendre la main pour signaler leurs intentions. Il est vrai que l'usage permanent de leurs pieds les poussaient à ne pas se montrer avare d'un effort supplémentaire. La règle prévalut alors pour les premiers automobilistes qui devaient prendre le relais en singeant ce comportement.
Rapidement se posa une petite difficulté. Comment un conducteur seul à bord de son redoutable engin pouvait signaler son intention de virer à l'opposé de sa place ? Les constructeurs eurent alors la merveilleuse idée de remplacer le bras tendu par une flèche plus ou moins visible qui se déployait du côté du changement de direction.
Mettre la flèche fut donc une forme de communication dans l'univers des mobilités avant que les cyclistes s'approprient la formule pour signifier que l'un d'eux abandonne la course. Il mettait ainsi la flèche pour se ranger sur le côté, l'intention étant la même, l'honneur était sauf tandis que du côté de l'innovation automobile, on fit des pas de géants avec l'invention du clignotant.
Ce fut l'heure de gloire de cette manière si courtoise d'indiquer ses intentions. Si la procédure n'a guère changé depuis, bien des adaptations de la chose apportèrent du confort des facilités aux automobilistes à commencer par le bruit qui accompagne la mise en service de cet avertisseur lumineux.
La lumière elle-même fit des progrès considérables allant jusqu'à multiplier les LED tout en variant à plaisir leur fonctionnement tandis qu'il n'était plus besoin de mettre un terme à un fonctionnement qui cessait automatiquement une fois la manœuvre effectuée. C'est ce confort qui fit alors basculer nombre de pilotes dans une négligence sans borne.
Plus les clignotants devinrent aisés d'emploi et parfaitement visibles pour les autres, plus leur usage subit une désaffection coupable. Il est même des individus qui n'en font qu'à leur tête sans jamais user de ce petit ustensile mis à leur disposition. C'est à croire qu'ils se pensent seuls sur la route et qu'ils n'ont pas l'intention de communiquer avec leurs pairs autrement que par des insultes.
La généralisation outrancière des ronds-points accéléra non pas la circulation et encore moins la quiétude des pelotons cyclistes, mais le refus d'user comme il convient de ce merveilleux avertisseur visuel. Il est bien rare de voir des usagers s'engager sur un rond-point en mettant la flèche à gauche jusqu'à ce qu'ils s'avisent de sortir en inversant ce signal. Ne les blâmons pas puisque le plus grand nombre se complaît à ne pas indiquer la moindre intention. Plus les véhicules sont sophistiqués plus l'usage de ce modeste clignotant devient obsolète ou en option. C'est fou comme tout cela tourne mal.