Les médias soumis au banc d’essai des manifs de Kiev et de Nantes
C’est toujours intéressant de comparer. Un truc utile avant d’acheter une bagnole : Freinage, puissance, tenue de route, crash test…Bien sûr ces études sont faites par des laboratoires indépendants. On en est loin actuellement au niveau de la politique et de l’information. Une chose qu'on a pu constater encore hier, dans les médias. Car les manifestations, à Kiev, et à Nantes, ont donné lieu à des profils d’analyses bien différents.
Il sera ici question des propos, et des suites donnés à ces deux événements qui n'ont à priori rien à voir ensemble, si ce n’est tout de même la capacité d’une partie de la population, dans deux pays éloignés, à s’organiser pour affirmer leur désaccord envers une politique donnée.
On accuse souvent les journalistes d’être cocardier, et d’accorder plus d’importance aux chiens écrasés dans le département de la Creuse ou de l’Aveyron, qu’à une séisme qui s’est passé aux Philippines..
« Loin des yeux, loin du cœur ! », comme le dit si bien le dicton populaire.
Une médaille de bronze accrochée par notre vaillante équipe de France à Sotchi dans la discipline de biathlon, cette drôle de course entre snipers montés sur des skis, risquera d’éclipser un événement jugé moins essentiel : Comme la libération du peuple ukrainien par exemple.
La libération des peuples n’est pas encore une discipline olympique !
C’est pourtant la plus longue course de relais au monde. On peut le déplorer, mais monsieur Hitler s’opposa fermement au projet, pour les jeux olympiques de 36, à Munich. Je donne du "monsieur", car c'est ainsi que les journalistes appelaient celui qu'ils considéraient pour beaucoup comme le sauveur de l'Allemagne, voir de l’Europe en ces années là.
Qui, du reste, étaient contre ses projets ? Sûrement pas les athlètes allemands, tous autant polis et accommodants que les ambassadeurs et autres chargés d'affaires s’empressant autour de lui. Des gens qu’avaient des éléments de compréhension et de language.
Mais c’est l’ombre d’un autre dictateur, qui a plané sur ces jeux d’hiver de Sotchi, tirant les ficelles, comme aux commandes d’un engin de chantier géant, à moins que ce soit d’un canon à neige. On a le choix des métaphores, mais pour ce qui est de la neige, jamais elle n’a été si peu blanche !
D’autres diront que les journalistes ne sont jamais aussi bons que quand ils travaillent à l’étranger. C’est bien vrai ! Loin de la voix de son maître, on est libre, on s’affirme plus facilement, surtout pour parler des affaires du voisin.
A l’étranger, il n’y a guère que le portable que l’on fait taire, les communications étant alors hors de prix. Vous pouvez le vérifier vous même quand vous êtes en vacances. Cette image du français insupportable de grossièreté et de mépris vous colle aux baskets, comme les assiduités d’un opérateur de téléphonie.
Je ne parle pas que de la belle suffisance de ces intellectuels de salon à la chemise ouverte, dans la ligne droite des lumières françaises non tamisées, ressemblant à une lampe de bureau braquée sur les yeux d’un suspect. C’est trop facile de désigner l’autre et de s’exclure, de se transformer en chevalier blanc. L’étranger nous sert, en ce qu’il nous révèle.
Des médias, pour leur prestation en Ukraine, de ce que j’ai vu à la radio, et entendu à la télé, il n’y à rien à dire ! Je les ai devinés, émus, un micro à la main, face à la caméra de leur collègue. Dans la nuit incandescente de Kiev, avec ce gilet pare-balle maintenant aussi incontournable pour eux qu’un casque pour un cycliste, ils ressemblaient à des sauveteurs en mer s’apprêtant à embarquer sur une chaloupe.
Ils vibraient eux aussi, en osmose avec le peuple Ukrainien, se mettant au diapason de la nuit rouge, ou orange. Scènes terribles où le monde semble faire naufrage. Il faut avoir une foi grandiose et un courage hors du commun, et peut être aussi une sainte colère, pour oser affronter ainsi la mort, se démettre de son moi, animé par quelque chose qui le dépasse.
Mais mon dieu, que la lutte est belle, quand elle se termine ainsi ! On en perdrait son micro. Les morts deviennent des martyrs, et les apparatchiks des salauds ! Les valeurs sont inversées. La force des manifestants parvient à accomplir ce miracle de transfiguration. Le ciel s’ouvre sous nos yeux, le vulgaire est changé en or. C’est le miracle de la pierre philosophale, que les anciens alchimistes espéraient découvrir.
Il n’a guère alors que les palais présidentiels qui hésitent, ne savent plus où se situer, avant de devenir pendant quelques jours des maisons du peuple, puis de se raviser ! A moins qu’ils ne brûlent, comme le palais des tuileries sous la commune…
Retour vers le futur à Kiev ! Qui dira la beauté de ces journées magiques, qui ne devraient jamais finir ? La belle et ardente pasionaria Ioulia Timochenko fut hissée sur la tribune avec son fauteuil roulant.
De sa voix fiévreuse, elle a continué à enfiévrer la place, le monde entier. Le monde, avec ce qu’il contenait de meilleur, au niveau de l’espoir, débarrassé à jamais des snipers, des actionnaires, des conducteurs d’engins, nous poussant dans des réserves, avec leurs bulldozers !
Oui, c’est vrai, on s’y mettant tous, on peut vaincre le cancer, sans remplir les poches des Jacques Crozemarie, et autres investisseurs bétonneurs prêts à détourner l’objet des plus nobles causes.
Oh ! L’image d’Ioulia au journal du soir à la télé. Ses nattes tressées comme une couronne. Comme nous t’aimons, petite sœur !
Sur la une, sur la deux, trois-zéro ! Les bras levés ! Comme lors de la coupe du monde du football. Vingt heures quinze : La place de l’indépendance la bien nommée est en fièvre ! C’est bête, l’envie vous vient de pleurer ! Ioulia parlait en ukrainien, la plus belle langue du monde pour une nuit de magie. Un instant, l’image en transparence de Marianne s’est superposée, comme un miracle de Lourdes, sans les marchands du temple débarqués de l'aéroport, avec déjà leurs statuettes et leurs icônes proposés comme souvenirs aux touristes.
Le temps n’existe plus, seule la ferveur d’un présent suspendu.
Un moment de grâce où tout se dissout et où l’on sait que le monde n’est qu’une gigantesque fractale filant vers les étoiles, avec nous accrochés à une chevelure, comme à une queue de comète.
Nous étions tous des juifs allemands arméniens noirs opprimés palestiniens de toutes espèces et de toutes cultures, avec un passeport ukrainien, celui qui ouvrira tous les cœurs, toutes les frontières !
Tiens, derrière la locomotive à nattes blondes, qui hurle et pleure dans la nuit, j’ajoute le petit wagon des paysans de notre dame des landes, si personne n’y voit d’inconvénient.
Dieu merci, à la télé, aucun footballeur français d’Arsenal ou de Munich n’a à cet instant marqué de but, et l’antenne a pu être gardé jusqu’à la fin.
C’est ainsi, à notre époque de clivage, de saucissonnages, de temps d’antenne, de temps de pub, d'autant en emporte le vent ! . Veillez d’ailleurs excuser ces apartés insupportables, ceci n’est plus un temps Balzacien, mais strictement lié aux marchés.
Question marché, justement, je pense à Vinci, par exemple.
Vinci, rien à voir avec Léonard De…. Non, pas De Caprio, l’autre, l’ancien, le barbu qu’était peintre du dimanche, entre deux inventions. On finit par ne plus ce que les gens connaissent, en ces temps de très grande barbarie, ou Goering, ou Goebbels, au choix, ne verraient plus l’utilité de sortir leur revolver, faute de culture à descendre.
Vinci, le groupe, c’est une sorte de numéro un lui aussi, mais avec plusieurs « Joconde » à son arc : Construction, autoroute, énergies, concessions. Le groupe est partout, omniprésent. Premier groupe mondial du BTP, c’est pas rien tout de même ! Maman est contente sûrement de la réussite du fils. C’est à lui que vous filez votre petite obole inflationniste, en quittant l’autoroute du progrès, après que l’état ait refilé la concession pour une somme que beaucoup jugent misérable…
Les bijoux de famille ne finissent pas tous au mont de piété, ni dans la poche d’héritiers indélicats. Il arrive que les croque-morts eux aussi se servent. Et qu’aussi les vendeurs de biens fassent des affaires.
De toute façon, c'est l'état qui décide, non ? On ne peut pas reprocher au crocodile d’avoir des dents, comme dit un proverbe africain. Mais on jugera celui qui l’amène au village, en le tenant en laisse.
Quelques 1600 hectares ont été attribué au groupe Vinci, qui a officiellement acquis la concession le 1 Janvier 2011 pour une durée de 55 ans, afin de finaliser le projet de l’aéroport du grand ouest, sur le site de Notre dame des landes, à quelques encablures de la métropole.
Inutile de revenir sur l’utilité de cette folie stalinienne, totalement en inadéquation avec les projections futures. Il a été imposé au forceps sur la nature, les paysans, la diversité, et pour tout dire l’intelligence. On trouvera facilement dans la presse, et sur Internet, les éléments de compréhensions nécessaires. Autant dire, la raison de se taper la tête contre le mur !
Libre à chacun de se faire une opinion en ayant bien en tête tous les enjeux futurs. Le bétonnage des sols a atteint des limites, et seul celui des esprits semble la seule possibilité de continuer dans cette voie triomphante, ne s’embarrassant pas des dégâts collatéraux.
Tout est bon comme justification, afin de rouler à fond dans la nuit, le pied sur le plancher, plus vite que vous ne pourrez jamais aller, sur une autoroute du groupe Vinci !
Au revoir et à bientôt !
Sachant qu’il faudra payer à la sortie.
Et que les chiffres n’ont pas fini de grimper. Pas celui seulement des 556 millions d’euros, largement sous évalués, l’état étant contributeur pour 246 millions. Non, je ne parle même plus de gros sous, mais de qui est la préoccupation des contestataires du projet : La préservation et la transmission de notre patrimoine aux générations futures !
Certains contestataires parlent de « l’ayraut-port » en ironisant… Pour mémoire, le projet de l’aéroport remonte à 1963. Un serpent de mer en bitume plus vieux que celui de l’extension du camp militaire du Larzac, de la centrale nucléaire de Plogoff !
Voilà des noms de batailles qui disparaissent de la mémoire collective. Il est temps de rétablir l’histoire immédiate, si l’on ne veut pas se mettre à bégayer et à reculer. Ces projets fous, jugés hier indispensables au rayonnement de la France et aux développement de ses énergies, civiles et militaires, mobilisèrent pendant des années médias, populations, lobbies, politiciens….On sait ce qu’il advint de ces histoires, ou les chars d’assaut et les brigades de CRS s’opposèrent déjà, aux tracteurs et à leurs remorques chargés de manifestants.
Les tracteurs et les paysans, eux, se rappellent. Un tracteur, comme un éléphant garde en lui la mémoire du sillon. Quand le tracteur est présent, on a beau dire, ça donne du poids !
Ca veut dire tout de même quelque chose au niveau du signifiant, ces paysans qui comptent pas leurs heures, mais qui n’hésitent pas une seconde à s’investir, pour venir dire ce qu’ils pensent de ce saccage programmé. Plus de 520 à converger vers Nantes. On se serait cru dans le seigneur des agneaux, avec les arbres et les forces de la nature rappliquant pour vaincre les forces du mordor bardés dans leur cuirasse et leur arrogance. Néanmoins, aucune violence, rien qu’une décision inébranlable : Ils ne se laisseront pas enterrer par les technocrates et les bétonneurs.
Ils nous imposent une image : Ce combat n’est pas celui de quelques groupuscules autonomistes, anarchistes ou demeurés, comme on voudrait nous le faire croire, mais bien celui de toute une population diverse ! Ceux qui travaillent sur cette terre étant le fer de lance.
Comme à Kiev, régnait une sainte ferveur, mais version cool et celtique, voir familiale. Je dis ça parce que j’y étais, d’abord, et que je reste ébahi par le traitement que la presse et les médias donnent ce matin de cette affaire.
Les organisateurs attendaient 10 000 personnes. Ors, ce sont 20000 selon les officiels, et 50 000 selon les militants, qui ont défilé hier dans le centre ville. Les forces de police étaient impressionnantes, autant en nombre, qu’en équipements, sanglés dans leurs tenues de robocops !
La manifestation s’ébranle après une gavotte intergénérationnelle, des gens de tous horizons et de tous âges. On rit, on mange des sandwichs. Certains sont déguisés de feuillage, afin de proclamer le vol de la nature. Une cabane pittoresque se construit dans un arbre. José Bové à quelques encablures est interviewé par une journaliste, Mélenchon par un autre. A trois heures, nous passons devant un local commercial appartenant au groupe Vinci, passablement dévasté.
L’hôtel de ville est lui aussi couvert d’inscriptions. La aussi, on peut s’interroger sur le fait qu’il n’est curieusement pas bénéficié de protection policières efficaces. Les forces en présence sont pourtant énormes, mais se tiennent cantonnées immobiles derrière les barrières métalliques qui ceinturent les rues.
Près du château d’Anne de Bretagne, la manifestation s’éparpille en groupes, avant de se reformer, avec plus ou moins de consistance : De l’autre coté de l’immense place, une grue a été incendié, et la fumée se combine avec les gaz lacrymogènes pour désorienter la foule des manifestants. La fête est gâché. On n’est pas venu pour en découdre, ni casser le matériel public ou privé, Vinci ou voilà.
Des abris bus incendiés, quelques boutiques taguées, des vitrines brisées, des exactions qui se sont prolongées ensuite, d'une façon semblant orchestrée. Evidemment très condamnables, mais marginales, elles ont en tout cas eut bien des incidences : Celle d’enclencher la répression, et de mettre un terme prématuré à la manifestation.
Sur la place de la petite Hollande :
Place elle aussi bien nommée, bordée par de longues files de tracteurs. Des gens discutent, tranquillement. Elle aurait du être au centre des prises de paroles, mais celles ci ne seront pas possibles, avec les fumées, et les détonations de grenades assourdissantes.
En fond de décor, les consommateurs tranquilles, assis autour de tables de bistrot, avec leurs gosses, sont tout à coup obligés de dégager en courant, abandonnant leurs affaires, gênés par les lacrymos des CRS, éclatant à quelques dizaines de mètres.
Qui étaient ces encagoulés ? Des anars, des autonomes, des provocateurs, des infiltrés, des Black bloc , « originaires de notre pays ou de pays étrangers ? », comme le suggère Manuel Walls.
Assurément, la main du crétin qui a inscrit sur un magasin « Vive le feu ! », n’était pas la même que celle du paysan qui a peint cette phrase, sur son tracteur : « Occuper, cultiver, résister ! »
Outre ces interrogations classiques qu’on peut se poser d’ailleurs à chaque manifestation, à savoir « Mais à qui profite le crime, et qui l’organise, ou le laisse filer ? »
Est-il opportun d’évoquer peu d'histoire, et les coups de billards à trois boules ?
Se souvenir tout de même que les coups tordus appartiennent à la gestion des manifestations, et de toutes sortes d’oppositions. L’important est de discréditer, puis de s’indigner. Je n’irais pas m’appesantir inutilement sur l’incendie du Reichstag, en 33, attribuée faussement à un communiste, et qui permit la mise en oeuvre de cette fameuse nuit de cristal par les nazis.
Sauf qu’en cette année 14, hors des tranchées, ces éléments d’histoire ne font de tort à personne. Il faut toujours évaluer, mettre en perspective, comprendre d’où nous venons.
Même si l’histoire n’est pas finie, nous sommes tout de même maintenant en démocratie. Tiens, comme en 1985, sous étiquette socialiste, d’un président à l’autre, encore une farce de l’histoire. 1985, rappelez vous pour ceux qu’étaient nés : C’est l’année de cette affaire du "Rainbow warrior", fameux plantage des barbouzes de la DGSE, qui ridiculisa la France, et la mit au banc de la communauté internationale. Afin de se débarrasser de ces emmerdeurs d'écologistes, qui portaient tort au lobby des essais atomiques, des agents font sauter le navire amiral de la flotte Greenpeace, dans le port d'Oakland, maquillant lamentablement leur forfait !
Le jour du lendemain :
Trop de journalistes ont en tout cas oublié l’essentiel, après cette manifestation, tétanisés par les vitres cassées. Je ne parle pas pour la manif de Kiev, où ils ont été admirables d’analyses et de pertinence, mais de celle Nantes, où ils ont chaussé leurs gros godillots de bas du front, relayant les officiels, drapés virginalement dans une indignation surjouée et opportune.
Rien de plus pratique, en effet, que de passer de la situation d’agresseur, à celle d’agressé, et de passer l’objet de la révolte au placard.
Plutôt que de s’interroger sur l’importance de la manifestation, et à ses causes humaines et environnementales, ces journalistes ont penché exclusivement en faveur de l’analyse des conséquences matérielles, comme des agents d’assurances zélés.
Quelques titres dans la presse écrite, pour ne pas parler de celle parlée…
Le Point : Scènes de chaos à Nantes.
Le Parisien : Walls dénonce une guérilla urbaine…etc., etc…
Ouest-France : La manif dérape à Nantes….Jean-François Marival, journaliste au au journal, dans sa rubrique "centre ville dévasté", en page 3 du supplément actualités, a même trouvé un opposant du Sud-Loire, qui restera néanmoins anonyme, pour lâcher ces mots, après avoir constaté les dégâts : « Ca va trop loin, je change de camp ! »
N'est ce pas ce qu'on appelle en faire un peu trop ?
Et l’on aurait presque envie d’en rire devant tant d’effort et de flagornerie.
Presque du Marivaux !
Jean-François Marival aurait-il trouvé un ukrainien, à Kiev, consterné, au pied d’un abri bus incendié, pour abandonner sa pancarte, et réclamer un retour de l’ordre, de l’orthodoxie, oublier la cause, Ioulia Timochenko, ses nattes blondes, la fièvre des grands soirs, les petits matins qui chantent ?
Mais décidément, nos belles plumes outragées ont choisi leur camp, en ce jour, et il n’est pas dit qu’ils aussi cocardiers qu’à Sotchi !
Voilà ce que c’est qu’un esprit libre !
Kiev restera la belle, et Nantes, la cancre !
A chacun d’imaginer quel est le big brother, agissant dans l’ombre, avec ses engins de chantier, tirant sur la manche des décideurs, fournissant du papier, de l’encre et des idées, à ces apôtres zélés.
Ce qu’on peut être parano par les temps qui courent !