mardi 27 décembre 2022 - par C’est Nabum

Noël des isolés

Un autre monde…

J'aimerais que ce récit soit perçu comme un témoignage sans condescendance ni flagornerie de la part d'un personnage qui fut, l'espace d'une heure, un simple acteur d'une formidable initiative pour laquelle il n'a fait qu'apporter une bien modeste contribution. Ce qui suivra constitue le regard décalé, incomplet, distordu d'un participant ni témoin objectif, ni cheville ouvrière d'une opération qui mérite votre considération et votre aide. Merci.

Les années Covid oubliées, l'opération « Le Noël des isolés » reprenait ses droits. Je fus sollicité pour venir gracieusement, cela va de soi, animer l'avant repas, ce que je m'empressai d'accepter avec fierté et plaisir. Cette fois encore, le hasard fit que je me retrouvais en seconde partie d'une animation (si j'ose la nommer ainsi) proposée par monseigneur l'évêque d'Orléans pour une messe de la nativité au cœur de l'après-midi et des vies cabossées.

Je tiens à préciser tout d'abord que je voue un profond respect pour cet homme de Dieu exemplaire qui fait honneur à sa mission sacerdotale sans qu'on puisse le soupçonner de la moindre compromission avec les grands scandales qui agitent l'église. Il est de ces bergers qui savent gagner les âmes sans déchirer les consciences.

Conter derrière une messe n'est pas chose aisée. Le recueillement une heure durant pousse ensuite les fidèles à la conversation, à l'échange, aux déplacements divers. Laissez passer un petit laps de temps s'impose, j'en profite du reste pour installer mon matériel dans un brouhaha qui m'interroge sur la suite des opérations.

C'est dans cet état que j'observe attentivement mon public du soir. C'est le troisième lieu différent où je me produis à l'occasion d'un Noël des isolés. Dans sa composition il est très différent des précédents. Je me surprends à remarquer l'absence des représentants de la diversité alors pourtant que cette salle jouxte un quartier très populaire. Il n'en allait pas de même les autres fois. Dans le même temps, tant par leur comportement, leur allure, leur regard, les participants se démarquent du public habituel des salles de spectacle.

Comment dire sans blesser que leur situation se remarque sur leur façon d'être, dans leur démarche, dans cette manière de vouloir se montrer discret. C'est véritablement un public de gens cabossés par l'existence, de détresses diverses portées avec dignité, sans colère ni récrimination. Ils savent garder la tête haute sans la moindre animosité vers ceux qui leur tendent la main.

Je réclame le silence. Il se fait assez naturellement. Ils s'installent tous, reprenant en somme les places qui furent les leurs lors de la messe. Monsieur l'évêque se joint à eux, spectateur ordinaire dans un parterre extraordinaire, bien dans la légende de la nativité. Je suis frappé du silence qui s'impose à tous, j'ai soudain une lourde responsabilité : les emporter loin de leurs conditions dans un imaginaire qui brise une heure durant les pesanteurs de leur existence.

J'ai naturellement choisi des contes d'espérance, des récits pour adultes, des parcours de vie transfigurés par la magie d'un prodige. Mes personnages ne sont guère différents d'eux, ils se parent au fil du récit d'une aura que je souhaite faire rejaillir sur eux. Personne ne bouge, ils sont attentifs, à l'écoute, transportés me semble-t-il loin de leur enveloppe charnelle. C'est magique, oui véritablement magique.

J'ose entre deux contes dire une faribole, j'ose les vers, la poésie, l'humour. Non seulement ils respectent cette folie mais qui plus est, participent, réagissent, rient aussi. Ce public est merveilleux. Je ne puis dire qu'il n'est pas différent des gens qui m'écoutent habituellement ce serait leur faire injure. Ils sont plus à l'écoute encore, plus sensibles, plus « enfants en émerveillement ». Je suis bouleversé par ce cadeau qu'ils me font tous.

Une équipe de FR3 filme ces instants sans que les journalistes ne produisent la moindre perturbation parmi le public. Leur professionnalisme y est pour beaucoup mais ce qui est le plus spectaculaire c'est que toutes les personnes de l'assistance ne regardent que la scène où un être dégingandé, mal fagoté s'agite et pérore, déblatère et joue la comédie. Ils agiront ainsi une heure durant, une heure avec un flot de paroles, une heure sans page de publicité ni grignotage divers. Une heure volée à la réalité.

Il me faut arrêter afin que les bénévoles préparent la salle pour le repas. C'est alors un défilé de spectateurs qui viennent me remercier ou simplement, les yeux brillants, me tendre le poing pour que je les salue. Parfois les mots ne sont rien par rapport à un regard rempli de reconnaissance. Je suis ému, touché au plus profond de mon âme.

Même notre bon évêque vient me féliciter, regrettant de son côté de ne pas disposer de ce qu'il prétend être mon charisme. Je doute qu'un officiant qui se conduirait comme votre serviteur trouve grâce aux yeux des fidèles. Mais ceci est une autre histoire. Je prends congé, je vais retrouver les miens pour le repas de la Noël, les cadeaux, les agapes. J'avoue ne pas avoir été tout à fait présent, une grande part de mon esprit était restée parmi ce merveilleux public d'un soir.

Il m'appartient une fois encore de remercier les organiseurs pour leur confiance et surtout leur dévouement pour ces gens. Il faut féliciter les bénévoles qui réservent leur soirée de Noël à ces personnes qui méritent bien une telle considération. Mais c'est surtout vers eux que vont mes remerciements les plus chaleureux. Je venais leur offrir un peu de mon savoir-faire, ils m'ont rendu au centuple de l'attention, de l'écoute, de la considération. Ils firent preuve d'une humanité magnifique, si loin de la posture du représentant de l'état présent par obligation en ce lieu. Que j'aimerais que tous les publics soient comme celui-ci.

À contre-représentation.

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