mercredi 10 avril 2013 - par Thibaut Driffort

Notre système en overdose de crises ?

L’actualité est vraiment dure à digérer ces temps-ci. Et elle l’est d’autant plus à avaler. Lire la presse ou écouter nos élites parler c’est comme un mauvais trip qui n’en finit plus. Chaque nouveau scandale politique ne fait que renforcer cette sensation nauséeuse vécue au quotidien. Aujourd’hui j’ai pris trop de paradis fiscaux au petit déjeuner, et j’en fais une ”overdose”…

Je pourrais résumer l’actualité en un mot : Crises. Et j’insiste sur le pluriel car ces crises sont multiples et se manifestent par des déséquilibres économiques, sociaux, politiques et environnementaux. Néanmoins il serait finalement plus approprié de faire référence à une Crise avec un grand C et au singulier, car elles sont indissociables les unes des autres. D’ailleurs cette crise systémique est telle que l’on pourrait se demander si elle ne serait pas le principe et son antonyme l’exception.

Cette crise aujourd’hui globale, se répend comme la peste, dans le monde entier. Mais finalement, ne serait-ce pas ce qu’on cherchait à obtenir ? Car si ce n’est pas la crise qu’on essayait d’instaurer, qu’est-ce qu’on recherche ? Quel est notre objectif final ?

Quelles alternatives à la Crise ?

En tapant “antonymes Crise” sur Google on obtient des résultats très variés comme abondance, calme, accalmie, épanouissement, détente, rémission, chance, bonheur, équilibre…Donc, pour ne pas être cynique, ce qu’on rechercherait ce serait de l’abondance avant tout, voire de la surabondance, en misant sur l’épouissement de l’actif de notre patrimoine personnel qui s’obtiendrait en agissant comme des équilibristes marchant en pleine tempête sur la corde de la stabilité. Avec un peu de chance, au bout du parcours, on décrocherait un peu de bonheur, en profitant d’une accalmie. La réalité n’est pas beaucoup plus absurde que ça finalement…

Etrangement le terme “croissance” n’apparaît pas dans les résultats de recherche, alors que c’est en mesurant la croissance de notre production que nos élites déterminent si une économie est en crise ou pas. De façon très simpliste, tant qu’il y a un “+” devant le taux d’évolution du produit intérieur, c’est que tout va bien et que l’on peut continuer. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien qu’on dit que les marchés sont aveugles, comme en témoignerait la crise des subprimes de 2008 que personne n’a vu venir. Néanmoins la pensée dominante demeurt très attachée au théorème de Smith selon lequel toujours, et un peu par miracle, une main invisible venant du ciel, telle une parabole biblique, viendrait rétablir tout déséquilibre ponctuel. Certes, de nombreuses théories plus interventionnistes ont été pensées et parfois mises en pratique, mais il n’empêche qu’aujourd’hui encore, c’est le marché qui fait la loi. Mesurer la santé et le dynamisme d’une économie uniquement par sa production de biens et services en est le parfait exemple.[1]

En France, malgré l’initiative lancée par Nicolas Sarkozy en 2007 de charger Amartya Sen, Jean-Paul Fitoussi et Joseph Stiglitz de repenser les indicateurs de mesure de la richesse nationale, rien n’a aboutti. Un rapport de plusieurs centaines de pages[2], rédigé entre autre par deux prix nobels d’économie, a finalement fini sa vie dans un tiroir, avant même de la commencer. Dommage.

Des crises ou une Crise ?

Pour produire un bien de consommation, il faut des matières premières. Ces matières premières sont, naturellement, toutes sortes de ressources naturelles que l’on extrait du sol, que l’on recueille directement à la surface et que souvent l’on transforme par divers procédés chimiques et industriels. Le fait est que les théories économiques ont mis du temps à intégrer cette richesse en tant que capital, et si par exemple l’école des physiocrates au 18e siècle stipulait que la richesse ne pouvait provenir que de la terre, il a fallu attendre les premières théories mettant en évidence les “externalités”[3], et autre théorie de la “tragédie des biens communs”[4] pour pointer du doigt les conséquences de l’activité économique débridée sur l’ environnement.

Le fait est que le marché est tout aussi aveugle en termes économiques qu’en termes environnementales. En d’autres termes, on fait confiance au marché jusqu’à ce que l’on tombe et que cette mystérieuse main invisible venant du ciel, que d’aucuns appelleraient ici “Progrès technique”, vienne hypothétiquement à notre secours . La métaphore de l’équilibriste marchant sur cette corde de la stabilité en pleine tempête, pour représenter l’instabilité du marché, n’est finalement même pas assez forte quand on prend en compte la nécessaire stabilité des écosytèmes. Il faudrait ajouter que cette corde s’use et que l’on continue à marcher dessus en sachant que, soit le vent nous fera tomber, soit que la corde cèdera sous notre poids.

La crise politique se manifeste, elle, par une méfiance croissante de la population vis à vis de leurs élites. Logique quand le modèle en place repose sur un contrat social secoué par les conséquences de cette crise économique ainsi que sur une représentation politique illégitimée par des scandales tels que, récemment et en ordre chronologique : l’affaire Woerth, l’affaire DSK, l’affaire Sarkozy-Bethencourt et très récemment l’affaire Cahuzac. Ajoutez à cela que tout ceci s’est produit en moins de deux ans, que la France, pays de la démocratie, est classé à la 37 ème place du classement 2013 de Reporters Sans Frontières sur la liberté de la presse, que la séparation des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire est souvent douteuse et comprennez votre défiance croissante vis à vis de nos institutions publiques[5].

Une alternative durable à la Crise ?

Finalement, l’alternative à la Crise globale que connaît notre société aujourd’hui n’existe pas. Les seules solutions proposées sont court-termistes, trop ciblées, et donc par définition non durables.

C’est le système entier qu’il faut repenser, et ce en prenant en compte la diversité des paramètres économiques, politiques, sociaux et environnementaux à ajuster, pour ne pas pas reproduire sans cesse cette Crise, qui est aujourd’hui le principe et non l’exception.

Repenser le système, c’est avant tout repenser notre raison de croître ainsi que que les facteurs de cette croissance. Il faut à tout prix changer cet indicateur de croissance obsolèt et fixer un cap à suivre pour repartir sur des bases saines. Sans cette vision co-créée et partagée par l’ensemble de la population, le système ne saurait perdurer.

Repenser le développement implique donc de créer un dialogue entre l’ensemble des acteurs concernés. Or les opportunités pour un développement plus durable en termes économiques, politiques, sociaux et environnementaux sont à portée de mains. Pourquoi ne pas les saisir ?

Thibaut Driffort.

 


[1] Et ce même si on sait jusqu’au plus haut échelon de la vie politique que ce PIB n’est pas approprié pour mesurer le dynanisme et la santé d’une économie. Car avant tout une économie, en plus d’être une somme d’entreprises qui produisent, c’est aussi une somme d’individus, plus ou moins liés par ce “lien social”, qui consomment et fournissent une main d’oeuvre qualifiée aux entreprises, et dont le bien être est ignoré par cet indicateur très imparfait.

[2] Consultable en français et en anglais : http://www.stiglitz-sen-fitoussi.fr/fr/documents.htm

[3] Toutes conséquences de l’activité économique ayant une influence sur le bien être de personnes étrangères à celle-ci et que le marché ne peut pas prendre en compte.

[4] Cette “tragédie”, dans la plupart des cas pour l’environnement, apparaît lorsqu’un un bien ne peut pas se voir attribuer des droits de propriété par le marché et est ainsi menacé par des comportements individuels au détriment d’autres individus.

[5] Remarquez ici que la crise politique est portée par une crise de confiance !

 



6 réactions


  • al.terre.natif 10 avril 2013 18:03

    « développement plus durable »

    Ce développement durable est recherché par tout ce qui est capitaliste aujourd’hui. Car ce n’est pas durable qui est vraiment important, mais développement, croissance en fait.

    Lorsque vous dite développement durable, c’est en fait « croissance continue dans la durée »...

    Le mot anglais est moins ambigu : « soutenable » ... qui implique bien là aussi un développement, une croissance, mais qui soit viable, soutenable.

    En dehors de ce petit point vocabulaire, lorsque l’on parle de crises, il est bon de se demander si c’est vraiment une crise pour tout le monde. Je ne crois pas. Depuis 2008, certains n’ont cessés de s’enrichir à une vitesse incroyable ! Preuve s’il en est que la crise ne l’est pas pour tout le monde. Coté politique, tout va bien également, les français ne croient plus en la politique, mais ça ne date pas d’hier, et tant qu’ils ne se bougent pas le derrière, que ce soit pour marcher fourche à la main, ou bien juste de construire autre chose de leurs mains, les politiques ne seront pas en crise, ils pourront continuer à faire ce qui leur plait, avec le pouvoir que NOUS leur avons donné...


    • Thibaut Driffort Thibaut Driffort 10 avril 2013 19:43

      Bonjour et merci pour votre commentaire ! Je suis heureux d’avoir l’opportunité d’y répondre.


      Premièrement, je m’étonne de cette assimilation que vous faîtes entre « développement durable » et « croissance économique » (telle qu’elle est mesurée aujourd’hui). Quand je parle d’un développement durable, je fais référence à la transition entre notre société telle qu’elle est aujourd’hui, avec toutes ses qualités et ses défauts, et notre future société quand elle aura atteint cet objectif de durabilité, autrement dit ce jour où il y aura assez de ressources pour tout le monde et pour toujours (de façon très simpliste et utopique j’en conviens). Alors quand vous dites que « Ce développement durable est recherché par tout ce qui est capitaliste aujourd’hui », j’en serais vraiment très heureux ! Ce serait une bien belle conciliation.

      Concernant le terme « soutenabilité », je perçois ça comme un synonyme utilisé par les détracteurs du concept de « développement durable », qui l’assimileraient au capitalisme. Et si je suis d’accord avec vous que ce terme est employé n’importe comment aujourd’hui, je ne vois pas pourquoi on y ajouterait un peu plus de confusion en y substituant un synonyme.

      Concernant la Crise à laquelle je fais référence, elle se situe à un échelon bien supérieur à celle dont vous faites référence et qui est lié aux inégalités de revenus. Ce serait comme dire qu’il n’y a pas de crise écologique parce qu’un seul côté de la banquise fond ou parce qu’en France on ne perçoit pas les conséquences de cette crise. En parlant de Crise avant un grand C, je fais référence à cette crise systémique et structurelle qui concerne le lien social (le rapport entre les Hommes) ainsi que le rapport entre l’Homme et son environnement.

      Enfin, pour la dernière partie de votre commentaire, je ne partage pas votre votre idée de marcher« fourche à la main » pour « chasser du politique ». Je pense réellement qu’une simple décentralisation du pouvoir doublée par l’avènement d’outils de démocratie participative à l’échelon local, changeraient déjà beaucoup de choses. Mais vous avez raison, ça passe aussi par une participation plus importante des citoyens dans un contexte de crise de confiance massive...

      J’espère avoir répondu au mieux à vos interrogations ! smiley Bonne soirée !

  • COLLIN 10 avril 2013 23:33

    Personnellement,je ne partage pas le concept de « crise »,qui impliquerait son caractère accidentel,voire imprévisible.

    Non,il s’agit du déploiement d’une stratégie qui consiste à tout casser,surtout les peuples d’ailleurs,pour mieux ramasser tous les morceaux par la suite.

    Je ne parviens pas à croire que ces criminels économiques et leurs larbins « politiques » soient complètement crétins,non,tout a été prévu...

    Cela s’appelle la « stratégie du choc ».


    • Thibaut Driffort Thibaut Driffort 11 avril 2013 11:36

      Bonjour, 


      Et merci pour votre point de vue ! 

      Je ne suis pas vraiment fan des thèses conspirationnistes pour ma part... 

      Néanmoins dans mon article je souligne bien que la crise serait « le principe et non l’exception » et que finalement il n’y a pas d’alternatives aujourd’hui. Après c’est juste mettre un nom sur un fait.. smiley

  • BA 11 avril 2013 10:59
    Jeudi 11 avril 2013 :

    Moscovici savait dès décembre pour le compte de Cahuzac.

    Le ministre de l’Economie Pierre Moscovi avait envoyé une mission secrète en Suisse et connaissait depuis décembre 2012 l’existence du compte suisse de l’ancien ministre du Budget Jérôme Cahuzac, écrit jeudi « Valeurs actuelles ».

    Selon l’hebdomadaire, l’équipe d’une quinzaine de fonctionnaires, notamment de la Direction nationale d’enquêtes fiscales, a agi de façon parfaitement légale et n’a eu aucune difficulté à obtenir la confirmation recherchée.

    Dans ces conditions, « la démarche de Pierre Moscovici, qui consiste, le 24 janvier, à demander aux autorités helvétiques si Jérôme Cahuzac disposait d’un compte à l’UBS entre 2006 et 2012 avait quelque chose de surréaliste », écrit Valeurs actuelles.

    Soupçonné par l’opposition d’avoir cherché à couvrir Jérôme Cahuzac, Pierre Moscovici s’est défendu de toute complaisance ou faille dans l’enquête diligentée auprès de la Suisse sur le compte de l’ex-ministre du Budget.


Réagir