Patriotisme et civisme artistique : à propos d’un tableau de Poussin
« La fuite en Egypte », un tableau peint par Nicolas Poussin vers la fin de sa vie, en 1657, pour un admirateur et ami lyonnais, Cerisier, tableau interdit d’exportation par le ministère de la Culture en août 2004, risque de partir aux Etats-Unis si les fonds nécessaires (10 millions d’euros) ne sont pas réunis d’ici au 11 février, pour son acquisition par le Musée des beaux-arts de Lyon.
J’ai appris cette nouvelle ce dimanche 4 février au Journal de 13 heures sur France 2 qui a donné la parole à Sylvie ramond, directeur du Musée des beaux-arts de Lyon. Que France 2 en soit remerciée ! L’échéance, le 11 février, est proche ! La mobilisation, urgente ! mais qui s’en soucie ? Je me souviens qu’il y a quelques années l’acquisition d’un tableau de Georges de La Tour avait fait l’objet d’une souscription nationale qui avait permis sa conservation au Louvre. Le patriotisme artistique aurait-il depuis disparu ?
En tout cas je n’ai pas trouvé trace de ce dossier sur le site du ministère de la Culture, ni sur l’agenda du ministre ! En ces temps de post-modernité galopante, Poussin, le peintre du classicisme par excellence, ne semble pas être une priorité pour le ministre qui a en revanche, prévu d’asssister au concert de Johnny Hallyday demain à Tours ! Tous deux ne sont-ils pas supporters du candidat UMP à l’élection présidentielle ? Mais n’épiloguons pas sur ces turpitudes... Bien que le sujet du tableau concerne la Sainte Famille je n’ ai pas trouvé non plus la nouvelle sur le site de l’Eglise catholique...
Mieux vaut revenir au sujet de cet article civique et citer ce qu’a écrit Jacques Thuillier à propos du tableau de Poussin (que l’on pourra voir sur le site de la Tribune de l’art) : "La Fuite en Egypte retourne à la composition en bas-relief que Poussin avait affectionnée au temps du Vénus et Enée de Rouen, mais cette fois en plaçant l’axe de l’action au centre même du tableau, figeant du même coup toute la véhémence du mouvement. De là, une monumentalité nouvelle, tandis que la solitude des personnages leur restitue toute leur gravité. Ils ne sont plus l’incarnation d’une "passion", ils tiennent leur sens de leur seule présence. Leurs gestes se calment, leurs silhouettes s’immobilisent, alourdies par des voiles épais, leurs visages sont cachés ou deviennent des masques impassibles : ils s’expriment désormais par le poids tragique des statues."
Pour terminer sur une note de subjectivité , je me souviens de quelques tableaux de Nicolas Poussin : Diogène jetant son écuelle, qui est au Louvre, et surtout Vénus pleurant Adonis qui est au Musée des beaux-arts de Caen : le mystère pour moi de ce dernier tableau avec ces deux pigeons posés à proximité de la scène, comme une note de musique silencieuse, "muta eloquentia" dirait Marc Fumaroli, une note apaisante posée sur la scène tragique dépeinte, le Poussin stoïcien que l’Eglise a sans doute des difficultés à reconnaître... le Poussin que la "France d’après" a oublié !