vendredi 13 juin 2014 - par C’est Nabum

Sur une peau de banane

C'est ainsi chaque jour ...

JPEG Incident au collège.

La vie d'un adulte dans un collège n'est pas devenue chose facile. Le pauvre personnage doit se faire discret, raser les murs et éviter la foule compacte des troupeaux en migration. Il sera alors inexorablement bousculé sans même un petit pardon. Qu'il ne s'aventure surtout pas à la moindre remarque ; le risque est grand de la riposte véhémente, du propos acerbe ou de l'invective injurieuse !

Pire encore est la rencontre inopinée d'un solitaire dans les couloirs. Vous devez être certain d'avoir affaire à un élève en rupture de ban, un être énervé qui ne pourra contenir sa colère, son indignation ou sa rancune. Venir l'importuner dans sa macération, c'est prendre le risque de l'explosion fatale. 

Réfractaire à mes propres conseils, je suis encore tombé dans ce piège que me tend ma conscience professionnelle. Il serait pourtant si simple d'agir comme bien d'autres adultes qui feignent de ne rien voir. Je vous prie de bien vouloir pardonner ma stupidité chronique ; il est grand temps que je quitte cet espace de désolation …

Je vaquais dans l'établissement à une heure où les couloirs sont vides puisque les classes sont pleines. J'entendis un grand fracas, quelques hurlements provenant d'un couloir contigu. Un garçon, grand échalas dégingandé, passa devant moi avec l'air de ne pas tolérer que l'on tente l'aventure d'entraver son chemin. 

Incorrigible, c'est pourtant ce que je fis en lui demandant aimablement « Que faites-vous ici , » J'use systématiquement du vouvoiement quand la tension semble dominer le contexte qui se présente à moi. Le furieux passe sans rien dire et accélère le pas tandis qu'une surveillante s'efforce de le poursuivre . Je renouvelle ma question dans les mêmes conditions.

Le jeune homme n'en file pas moins sans se soucier de l'imprudent qui vient se préoccuper d'un destin qui n'est pas le sien. Je lui dis alors : « Vous refusez de me répondre, c'est un problème d'éducation ! » J'avais sans doute appuyé là où ça fait mal, touché une corde sensible ou insulté la terre entière, le fuyard d'un instant fit volte-face pour hurler et venir m'affronter.

Il s'approcha jusqu'à me toiser, le visage furieux, les yeux foudroyants et le propos sans équivoque : « Tu ne me parles pas … ! ». Il avait l'air de vouloir en découdre ce que je lui fis remarquer. Il affirma véhémentement qu'il n'était pas dans son intention de me frapper tout en ayant une attitude qui laissait penser le contraire. 

La surveillante et un professeur de lui reconnu, vinrent s'interposer entre nous qui en étions rendus pratiquement au front contre front. Sans perdre mon calme le moins du monde et toujours d'un ton paisible, je lui déclarai alors qu'à mes yeux, un garçon qui refuse de m'adresser la parole cela relève d'un problème d'éducation.

L'autre, toujours aimable, répondit qu'il ne me connaissait pas et qu'il refusait de me parler. Voilà bien une réplique fréquente dans nos établissements. L'adolescent se place désormais au-dessus des contraintes inhérentes à la vie en collectivité. C'est ainsi que je lui rétorquai qu'il ne fallait alors pas faire le choix de vivre en société.

La réplique fit mouche et mon interlocuteur (si ce terme peut définir ce jeune homme) répliqua par une vocifération étrange où il était question de banane. J'avoue ne pas avoir saisi la teneur exacte de sa réplique, deux adultes le conduisant alors vers un espace plus tranquille.

Je revis ce garçon un quart d'heure plus tard. Il sortait de sa mise en quarantaine, apparemment calmé. Je lui demandai si nous pouvions discuter sereinement de ce qui venait de se passer, comme des êtres humains. Nouveau silence têtu, visage fermé et obtus. Il passa, le regard dans le vide, et refusa catégoriquement de me parler. 

Je n'en fis pas cas. Après tout, ce charmant individu ne relevait pas de ma responsabilité ni des élèves qui me sont confiés. Son refus de me considérer était sans aucun doute l'expression d'un ostracisme qu'il appliquait avec une extrême rigueur. Je n'allais pas en faire une montagne. Ce qui me peinait le plus c'est qu'on puisse renvoyer en classe un garçon qui venait de faire un tel éclat. Il me semblait que le renvoi immédiat chez lui pour lui permettre de retrouver ses esprits eût été préférable et forcément salutaire.

Je devais me tromper car le lendemain, un responsable hiérarchique me demanda le déroulé de l'incident. Je ne fis aucune difficulté pour lui relater ce que j'avais déjà l'intention de coucher par écrit. Ce qui fut fait dans des termes assez proches de ce que vous lisez actuellement. Ma supérieure m'avoua devoir recevoir la mère de cet aimable collégien :entrevue redoutée et qui serait sans doute houleuse. La mère ayant la réputation d'être plus redoutable encore que son cher enfant.

Au-delà de l'anecdote, il y a vraiment lieu de s'interroger sur le contrat social qui semble ne plus être de mise dans bien des endroits. Enseignants, chauffeurs de bus, policiers, pour ne citer qu'eux, sont confrontés à des jeunes qui leur dénient toute autorité, fût-elle accompagnée de toutes les marques de respect auxquelles ils ont droit.

Comment vivre ensemble dans un tel climat ? Que faire de tels énergumènes ? En quelles circonstances notre société a-t-elle failli pour laisser monter chez ces adolescents une telle haine pour l'autre ? Je plains sincèrement ce garçon. Il doit se préparer à force désagréments et il est certain qu'il rencontrera bien des peaux de banane sur sa route …

Aimablement sien.



13 réactions


  • Fab81 13 juin 2014 09:58

    Bonjour Nabum,
    Merci pour vos témoignages que je lis toujours avec beaucoup d’intérêt. Le plus effrayant dans l’affaire, de mon point de vue, c’est le rôle que peuvent jouer certains parents, qui n’aident pas à rendre leurs gamins vivables, bien au contraire...


    • C'est Nabum C’est Nabum 13 juin 2014 12:48

      Fab81


      Merci à vous

      Le plus curieux ici ce sont les votes négatifs

      Que signifient-ils ?
      Que ceci est mensonge ? Qu’il n’en faut rien dire ?
      Mystère

  • zygzornifle zygzornifle 13 juin 2014 12:53

    En centre ville aussi .......Et dans beaucoup d’immeubles « chance pour la France » surtout regarder ses godasse autrement c’est l’équarrissage d’assuré .... 


    • C'est Nabum C’est Nabum 13 juin 2014 16:07

      zygzornifle


      Faire des adolescents les meilleurs cibles de la consommation c’est encore en faire des individus sans empathie.
      Ce n’est pas une question d’origine mais bien de conception de la société

  • Montdragon Montdragon 13 juin 2014 14:15

    Incivilités et banane, j’appelle la Kommandantür.
    Allo Christiane ?
     


  • Prudence Gayant Prudence Gayant 13 juin 2014 17:35

    Et que dire de la vie mouvementée d’une banane, surtout celle venant des Caraïbes !

    entre grève et pourrissement à quai c’est pas la joie.
    A vouloir jouer au héros grec, munissez-vous d’un taser à tire préventif.
    Ces élèves sont effrayants. Je n’ose imaginer si au lieu d’un professeur ce fou-furieux avait rencontré une professeure au détour du couloir.

    • C'est Nabum C’est Nabum 13 juin 2014 17:40

      Prudence


      Ne singeons pas la banane, une femme serait restée silencieuse car elle sait que le risque est trop grand !
      C’est inacceptable mais c’est la vérité qu’il faut cacher à nos concitoyens

    • C'est Nabum C’est Nabum 13 juin 2014 19:44

      joyeusetés


      La majorité sans doute pas car l’école serait un enfer absolu !

      Mais une part non négligeable certainement qui sont d’ailleurs bien souvent les rejetons de parents qui eux -mêmes furent déja les premiers enfants rois

      La suite promet encore plus

    • Prudence Gayant Prudence Gayant 13 juin 2014 21:35

      Peut-on comparer vos élèves à des enfants-rois dont les parents ont laissé tout faire ? 

      Il me semble que le gouffre est plus profond.

    • C'est Nabum C’est Nabum 13 juin 2014 22:07

      Prudence


      Je ne suis pas sociologue
      Je vais au plus pressé et je sais que les explications sont bien plus complexes

  • Prudence Gayant Prudence Gayant 13 juin 2014 23:09

    Désolée de poser trop de questions dont la teneur me dépasse. Je ne suis pas sociologue non plus. Je vais me contenter de manger les bananes de la Caraïbe et de rester dans mon bananier.


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