La contraposée de cette assertion est partiellement juste : si la planète connaît une croissance économique forte (ce qui est le cas depuis de nombreuses années), la demande sur le marché mondial est forte, et nos entreprises exportatrices (EADS, LVMH, LOREAL...) bénéficient de cette demande pour augmenter leur chiffre d’affaires, créer des emplois dont certains (pas forcément beaucoup) seront localisés en France.
Mais l’affirmation est majoritairement fausse puisque la France connaît une croissance faible (nulle au troisième trimestre 2006 !) dans un contexte mondial très porteur. Notre économie intérieure est donc récessive et détruit tous les effets positifs d’une croissance mondiale qui ne se dément pas. Il faut simplement dire que nos hommes politiques, soit par mensonge, soit par ignorance, font devant nous, depuis de nombreuses années, un raisonnement par contraposée qui est faux.
La croissance qui crée des emplois, ça n’existe pas ou peu.
Le travail qui génère de la croissance, oui, cela existe !
Le produit intérieur brut (PIB en français, GDP en anglais) correspond à la simple multiplication suivante :
Pour générer de la croissance, il faut donc agir sur le nombre de travailleurs ou sur la valeur ajoutée de chaque travailleur, et préférentiellement sur les deux.
Deux exemples simples illustrent le phénomène :
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si un boulanger embauche un salarié supplémentaire qui lui permet d’ouvrir le lundi (alors que, la boulangerie étant auparavant fermée, certains habitants du quartier avaient pris l’habitude de ne pas manger de pain le lundi) et que les ventes du lundi financent ce nouveau salarié, on a augmenté le nombre de travailleurs : même si ce dernier a une valeur ajoutée modeste, le PIB a augmenté.
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si un fabricant d’aspirateur invente l’aspirateur sans sac (je sais que ça existe déjà mais ceci est un exemple) qui ne coûte pas plus cher à fabriquer mais qui peut se vendre plus cher car la ménagère y trouve un vrai bénéfice : on a augmenté la valeur ajoutée des employés de ce fabriquant, le PIB a augmenté.
Sans revenir sur l’aberration des 35 heures (cf. 35 heures...), qui a eu comme effet mécanique de baisser la valeur ajoutée par travailleur et, par effet mécanique inverse heureux, de nous conférer l’une des plus grandes productivités « horaires » mondiales (heureusement que le PIB n’a pas baissé de 10% - !- et que beaucoup de gens ont compensé la baisse de leur temps de travail « officiel » par une plus grande productivité individuelle...), un pays qui ne compte que 17 millions de salariés dans le secteur privé pour 60 millions d’habitants a beaucoup de mal à générer de la croissance quand bien même ces 17 millions se décarcasseraient pour, chacun, augmenter leur valeur ajoutée individuelle...
En fait, pour reconstituer le PIB, il faut ajouter à la valeur ajoutée collective de ces 17 millions de salariés du secteur privé (qui sont 24 millions en Grande-Bretagne, cf. pétition que je vous recommande de lire si ce n’est de signer : L’enjeu 2007), la contribution d’un sous-ensemble difficile à quantifier de nos services publics (énergie, transports... voire santé et éducation), que nous avons voulu collectifs et subventionnés, et qui, bien évidemment, participent à la génération de valeur ajoutée. La grande question les concernant est plutôt : comment faire augmenter la valeur ajoutée per capita en les privatisant ou en les mettant en concurrence (sachant que l’on ne peut pas - hors phénomène des départs à la retraite - véritablement réduire les effectifs, ni geler les coûts, ni augmenter leur temps de travail sans que leurs syndicats ne bloquent le pays) ?
Hormis donc les salariés du privé et les quelques millions d’employés du secteur public participant à la génération de valeur ajoutée (les actifs à valeur ajoutée, ou AVA), c’est sur le PIB que viennent se déduire sous forme de prélèvements obligatoires (impôts, taxes et cotisations) les dépenses liées à :
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notre fonctionnement républicano-démocratico-administratif qui est « out of control » depuis trente ans (un policier, un militaire, un inspecteur des impôts, un magistrat, un maire, un député, un conseiller de ministre... constituent des postes de coûts souvent nécessaires mais non créateurs de valeur ajoutée économique alors qu’un coiffeur (*) participe au PIB !)
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nos retraités qui sont de plus en plus nombreux et qui, pour l’instant, bénéficient d’un système plutôt généreux
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nos chômeurs et nos exclus qui vivent d’allocations diverses et qui, sans doute pour une très grande part, aimeraient travailler et délivrer de la valeur ajoutée
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indirectement, nos enfants qui bénéficient de notre système éducatif (le terme « bénéficier » est peut-être ici de plus en plus impropre !), de notre système de santé... bien que nourris et logés par leurs parents.
Le nombre de chômeurs, quand on regarde ces différentes populations, est finalement presque résoluble : si nous avions un million de fonctionnaires et un million de retraités en moins, l’immédiat gain de valeur ajoutée par AVA approcherait 10% d’économie sur les coûts et permettrait à de nombreuses entreprises d’embaucher (alors qu’elles sont simplement à l’équilibre économique, voire juste en dessous) et/ou à de nombreux particuliers de consommer des services à la personne -fortement consommateurs de main-d’oeuvre- qu’ils n’ont pas les moyens de financer aujourd’hui. Un niveau frictionnel de chômage (2-3% environ de personnes entre deux jobs et 1-2% de chômeurs de longue durée) serait théoriquement très vite atteint. Malheureusement, il sera long de se départir d’un million de fonctionnaires et on va voir le nombre de retraités augmenter par tranche d’un demi-million (ou plus) par an dans les quinze-vingt prochaines années...
De même, si un fonctionnaire part à la retraite, un salarié est mis en pré-retraite ou si un chômeur est transformé en exclu, l’équation reste la même, on n’augmente ni le nombre d’AVA, ni la valeur ajoutée ! Pas de croissance, voire une récession, des prélèvements qui augmentent, des déficits publics, une baisse du niveau de vie... bref le cercle infernal dans lequel nous sommes entraînés en spirale.
Enfin, la politique de traitement social du chômage, si elle peut présenter, dans certains cas, l’avantage de réadapter (ou d’adapter) à la vie professionnelle des chômeurs de longue durée (ou des jeunes non qualifiés), présente l’immense inconvénient de faire baisser le « PIB net de prélèvements obligatoires », puisque les aides et subventions de ces emplois correspondent soit à des impôts et cotisations, soit à du déficit public (qu’il faudra rembourser avec la valeur ajoutée future). Il ne peut ici s’agir que de plans provisoires et temporaires mais chez nous, ça dure depuis vingt-cinq ans !
Voici donc dame France « cornerisée » et qui se demande ce qu’elle pourrait bien faire...
Si la réponse était évidente, elle aurait sans doute déjà été apportée, voici modestement quelques éléments de solution :
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Ne pas s’acharner à résister aux délocalisations qui s’imposent économiquement. Si le travail est à faible valeur ajoutée et s’il est réalisable offshore, résister c’est simplement perdre l’opportunité de rebondir, de se relancer et de construire l’entreprise de demain (cf. le bon exemple -je le souhaite pour eux- de SEB qui ne maintient en France que la fabrication d’objets innovants et qui se retrouve, de fait, mobilisée sur l’innovation ce qui ne pourra pas lui faire de mal à court et moyen terme). Tous les pays occidentaux font face aux mêmes enjeux, certains tirent très bien leur épingle du jeu, pourquoi pas nous ?
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Donner aux chômeurs l’envie de travailler : suggérée par Croissance Plus, une association de patrons d’entreprises de croissance, la transformation de l’assurance-chômage en assurance-salaire qui consisterait, d’une part, à raccourcir le délai d’indemnisation (par exemple, à un an) et, d’autre part, à compenser pendant une durée (par exemple, deux ans) l’éventuelle différence de salaire entre le salaire avant chômage et le salaire correspondant au nouveau travail dans les secteurs fortement demandeurs (que sont le BTP, l’hôtellerie-restauration-tourisme, les services aux entreprises ou aux personnes...). Ceci n’a jamais été essayé. Il me semble que cela vaudrait vraiment la peine, surtout pour la population de chômeurs pour laquelle un virage professionnel est absolument nécessaire et toujours possible (par exemple, les moins de quarante-cinq ans ? cinquante ans ?).
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Enlever aux employeurs la trouille d’embaucher : sujet que je connais assez bien et qui repose dorénavant en France sur une sorte de blocage psychologique qui fait que les employeurs se restreignent d’embaucher car ils savent que la situation économique de leur entreprise peut se dégrader et qu’ils ne peuvent absolument pas anticiper le coût des licenciements qu’ils auraient alors à décider. L’inconnue est de taille, car les transactions (accord entre les parties en général beaucoup plus favorable pour le licencié que les indemnités légales) ou recours aux Prudhommes (aggravé de façon endémique par le problème des 35 heures et du non-respect scrupuleux de la législation sur le temps de travail) sont devenus des sports nationaux. Les récentes décisions prudhommales sur des CNE terminés « abusivement » sont, à ce titre, et ceci, que la décision de justice soit justifiée ou non, une véritable catastrophe en la matière... La solution serait assez simple : s’en tenir aux indemnités légales qui ont été négociées par convention collective, dont le montant est raisonnable et prévisible, et débouter aux Prudhommes (ou plutôt à l’instance qui les remplacerait car cet attelage patronat-syndicat semble avoir fait son temps) tout salarié qui n’aurait pas une « vraie bonne » raison (ex : discrimination raciale, sexuelle...) de considérer son licenciement comme abusif. Certains que le coût éventuel d’un licenciement est prévisible, encadré et raisonnable, la fameuse « trouille d’embaucher » de nos grands et surtout petits patrons devrait disparaître petit à petit...
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Allonger la durée de la vie professionnelle : le phénomène démographique est inéluctable et doit être partagé par tous... La retraite à soixante ans ne pourra être maintenue...
Il me semble que ces quatre points sont démontrables, praticables, peut-être inévitables. Je ne les ai pas entendus dans la bouche de nos « favoris des sondages ». Ni « ordre juste », ni « rupture paisible » ? Dommage.
Vous l’avez compris, moi je vote PIB. Vive le PIB !
(*) Je n’ai rien contre les coiffeurs mais il est amusant de dire qu’ils génèrent de la valeur ajoutée en coupant des cheveux...