100% money (système monétaire à réserves pleines)
Cet article est un résumé d’un article plus complet en téléchargement pdf de Christian Gomez auquel vous pouvez vous référer pour avoir plus de détails. Il est publié avec l’accord de l’auteur.
L’article complet est intitulé : "Une
« vieille » idée peut-elle sauver l’économie mondiale ? Un réexamen de
la proposition d’une réforme radicale du système bancaire :
L’imposition d’un coefficient de réserves de 100%" et a été présenté lors du colloque « LA CRISE : TROIS ANS APRÈS QUELS ENSEIGNEMENTS ? »
A-J Holbecq
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Les banques doivent-elles disposer du pouvoir de créer de la monnaie ? Non, car une telle possibilité que permet un système bancaire à couverture fractionnaire, induit l’instabilité économique et financière, une mauvaise allocation des ressources et des distorsions injustifiées dans la répartition des revenus…
Le principe actuellement en vigueur est nommé « système de crédit à couverture fractionnaire » est le vice fondamental de nos systèmes bancaires : la création monétaire qui lui est liée permet aux banques de faire du crédit en promettant de payer à vue des sommes pour lesquelles elles n’ont en réserve qu’une fraction de ces exigibilités, en jouant sur « la loi des grands nombres » et les compensations entre les entrées et les sorties de fonds.
Ce mécanisme du crédit bancaire considéré comme frauduleux a été critiqué pour
(1) son caractère structurellement instable, puisque des actifs non liquides sont financés par des dépôts à vue volatiles par essence, d’où les crises financières à répétition,
(2) son extraordinaire capacité à amplifier les mouvements économiques, prix et activité, à la hausse et à la baisse ;
(3) les déformations qu’il engendre dans la structure des taux d’intérêt et dans l’appareil de production,
(4) les distorsions qu’il induit dans la répartition des revenus puisque, par le pouvoir d’achat qu’il crée « ex nihilo », il permet à ceux qui en bénéficient de « prendre sans offrir », détruisant ainsi les équilibres
Les plus grands économistes ont proposé de nouveaux systèmes pour le réformer en cherchant à dissocier la création de monnaie et la distribution du crédit, afin que l’investissement s’ajuste au mieux à l’épargne et que soit ainsi mis fin à l’instabilité chronique des économies. La plupart d’entre eux sont fondés sur un principe : la monnaie en circulation doit être couverte à 100% soit par des espèces métalliques [Ricardo (1820), « Currency School » (1844), Walras (1892), Von Mises (1928), Hayek… Rothbard (1962), de Soto (1998)], soit par de la monnaie de base (« groupe de Chicago » (1933), Currie (1932,1934), Fisher (1935), Friedman (1959), Allais (depuis 1947, 1977), le privilège de la création monétaire étant récupéré dans ce cas là par l’Etat.
Le 100% money permettrait de réguler les économies plus efficacement qu’à présent, d’améliorer leur productivité, de donner une solution aux problèmes budgétaires et de dette publique. Elle pourrait être la base d’une refondation d’un nouveau capitalisme. Le « 100% Money », impose aux banques un taux de réserve de 100% sur les dépôts à vue et assimilés.
I – Dissocier la monnaie du credit : l’approche du « 100% money »
But : obtenir une couverture intégrale par de la monnaie de base (monnaie de banque centrale) des dépôts considérés comme des disponibilités monétaires par les agents économiques (les dépôts à vue et assimilés).
1. A. mise en œuvre
1 – Séparation des banques en 3 types distincts selon les fonctions assurées
- Gestion des moyens de paiement par les banques de dépôts
- Financement par les banques de prêts
- Banques d’affaires
Tout rapprochement des 3 fonctions serait interdit
2 – Couverture à 100% des dépôts à vue par de la monnaie de base dans les banques de dépôts avec le soutien de la Banque Centrale
Les dépôts à vue dans les banques de dépôts devront être couverts à 100% par de la monnaie de base. La banque Centrale émettra autant de monnaie de base que nécessaire sous une forme à déterminer (achat d’actifs, prêt, don)
3 – Le rôle des banques de prêts sera limitée à la seule intermédiation financière Dans leurs opérations de crédit, les banques devraient trouver des ressources à terme pour les financer
Celles-ci pourraient être levées sous deux formes :
(1) les dépôts à terme d’épargne
(2) des instruments négociables émis par les banques (du type certificats de dépôts).
Par rapport à la situation d’aujourd’hui, deux points sont à souligner.
(1) D’une part, les ressources à temps des Intermédiaires Financiers ne devraient pas être confondues avec de la monnaie et se différencieraient des caractéristiques de celles d’aujourd’hui soit par une liquidité moindre (Dépôts à terme), soit par des prix de sortie avant l’échéance plus aléatoires (« Debentures »).
(2) La transformation financière doit être interdite
4. La rémunération des services monétaires fournis par les banques de dépôts
Les banques de dépôts n’ayant plus les bénéfices de la création monétaire pour se rémunérer, les services monétaires seront payants. Les soldes de DAV ne doivent pas être considérées comme une épargne, même temporaire. Elles ont à être traitées comme un « stock-outil » utilisé par les agents économiques pour harmoniser leurs flux d’entrée et de sortie de fonds dans le temps. Elles n’ont aucun besoin d’être rémunérées.
1. B. Conséquences et Avantages du « 100% Money »
L’application d’une telle réforme permettrait d’atteindre quatre grands groupes d’objectifs.
1. Une capacité de régulation économique sensiblement accrue par une maîtrise totale de la masse monétaire.
La quantité de monnaie en circulation deviendrait une variable totalement sous le contrôle de l’Institut d’Emission (Banque Centrale) sans que le comportement des banques (plus ou moins grande volonté de prêter) ou des agents économiques (plus ou moins grande volonté d’emprunter) puisse influer sur elle. Une telle situation présenterait deux avantages évidents
- La monnaie pourrait être dirigée selon une règle définie a priori
Cela pourrait être la stabilité des prix (Fisher) ou un taux « objectif » de hausse des prix permettant les ajustements « en douceur » de l’économie aux différentiels intersectoriels de productivité (Allais, avec un taux suggéré de 2% s’ajoutant au 2.5% de la croissance en termes réels).
- La monnaie deviendrait de ce fait inélastique aux « humeurs » des agents économiques
La disparition du crédit bancaire « pur », avec la création de monnaie ex nihilo qui lui est liée, ferait que la quantité de monnaie en circulation, elle, ne pourrait plus varier sans décision de la Banque Centrale. Tout emportement à la hausse ou à la baisse trouverait donc immédiatement sa traduction sur le marché des fonds prêtables par des variations de taux d’intérêt qui le freineraient progressivement. L’ampleur du « Boom » immobilier de la dernière décennie serait quasiment inconcevable dans un système de ce type.
2. Une efficacité accrue de l’économie par le rôle nouveau des taux d’intérêt, une meilleure prise en compte du prix des services et, pour Allais, l’interdiction de la transformation financière.
Aux avantages concernant la régulation économique s’ajouteraient tous les facteurs qui plaident pour une meilleure efficacité de l’économie sous le nouveau régime.
* Des taux d’intérêt véritablement représentatifs des préférences des agents économiques
les taux d’intérêt ne deviendraient sensibles qu’à l’offre et la demande de fonds prêtables (investissement et épargne) dans une économie qui deviendrait monétairement neutre. Seuls les investissements rentables pour des taux d’intérêt véritablement représentatifs seraient sélectionnés et, donc, les risques d’un mauvais « aiguillage » de l’épargne seraient minimisés.
* Le paiement du prix des services monétaires
cette mesure aurait un objectif utilitaire, équilibrer le compte d’exploitation des banques de dépôts et éviter le gaspillage de ressources.
* L’interdiction de la transformation financière
Pour une échéance donnée, le taux d’intérêt doit égaliser la demande et l’offre d’épargne.
3. La fin des distorsions dans la répartition des revenus
Toute création monétaire ex nihilo donne un droit sur la production qui n’a pas été acquis par un produit ou un service vendu. Elle est par nature un « faux droit », un revenu non gagné, comme le soutiennent Allais et Rothbard, dont la substance s’assimile aux gains qu’obtiendraient de faux monnayeurs qui achèteraient sur un marché avec la fausse monnaie fabriquée ou prêteraient celle-ci contre intérêt.
4. la récupération des gains de la création monétaire par l’Etat.
La récupération des gains de la création monétaire grâce à cette réforme se ferait à travers
(1) de l’affectation de la création monétaire aux ressources de l’Etat, comme une recette budgétaire
(2) de la neutralisation de la dette publique dans le cadre du remboursement du prêt de la Banque Centrale aux Banques
II. Un réexamen du modele Fisher-Allais
II A. Le contexte actuel et la mise en œuvre du projet
C’est en fait seulement la nécessaire distinction à opérer entre la monnaie et l’épargne qui impliquerait une adaptation du comportement des agents économiques, dans la mesure où elle contrecarrerait la dérive que nous avons connue au cours des deux dernières décennies. 1. Désenchevêtrer les fonctions bancaires : Des nécessités de la Réforme et de la situation présente…
La constitution actuelle de méga-banques est trop problématique pour la société :
(1) aucune preuve de véritables économies d’échelle (Tobin, 1985 et 1987),
(2) obstacles à la concurrence sur les différentes fonctions prises individuellement,
(3) conflits d’intérêt et mauvaise allocation des ressources de l’épargne,
(4) puissance financière déstabilisante sur les marchés de capitaux,
(5) gestion des risques trop complexe,
(6) taille trop importante par rapport aux capacités des Etats (« too Big to fail ; too big to save »)…
2. La pierre angulaire : les « Compagnies de Services Monétaires » (Banques de dépôts)
Éléments clefs de la réforme proposée, les CSM seraient la pierre angulaire de l’ensemble par leur invulnérabilité aux chocs du fait de leur structure et de leurs règles de fonctionnement :
(1) une couverture à 100% des dépôts de leurs clients, ceux-ci étant considérés comme des espèces à garder
(2) un accès au réseau général des paiements,
(3) aucun crédit possible, les paiements se faisant en temps réel en fonction des provisions des clients sur leurs comptes.
En fait, ces CSM seraient des « usines » de haute technologie reliées à une multitude de clients à travers des centres d’appel, des centres de contacts automatisés au niveau local ou via Internet. Elles seraient totalement ouvertes à la concurrence, celle-ci se faisant à la fois sur les prix et la qualité des services.
En effet, en sus de leurs opérations purement « monétaires », elles pourraient développer des services annexes sans risques et lucratifs comme le courtage (passage d’ordres sur les marchés), la distribution de produits financiers (investissement et assurances), voire des activités de conservation de titres. Aujourd’hui, il n’y a plus d’obstacles majeurs au développement de ces structures qui existent déjà avec le développement des banques en ligne et d’acteurs comme Fortuneo ou Boursorama… Quant aux populations n’ayant pas accès à Internet ou à des services locaux informatisés (personnes âgées par exemple) et qui nécessitent des services de proximité, ce serait à la discrétion des banques d’y pourvoir si elles y trouvent leur intérêt, sachant que la banque Postale trouverait là une forte justification à son existence.
3. Les organismes de financement comme « purs » intermédiaires financiers (Banques de financements)
Dans le nouvel environnement créé par la réforme, tous les organismes de financement seraient placés sur le même plan (refinancement sur ressources d’épargne), quitte pour eux de se différencier comme ils l’entendent. Du point de vue des différents aspects de leur activité, les points suivants doivent faire l’objet de réflexion.
* Les produits de financement offerts aux emprunteurs : a priori aucun changement
* La gestion actif-passif : le problème de la transformation financière
*Le cas particulier des SICAV monétaires et autres fonds de placement : une rentrée dans le rang ?
4. Capital, Contrôle, Supervision : Un changement radical
L’impossibilité de contrôler un système à couverture fractionnaire étant maintenant avérée, un véritable délire règlementaire et prudentiel s’est emparé de la planète politico-financière après la crise. Il s’avère que, dans le cadre du « 100% Money », les solutions seraient remarquablement simples.
* Fin de toutes les garanties d’Etat et responsabilisation de toutes les parties prenantes
A partir du moment où la quantité de monnaie en circulation serait complètement sécurisée par elle-même, car devenant en fait l’équivalent d’un simple dépôt d’espèces, tout le reste en découlerait : (1) Il n’y aurait pas d’écroulement possible du système comme un château de cartes, à l’instar du système actuel (plus de risque systémique possible), (2) Chacune des parties du système financier pourrait défaillir sans que cela ait de répercussions sur les autres
* Des exigences de capital minimales et, éventuellement, libres
Les propositions de ratios de capital (capital/actifs pondérés par le risque) tournent au gaspillage de capital (10%, voire 15% pour les banques suisses à l’horizon 2013). Dans le cas du régime proposé, ce serait une toute autre approche qui prévaudrait : (1) Les CSM auraient besoin de très peu de capital pour couvrir quelques risques opérationnels, (2) Pour les banques, les exigences en capital pourraient être laissées au choix des banques et… de leurs déposants, avec l’aide des agences de notation, (3) Pour les autres types d’institutions, et en premier lieu la Banque d’Investissement, la liberté totale serait donnée aux acteurs.
* Des instances de supervision et de contrôle allégées
Par rapport à l’appareillage bureaucratique qui se met en place au niveau national et international pour superviser l’activité bancaire et aux coûts induits de plus en plus lourds que subissent les organismes bancaires pour satisfaire à toutes les exigences de contrôle en tous genres requis par ces instances proliférantes, la réforme monétaire offrirait une alternative particulièrement attractive. Les instances de supervision et de contrôle pourraient se transformer en fait en structures très légères dont les objectifs premiers seraient de vérifier que les règles en matière monétaire ne sont pas contournées et que les informations données au marché sont correctes, puisque ce serait à ce dernier, c’est-à-dire aux actionnaires et aux épargnants-déposants-investisseurs, de faire la police à travers les choix qu’ils feraient et les conditions qu’ils exigeraient pour financer les intermédiaires financiers.
II B. La transition : un processus transparent sans traumatisme majeur pour aucun acteur
La mise en place de la réforme devrait respecter les trois conditions qui, seules, peuvent la rendre acceptable :
(1) une très grande simplicité dans la mise en œuvre ;
(2) aucun impact sur les relations des banques actuelles avec leurs clients au niveau des opérations courantes, hors le transfert nécessaire des dépôts vers les CSM ;
(3) de ce fait aucune perturbation, de quelque nature qu’elle soit, dans les flux de financement de l’économie.
Dès lors, le déroulement du processus, schématisé ci-après, pourrait se présenter de la manière suivante :
1. Première étape : Transfert des dépôts et prêt de la Banque Centrale
A un jour J donné, les dépôts à vue et autres dépôts assimilables à des encaisses devraient migrer vers les CSM. La banque Centrale interviendrait alors sous forme d’un prêt rémunéré aux banques actuelles pour que le transfert s’effectue sans heurt.
=> De facto, les CSM couvriraient les dépôts à vue reçus par de la monnaie de base à 100% et le prêt de la Banque Centrale remplacerait les dépôts à vue au passif du bilan des banques actuelles qui deviendraient des banques de Financement spécialisées.
2. Le remboursement progressif du prêt de la Banque Centrale par les banques et la neutralisation induite de la dette publique
Au fur et à mesure que les crédits faits aux clients arriveraient à échéance, les banques pourraient choisir de rembourser l’emprunt fait auprès de la BC (mais elle pourraient rester débitrices) et de se refinancer à travers de nouveaux dépôts à terme ou l’émission de « Debentures » pour le renouvellement des prêts anciens ou la production de nouveaux crédits .En cas de remboursement, la BC, pour contrebalancer la destruction de monnaie de base liée à cette opération, achèterait des titres publics sur le marché, créant par là même la monnaie de base et des liquidités prêtes à s’investir… dans les « Debentures ».
=> C’est à travers ce processus que pourrait s’effectuer le « swap » entre la dette publique et la dette privée. Les taux d’intérêt sur les titres publics seraient tirés à la baisse compte tenu de la pression acheteuse qui s’exercerait sur eux de la part de la Banque centrale, tandis qu’il y aurait une grande demande de la part des banques pour collecter des fonds en utilisant leurs propres instruments. Il y aurait nécessairement un « spread » qui se créerait pour équilibrer tous les marchés et ce « spread » ne serait pas nécessairement élevé compte tenu du nouvel environnement ultra-sécurisé. C’est ainsi que s’opèrerait progressivement une neutralisation de la dette publique d’un montant égal au prêt de la BC, lui-même égal à la monnaie en circulation (dépôts dans les CSM)
Une fois, l’activité de services monétaires séparée de l’ensemble, le processus d’exécution serait remarquablement simple et apparaîtrait pour une large part comme un jeu d’écriture entre les acteurs du jeu bancaire sans incidence majeure sur les comportements habituels des autres acteurs. Toutes les conditions préalables seraient respectées et il apparaît bien qu’il n’y aurait aucun risque inflationniste dans la mise en œuvre du « 100% Money » puisque la création de monnaie de base par la banque centrale serait immédiatement gelée par un taux de réserve de 100% de la part des CSM, ce qui revient à dire que la réforme ne conduirait à aucune variation de la masse monétaire en circulation. Par rapport à la récupération de la rente monétaire, il est intéressant de noter que celle-ci pourrait se faire totalement à la discrétion de la Banque Centrale (et donc de l’Etat) et pourrait commencer dès le lancement de la réforme. Il n’y aurait aucun besoin d’attendre la neutralisation de la dette publique, qui prendrait en tout état de cause du temps. Il suffirait de jouer sur les conditions du prêt aux banques pour progressivement mettre les conditions de ce prêt en ligne avec les conditions normales du marché, poussant ainsi les banques à son remboursement.
II C. Estimation des ordres de grandeur : Quels sont les enjeux ?
Les quantités à estimer sont les suivantes : le montant d’actifs monétaires susceptibles d’être déplacé vers les CSM, d’où découle le montant du prêt à la banque Centrale et l’ampleur de la dette qu’il serait possible de neutraliser. Dès lors, une estimation de la rente monétaire à récupérer s’en déduira. Dans tous les cas, il ne s’agit que de fournir un cadre de réflexion et montrer l’importance de l’enjeu pour notre temps. La méthodologie est simple et intuitive et peut s’appliquer pareillement à tous les pays.
1. Les principes d’évaluation du transfert vers les CSM et du prêt à prévoir de la banque Centrale
En partant du tableau consolidé de la masse monétaire dans chaque pays, les liquidités sont analysées selon leur composantes en partant de la plus liquide : le dépôt à vue, jusqu’à la moins liquide, en passant par les SICAV monétaires. Pour chacune d’elles, il est attribué un intervalle probable de valeurs pour le coefficient de substituabilité à l’encaisse, suffisamment large pour nous ayons quelques chances que la vraie valeur se trouve quelque part dans cet intervalle. Il est possible d’avoir ainsi des équivalents-monnaie pour chaque composante et de les sommer pour disposer d’une estimation de ce que pourrait être une évaluation basse et haute de la quantité de monnaie dont on peut attendre un transfert vers les CSM. C’est un point capital puisqu’elle commande le prêt de la Banque Centrale et, in fine, le niveau de la dette publique qu’il serait possible de neutraliser à l’issue du processus. Une fois cette estimation réalisée, il suffit de la rapprocher de la dette publique, pour avoir un ordre de grandeur du pourcentage de la dette publique qui pourrait être neutralisé par une application de la réforme. Dès lors, avec ces éléments, les deux grandeurs qui nous intéressent peuvent être déterminées :
- L’importance des ressources budgétaires annuelles liées à la création monétaire, en appliquant le taux de croissance annuel requis (pour la masse monétaire estimée, soit 4.5% (2.5% pour la croissance réelle, + 2% pour le taux de hausse des prix objectif),
- L’économie d’intérêt qu’il serait possible de réaliser si la dette publique était absorbée par la Banque Centrale, touchait les intérêts et les redonnait au budget de l’Etat sous forme de dividendes. Il suffit en première approximation de rapprocher les intérêts payés par le Trésor du pourcentage de la dette qui serait neutralisée.
En sommant les deux composantes, l’estimation des gains annuels de la réforme pour l’année de départ se dégage, sachant que la composante « seigneurage » (croissance annuelle de la masse monétaire) croit par définition à un rythme déterminé (4.5%).
2. Application au cas de la zone euro
Tous calculs faits , les gains résultant de la réforme monétaire pour la zone Euro se solderaient en régime de croisière, tous les ajustements réalisés par : (1) un effacement au 2/3 de la dette publique (sur la base des chiffres 2007), (2) des ressources budgétaires supplémentaires de l’ordre de € 400 mds soit environ 4.5 % du PIB de la zone euro
En première approximation, l’impôt sur le revenu pourrait être réduit de 50% à l’échelle européenne en régime de croisière, toutes choses égales par ailleurs.
Il ne s’agit pas de prendre ces chiffres au pied de la lettre, bien sûr. Mais, à notre sens, il donne une idée de ce qui est l’enjeu du débat sans compter tous les autres avantages de la réforme. Il ne s’agit pas d’un coup de magicien. Il s’agit tout simplement d’une récupération par la collectivité des gains de la création monétaire.
III – objections au « 100% money » et les réponses apportées.
Comme Phillips (1995) le remarquait, jamais aucun économiste n’a osé produire une réfutation en règle et globale du « 100% Money », soutenu par ailleurs, sous des formes diverses, par une kyrielle d’économistes parmi les plus grands (Ricardo, « Currency School », Walras, Von Mises, Hayek, Knight, Viner, Simons, Fisher, Machlup, Stiegler, Friedman, Allais, et, sous la forme du « Narrow Banking », Tobin et Minsky…).
Cependant, il y a bien sûr des objections et des interrogations qu’il est possible de regrouper en quatre classes.
A Le soutien au système bancaire classique
* Les banques sont des générateurs de liquidités pour les agents économiques et des « absorbeurs de chocs (de liquidités)
Les auteurs oublient tout le contexte, c’est-à-dire l’instabilité du système à couverture fractionnaire, en négligeant l’origine des dépôts (création monétaire) et la différence épargne-encaisse. Par rapport à l’objection avancée, le « 100% Money » permettrait de faire face aux besoins imprévus de liquidité dans un système complètement sécurisé (les lignes de crédit continueraient à exister, mais elles seraient gérées différemment).
* Il y a asymétrie d’information entre les banques et les déposants, les clients concédant aux banques la sélection de « bonnes contreparties » en échange de la disposition de leurs dépôts
Outre l’absence de tout fondement historique, juridique ou psychologique en ce qui concerne ce traitement du contrat Banque-déposant dans le cas de la banque traditionnelle, il apparaît de manière évidente que l’argument traite plutôt de l’intermédiation financière en tant que telle et ne va nullement à l’encontre du « 100% Money » puisque les banques de financement, dans un tel système, assumeraient cette tâche dans un univers plus sécurisé.
* Les banques mobilisent des liquidités et créent de la monnaie, ce qui permet de financer « plus » d’investissements (actifs illiquides)
Argument couramment avancé, il repose sur le sophisme d’une mobilisation de « ressources » alors qu’il s’agit en réalité d’une création de « ressources » fictives par duplication d’encaisse, le déposant continuant de disposer de son encaisse en vue des transactions qu’il planifie. [...]La création monétaire ne crée jamais rien en régime normal mais spolie toujours…
* Contraints par la masse de l’épargne courante, les crédits seraient plus difficiles à obtenir dans un système de « 100% money » par rapport à ce qu’il en est dans le système actuel
Argument également « classique », celui de l’insuffisance de l’épargne. Il n’est pas recevable pour plusieurs raisons, théoriques et pratiques :
(1) dire que la création peut compléter l’épargne est un non-sens économique pour les raisons évoquées plus haut,
(2) il y a une confusion permanente entre la masse de crédits accumulés qui vont continuer à « tourner » (remboursement-renouvellement) et qui sont, dans la transition (qui peut durer), complètement refinancés par le prêt de la BC (avant de l’être éventuellement par substitution de la dette privée à la dette publique), et les nouveaux crédits qui n’en représentent qu’une petite frange.
B. Le système actuel ne peut-il être amendé afin d’éviter le traumatisme d’une réforme ?
Ces interrogations portent à la fois sur la politique monétaire et sur la politique règlementaire.
(1) Politique monétaire : Beaucoup d’erreurs ont été commises, mais est-il vraiment impossible de trouver un autre système que celui du « 100% Money » qui, lui, suppose la mise en place d’une règle stricte de contrôle de la masse monétaire ?
Le système bancaire à couverture fractionnaire est totalement impossible à contrôler par la politique monétaire comme l’a montré toute l’expérience historique : (1) avant-guerre : Crises de 1929 et 1937 ; (2) Après-guerre : arbitrage impossible entre inflation et chômage ; (3) dernières décennies : crises et « bulles » à répétition. Concernant les politiques monétaires « actives », il faut reconnaître l’impuissance générale à s’abstraire de « l’air du temps » et à anticiper correctement.
(2) Politique réglementaire : Après les systèmes « Bâle 1 » et « Bâle 2 », il devrait être possible de rendre ces systèmes plus sûrs en renforçant les exigences de capital, en limitant le coefficient de levier (rapport total actif/capital), en créant de super-instances de supervision et de contrôle…
Aucun système réglementaire ne peut remplir son rôle car
(1) l’impuissance de la politique monétaire lui enlève toute crédibilité puisque c’est elle qui pourrait combattre le risque systémique en contrôlant les déséquilibres économiques,
(2) ces systèmes sont par nature réactifs et rétrospectifs et, les acteurs contrôlés jouant avec leurs règles , ils ne peuvent jamais anticiper les désordres à venir ;
(3) ils ont toujours des effets non prévus qui sont toujours pervers ;
(4) Pour tenter de pallier leur impuissance, ils ont tendance à proliférer et à devenir de plus en plus coûteux.
…Dans un système de « 100% Money », tous ces systèmes seraient pratiquement inutiles.
C. Un système de « 100% Money » est-il réellement faisable dans le monde actuel ?
* Par rapport au système financier international, comment la réforme se positionne-t-elle ?
Il y a deux aspects à la réponse.
D’un côté, il nous parait possible de dire qu’il ne devrait pas y avoir de problèmes majeurs.
(1) liberté des mouvements de capitaux dans un régime de changes flottants,
(2) fonctionnement comme par le passé des marchés de fonds prêtables sur toute la gamme des maturités.
D’un autre côté, des scénarios sont à étudier, comme la possibilité de recréation « off shore » d’un système bancaire à couverture fractionnaire en euros, mais les hypothèses que nous pourrions envisager aujourd’hui ne nous permettent pas d’entrevoir comment un tel système, plus risqué par définition que le système « officiel » de la zone euro, pourrait être plus compétitif et se développer d’une manière autonome.
* Le système du « 100% Money » est-il antinomique de l’esprit d’innovation en matière de finance ?
En dehors des « innovations » visant à gommer les frontières entre l’encaisse et l’épargne et heurter ainsi, à la manière de « faux monnayeurs », les intérêts de la collectivité, tout est libre dans le système proposé
(1) Pour les CSM, il s’agirait d’apporter aux clients les meilleures solutions en matière de « cash pooling », « cash management », tenue de compte, passage d’ordres, etc…
(2) Pour les autres Intermédiaires financiers et institutions, il n’y aurait aucune limite à l’imagination et toutes les techniques modernes de financement pourront être utilisées.
D.Qu’apporte le nouveau système en matière de régulation ? N’a-t-il pas lui-même ses limites ?
Le nouveau système permettrait un contrôle total, au moins en première approximation, de la masse monétaire d’où une meilleure maîtrise de la conjoncture économique. Des questions se posent cependant.
* Les États ne pourraient-ils pas être tentés d’utiliser leur pouvoir pour faire marcher « la planche à billets » ?
Dans le « 100% Money » l’ État récupèrerait les gains de la création monétaire mais pas le contrôle. Celui-ci serait confié à la Banque Centrale agissant sous un mandat impératif protégé par la Constitution.
* Toutes les fluctuations économiques pourraient-elles être maîtrisées ?
Les fluctuations de la demande de monnaie (vitesse de circulation) seraient toujours possibles, mais il y aurait deux effets stabilisateurs dans le « 100% Money » : (1) Aucune élasticité de la masse monétaire et rôle régulateur des taux d’intérêt, (2) coût des encaisses conduisant les agents économiques à conserver ce qui est strictement nécessaire pour leurs transactions (fonds de roulement)
* Qu’en est-il des mouvements boursiers ?
Ils seraient inévitables avec des emballements et des « déprimes » possibles, car la vitesse de circulation de l’argent investi en bourse est incontrôlable. Il y a cependant deux remarques importantes à formuler : (1) En l’absence de création monétaire, le « margin trading » ne pourrait être financé que sur les fonds disponibles et l’épargne courante, de telle sorte qu’un emballement spéculatif entraînerait immédiatement une montée des taux d’intérêt, (2) Les fluctuations violentes de la bourse n’ont que peu d’impact sur l’économie si elles ne déstabilisent pas le système financier, ce qui serait le cas dans le « 100% Money ».
* Pourrait-il être possible d’agir directement sur les encaisses détenues par les agents pour contrer une vague de pessimisme ?
Il est effectivement possible de se demander si une « taxe spéciale » sur les encaisses pour financer un programme d’investissement ne serait pas susceptible dans ce cas de jouer un rôle positif. On aborde là un champ exploré par Silvio Gesell (1906) et, de manière allusive, par J.M Keynes (1936).
E. La réforme proposée n’est-elle pas contradictoire avec le libéralisme et l’économie de marché ?
Une telle interrogation montre la régression qu’a connue la pensée économique au cours des deux ou trois dernières décennies. Elle a deux aspects.
* Est-ce une remise en cause du mouvement de dérégulation ?
Le secteur bancaire n’est pas une industrie comme les autres car son fonctionnement produit des « externalités » qui peuvent être dommageables pour les autres secteurs (Tobin, 1987, p. 179) et la création monétaire n’est pas un produit comme les autres car elle a un pouvoir déstabilisant et spoliateur. De plus, le système de paiements et l’intégrité du moyen d’échange sont des biens publics essentiels. Il est dès lors normal que la société dessine le système de paiement et de financement le plus sécurisé et le plus efficace possible tout en s’appropriant les gains de la création monétaire, ce mécanisme générateur par nature de « faux droits » sur la production. Il y a des dispositions législatives pour garantir les libertés, la sécurité et la santé publiques, la liberté du Commerce, les règles de la concurrence, etc… Le contrôle de la monnaie doit faire partie de cet arsenal de protection des intérêts des citoyens.
* Est-ce compatible avec les règles de fonctionnement d’une société libérale ?
Une seule réponse : tous les grands libéraux ont soutenu totalement un système de couverture intégrale des dépôts, soit par une encaisse métallique (Ricardo, Walras, Von Mises, Hayek, Rothbard…), soit par de la monnaie de base (Les économistes de Chicago, Currie, Fisher, Friedman, Allais…). Dans une société libérale, tous les secteurs doivent être libres sauf un : la production de monnaie. Sans ce contrôle, l’économie de marché secrète en elle-même les germes de son autodestruction.
CONCLUSION
A l’issue de cette revue de quelques projets, parmi bien d’autres, de restructuration du système bancaire, un enseignement apparaît avec clarté : Le système bancaire à couverture fractionnaire reste pour le bon fonctionnement de nos économies de marché un problème qu’il faut résoudre. [...] La crise que nous venons de traverser apparaît comme un rappel aux réalités de nos économies et aux expériences de l’histoire : problème majeur hier, le fonctionnement des banques est un problème aujourd’hui et, si rien n’est fait, il le sera demain car il repose sur une faiblesse qui est un vice fondamental et incurable, la confusion entre la monnaie et le crédit.
[…] les replâtrages sans avenir des structures branlantes du présent ne suffisent plus. Il faut trouver autre chose et peut-être que la solution est-elle de renouer avec cette tradition, illustrée par les plus grands économistes, qui a de tout temps dénoncé le caractère fondamentalement vicié du fonctionnement d’un système bancaire qui produit la monnaie dont nos économies ont besoin en émettant des crédits. Comme le soutient notre étude, toute véritable solution aux problèmes contemporains doit passer par la reconquête du Pouvoir Monétaire par la société, à travers une réforme radicale du système bancaire fondée sur la dissociation entre la monnaie et le crédit, autrement dit la réforme qui est restée dans l’histoire sous le nom du « 100% Money ».
Cette réforme permettrait d’atteindre, pour un coût finalement minimal, la plupart des objectifs auxquels il est possible d’aspirer aujourd’hui : meilleure régulation économique à travers un contrôle strict de la monnaie, plus grande efficacité dans l’allocation des ressources avec, donc, un impact positif sur la croissance à long terme ; capture par les Etats de la rente liée à la création monétaire ce qui permettrait de dégager des marges de manœuvre budgétaires très significatives.
Mais, peut-être, au-delà de tous ces bénéfices, une telle réforme pourrait devenir la pierre angulaire d’une nouvelle refondation du capitalisme, dont on parle beaucoup sans jamais être capable de lui donner un contenu réel. Au cours des deux dernières décennies, un esprit d’ « agiotage », pour reprendre l’expression si juste de Walras, s’est répandu comme une gangrène, avec pour principale source d’alimentation une création monétaire débridée à l’échelle mondiale. Même si d’autres réformes au niveau du fonctionnement des marchés capitaux sont aussi nécessaires, cette réforme serait une étape indispensable si on veut pouvoir changer l’état d’esprit régnant. En effet, en contrôlant la masse monétaire et en réservant ses gains au seul Etat, elle ferait cesser ce scandale de pouvoir « se servir sur le marché sans offrir ». Elle fermerait le robinet des « faux droits » et ouvrirait le champ libre aux véritables facteurs de richesses à long terme : L’épargne et l’initiative entrepreneuriale. […] Elle signerait le commencement de la fin pour les profiteurs de ce système né d’une fraude et qui a toujours été le cancer des économies de marché et des sociétés libérales : Le système bancaire à couverture fractionnaire.