À propos de la crise financière
Brutale. Inattendue....
Ce sont là les premiers adjectifs que l’on peut attribuer à cette crise financière qui n’épargne désormais plus personne, remet en cause toutes les stratégies, toutes les politiques, ruine toutes les attentes : nul ne sait quand, ni comment, il sortira de cette crise.
Brutale quand on mesure soudain les erreurs et les contresens qu’ont accumulées pendant si longtemps nos plus brillants spécialistes économiques qui nous affirmaient avec assurance que.... Jusqu’à ce patatras planétaire.
UN CHANGEMENT D’ÉPOQUE
Mais est-ce bien seulement une erreur d’économistes ? N’est-ce pas plutôt à un changement d’époque auquel nous sommes aujourd’hui confrontés ? Un peu comme il y a dix ans l’effondrement des tours du World Trade Center a profondément marqué mentalités et stratégies ? Ceci me parait plus probable tant cette crise est profonde en soi.
Il est un peu étrange pourtant qu’elle coïncide avec ce que nous avons pu observer pendant les Jeux Olympiques de Pékin, à savoir la montée spectaculaire en force des pays asiatiques sur la scène internationale. On constate aujourd’hui que, morceaux par morceaux, les chinois, entr’autres, sont en train d’acquérir nos propres outils économiques un peu partout à travers le monde, y compris en Europe.
UNE ÉCONOMIE ARTIFICIELLE
Les difficultés qui ont surgi d’abord aux USA, avant de faire tâche d’huile de par le monde, prouvent que l’hégémonie américaine, n’était tenue artificiellement que par l’absence sur les marchés d’autres vrais partenaires - européens ou asiatiques - usant des mêmes stratégies qu’eux, protectionnisme inclus. Cette hégémonie-là touche désormais à sa fin.
Le monde est en train de basculer. De nouveaux acteurs apparaissent donc au grand jour : Chine, Inde, etc.... Des banques européennes ou américaines sont rachetées, au moins partiellement, par ces lointaines puissances émergentes. La configuration devient totalement nouvelle.
Inattendue. Cela ne nous surprend pas totalement pourtant : on s’y préparait même déjà. Mais qu’aujourd’hui cette logique frappe avec une telle brutalité, voilà qui surprend, quand même. Ce qui frappe, c’est l’imprévisibilité de cette crise. On l’imaginait peut-être toute autre, mieux contrôlable, plus atténuée. Or le monde nous échappe soudain de toutes parts. Si les opinions deviennent aujourd’hui si inquiètes, y compris en France, c’est face à ce sentiment de perte de contrôle des “politiques” sur le cours du monde malgré leurs discours qui ne parviennent plus à rassurer les opinions.
On se souvient de ces pronostics qui, il y a quelques semaines encore, en pleine montée du cours du pétrole, nous annonçaient un baril proche des 200 $ avant la fin de 2008 : or voici que ce baril est retombé aux alentours de 100 $. Tant mieux pour nos porte-monnaies : mais cela prouve bien que la situation échappe désormais à tous les pronostics, même ceux à très court terme. Qui aurait alors cru à un ralentissement dans les trois mois à suivre de la consommation pétrolière, entraîné par cette crise mondiale ?
UN SENTIMENT D’INCOMPRÉHENSION
Il est devenu très difficile aujourd’hui, voire impossible, de faire des prévisions convenables, même à trois mois. Quelle insécurité ! Quel sentiment d’incompréhension face à ce monde qui change ! C’est ce sentiment-là qui me parait être le plus déstabilisant aujourd’hui.
On s’aperçoit soudain que le monde vivait jusqu’à présent sous le bouclier protecteur de l’économie américaine. Or on constate que ce bouclier, parce qu’il était artificiel, s’effondre aujourd’hui totalement.
Keynes appelait en son temps l’économie US une “économie-casino”. Façon imagée de dénoncer son côté aléatoire : il soulignait la déconnection entre ce qui est producteur de richesses (l’agriculture, l’industrie, les échanges) et la manipulation purement financière. Ainsi on a vu croître démesurément une bulle financière.... jusqu’à ce que l’immobilier - la crise dite des “subprimes” - finisse par la crever. Et il n’en reste plus grand-chose. Les banques ont tenté de l’éviter, de gagner un peu de temps en transformant leurs créances sur les acquéreurs d’immobilier en une sorte de nouvelle monnaie : elles ont prêté de l’argent pour permettre à des gens d’acheter des maisons, dont les prix se sont ensuite effondrés, puis qui ne pouvaient plus rembourser, etc.... La situation est devenue plus artificielle encore qu’elle ne l’était déjà. Jusqu’au jour où cet ingénieux montage s’est totalement effondré.
Il reste aujourd’hui à savoir si cette crise ne sera qu’une simple purge d’un système économique désordonné sans conséquences à long terme. Ou si elle sera semblable à la crise de 1929. Or on se souvient que 1929 a été payé non seulement par dix années de récession, engendrant naturellement la montée de tous les totalitarismes, mais aussi par une guerre mondiale qui a coûté des millions de vies humaines.
Pour éviter aujourd’hui le traumatisme de ces files devant des guichets, voilà ensuite que la patrie du libéralisme veut contraindre les banques d’affaires à redevenir des banques de dépôt. Étonnant revirement. Mais revirement qui nourrit un peu plus toutes les inquiétudes. La confiance est disparue.
On ne peut ignorer par ailleurs que les banques, même "américano-américaines", sont étroitement liées avec toutes les autres banques à travers le monde. Et ces banques ne veulent plus se prêter mutuellement de l’argent. D’où cet effet “boule de neige” qui, rapidement, nous concernera tous.
On voit ensuite la patrie du libéralisme, pour rétablir cette confiance, intervenir, contre toute son idéologie fondamentale, racheter ces créances en frappant très lourdement tous les foyers US - 700 milliards $ - empiétant fortement sur leur pouvoir d’achat.... et leur capacité de consommer. Un coup d’arrêt inimaginable et qui ne sera pas sans effets sur nos économies européennes. Même des socialistes français bon teint n’auraient pas osé le faire !
Enfin, pour couronner le tout, le protectionnisme interventionniste américain va se renforcer et nos exportations sur le marché US seront freinées plus que jamais. (voir l’épisode du contrat "du siècle" des avions ravitailleurs entre Boeing et Airbus : çà ne fait que commencer)
ÉTABLIR LES MÊMES RÈGLES ENTRE PARTENAIRES
Faute que l’Europe n’instaure donc elle-même aussi avec courage et détermination les mêmes règles protectionnistes que les USA, faute qu’elle cesse de jouer les crétins face à l’attitude interventioniste US, ce sera un mauvais coup pour la France. Notre situation économique en subira durement les conséquences : chômage, inflation, baisse du pouvoir d’achat seront inévitablement de retour. Notre redressement économique en sera retardé un peu plus encore. L’objectif des équilibres budgétaires pour maîtriser notre dette - abyssale ! - sera de nouveau fortement retardé. Et même si Mr Sarkozy, dans son discours de Toulon, annonce des mesures fortes, on ne peut ignorer que la France n’a que très peu de moyens pour les financer. Hélas ! Ce discours risque de n’être qu’un spectaculaire mais inutile effet de manche.
Dure épreuve pour nous tous que voilà. Et non sans danger pour nos démocraties.