jeudi 7 juin 2018 - par Louis

Arkéa : un conflit révélateur

Prétendant défendre l’emploi en Bretagne, le patron d’Arkéa, Jean-Pierre Denis, entraîne en réalité sa banque loin des idéaux mutualistes et coopératifs. Et menace dangereusement l’avenir de ses salariés.

L’indépendance. C’est le rêve que caresse Jean-Pierre Denis pour sa banque Arkéa, qu’il veut voir s’affranchir de la tutelle du Crédit Mutuel. Selon lui, il en irait de la préservation de l’économie et des emplois bretons. En somme, les velléités d’indépendance de Jean-Pierre Denis seraient purement altruistes. À y regarder de plus près, cependant, ses ambitions sont loin d’être compatibles avec l’intérêt général.

Jean-Pierre Denis, un homme d’affaires avant tout

S’il prétend haut et fort vouloir défendre les valeurs mutualistes et coopératives de sa banque, Jean-Pierre Denis affiche davantage le profil d’un requin de la haute finance. Haute finance dont il a adopté les revenus : en 2017, sa rémunération s’est élevée à 1,7 million d’euros. Soit plus du double de son homologue au Crédit Mutuel, Nicolas Théry (700 000 euros), et davantage que le patron d’ArcelorMittal, Lakshmi Mittal (1,4 million d’euros) ou que le PDG d’Orange, Stéphane Richard (1,5 million d’euros). De très confortables émoluments, donc, pour diriger ce qui ne reste qu’une « petite banque » régionale.

La haute finance, Jean-Pierre Denis la fréquente aussi au sein des nombreux conseils d’administration auxquels il siège – et dont il touche de très généreux jetons de présence. Notre homme siège ainsi au conseil de surveillance de Kering, l’empire du luxe de la famille Pinault : quelques réunions qui lui ont rapporté la jolie somme de 104 842 euros en 2016. En tant qu’administrateur de Nexity, Jean-Pierre Denis gagne également plus de 31 000 euros par an. Sans compter les jetons de présence qu’il touche en siégeant aux boards d’Altrad, de Paprec, ou encore de JLPP Invest.

Pour le journaliste de Mediapart Laurent Mauduit, « Jean-Pierre Denis est devenu en très peu de temps un homme richissime, en usant de modalités de rémunération qui sont plus dans la tradition des banques cotées au CAC 40 que dans celles des établissements attachés à l’idéal mutualiste ». Et de soupçonner Jean-Pierre Denis de vouloir mener en réalité sa banque « vers des rivages très éloignés du mutualisme ».

Une chose est sûre : ce n’est pas chez Tikehau Capital, un fonds d’investissement parisien, chez qui il siège aussi au conseil d’administration et chez qui il a participé à recruter un certain François Fillon après sa déroute présidentielle, que Jean-Pierre Denis doit cultiver sa « passion » mutualiste. Ni auprès de la papesse de la communication du CAC 40 et patronne d’Image 7, Anne Méaux, qui le conseille. Autrement dit, Jean-Pierre Denis évolue bien plus dans les arcanes du capitalisme parisien le plus élitiste que dans celles du mutualisme breton.

« Sous couvert de défense de l’emploi, un pillage financier hors norme »

C’est pourtant au nom de la défense de l’économie et des emplois bretons que Jean-Pierre bataille pour l’indépendance d’Arkéa. Pour celui qui s’auto-proclame « bonnet rouge de la finance », en référence au mouvement de protestation apparu en Bretagne en 2013, quelque 4 500 emplois seraient menacés si Arkéa n’obtenait pas son indépendance. Un avis que ne partagent ni la Banque Centrale Européenne (BCE) ni l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), qui ont toutes deux mis en garde Jean-Pierre Denis contre ses projets.

Le conseil d’administration de la Confédération nationale du Crédit Mutuel (CNCM) a lui aussi tenu à exprimer « sa vive inquiétude vis-à-vis d’un aventurisme lourd de risques pour les sociétaires et salariés du Crédit Mutuel Arkéa et pour le mutualisme ». Des inquiétudes partagées par l’ancien gouverneur de la Banque de France, Christian Noyer, selon qui « le maintien de l’unité serait nettement préférable, tant pour la stabilité de l’ensemble du monde bancaire mutualiste français (…) que d’un point de vue prudentiel ».

Et par un collectif de mutualistes bretons, qui a lancé une pétition sur le site Change.org, dénonçant « le peu de cas fait des avis négatifs de la BCE et du gouvernement français sur ce projet de séparation » — Bercy ayant, en effet, indiqué « partager » les conclusions alarmistes de Christian Noyer. Roger le Bris, retraité d’Arkéa et ancien syndicaliste CFDT, s’offusque lui aussi des raisons invoquées par Jean-Pierre Denis pour soutenir l’indépendance : « on ne peut défendre ce projet de scission au nom de l’emploi », les salariés de la banque, sous pression, n’étant pas assurés de conserver leur poste. « L’opération de Jean-Pierre Denis est un véritable enfumage, tonne le syndicaliste ; sous couvert de défense de l’emploi, totalement surréaliste, nous sommes en situation d’un pillage financier hors norme ».



5 réactions


Réagir