Baisse des impôts et coût social : et si on parlait de ce qui compte ?
Campagne présidentielle oblige, tout le monde se focalise sur la baisse d’impôts, annoncée, et mise en place effectivement ou annulée selon les annonces de François Hollande. Pourtant, c’est une mesure qui a un effet très faible sur le budget de l’état, alors qu’il faudrait s’attaquer au vrai problème qui impacte notre emploi et le revenu de la France.
Je lis beaucoup d’interventions à caractère politique sur AgoraVox, et en particulier un certain nombre sur les mesures fiscales que veut l’un mais pas l’autre des partis. A la lecture, on a l’impression d’être devant un point majeur et d’une importance capitale. Cet article a pour objectif de remettre les choses en perspective, et peut-être d’ouvrir quelques nouvelles pistes pour se crêper le chignon entre ayatollahs de droite comme de gauche.
Tout d’abord, un petit point de vocabulaire simple : la loi de Finances 2007 (ou pour être exact, le projet de loi de Finances, PLF pour les intimes) prévoit les recettes et les dépenses de l’Etat pour l’année 2007.
Il y a donc évidemment une loi de Finances chaque année.
Ensuite, dans la presse, on parle souvent de "prélèvements obligatoires" qui représentaient 44% du PIB 2006 en France et sont prévus à 43,7 par le PLF 2007. Ces prélèvements obligatoires comprennent en particulier ce que l’Etat appelle les "recettes fiscales" et les "recettes de l’administration sociale" (les cotisations sociales versées à la Sécu sur les salaires et traitements mais sans les quelques pour cent qui traînent un peu partout).
- Les recettes fiscales
Les chiffres dont on dispose officiellement aujourd’hui sont ceux de 2005, car les comptes de 2006 ne sont pas bouclés et la loi de Finances 2006 en version finale n’est pas accessible.
Sur l’ensemble des recettes fiscales 2005, la TVA représentait 47,6%, l’impôt sur les sociétés (IS) 15,5% et l’IRPP (impôt sur le revenu des personnes physiques) 16,5%
La baisse de 8% sur l’IRPP par le gouvernement Villepin, que le PS villipendie en annonçant son abrogation dès que - si - le PS gagne les élections, ne représente que 1,24% des recettes fiscales, soit autour de 0,4% des prélèvements obligatoires.
La moindre épidémie de rhume ou de gastro-entérite un peu sérieuse coûte plus cher que cela...
Si on considère de plus l’évolution de l’IRPP au cours des dix dernières années, on voit qu’est passé de 19,4% des recettes fiscales à 16,5% en 2005, avec la dernière baisse spectaculaire annoncée qui nous amènerait, en 2007 si la gauche ne la supprime pas, à 15,2% environ.
Sachant que l’impôt qui défavorise le plus les revenus les plus bas est l’impôt indirect, soit la TVA (dont le PS ne souffle mot), et que les recettes fiscales de l’Etat sont couvertes presque à demi par cet impôt défavorisant les revenus les plus bas, il est à peu près certain que la violence des diatribes (peut être justifiée, tel n’est pas mon propos) n’est ni un problème de revenus de l’Etat, ni de justice de l’impôt à l’égard des revenus les plus bas.
Je vous laisse chercher vous-même les motivations de l’acerbe échange qui a lieu en ce moment, mais de grâce, ne vous laissez pas aller à une émotivité superficielle ni dans un sens, ni dans l’autre, car objectivement, il n’y a pas matière à cela.
Au passage, et pour information, la TIPP (taxe intérieure sur les produits pétroliers), dont on a beaucoup parlé il fut un temps, représentait 5,5% des recettes fiscales de l’Etat en 2005.
- La Sécurité sociale
La Sécurité sociale, c’est un truc entre boîte de Pandore et épée de Damoclès. C’est bien simple, personne n’ose véritablement s’y coller vraiment, car c’est pire qu’une bombe atomique. Pour l’instant, les politiques sont simplement en train de nous préparer à ce que ceux qui ont cotisé pendant des années et des années (toute leur vie professionnelle) et de façon obligatoire n’aient plus rien quand ils arriveront à la retraite.
En gros, il y a deux choses dans la Sécu : l’assurance-maladie et la retraite. Et les deux sont déficitaires.
L’assurance-maladie (gérée par la CPAM) a pour objectif de faire en sorte que l’argent qu’ils reçu via les prélèvements obligatoires couvre les remboursements à faire. On ne va pas développer le problème de façon exhaustive, mais chacun connaît le principe : faire payer le plus possible "les patrons" (cf. chapitre suivant : des pistes pour que la droite et la gauche se mettent encore plus dessus), rembourser le moins possible les ayants droit (vous, moi, nous), et taxer les médecins s’ils vous soignent avec des trucs chers. Il y a même une pénalité contre les médecins qui soignent trop.
La retraite à la française est gérée par la CNAVTS. Je me rappelle qu’en 1989, je m’étais fait jeter dehors (on m’a poliment demandé de me taire ou de quitter la salle lors d’une réunion CNAVTS) parce que j’avais osé dire qu’il y avait un problème entre le système français de retraite par répartition et la pyramide des âges.
Aujourd’hui, tout le monde est au courant, et il est inutile d’expliquer encore une fois comment deux fois plus de bénéficiaires pour deux fois moins de payeurs, ça fait quatre fois moins d’argent pour chaque retraité, quel que soit le montant qu’il a payé pendant toute sa vie.
Je ne suis pas certain que la retraite par capitalisation soit vraiment meilleure : demandez aux anciens employés d’Enron ce qu’ils en pensent. Mais si on voulait faire quelque chose d’original et de social, on aurait au moins pu éviter de prendre un modèle qui n’était évidemment pas viable avec la pyramide des âges qu’on connaissait depuis les années 1960 !
Bref, je vous parle de Sécu dans cet article sur les baisses d’impôts, car bien que n’étant pas directement une recette fiscale pour l’Etat, mais simplement un prélèvement obligatoire, le Sécu représente plus d’argent prélevé que toutes les recettes fiscales, aussi bien par l’Etat (ce dont on a parlé, plus les amendes, les droits de succession, bref tout) que par les collectivités territoriales (région, département, communes).
La Sécurité sociale représente 22,2% du PIB (!), tandis que l’Etat pèse 14,6 % du PIB (0,3 de cotisations sociales incluses) et les collectivités locales 5,7% du PIB.
Je rappelle que la Sécurité sociale, c’est à la fois la branche maladie et la branche retraite, ce qui rend les comparaisons avec les autres pays un peu bancales.
- Des pistes pour mieux fâcher droite et gauche
Les choses sont bien ancrées, à la fois comme effets du matraquage des syndicats et de la gauche et en raison d’une ligne de défense molle de la droite qui n’a jamais su expliquer les choses :
-> diminution des charges sociales = cadeau au patronat
-> augmentation de la TVA = injustice envers le prolétariat.
Les choses sont tellement bien établies et "acquises" que la lecture de ces deux affirmations ne vous fait même pas sursauter. Il y a pourtant là tout un trésor de contre-vérités dramatiques. Examinons-les un peu, même si - comme dans le reste de l’article - je commets quelques raccourcis.
- Diminution des charges sociales
Selon la loi de conservation bien connue, ce qui rentre = ce qui sort plus ce qui s’accumule. Cela signifie qu’il faut ramener plus d’argent avec ce qu’on vend que ce qu’on dépense (achats et salaires) pour faire des bénéfices, ceci dans un monde concurrentiel de lutte acharnée pour tenter d’être compétitif, c’est-à-dire moins cher.
Dans ce contexte, que va apporter une baisse de charges sociales ?
Le gouvernement actuel prétend qu’une telle mesure va entraîner plus d’emplois (des embauches avec l’argent que libère la baisse des charges). Peut-être, mais certainement pas par un mécanisme direct. Car si le nombre d’employés est suffisant, une baisse des charges sociales va surtout permettre de consentir de meilleurs prix de vente pour être plus concurrentiel (car les autres aussi vont bénéficier du même allègement, et la guerre économique n’est pas modifiée par une baisse des charges sociales). L’emploi n’augmentera que si l’activité augmente.
Les syndicats et la gauche prétendent que c’est un cadeau accordé au patronat.
D’abord, je déteste ce mot de patronat qui désigne d’une manière épouvantablement caricaturale et inexacte à la fois le gérant d’une petite entreprise unipersonnelle qui gagne moins que le Smic (de très loin la grosse majorité des cas, en nombre de "patrons") et les dirigeants des grosses entreprises internationales avec des parachutes en or qui leur permettraient de ne plus travailler du tout après leur premier licenciement, tellement ils touchent d’argent.
Ensuite, c’est une sombre bêtise, car la plupart des PME (collectivement, le plus gros employeur de France) en profiteraient pour réduire les prix et rester concurrentiels, au lieu d’acheter des produits et services à l’autre bout du monde.
Et à force de ne pas faire de "cadeau au patronat" français, les syndicats et la gauche en font au patronat étranger, auxquels les entreprises françaises sont obligées d’acheter pour continuer à exister.
- Augmentation de la TVA = injustice envers le prolétariat
Il faudrait donc baisser l’impôt sur les revenus bien plus fortement sur les salaires les plus bas. Mais cela est vrai sans même parler d’augmentation de la TVA !
Et François Hollande ne veut pas de baisses d’impôts, même sur les salaires les plus bas.
J’ai pourtant entendu en réunion M. Hollande lui-même confirmer qu’il était d’accord sur le principe d’un changement de l’assiette de calcul des charges sociales, pour qu’elle ne prenne plus comme base les salaires mais le chiffre d’affaires ou la marge.
Il faut dire pour sa défense qu’il a renié à cette occasion trois fois de suite le mot de TVA sociale.
- La taxe sociale versus charges sociales
Appelons donc cette nouvelle taxe taxe sociale, qui remplacerait les charges sociales.
Le point de base serait que tout produit vendu en France soit soumis à une taxe sociale, au lieu que le travail fait en France soit soumis à une charge sociale.
Comprenez qu’il n’y aurait plus de charge sociale sur les salaires, mais que l’Etat ferait payer une taxe sur ce qui est vendu et/ou utilisé en France.
Donc, les chaussures chinoises vendues en France et achetées avec de l’argent des Français participeraient aussi au bien-être social des Français, et pas uniquement celles qui seraient fabriquées en France (de toute façon, avec les charges sociales, il n’y en a plus, en France). Actuellement, ce n’est pas le cas, pas plus d’ailleurs que ne se développe le bien-être social des Chinois qui les fabriquent.
Avec un système de ce type, notre système social resterait inchangé et tout ce que nous consommons dans le pays - y compris notre propre production - participerait au secteur social de notre pays, ce qui est assez logique, somme toute.
En termes d’emploi, nos salaires de production seraient d’un seul coup divisés par deux, sans que ni notre pouvoir d’achat, ni notre couverture sociale, ni notre retraite (ce qu’il en reste) ne soient négativement impactés. Et du coup, installer des industries redeviendrait intéressant en France, ce qui permettrait de renverser la tendance actuelle qui est de tout donner à fabriquer à l’étranger.
Ne parlons pas de TVA sociale, puisque l’utilisation de ce terme braque la gauche et les syndicats, et arrêtons les inepties comme "cadeau au patronat" pour parler de l’emploi, surtout que tout le monde, à gauche comme à droite, s’accorde sur la nécessité de modifier l’assiette de calcul de nos charges sociales.
Alors qu’attendons-nous ? Qu’il soit trop tard ?