vendredi 3 juillet 2009 - par Michel Koutouzis

1. Brevets : une raison occultée de la crise

 Les débats passionnés qui accompagnent la loi dite communément HADOPI, ne sont que la partie événementielle et nombriliste du problème posé à nos sociétés postindustrielles, c’est à dire la part des revenus du secteur « propriété intellectuelle » au sein de la masse financière. 
 
En fait, en l’espace de deux décennies le capitalisme industriel s’est transformé en un capitalisme rentier, gérant brevets, droits d’auteur, propriété intellectuelle et dividendes, c’est à dire en un capitalisme non productif. 
 
Loin de moi l’idée de traiter ici la question des droits d’auteur, qu’ils soient télévisuels musicaux ou littéraires. Sans les sous estimer, ces droits ne sont qu’une partie infinitésimale des droits intellectuels que génère l’industrie pharmaceutique, les compagnies agro-alimentaires, l’informatique et en général, les sciences dites du futur, les brevets industriels et les innovations financières.
 
La monopolisation de l’innovation a engendré un cach flow inédit dans l’histoire du capitalisme qui  a essentiellement servi à la concentration des secteurs pré cités dans un premier temps, puis à des investissements dits hasardeux qui avaient comme premier objectif d’occulter le trop plein financier, en d’autres termes, de soustraire le produit « argent » de la règle fondamentale du capitalisme, celui du rapport entre l’offre et la demande.
 
Tandis que au sein des pays occidentaux et émergeant on croulait sous les liquidités issues des droits rentiers, ni aux Etats Unis ni en Europe les taux d’intérêt ne baissaient. Le secteur financier était chargé d’augmenter les bénéfices par les taux élevés de la rente, en faisant croire à un manque de liquidités là où il y avait pléthore, et en inventant des nouveaux produits financiers.
 
La crise est venue par un « paroxysme contradictoire » : la concentration vers des secteurs non productifs essentiellement spéculatifs de fonds provenant non pas de l’économie réelle mais du monopole de cette économie sur les dividendes de « l’innovation », les brevets et la « propriété intellectuelle ». Elle est donc le produit d’un retour à la réalité (la vraie valeur de l’argent) et touche l’ensemble des secteurs économiques et pas seulement ceux qui ont surestimé cette valeur. Il en va de même pour  l’ensemble des dividendes spéculatives, comme par exemple le prix de l’immobilier et des loyers. 
 
Or, le « marché » préfère  espérer la fin de la crise sans mettre en cause le prix de l’argent qui impliquerait de l’inflation, courant le risque d’une stagflation (baisse des investissements et de la productivité, baisse parallèle du prix du loyer de l’argent, faute de demande, inflation due aux prix constants -en valeur absolue - de l’offre).
 
En effet, l’innovation ne peut s’épanouir que dans une situation monopolistique ou oligopolistique, d’entente sur les prix subjectifs et la garantie des dividendes issues de la propriété intellectuelle. Tandis qu’on exige de la part du marché du travail de la flexibilité, que les prix industriels classiques doivent, sous peine de faillite, s’adapter, le coût de l’innovation ne supporte pas la flexibilité ni la variabilité.
 
Les investissements sur des logiciels, des semences, des médicaments, etc., misent sur des marchés monopolistiques existant et à venir, des populations de consommateurs captifs et dépendants, sur la pérennité de la firme, du logo, du produit standard et des moyens oligopolistiques de diffusion. 
 
En comparaison, le paysage laissé derrière la concentration de la diffusion – vente des grandes surfaces ressemble à de la forêt vierge. 
 
Enfin, la surestimation systémique de la valeur « innovation » a permis pendant un quart de siècle de financer la rente primaire (hydrocarbures, matières premières, etc.,) en créant, - là aussi - des bulles, possibles uniquement à cause d’un cash flow extravagant. 
 
Ce sont ces bulles qui se sont effondrées les premières étant, en ce qui concerne les matières premières, les moins protégées par des brevets et donc « flexibles ». 
 
Par contre, le secteur des « dividendes » non boursières précitées n’a pas connu de baisse substantielle : L’industrie pharmaceutique ou informatique, bien au contraire, semblent tirer le marché vers le haut, tout comme les titres associés au Nasdaq qui continuent leur chemin de « concentration » oligopolistique.  


13 réactions


  • finael finael 4 juillet 2009 12:23

     - Savez-vous que la création informatique est la seule où l’inventeur n’est pas protégé par le droit d’auteur ? c’est la société qui l’emploie qui profite de ces droits.

    Et puis on en vient à breveter ce qui existe depuis longtemps : Monsanto brevetant le riz basmati qu’aucun paysan indien n’a, bien évidemment, breveté.

    Ceci étant, même si je partage le même sentiment que vous sur le brevetage systématique, je ne saurais être d’accord avec votre affirmation que « l’innovation ne peu s’épanouir que dans une situation monopolistique ou oligopolistique ». Heureusement que ce n’est pas le cas !

    L’innovation, c’est trouver, ou inventer, quelque chose qui n’existe pas. Donc en dehors de toute situation de ce type. Que je sache, ni le moteur à explosion, ni l’électricité comme moyen de production d’énergie, ni l’ordinateur en tant que tel ne sont brevetés ... et ce au milieu d’une foultitude d’autres exemples.

    Par contre l’utilisation des brevets pour empêcher les africains de disposer des médicaments nécessaires, pour obliger les agriculteurs à payer des royalties pour exercer un métier multi-millénaire, etc ... sont autant de scandales (et là encore je ne prends que deux exempes dans une multitude) qui ne sont pas pour rien dans la crise dans laquelle notre monde s’enfonce.


    • Michel Koutouzis Michel Koutouzis 4 juillet 2009 12:43

      Bien entendu que je ne parle que de l’innovation comme mécanisme rentier. J’y reviendrai dans les articles suivants. D’ailleurs la deuxième partie, déjà publiée, se réfère exactement à ce que vous dites. Ma conclusion (à venir) soulignera la part importante que prend l’aspect juridique ainsi que les « pressions commerciales » (Mosanto est un exemple excellent) dans la gestion de la propriété intellectuelle comme générateur de rente... 

      A bientôt

    • mat 4 juillet 2009 19:47

      La société qui a breveté certaines lignées de riz basmati est une société texane appelée Rice Tec.
      Il s’agit non seulement de breveter du vivant, ce qui est déjà scandaleux, mais en quelquesorte, il s’agit d’une copie du riz selectionné par les indiens sur le long terme.

      En ce sens, Hadopi est vraiment symbolique du monde voulu par nos politiques : alors qu’un ado va charger un mp3 pour un usage personnel, il va être surveillé, menacé, puni.
      Rice tec a par contre le droit de :
      1)copier (piller) le riz indien,
      2)s’arroger les « droits » sur celui-ci (d’où le terme « pillage » ci dessus)
      3) devenir receleur en revendant ce riz (y compris aux indiens !).


  • Lucien Denfer Lucien Denfer 4 juillet 2009 15:55

    Les brevets sont aussi responsables de la crise dans son aspect humain.

    Comment imaginer que la recherche scientifique (universitaire ou autre) contrainte par des impératifs de brevetabilité et de rentabilité puisse apporter une réponse adaptée aux défis posés à l’humanité.

    L’orientation de la recherche dans le domaine médical en est l’exemple le plus flagrant. Cette orientation vers la rentabilité et la brevetabilité fausse le jeu dès le départ et nous ne sommes plus en présence de l’innovation mais de la course à la molécule dans une perspective à court terme.

    Pourquoi investir des millions sur une molécule ultra-efficace si elle n’est pas brevetable ?


  • Moristovari Moristovari 4 juillet 2009 16:57

    Quel dommage que ce genre d’article, qui traite le fond et non la forme des événements, ne puisse intéresser le grand public. S’y trouve pourtant toutes les réponses à ses questions.

    La crise financière et Hadopi font débats mais ces problèmes ne sont que des symptômes, étroitement liés par ailleurs. Combattre un symptôme est inutile, les véritables racines du problème le feront toujours revenir. On ne fait pas disparaître un rhume en se mouchant.

    Dans le cas d’Hadopi et de la crise, vous indiquez une de ces racines : la propriété intellectuelle. Hé hé. Autant dire que la maladie est incurable.


  • finael finael 4 juillet 2009 19:14

    En fait c’est la façon dont les « marchés » (les grosses institutions financières) se sont emparées, et ont déformé, l’idée qui a présidé au concept de brevet (permettre à un inventeur de recevoir une récompense pour son invention), qui est malsaine.

    Plus généralement, les doigts crochus et l’avidité à court terme ont détourné les inventions, les idées, de leur objet premier pour en tirer un profit égoïste au dépend de l’ensemble de la société humaine.


    • Lucien Denfer Lucien Denfer 5 juillet 2009 00:21

      Depuis le Plant Patent Act jusqu’aux controverses actuelles sur la brevetabilité du vivant et des logiciels, nous avons suffisamment de recul pour comprendre qu’il est nécessaire d’établir des règles d’éthique universelles.

      C’est sur que ce n’est pas aussi rentable que la taxe carbone...


  • barbouse, KECK Mickaël barbouse 4 juillet 2009 21:10

    bonjour,

    j’ai beaucoup appris avec votre article, merci

    amicalement, barbouse, qui s’endormira moins con que la veille grace a vous.


  • Forest Ent Forest Ent 4 juillet 2009 23:32

    Quote : L’industrie pharmaceutique (...) semble tirer le marché vers le haut.

    Je sais que je le dis à chaque fois, mais ...

    L’industrie pharmaceutique est la mère de toutes les bulles. Elle augmentait avec la demande des occidentaux vieux. Le « medicare » est bientôt en faillite. Oui, il y a un sujet démographique là-dessous.


    • Marc Bruxman 5 juillet 2009 16:27

      La dessus vous avez complétement raison. La fin de la génération du baby boom et le début de la « génération X » n’ont pas voulu admettre que leur situation démographique particulière nécéssitait un investissement particulier si ils voulaient avoir une retraite identique à celle de leurs ainés.

      Or, que l’on fonctionne par répartition ou par capitalisation croire que l’on va travailler 40 ans et être improductif 40 ans (éducation, retraite) est un rêve. Cela ne peut marcher que si :

      • L’on croit que l’état via la dette publique et la taxation des nouvelles générations va l’imposer par la force. Cela va exploser dès lors que la bulle de la dette publique explosera, mettant les états en situation de quasi faillite.
      • L’on croit que la bourse a des super pouvoirs et que en épargnant même des trop petites sommes le rendement miraculeux va faire décupler votre fortune. Ce système vient d’exploser avec la bulle de la dette financière. Les seniors américains ont été très touchés par la crise.
      Aucun de ces deux modèles ne va fonctionner et ceux qui n’auront pas épargnés vont se retrouver dans une situation délicate. On voit déja aux USA des vieux retourner au boulot.

      Rajouter par la dessus une révolution technique sans précédent qui va chambouler le monde et rendre les perspectives de réembauches difficiles pour ceux qui ne se seront pas adaptès au système et vous avez tous les éléments d’une crise très grave.

      Or, l’industrie de la santé s’est construite sur l’idée que les plus vieux seraient aisés. Se rêve est en train de s’envoler et c’est pour cela qu’ils se raidissent au niveau politique.

      Que va t’il se passer ?

      • Des délocalisations en matière de soin. Déja des gens se font soigner les dents en europe de l’est ou même plus loin. Des américains se font soigner en Inde. Je ne parles même pas de l’optique en Chine par exemple ou vous pouvez faire refaire vos lunettes pour très peu cher à qualité équivalente à ce que l’on vous aurait fait en France. .
      • Le reste des soins va être rationalisé et cela risque de ne pas être bon du tout pour les labos. On le voit déja avec les génériques. En clair, je ne suis pas du tout acheteur d’actions dans le domaine de la santé.
      Pour ce qui est des brevets, ma réponse en dessous...

  • Marc Bruxman 5 juillet 2009 16:50

    Les brevets permettent de créer de la rareté dans un systéme économique qui surproduit. Le probléme étant la surproduction. Faites une invention géniale, et elle inondera le monde en quelques mois si seule la production compte. C’est pour cela que l’acte « productif » au sens de façonner de la marchandise n’a plus aucune valeur. Et c’est pour cela que le monde industriel est en crise.

    La plupart des entreprises aujourd’hui ne vivent que de la propriété intellectuelle ou de compétences intellectuelles conservées secrêtes. Ce système n’est pas parfait, il est même excessivement dangereux. Mais il n’est pas en soit responsable de l’effondrement de la société industrielle.

    Un indice : En 9 mois, 15 millions d’IPhone 3G ont été vendus et donc fabriqués. C’est monumental pour un produit de ce type. Et cela signifie concrétement qu’Apple a la capacité de saturer le marché rapidement. Si ce produit n’était pas protégé par moultes copyrights et brevets, il se vendrait deux fois moins chers et vous auriez probablement atteint la centaine de millions d’exemplaires sur cette période. Soit grosso modo la taille du marché « solvable » pour ce type de produit.

    Maintenant on ne reviendra plus, même si on le voulait au temps ou produire avait une valeur économique (car on sous-produisait). Et donc la société sera différente. Les brevets permettent de maintenir un semblant de classe moyenne pendant quelques temps. Si ils tombent, on va s’appercevoir à nos dépends qu’en dehors de quelques professions intellectuelles de haut niveau, plus personnes ne peut gagner de l’argent dans le nouveau système.

    Et en tous les cas, la chute du systéme de brevets nous mettrait alors en concurrence frontale avec la Chine sur ce que les chinois savent le mieux faire : Produire à pas cher. Sans avoir avant réformé la fabrique de crétins qu’est l’éducation nationale, cela serait du suicide.

    Pour le reste, il est urgent d’investir dans l’éducation en sciences et technologies et ce dès le plus jeune age afin que l’on ait ici une force de travail productive et utile. La société industrielle est finie.

    Pour ceux qui en doutent encore, le volume de courrier devrait chuter de 30% d’ici à 2015 d’après la poste, premier employeur de France. Maintenir les serveurs de messagerie nécéssaire à remplacer les anciennes postes créera moins d’un poste pour 100 détruits.

    Le navigo lui est en train d’être ajouté sous forme de puce dans le téléphone mobile et son usage va être généralisé pour les trains et la billeterie de spectacles. Adieu automates en gare, adieu encre, adieu papier.

    La fiche de paie est elle aussi en cours de dématérialisation, de même que les relevés de banque, factures EDF (mail reçu hier), etc, ... C’est non seulement l’industrie du papier qui va souffrir, mais l’imprimerie et derrière elle, la fabriquation de machines à imprimer et tout ce que cela impliquait. (Avec notamment l’industrie chimique pour l’encre), le pétrole pour transporter ces tonnes de papier, les entrepots pour le stocker, etc, ...

    Oui c’est une révolution qui est en cours et la crise financière la masque en même temps qu’elle l’accélére.


    • Forest Ent Forest Ent 5 juillet 2009 20:51

      @ M Bruxman

      Commentaire intéressant.

      la chute du systéme de brevets nous mettrait alors en concurrence frontale avec la Chine sur ce que les chinois savent le mieux faire : produire à pas cher

      Il faut tempérer : c’est vrai uniquement sur notre marché, parce qu’ils ne reconnaissent pas nos brevets sur leur marché intérieur. Il existe donc une autre solution, qui est de ne pas commercer avec eux. Ca arrivera au même résultat que leur transférer notre technologie comme on l’a fait.

      Dans un monde équilibré en pouvoirs, qu’est-ce qui fera la différence ? Le contrôle des matières premières comme le pétrole. La guerre pour les ressources naturelles n’a jamais cessé dans l’histoire de l’humanité.


    • Marc Bruxman 6 juillet 2009 01:34

      Il faut tempérer : c’est vrai uniquement sur notre marché, parce qu’ils ne reconnaissent pas nos brevets sur leur marché intérieur. Il existe donc une autre solution, qui est de ne pas commercer avec eux. Ca arrivera au même résultat que leur transférer notre technologie comme on l’a fait.

      Ou pas... La licence pour le brevet a un prix que le consommateur local ne peut pas payer. Dès lors il y a deux choix :

      • Les laisser pirater (solution de facilité) mais s’assurer qu’ils deviennent dépendents de nos standards pour pouvoir collecter la taxe le jour ou cela sera possible.
      • Ou les laisser développer leurs propres standards qui deviendront rapidement des standards de fait vu la taille de leur marché intérieur.

      Dans un monde équilibré en pouvoirs, qu’est-ce qui fera la différence ? Le contrôle des matières premières comme le pétrole. La guerre pour les ressources naturelles n’a jamais cessé dans l’histoire de l’humanité.

      Non c’est la connaissance qui fait la différence. Je ne dis pas qu’il n’y aura plus de guerre pour les matières premiéres, mais les nations développées ont largement de quoi s’approvisionner que ce soit en Affrique ou au moyen orient. Cela ne nous as jamais couté si cher que cela, à part en Irak ou l’on a choisi la guerre au lieu de payer un beau palais à Sadda

      Comme vous le savez je pense et continue de penser que la consommation de biens « physiques » va décroitre et cela pourrait amener à la ruine nombre de pays exportateurs de matières premières. Il suffit souvent d’une très faible de chute de la consommation pour atomiser le prix d’une matière premiére. (Demandez aux producteurs de lait ce qu’ils en pensent).

      Il se pourrait bien que cela soit pareil pour le pétrole... La bulle des années 2000 a eu pour conséquences beaucoup de décisions comme le banissement des ampoules à incandescence pour toute l’union européenne. Cela va arréter des centrales thermiques. L’efficacité énergétique des voitures est en forte hausse, de même celle des avions. Sans compter que si le consommateur américain abandonne effectivement les grosse bagnoles polluantes pour acheter des bagnoles « normales », cela va faire fortement chuter la consommation énergétique de ce pays. La conséquence risque d’être une baisse forte des cours du brut à moyen terme avec toutes les conséquences que cela comporte pour des pays comme la Russie.

      Par contre, une ressource naturelle dont on ne parles jamais risque de faire parler d’elle : L’eau... (Au cas ou certains se demanderaient toujours pourquoi nos amis chinois s’intéressent tant au Tibet).


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