mercredi 19 mars 2008 - par muzard marie

Chronique d’une crise annoncée

Jérôme Kerviel, le trader de la Société générale vient d’être remis en liberté aujourd’hui par la Cour d’appel de Paris. Cette décision remet en lumière une des affaires les plus médiatiques en France qui mérite qu’on se penche sur la manière dont elle a été gérée en communication, avec le recul dont on dispose aujourd’hui.

Les points forts et les faiblesses de la communication de la Société générale

Points forts :

La tactique choisie, une communication offensive et large était adaptée, il fallait communiquer vite et sur tous les fronts pour éviter l’effet de panique :
le fait d’organiser une conférence de presse large, d’envoyer une lettre aux actionnaires, aux clients, d’organiser un « chat sur internet » avec ses salariés... pour développer cet argumentaire de « confiance dans l’avenir » a été efficace.

L’argumentaire choisi a réussi à éviter l’effet de panique chez les clients, qui représente le risque le plus grave, dans ce type de crise financière :

De ce point de vue, on peut penser que cet objectif a été atteint :

- le fait d’affirmer la solidité de la banque (« elle reste profitable en dépit des pertes, elle prouve ainsi sa capacité de résistance dans l’orage ») ;

- de mobiliser des alliés qui font autorité : Banque de France qui a réaffirmé sa confiance dans sa solidité ;

- d’immédiatement annoncer une augmentation de capital afin « de continuer à financer les projets de développements (et non pour éviter la faillite ) et de faire savoir que les grands actionnaires allaient suivre cette augmentation ;

- le fait d’obtenir un vote de confiance du Conseil d’administration qui a refusé la démission de D. Bouton.

Toutes ces initiatives ont permis d’envoyer des signaux de confiance aux clients et au grand public en général.

Le fait que Daniel Bouton propose sa démission était astucieuse : d’abord parce qu’il ne prenait guère de risque, dans les premières heures d’une crise, quand on ne sait pas encore les causes du mal, l’enquête n’étant pas menée à son terme, le Conseil d’administration ne pouvait pas décemment retirer sa confiance au président. D’autant qu’en France la pratique reste exceptionnelle, en général, on s’entraide, c’est cela l’esprit de corps et le sens de l’intérêt commun (les participations croisées, qui ont toujours cours, limitent le risque de lâchage intempestif).

Points faibles de la communication

Une tactique périlleuse  : le fait d’annoncer l’origine du mal en même temps que le mal est une tactique qui peut se révéler dangereuse. Dans ce type d’affaires, les causes sont complexes, il est difficile de croire qu’un audit d’un ou deux jours ait suffi pour comprendre d’où venait le problème. Certes, c’est tentant en communication d’annoncer qu’on a réglé le problème, puisqu’on en connaît l’origine et que cette cause est sous contrôle ; mais si les faits ultérieurs, les conclusions de l’enquête font apparaître d’autres causes, l’institution sera discréditée et suspectée d’avoir menti. Donc cette tactique peut avoir un effet boomerang.

La victime  : un argumentaire peu convaincant pour les marchés :

L’argumentaire développé par la Générale a tenté de préserver la confiance dans le management et la bonne gestion de la banque. Mais il n’est pas certain que l’objectif ait été atteint : le discours de victime, de double victime même n’a pas été totalement convaincant :

- victime d’un salarié malhonnête et super intelligent capable de déjouer les procédures de contrôle : comment croire qu’un jeune courtier aussi intelligent soit-il, puisse engager de telles sommes ? D’autres personnes, si ce n’est l’ensemble du système portent une responsabilité.

La technique de « diabolisation » d’un salarié est une technique efficace, mais qui trouve ses limites ici compte tenu des montants en cause, 5 milliards !

Elle peut aussi avoir un effet boomerang, car plusieurs enquêtes sont en cours, s’il apparaît que la Générale a « chargé la barque » pour éviter que l’attention ne se focalise sur ses choix d’investissements hasardeux et sauver ainsi sa réputation, elle le paiera cher, c’est le capital de confiance qui sera entamé.

- victime d’une conjoncture déprimée (subprime) : difficile de l’évoquer, alors que Daniel Bouton avait soutenu l’inverse dans les mois qui précédaient. Il est peu approprié de jouer le rôle de victime des subprimes sachant que pour être victime, cela suppose qu’on ait pris des engagements que certains pourraient qualifier d’imprudents, en amont. Donc, on est responsable avant d’être victime.

Des arguments contradictoires :

• Comment peut-on dire que cela fait des années que le courtier préparait son coup, d’où le succès de celui-ci et, en même temps, ne pas reconnaître un problème grave dans le process de contrôle, comment ne pas avoir remarqué une personne aussi « dangereuse » qui a commencé ses malversations en 2006 ?

• Autre argument contradictoire, la Société générale insiste sur la qualité « modeste » du courtier coupable, dans ce cas comment pouvait-il engager des sommes aussi énormes sans se faire repérer, cet argument jette le doute sur la qualité des contrôles au sein de la Générale.

• Autre contradiction : comment peut-on faire porter l’entière responsabilité du problème à un seul homme et refuser toute responsabilité du « système » et, en même temps, licencier un service et la quasi-totalité de l’équipe qui le supervise ?

- Argument fantaisiste (orchestré ou non par des alliés-salariés de la Générale), certains ont évoqué la théorie du complot : à qui profiterait le crime (à l’or, une affaire qui déstabiliserait Trichet...), théorie peu sérieuse, mais qui fait partie des axes traditionnels de défense en cas de crise. Il a été peu relayé dans les médias (on ne le trouvait que dans quelques forums sur le web).

- Un argument maladroit : en annonçant qu’il allait sacrifier son bonus et ne pas se verser de salaire, Daniel Bouton a attiré l’attention sur sa rémunération, il est apparu au public très vite que son sacrifice faisait office de goutte d’eau dans un océan de « revenus », ce qui a conforté son image de nanti par opposition aux petits actionnaires et actionnaires salariés, seules vraies victimes de la chute du titre en bourse.

- Une communication à l’américaine trop « packagée »

Dans son interview pour France Info, Daniel Bouton utilise métaphore sur métaphore pour expliquer la situation : l’incendie pouvait gagner la maison on a réussi à l’éteindre dans la chambre, le courtier roulait à 190 km sur l’autoroute et a déjoué tous les radars fixes et mobiles... Cette avalanche de métaphores a un effet pervers, elle donne le sentiment d’une communication manipulatrice, c’est too much. Certaines métaphores sont exagérées, à propos du geste du courtier, Daniel Bouton évoque un acte terroriste espérant peut-être s’attirer la sympathie émotionnelle des auditeurs.

BILAN

Au final, la communication de la Société générale a convaincu côté clients, ce qui a permis d’éviter la panique, mais les marchés sont plus sceptiques.
A court terme, le risque le plus grave a été écarté et Daniel Bouton a sauvé sa place.
Mais, à moyen terme, on peut craindre l’effet boomerang de la communication :

- un climat de suspicion : la Générale a dégagé toute responsabilité sur un salarié, il n’a pas abordé le problème de fond qui inquiète les marchés et les actionnaires, ce faisant il crée une relation de méfiance à la fois sur le management de la banque, sur l’institution elle-même, voire sur le système bancaire français. Les petits actionnaires, les grands perdants de cette affaire, qui ont vu leur action perdre près de la moitié de sa valeur en quelques mois, et qui s’estiment pénalisés par la récente augmentation de capital, n’ont pour le moment guère de voix au chapitre, mais une enquête est lancée, on verra quelle est la force d’impact de cet actionnariat grand public ;
- au-delà de l’enquête menée par les actionnaires, il faudra attendre les conclusions de l’enquête menée par le parquet de Paris pour savoir la fin de l’histoire. S’il s’avérait que la version officielle de la Société générale n’était pas confirmée, la Société générale et son management aurait à faire face à une crise de confiance grave qui pourrait remettre en cause l’indépendance de la banque ;

- à titre personnel, certes Daniel Bouton a préservé son poste ; ses grands actionnaires et administrateurs ont serré les coudes et se sont montrés solidaires.
Mais, depuis l’affaire Messier, la leçon a été entendue, on ne peut pas « supporter » au sens anglo-saxon une personne prise en flagrant délit de mensonge. Si les différentes enquêtes en cours concluaient à une possibilité de tentative de dissimulation des faits, alors la position de Daniel Bouton serait fragilisée.



13 réactions


  • HELIOS HELIOS 19 mars 2008 10:34

    Les gens "exposés", malgré l’aventure Messier, s’en sortent toujours !

    La preuve : Christian Estrosi, responsable de 135 000 Euros de dépense puisées dans les caisses déjà vide de l’état pour manger les petits fours du président avant d’aller a New York. Le peuple a aimé, il a été elu à la place de Peyrat, maire sortant.

    Et pourquoi ils s’en sortent ? tout siimplement parce que la presse n’est pas fiable, il reste toujours un doute de manipulation que les electeurs ne peuvent accepter.

    Il est donc nécessaire de mettre en place une commission spéciale, un peu comme le "référé" en justice, charger d’enregistrer automatiquement les informations données dans un delai tres court, genre 72 heures pour s’assurer de la realité légale ou pas, peu importe du problème, avant de le transferer a l’organe de justice correspondant. Cet enregistrement doit faire l’objet d’une publication officielle.

    Apres tout, ce serait normal, et tant pis pour ceux qui se feraient attraper, même s’ils ne sont pas 100% coupable. Ils auront frolé de trop prés la ligne rouge, et cela est intolérable quand on detient ou qu’on brigue un mandat social.

     

    C’est vrai, je rève.... pourquoi les députés vont ils voter pour scier la branche sur laquelle ils sont assis !!!


  • Fenzy 19 mars 2008 11:25

    En ne démissionnant pas, Daniel Bouton a montré qu’il tenait plus à une année de salaire+bonus supplémentaire qu’à conserver une once d’honneur, notion qui ne s’acquière pas à l’ENA, semble-t-il.

    On ne manquera pas de consulter le rapport exemplaire de Daniel Bouton sur "qu’est-ce qu’une bonne gouvernance d’entreprise ?"

    http://www.medef.fr/medias/upload/1507_FICHIER.pdf

    Cela dit on savait déjà à quoi s’attendre avec un Bouton, un Jaffré, un Messier etc.

     

     


  • chmoll chmoll 19 mars 2008 12:04

    d’ici que l’bouton dise que l’Kerviel a perdu des sous c’est d’la faute à l’économie américaine y a pas loin


  • Yvance77 19 mars 2008 13:20

    Bah le Kerviel n’a été attiré que par un appat du gain consequent.

    Ce n’est pas blâmable dans une éconmie d’enfoirés foireuse tout de même


  • Spookimouk 19 mars 2008 15:22

    Bon article merci.

    Jérôme Kerviel aurait fait perdre 5 milliards lors de la revente de ses positions. Le total des positions s’élevait à quelque chose comme 50 milliards d’euro. Pendant presque 2 ans un employé de grade "modeste" dans la banque aurait dissimulé pour 50 milliards d’euro de placements ?

    Si c’est vrai et que cela a échappé à la vigileance de la SOG, alors je me demande comment ils font leurs comptes. Je préfère ne pas mettre mes économies chez eux.


  • zelectron zelectron 19 mars 2008 16:43

    "Jérôme Kerviel aurait fait perdre 5 milliards lors de la revente de ses positions" = mauvaise présentation des faits, la bonne :

    La hiérarchie prise de peur panique à bradé à toute vitesse ces titres lorqu’elle s’est aperçu de la hauteur des engagements, la peur est mauvaise conseillère.....


  • impots-utiles.com 19 mars 2008 17:57

    comment se fait-il que le supérieur de kerviel , monsieur Bouton ne soit aucunement inquiété ??

    Ce dernier a pris soin de se faire représenter par un avocat qui n’est pas l’avocat de l’entité société générale, car les interets de Bouton et de la Société génerale( et du contribuable) ne sont évidemment pas les memes ... alors pourquoi ??

    http://www.impots-utiles.com/crise-bancaire-qui-paiera-en-france.php

     


  • Icks PEY Icks PEY 19 mars 2008 18:02

    Concernant Kerviel, j’ai parfois le sentiment, quand même qu’on mélange les choux et les salades.

    On peut gloser des heures durant sur les failles du contrôle interne de la Générale, mais cela n’exonère en rien le sieur Kerviel quand même !!

    A la base, c’est quand même bien lui qui a pris ses positions hallucinantes et pas quelqu’un d’autre !

    A la base, personne de la Générale ne l’a incité à commetre ses actions !

    Il convient de rétablir la responsabilité de chacun : c’est jérome kerviel qui a mis la Générale dans la mouise et non l’inverse !

    Icks PEY


    • trou noir trou noir 19 mars 2008 21:01

      mais qui nous dit que JK n’est pas l’arbre qui cache la foret, il y a peut-etre d’autre JK à la SocGen, et c’est peut etre grace a eux que cette banque gagnait beaucoup d’argent du temps ou le marché le permettait

      car finalement des oscillations de 10 % sont ’’argent courant’’ à la bourse en quelques semaines voire jours sur des marchés à risque


  • monteno 19 mars 2008 21:12

    @l’auteur

    Les sommes en jeux et les engagements ne sont pas de 5 milliards mais de 50 milliards, 5 milliards c’est seulement la perte annoncée !

    Vous affirmez que les responsables hiérarchiques de Kerviel ont été licenciés ; comment le savez-vous et l’avez-vous vérifié ?

    Etes vous bien sûr qu’ils ne font plus parti de la banque et qu’ils ne sont plus payés par la SG ?

     


  • Mr Mimose Mr Mimose 19 mars 2008 21:32

    On accuse Kerviel, le petit , le sans-grade, c’est bien facile.

    Pendant ce temps là on parle pas dans les médias que le Sieur Bouton passe en procès pour une sombre histoire crapuleuse dans l’affaire dite du "sentier".

    Mais bon si on nous le dit sur TF1 que Kerviel est un criminel, certains l’on même traiter de terroriste, c’est à mourir de rire !


  • Gzorg 20 juin 2008 12:50

    Franchement j’arrive pas à croire à cette histoire...

    Parcequ’il s’agit bien de "Croire" justement !

    Alors partout dans le monde, les banques se vautrent sur les Subprimes, panier de vent batis sur des perspectives vide et qui sert à vendre à nouveau du vent (cf Bernstein qui s’aperçoit du jour au lendemain qu’elle est assise en faite sur un montagne de papier et pas d’argent).

    Partout c’est les Subprimes, partout c’est le prets hypothécaires pourris montés en super "produits financier" qui font rendre l’ame aux banques et aux sociétés financieres...

    Et chez nous ?

    Que neni

    Chez nous c’est jérôme kerviel.

    bah moi j’ai vachement de mal a y croire (mais on sait jamais ..apres tout les exeptions Françaises...)


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