lundi 28 août 2006 - par Laurent MINGUET

Croissance et décroissance

La croissance dont un quelconque ministre a parlé ce matin à la radio signifie croissance du produit intérieur brut, à savoir de la somme des valeurs ajoutées d’un pays ou de la somme des salaires déclarés. Le ministre comme le syndicaliste croît qu’en augmentant la croissance d’au moins 2%, on va créer de l’emploi. En fait, c’est l’inverse, si l’emploi augmente, on constatera une augmentation logique de la somme des salaires.

Le ministre croit aussi que la croissance est forcément bonne pour le pays. En fait, le PIB ne comptabilise que la valeur ajoutée et non la valeur soustraite par l’obsolescence, les catastrophes, les accidents... Supposons par exemple, qu’un ouragan cause d’énormes dégâts aux voiries, habitations, véhicules... A cet instant, le PIB n’en sera pas affecté ce qui est un non sens vis-à-vis des conséquences dramatiques que le pays tout entier traverserait. La reconstruction et la remise en ordre de ce drame augmenterait sensiblement le PIB ce qui constituerait une deuxième erreur d’appréciation puisqu’après, nous en serions revenu au point de départ.

Comme le dit Jean Marc Jancovici dans son ouvrage : »le plein s’il vous plaît », la comptabilité nationale est comparable à celle d’une épicerie qui se soucierait seulement du tiroir caisse et non des stocks et de leur variation contrairement à la comptabilité de n’importe quelle PME.

Pris au pied de la lettre, la croissance du PIB nous encourage à surconsommer pour produire davantage de « richesses ». La croissance de la consommation engendrerait une croissance du PIB salutaire. Ce dogme semble particulièrement bien adopté aux USA tant dans la croissance horizontale de l’embonpoint de la population que de l’espace mémoire nécessaire pour qu’un ordinateur affiche : »coucou » à l’écran.

Faut-il pour autant en déduire par opposition que le salut est dans la décroissance ? de quoi ? du PIB ? de la consommation ?

Nicholas Georgescu-Roegen, le pape de la décroissance, écrit que la consommation des matières premières conduit à leur épuisement. Dans son ouvrage sur la décroissance, il expose les limites du recyclage en affirmant que l’or de votre alliance se dissémine irrémédiablement dans la nature selon le deuxième principe de la thermodynamique et que les particules de pneus abandonnées le long des routes ne pourront jamais être recyclées. Les stocks de toute matière sont ainsi condamnés à se raréfier inéluctablement quelque soit le rythme de consommation.

Je ne partage pas cet avis.

Les particules de pneu abandonnées sur la route finiront par s’oxyder en H2O et CO2 lesquels rentreront dans leurs cycles respectifs, mus par l’énergie solaire, pour redonner de la biomasse laquelle peut-être transformée en pétrole pour redonner un beau pneu tout neuf.

De même, sur un terme très long, les minéraux soumis à des réactions physico-chimiques complexes peuvent être amenés à se concentrer dans des gisements hors desquels, grâce à l’énergie, on pourra les concentrer pour les réutiliser indéfiniment.

Seules les réactions nucléaires détruisent à jamais les éléments de la matière. Une fois le stock d’uranium épuisé ou raréfié, il n’y aura plus de débat sur la sortie du nucléaire.

L’énergie peut toujours réordonner le désordre d’un système. C’est ce que les physiciens appellent parfois le troisième principe de la thermodynamique : « les structures dissipatives ». En fournissant de l’énergie à un système on peut créer des structures alors que la tendance naturelle les conduit au chaos. Ce principe a pu mettre en place des structures dissipatives aussi évoluées que la vie et nous-mêmes. Sans un flux quotidien d’énergie chimique, notre corps se meurt. Il retourne en poussière. De même, la plante requiert du rayonnement solaire pour croître en associant le carbone du CO2, l’eau, l’azote, un peu de phosphate et de potassium.

Globalement, donc, l’Univers tendrait vers le chaos mais localement, notre minuscule petite planète perdue au milieu d’un vide hostile reçoit chaque année plus de 6000 fois la quantité d’énergie que l’humanité consomme actuellement. La biomasse n’en capte même pas un pour mille.

Capturée, domptée, cette énergie inouïe ou même une fraction tenue de celle-ci pourrait largement permettre la croissance de notre confort et de notre bien être matériel en satisfaisant nos besoins de base : se nourrir, boire, se déplacer, se loger, se chauffer, se soigner mais aussi s’instruire, se distraire... En fait, quasi tous les actes humains réclament de l’énergie et transforment de la matière, même dormir ou penser.

La croissance ou la décroissance de la consommation des stocks sont de faux problèmes qui ne conduisent l’humanité nulle part. Ce sont les flux d’énergie du soleil combinés aux cycles naturels ou artificiels qui nous permettrons de vivre, probablement mieux et pendant des millions d’années.

Laurent MINGUET



16 réactions


  • Gabriel Maurisson 28 août 2006 11:25

    Je suis en parti d’accord, cependant vous caricaturez légèrement les calculs du PIB. Dans l’exemple que vous donnez, il n’est absolument pas certain que le pib augmente en effet si les zones de production et les habitants ne peuvent plus travailler, la croissance s’affaisse. Le cas de la nouvelle orléans me semble très significatif à ce propos


    • laurent14 (---.---.31.43) 28 août 2006 17:28

      cher Monsieur,

      je suis tout à fait d’accord, je n’ai pas suffisamment développé la critique du PIB mais simplement le fait qu’il ne comptabilise que les gains et non les pertes.

      Je pense proposer prochainement proposer un article plus détaillé car le sujet mérite certainement le débat.

      Bien à vous

      Laurent MINGUET


  • ben (---.---.166.49) 28 août 2006 12:15

    Le problème des énergies est légèrement plus complexe que vous ne laissez croire. En fait tous dépend de l’échelle de temps et d’espace dans laquelle on étudie la question. Si vous voulez prendre en compte les règles de la thermodynamique (ce qui a mon avis est une excellente façon de ce compliquer beaucoup la tâche ... pour pas grand chose !), alors la réponse est claire : tous système tend à augmenter son entropie (= devenir de plus en plus complexe) en consommant de l’énergie et toute conversion d’énergie se fait avec une perte (ce qu’on appelle un rendement énergétique), sous forme de chaleur par exemple. C’est exactement ce qui se passe dans le soleil. Même s’il est vrai que cette étoile produit une grande quantité d’énergie (à l’échelle de l’humanité), et qu’il serait judicieux de mieux en tirer parti (panneaux solaires, etc...), il n’en demeure pas moins vrai que cette production ce fait au prix d’une consommation « astronomique » d’hydrogène et qu’à terme (4 milliard d’années environ d’après les estimations les plus courantes) cette ressource sera elle aussi épuisée.

    En résumé : du point de vue des sciences physiques, pour entretenir n’importe quel système (machine, corps humain, système solaire, etc. ...) on doit obligatoirement consommer de l’énergie, qui est ensuite dissipée sous forme de chaleur ou autres radiations (UV, etc.).

    PS : Il me semble que faire intervenir la physique dans l’économie est une excellente façon de compliquer les choses, au risque de rendre le propos inaudible pour la plus part de nos concitoyens.

    Bonne continuation.


    • faxtronic (---.---.127.45) 28 août 2006 13:10

      La physique est une chose, l’economie une autre. Mais je suis d’accord, le plus grand probleme ce n’est plus l’energie, car il est en passe d’etre resolu. Le probleme c’est la matiere premiere : molecule organique, metaux. En effet rien ne se cree tous tranforme, mais va donc faire un crayon de graphite avec un nuage de CO2. Il en faut de l’energie pour recycler, et une energie d’autant plus grande que la matiere est disperse. Et on ne peut pas attendre l’ere geologique suivante.

      L’energie y’en a. Le solaire particulierement. Mais il n’y a pas que les panneaux solaires, il faut compte aussi sur la photosynthese pour la creation de molecule organique, les biotechnologie pour le recyclage.

      Mais il y a encore loin a faire, beaucoup de recherche, d’experinec a faire et a imaginer des nouvelles facon, et beaucoup d’energie et d’argent. Il faut trouver une nouvelle facon de vivre, concilier la vie moderne avec la rarefaction des ressources, utiliser la biotechnologie pour augmenter les ressources non epuisables, les technologies solaires, reorganisez la vie pour limiter les besoins de transport et en renforcer l’efficacite, etc..

      Sinon ce sera la guerre et la mort.


    • Pehem (---.---.78.114) 28 août 2006 13:12

      Il me semble que l’économie ne peut que gagner à s’hybrider avec la physique, qui repose plus sur du solide. L’économie reste aujourd’hui gouvernée par des gourous qui n’appliquent pas la méthode scientifique et passent allègrement du blanc aux noir au gré des modes (libéralisation d’avant la crise de 1929, puis contrôle selon Keynes, puis nouvelle libéralisation selon Hayek... jusqu’à la prochaine crise où l’on « redécouvrira » les bienfaits du contrôle...). S’il y a un progrès indubitable en physique, c’est bien moins évident en économie...

      Je serais aussi plus confiant dans la capacité que les citoyens peuvent avoir à intégrer la physique, surtout d’une manière qualitative comme c’est fait dans l’article. Après tout, et sauf erreur, le taux de bacheliers dépasse maintenant 60% d’une tranche d’age...


  • Forest Ent Forest Ent 28 août 2006 12:37

    A part peut-être l’uranium (et encore...), toutes nos sources d’énergie proviennent effectivement directement ou indirectement du rayonnement solaire. Mais cet article ne nous renseigne pas beaucoup sur les choix à faire.


    • Paldeolien (---.---.113.141) 29 août 2006 02:10

      bah cherche sur le net, ce sont pas les technologies qui manquent...et fait ton choix...


  • (---.---.174.247) 28 août 2006 13:22

    IL est bien question des échelles de temps, et on parle de temps humains très courts quand on parle de croissance et de décroissance ! et de temps « geologiques » pour constituer du pétrole par exemple ! Alors oui les partcules du pneu seront réintégrées mais il n’y aura plus d’êtres humains pour le constater !

    Pour les choix cruciaux qui nous concernent, il est question de quelques décénnies !Imaginez vous 10 milliards d’humains aspirer au même niveau de vie que les européens ou les américains ? on voit déjà les tensions sur de nombreuses matières premières dues à la croissance chinoise !Bien sûr personne ne songe à leur interdire notre niveau de confort, mais on ne peut ignorer les impacts sur les quantités de matières premières et les effets sur l’environnement !

    Il s’agit de cela , ici et maintenant ! Quand l’éspèce humaines aura par sa propre négligence disparue, la planète Terre continuera son chemin et je n’en doute pas effacera nos « traces »


    • gerardlionel (---.---.174.247) 28 août 2006 13:24

      Le commentaire précedent vient de moi, j’ai cependant trouvé l’article interessant !


    • (---.---.162.15) 28 août 2006 16:02

      C’est bien joli votre propos, mais ça semble complètement déconnecté de la gravité des problèmes énergétiques de notre planète. Quand tous les Chinois consommeront comme les américains, alors que les réserves de pétrole diminueront de plus en plus vite, comment ferons-nous ?

      En ce domaine nous allons droit vers un mur et de plus en plus vite. Pour s’en sortir, il faut changer de direction et comme il n’y a pas encore vraiment de solution, il convient de ralentir pour s’adapter à ce futur changement. Cela se compte en dizaines d’années...

      La dessus vous dites que nous serons sauvés parce que l’énergie perdue aujourd’hui se reconvertira en pétrole dans quelques milliers d’années !!!

      Enfin, il est rare et extraordinaire de voir quelqu’un conclure sur l’avenir de l’homme dans quelques millions d’années !! Comment peut-on être aussi aveugle ?

      Am.


    • Laurent MINGUET Laurent MINGUET 28 août 2006 18:16

      Cher Monsieur,

      J’ai bien peur de n’avoir pas été clair avec mon histoire de pneu.

      Je pense que les particules de pneus vont rapidement s’oxyder pour retourner dans le vaste cycle du CO2. D’autre part, le CO2 atmosphérique est capté par la croissance de la biomasse. On peut alors transformer cette biomasse en produit pétrolier, grâce à la chimie, comme on le fait pour les biocarburants, pour produire des matières plastiques et pourquoi pas des pneus ou des bouteilles en polyéthylène.

      Le rendement énergétique est probablement assez médiocre et le coût économique plus élevé que de partir d’un baril jusqu’à ce que dernier coûte suffisamment cher. Ce n’est qu’une question d’offre et de demande.

      Cela dit, il n’est pas besoin d’attendre un million d’années pour fabriquer du pétrole avec de l’eau, de la biomasse et de l’énergie.

      Il en va de même pour tous les éléments extraits des mines, utilisés et dont une grande partie abouti dans l’eau de mer. Rien n’empêche de les en extraire si ce n’est la réalité économique actuelle. Cela permet de raccourcir la durée des cycles de ces éléments qui sont alors indéfiniment recyclables.

      Bien entendu, si le prix, par exemple, de l’or extrait de l’eau de mer coûte très cher, il est vraisemblable qu’on choisira d’autres matériaux de substitution ce qui est déjà largement le cas pour ce métal.

      Les seuls atomes qu’on ne recycle pas sont ceux « brûlés » dans les réactions nucléaires de fission ou de fusion.

      Donc, tant qu’on dispose d’énergie renouvelable à profusion, je ne pense pas qu’on puisse manquer de matière. Le coût des matériaux s’établira en fonction de la demande et de l’offre dont le prix reflétera le coût de production, sensiblement plus cher qu’avec une exploitation minière.

      Et si on s’intéresse alors au PIB, il devrait fort augmenter...

      Bien à vous

      Laurent Minguet


  • pierre-alain dorange (---.---.55.109) 28 août 2006 16:20

    Votre raisonnement « scientifique » pour repousser les théories de la décroissance est globalement juste, il manque juste un paramètre de taille : la durée. Pour que les bouts de pneus évoqués redeviennent du pétrole, cela fera bien longtemps que notre société aura changé (ou disparu). Le pétrole ainsi reformé ne servira plus à rien ni a personne probablement.

    Rappellons à toutes fins utiles que le pétrôle ce forme a partir de bio-masse (organisme vivants morts) sédimenté. Il y a environ 1% de la bio-masse qui sédimente, pour que cela puisse faire du pétrole il convient bien sur que des conditions précises soit de plus réunit... Il faut plusieurs millions d’années pour que cette petite partie de la biomasse puisse espérer devenir du pétrole : a l’époque de la formation du pétrole que nous consommons, l’homme n’existait donc pas smiley


  • Aymeric (---.---.100.34) 28 août 2006 16:48

    Article interressant, mais discutable, pour ces histoires d’échelles de temps qui sont expliquées dans les commentaires précédents. Je n’ai rien a y ajouter d’ailleurs.

    Par contre il y a une phrase avec laquelle je ne suis pas d’accord :

    « Globalement, donc, l’Univers tendrait vers le chaos mais localement, notre minuscule petite planète... »

    L’univers ne tend pas vers le chaos. Du moins pas pour le moment, et il ne l’a pas fait ces 15 derniers milliards d’années.

    En effet au début du big bang n’était qu’une soupe de quarks sans aucune organisation, qui s’est organisée en atomes. Puis ces atomes se sont organisés en molécules.

    Dans de nombreux coins de l’univers, ces molécules se sont organisées pour donner des molécules plus complexes, tels les acides aminés. Sur notre Terre mais probablement aussi ailleurs dans l’univers. Ces acides aminés se sont organisés, et ainsi de suite jusqu’a la cellule vivante. Et puis ces cellules se sont organisées en organismes plus complexes. Parmis ces organismes plus complexes, une espèce vivante (qu’on appelle homo sapiens) a créé des structures extraoridnaires (villes, monuments, réseaux routiers et ferrovières), et récemment un structure encore plus complexe (Internet).

    Tout tend à s’organiser, malgré des épisodes (parfois violents certes) de chaos.... smiley


    • Laurent MINGUET Laurent MINGUET 28 août 2006 18:28

      Cher Monsieur,

      Le chaos n’est sans doute pas le terme qui décrit le mieux l’augmentation de l’entropie de l’Univers.

      Ce que je veux dire est que dans toutes les étoiles de toutes les galaxies de l’Univers, la matière est dégradée dans un état énergétique de plus en plus bas en se transformant partiellement en rayonnement.

      Quant à l’Univers lui-même, il semble s’entendre indéfiniment comme une grosse boule de glace qui fond.

      Je crois qu’actuellement, les astrophysiciens sont partagés sur le fait que l’Univers soit en perpétuelle expansion ou si, après un certain temps, il se contractera pour revenir à son état initial d’ici quelques dizaines de milliards d’années.

      Nous n’aurons sans doute pas le loisir de le constater.

      Bien à vous

      Laurent MINGUET


    • alpha du centaure (---.---.1.1) 12 septembre 2006 17:52

      Plutôt que d’imaginer un recyclage des matières premières, je considèrerais la problématique sur un registre plus « commercial ». A savoir, quand un produit vient à manquer, la demande s’accroît, les prix montent pour en illustrer le besoin croissant.

      La montée des prix permet d’envisager des investissements plus lourds, des solutions plus audacieuses pour fournir le produit désiré (eau, électricité, pétrole, acier,...). On va donc forer plus profond, creuser des mines moins rentables, s’attaquer aux schistes bitumineux, redécouvrir le charbon, etc...

      L’offre du produit, dont la ressource pouvait être estimée finie, voit son potentiel augmenter. Et sa valeur va se régulariser.

      La croissance va, elle, augmenter car les moyens de production vont s’améliorer au fur et à mesure que les défis vont croître.


  • gem (---.---.117.249) 29 août 2006 13:42

    Pas mal, cet article. Je crois néanmoins qu’on peut défendre ce bon vieux PIB : comme son nom l’indique, il n’a pas prétention à calculer le stock, mais la production, la maintenance, l’activité.

    Peut-être parce que l’activité productive est un indice significative de la richesse détenue, ou bien peut-être que l’activité est, socialement parlant, une fin en soi, indépendamment de la richesse produite (voir la fameuse mystique de l’EMPLOI).


Réagir