De la valeur au prix : une des clés d’interprétation du mode capitaliste de production
Ayant à constater la fascination que semble exercer sur la société française actuelle la recherche d’une baisse des coûts sur les marchés de consommation, Alexandre Mirlicourtois attire notre attention sur ce qu’il appelle le risque déflationniste. D’une certaine façon, il considère qu’il y a de l’irresponsabilité, pour tout un chacun, de défendre son pouvoir d’achat en recherchant les prix bas et en acceptant, sans doute, que les produits qu’il va privilégier seront de qualité moindre…
En conséquence de quoi, les productions françaises de qualité seraient découragées, voire anéanties :
« Car c’est bien la relative indifférence des consommateurs à l’égard de l’origine des produits qui permet aux distributeurs de casser les prix en se fournissant dans les pays à bas coût. C’est bien ce qui explique l’effondrement de nos filières du textile, de l’habillement, de l’électronique grand public et du petit électroménager. »
De fait, il semble qu’en mode capitaliste de production, la concurrence doive tout d’abord porter sur les coûts de production : se fournir en matières premières et en outils au moindre coût, et obtenir les meilleures compétences aussi bien que le travail basique pour un salaire calculé au plus juste… Ensuite vient l’étape de la commercialisation à l’occasion de laquelle la bagarre sur les prix de vente peut avoir lieu, mais sur la base de ce qu’ont été les coûts de production et en prenant en compte la marge que doit fournir l’exploitation de l’être humain par l’être humain, élément déterminant de l’accumulation du capital…
Toutes les valeurs économiques (matières premières, instrument de production, salaires) se résolvent en un certain temps de travail qui, lui-même, exige de pouvoir se reproduire de jour en jour à travers le « pouvoir d’achat » du travailleur, qui est ce qui lui reste – pour sauver sa peau et celle de ses enfants – par-delà la part de richesse qu’il a produite pour autrui, c’est-à-dire pour le capital… Or, cette affaire de « partage » n’est pas qu’individuelle : elle renvoie aux rapports de classe qui se sont établis, sur la durée, à l’intérieur d’une société donnée. Le degré de soumission des classes travailleuses aux classes exploiteuses et à leurs alliées varie d’un lieu à un autre d’une époque à une autre…
Quant aux produits eux-mêmes, s’ils renferment une valeur économique équivalant aux différents temps de travail qui leur ont été consacrés, ils ne s’affichent par sur le marché avec cette valeur-là : ils ont un prix… qui peut varier selon les circonstances du moment.
Or, ce prix a, en quelque sorte, un effet rétroactif… Il signe la viabilité effective du projet dont le produit est le résultat. Vendu trop peu cher, ce produit ne rémunérera pas tous les éléments dont il est la synthèse : matières premières, instruments de production, travail, marge… Ainsi, à sa façon et sans très bien le savoir, le consommateur avide de prix bas participe à la mise à néant d’anciens projets qui ont parfaitement réussi jusqu’à ce moment où la concurrence par les prix les tue…
Dans le langage d’Alexandre Mirlicourtois, voici ce que cela donne :
« La success-story du low-cost et du hard discount n’est pas sans danger. Si dans un premier temps la baisse des prix ravit les consommateurs, la déflation est un poison mortel. C’est un cercle vicieux qui réduit le prix et la qualité des biens autant que la valeur du travail. »
Or, c’est bien cette « valeur du travail », c’est-à-dire, dans ce propos-là, le prix payé pour une certaine durée de travail qui détermine l’ensemble des échanges économiques, et ce prix reflète le niveau d’exploitation du travail d’une population donnée, c’est-à-dire qu’il rend directement compte du rapport de force qui s’est établi entre le travail et le capital… et qui s’étage selon les diverses qualifications, tout en subissant toutes sortes de secousses.
C’est également ce dont Alexandre Mirlicourtois se soucie, mais, bien sûr, sans avoir à y mettre la moindre touche marxiste :
« Offrir des prix bas toute l’année veut dire aller encore plus loin dans les délocalisations, mettre sous pression perpétuelle les sous-traitants et les salariés, remplacer chaque fois que possible, des emplois qualifiés par des emplois non qualifiés. La spirale déflationniste du low cost, est ce bien le meilleur moyen de redynamiser l’économie française ? Cela mérite que l’on y réfléchisse. »
En effet, la guerre dont l’Allemagne sort désormais victorieuse n’est peut-être pas celle que l’on croit.
NB. Cet article est le vingt-huitième d'une série...
« L’Allemagne victorieuse de la Seconde Guerre mondiale ? »
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