Dépenses sociales : ce que la mauvaise foi de Dominique Seux dit de France Inter
Si, depuis la rentrée, France Inter a injecté un peu de pluralisme économique en faisant débattre Dominique Seux avec Thomas Piketty le vendredi, le reste de la semaine, c’est le Directeur délégué des Echos qui peut réciter seul son catéchisme économique, faisant de la station une sorte de Radio Medef. Nouvel exemple avec la présentation biaisée de l’étude de l’OCDE sur les dépenses sociales.
Le mécompte des dépenses sociales
Il faut reconnaître à Dominique Seux une certaine habileté pour défendre la doxa improprement appelée néolibérale. L’OCDE indique bien que la France est « médaille d’or » des dépenses sociales, malgré des remises en perspective éclairantes, passées sous silence. Et dans ces conditions, cela permet facilement au journaliste de railler ceux qui dénoncent la soumission aux idées dites néolibérales. Ceci pose le problème du terme néolibéral, inapproprié à la critique du système actuel, qu’il décrit mal, et en introduisant des biais au débat favorables à ses défenseurs, comme cet épisode le montre bien. Car si l’étude de l’OCDE indique bien que la France a le plus fort niveau de dépenses sociales, elle est plus nuancée que Dominique Seux ne le dit, avec de nombreux apports qu’il passe sous silence.
En effet, Dominique Seux n’a retenu dans son éditorial que la première donnée, sur les dépenses sociales publiques, où notre pays se distingue par un montant supérieur à 30%, le plus élevé de tous les pays. Mais, comme je l’avais déjà montré en 2013, ce chiffre n’a qu’un intérêt limité puisqu’il compare des choux et des carottes, car les pays ont fait des choix très différents pour le financement des dépenses sociales, certains, comme la France, choisissant un système essentiellement public, quand d’autres, comme les Etats-Unis, se reposent davantage sur la dépense privée. Sur la santé, les dépenses publiques sont très proches des deux côtés de l’Atlantique, 8,5% du PIB en France, 8,4% aux Etats-Unis, mais il y a une immense différence sur les dépenses privées (obligatoires ou volontaires). Alors que notre pays consacre un peu plus de 11% du PIB à la santé, aux États-Unis, le chiffre atteint 17,7% du PIB.
Tout l’intérêt de la note de l’OCDE est justement de mesurer la dépense sociale plus complète, en ajoutant une grande partie de la dépense privée, ainsi que son effet fiscal. Ainsi, si la France conserve la première place, il faut souligner que les Etats-Unis passe alors de la 21ème à la 2ème place du classement, à près de 30% du PIB, contre un peu plus de 31% pour la France, relativisant grandement le commentaire de Dominique Seux, qui avait affirmé que nous dépensions « bien plus qu’aux États-Unis »… De même, si la France consacre 13,6% de son PIB pour les retraites publiques, contre seulement 7% aux États-Unis, l’écart s’explique par le fait que les étatsuniens consacrent à peu près la différence pour des systèmes privés, essentiellement volontaires, qui pèsent à eux seuls plus de 5% du PIB.
Mieux, pour qui rentre dans le détail de la méthodologie, l’OCDE reconnaît ne pas couvrir l’ensemble des dépenses sociales privées, excluant notamment les « dépenses de poche » des citoyens. Comme les États-Unis consacrent 17,7% de leur PIB à la santé, sur la base des chiffres de l’OCDE (8,4% de dépenses publiques, 0,8% de dépenses privées volontaires et 5 à 6% de dépenses privées obligatoires), il reste 2,5 à 3,5% du PIB de dépenses sociales de santé non couvertes, qui font passer les Etats-Unis devant la France ! Résultat, Dominique Seux aurait pu conclure que les Etats-Unis ont des dépenses sociales plus élevées que nous si on prend en compte les dépenses privées ! Et l’OCDE note que tout pris en compte, « le niveau des dépenses sociales devient plus similaire entre les pays ».
Dominique Seux fait preuve de légèreté dans son compte-rendu de la note, en occultant la deuxième partie qui aurait dû modérer son propos. En outre, on aurait pu attendre d’un Directeur des Echos le complément d’analyse que j’ai réalisé, qui va encore plus loin dans la remise en perspective des chiffres de dépenses sociales publiques, même s’il est clair qu’elles restent importantes en France. Les Echos ne devraient-ils pas aller au-delà sur la surface des sujets économiques ? Ici, il est pris en flagrant délit de parti-pris idéologique et de compte-rendu partiel et partial d’une étude qui offrait pourtant un matériel intéressant, qui nécessiterait d’être creusé davantage pour aboutir à une comparaison complète, prenant aussi en compte le niveau des retraites ou de la santé que produisent les différents systèmes…
Et il est tout de même assez incroyable que la première radio de service public offre un discours si biaisé sur l’économie, au détriment même du service public dont France Inter fait partie ! La parole économique sur Radio France devrait être bien plus diverse et ouverte. Il est assez effarant d’avoir l’impression d’écouter Radio Medef alors que le service public devrait inciter à la réflexion…