jeudi 30 mai 2013 - par Pierre-Charles Mattheo

Des entreprises françaises ? Really ?

L’ancrage national des entreprises françaises est de plus en plus présenté comme un attribut de leur vertu par temps de crise. En maintenant leur activité en France, elles feraient montre d’un certain sens de l’intérêt collectif, pour ne pas dire de « fibre patriotique ». Mais aujourd’hui, qu’est-ce une entreprise vraiment française ?

Alors qu’en France, les effets destructeurs de la crise se font toujours plus sentir, les entreprises grandes et petites sont de plus en plus jugées pour leur capacité à faire preuve de « patriotisme économique ». Maintenir la production sur le territoire hexagonal devient un argument de vente, mais les difficultés économiques combinées à l’étau fiscal qui se resserre progressivement conduit certains chefs d’entreprises à faire des choix qui rendent très ambigü le sens de leur estampille « made in France ».

Rester en France, un enjeu de « patriotisme économique »

En France, en 2012, la production manufacturière a reculé de 2,7 % et la production industrielle de 2,2 % d’après les chiffres de l’INSEE. « Nous sommes dans une dynamique de croissance qui n’est pas bonne  », commente Jean-François Ouvrard au nom de l’INSEE dans les colonnes de L’Express. Aucun secteur n’est épargné : la fabrication de matériel électrique et électronique recule de 2,3 %, la construction de 3,1 %, la production de matériel de transport de 3,9 %, la cokéfaction et le raffinage de 13,8 %... Depuis 2008, l’INSEE estime que la production manufacturière a globalement chuté de 13 %.

À la clé de ce decrescendo économique, il y a des fermetures de sites et d’innombrables destructions d’emplois. Tout indique que cette tendance s’intensifiera inexorablement en 2013 et pourtant, les pouvoirs publics tentent de l’endiguer. Alors que le taux de chômage atteignait les 10,6 % en février 2013, le gouvernement tentait d’assouplir le fonctionnement du marché du travail. La loi sur la sécurisation de l’emploi a ainsi été conçue pour mettre à niveau le marché du travail français et rapprocher ses standards de ceux des voisins européens qui s’en sortent mieux. L’objectif in fine est bien sûr, selon le gouvernement, de faciliter le recrutement et le licenciement pour les entreprises afin qu’elles ne délocalisent pas.

Depuis quelques mois, les pouvoirs publics semblent d’ailleurs engagés dans une véritable course contre les délocalisations. On supplie en effet les décideurs de bien vouloir maintenir leurs sites de production en France. Les arguments présentés aux entreprises rivalisent d’ailleurs d’ingéniosité, comme en témoigne une analyse proposée dans les colonnes du Monde par Philippe Jacqué. Les grands laboratoires grandeur nature que sont PSA et Renault pourraient ainsi tout à fait « maintenir leur production en France » à condition de « monter en gamme » et de concurrencer l’Allemagne. Une thèse qui n’a pas manqué de faire écho dans l’esprit d’Arnaud Montebourg, ministre du Redressement Productif, qui contestait violemment en juillet 2012 la décision de PSA de supprimer 8 000 postes en France et de fermer l’usine d’Aulnay-sous-Bois.

Rester en France et y produire apparaît comme une question de patriotisme économique pour le gouvernement, confronté à une crise historique. Le cas PSA est révélateur des faiblesses de l’approche cependant. Car si Arnaud Montebourg jugeait « inacceptable » le choix de PSA de fermer un site de production à l’époque, il semblait oublier par là que Renault, l’autre grand constructeur automobile français duquel l’État est même actionnaire, produisait à l’étranger plus de 80 % de ses automobiles tout en continuant de se présenter comme un constructeur français.

« L’entreprise française », une posture politiquement correcte

Aujourd’hui, être reconnu comme une entreprise française revient à afficher sa solidarité avec la France, et son engagement économique au profit de la collectivité. À l’image de Renault, d’autres entreprises, de toutes tailles, profitent d’une réputation « française » des plus positives malgré leur implication toute relative dans le tissu économique du pays. Smartbox, ex-leader français des coffrets cadeaux, illustre aussi ce triste paradoxe. L’entreprise se présente en effet volontiers comme une success-story française. Mais si le siège de la marque se situe bien à Courbevoie, en région parisienne, ses call-centres sont implantés au Maroc et sa maison-mère Smartbox Experience Ltd est domiciliée en Irlande. Après avoir fait face à un ralentissement de son activité, l’entreprise qui a tout de même vendu 1,5 million de coffrets-cadeaux en 2011, licenciait 90 employés français à l’issue d’un plan social déclaré en avril 2012. Quelques jours plus tard, l’Irish Times saluait la création par Smartbox de 70 postes à Dublin. De quoi laisser pantois les salariés français restés sur le carreau.

Mais après tout, certaines entreprises bien moins fragiles font preuve d’encore plus de véhémence à se présenter comme françaises en dépit de leur propension à délocaliser certaines de leurs activités stratégiques. Les entreprises du CAC 40 affirment, ne serait-ce que par leur présence à la bourse de Paris, leur identité française. Pourtant, rappelle le magazine Alternatives Economiques, « les entreprises françaises du CAC 40 sont fortement présentes dans les pays offrant des services financiers de type “paradis fiscaux” ». Ces entreprises possèderaient ainsi quelque « 15 000 filiales offshores réparties sur près d’une trentaine de territoires, des Bermudes à la Suisse en passant par Malte et Panama, et le Royaume-Uni ». Et ce faisant, les portes-étendards de l’industrie et de la finance française s’assurent de ne payer qu’un minimum d’impôts en France, ce qui ne les empêche pas de revendiquer leur filiation nationale avec un pays dont l’État flirte avec la faillite. Question d’image, sûrement.

Développement offshore, suppressions d’emplois par des entreprises profitables, est-ce à cela, la forêt qui se cache derrière l’arbre du patriotisme économique ? Début avril, des députés ont déposé une proposition de loi « sur la reprise des sites rentables qui impose à un chef d’entreprise des obligations d’information et de recherche d’un repreneur lorsqu’il veut se séparer d’un site  », rapporte Libération. A défaut d’endiguer la vénalité sans fond de quelques entreprises, voilà qui devrait, au moins, réformer un système qui encore aujourd’hui, leur facilite la tâche.



3 réactions


  • Rincevent Rincevent 30 mai 2013 23:53

    Le secteur automobile est vraiment emblématique de la situation actuelle. Pourquoi Peugeot est-il plus en difficulté que Renault ? Parce qu’il n’a pas délocalisé assez tôt ni assez vite, c’est comme ça dans le grand mécano mondial actuel… Et celui qui aurait dit, il y a quinze ans, que Renault prendrait le contrôle d’un constructeur japonais serait passé pour un fou à l’époque !

    Mais qu’est-ce qui intéresse, aujourd’hui, celui qui cherche du travail en France ? La nationalité officielle de l’employeur ? Non, au diable les « fleurons de l’industrie française » qui fleurissent partout sauf sur le territoire national. Par contre quand Toyota embauche à Ornain pour fabriquer des Yaris hybrides avec le label Made in France obtenu avant nos constructeurs « nationaux » comment s’y retrouver dans la notion de patriotisme économique ?


  • spartacus spartacus 31 mai 2013 10:19

    Présenter celui qui délocalise comme « véniel » correspond a une ignorance de l’entreprise et à la mentalité actuelle qui se réfugie derrière la fabrication de l’entrepreneur bouc émissaire.


    Projet de loi «  sur la reprise des sites rentables qui impose à un chef d’entreprise des obligations d’information et de recherche d’un repreneur lorsque qu’il veut se séparer d’un site »...
    Une belle introduction de message politique. Un bien beau brassage de mots qui sonnent bien. Un bien beau racisme anti antrepreneur.
    Une continuité de message politique sur une fabrication de haine de l’entreprise, une continuité de messages haineux de l’entrepreneur bouc émissaire de tous les problèmes.
    Un bien beau message pour demander aux entreprises de ne jamais investir en France.
    Pays ou l’



  • Ruut Ruut 31 mai 2013 14:28

    Le fabriqué en France c’est juste l’artisanat, le reste, la règle est toujours la même, plus c’est gros, si c’est coté en bourse, c’est délocalisation massive.


    Une grosse entreprise ne respecte ses employés que lorsqu’elle as un patron.
    Lorsque les actionnaires sont les patrons, c’est le début de la fin pour les conditions de travail.

    A notre époque mettre une entreprise en bourse, c’est commencer sa destruction sociale.


Réagir