Dette : « dépenser plus pour pouvoir être réélu »
Dette : l’exemple français
Le président de la Cour de comptes, Philippe Seguin, vient encore de frapper. Pour nous dire que, côté dette, rien ne s’arrange et qu’il ne croit pas une seconde à ce que nous puissions revenir à un budget équilibré en 2012 comme notre président s’y est pourtant engagé auprès de la Commission de Bruxelles à plusieurs reprises. Un doute que je partage totalement à l’examen des comportements de nos hommes politiques de droite comme de gauche, tous acquis au "dépenser plus pour pouvoir être réélus".
Les chiffres sont en effet têtus et ne montrent pas une quelconque efficacité des politiques mise en œuvre depuis l’élection de notre président. Jugez en plutôt ci-contre. Nos dépenses publiques continuent à se situer au-dessus de la moitié du chiffre d’affaires global (le PIB) du pays et sans infléchissement à la baisse. Là où les autres pays européens essayent avec quelques succès de les diminuer comme l’Allemagne en particulier. Même les pays nordiques réputés pour leur forte protection sociale et leur taux d’imposition très lourd ont fait des efforts dans ce domaine. Non pas en diminuant ces services, mais en trouvant d’autres moyens de les rendre à moindre coût et surtout en diminuant le train de vie de l’Etat.
Avez-vous vu le début du commencement d’un tel effort chez nous ? Que nenni ! Nous continuons à attendre comme le messie l’arrivée du point de croissance supplémentaire que notre président nous a promis d’aller chercher avec les dents. L’ennuyeux c’est que la croissance ne se décrète pas et qu’elle passe par l’amélioration de la compétitivité des entreprises, une notion que nos hommes politiques - et nos syndicats - semblent totalement ignorer.
Notre dette en est ainsi arrivée aux 1 200 milliards d’euros, soit 47 000 euros par Français actif et le seul service de la dette (les intérêts des sommes qui nous sont prêtés uniquement) se montent à un mois de salaire par Français actif en moyenne. Pour équilibrer le budget en 2012, il faudrait donc trouver des économies de l’ordre de 47 milliards d’euros dans nos budgets annuels, alors que la seule charge des intérêts, qui a plutôt tendance à être à la hausse avec celle des taux, est déjà de 52 milliards et que le programme de Revue générale des politiques publiques (RGPP) n’a identifié d’économies que pour 6 milliards environ. Autant dire qu’elle est hors de portée sauf retournement de la conjoncture.
L’ennui c’est que la France semble être le seul pays à ne pas avoir profité de la conjoncture porteuse de ces dernières années là où des pays comme la Grèce ou le Portugal l’ont fait, pour rétablir l’équilibre de nos finances. Nous, apparemment, avons continué sur la voie du gaspillage. Il sera difficile d’avoir un minimum de crédibilité dans ces conditions pour mener l’Europe ces six prochains mois.
Etait-il possible de faire autrement, me direz-vous ? Apparemment oui, comme d’autres pays l’ont fait ces dernières années dont je vous reparlerai ces jours suivants. Mais bien sûr avec du courage politique pour ceux qui l’ont fait et des efforts pour le peuple qui ont eu à subir ces rééquilibrages. Il est facile de fustiger le "traitement purement financier" des problèmes comme nos politiciens se plaisent à le faire, et c’est sans doute possible sur une période limitée de temps, mais comment à terme peut-on faire autrement ? En particulier lorsqu’on a reculé devant l’obstacle et l’effort depuis vingt-cinq ans ?
Autre point délicat dans la gestion financière du pays, nous avons, avec la loi de décentralisation Raffarin, créé de nouveaux pouvoirs de dépenses, les régions, qui se sont empressés de les utiliser à plein pour combler, il est vrai des besoins que la centralisation n’avait pas su adresser. Mais les dépenses, financées par l’emprunt, sont bien là et viennent s’ajouter à celle du budget de l’Etat et de la dette globale. Alors que les responsables de cette dette, vos élus locaux, ne sont pas considérés comme responsables de ces dépenses nouvelles. Une situation finalement proche de celle de l’Allemagne et de ses Landërs, eux aussi grands amateurs de déséquilibres financiers.
Voilà donc où nous en sommes et ce n’est malheureusement pas brillant. D’autant plus que nous ne voyons aucun signe de changement de politique dans un monde politique très bling-bling, à droite comme à gauche.
Dette : l’exemple portugais
Nous ne sommes pas les seuls en Europe et ailleurs à vivre au-dessus de nos moyens et à dépenser plus que nous ne gagnons. La solution traditionnelle qui consistait à dévaluer la monnaie n’étant plus à notre portée du fait de l’euro, il faut impérativement en revenir un jour ou l’autre à l’orthodoxie financière et à ne dépenser que ce que nous gagnons. Mais voilà, nous, Français, habitués depuis vingt-cinq ans à vivre à crédit, ne savons pas comment faire.
J’avais eu l’occasion de signaler dans ce blog la méthode canadienne qui a consisté, dans une situation financière semblable à la nôtre, à repartir de la feuille blanche en quelque sorte et à se reposer la questions des missions régaliennes qui doivent impérativement rester dans le giron de l’Etat et être assurées par ses fonctionnaires, de celles qui, tout en restant sous la responsabilité de l’Etat, peuvent être assurées en faisant appel au privé et de celles qui n’ont plus de raison d’être assurées par l’Etat. C’est grâce à cette méthode qu’il y a dix ans environ l’Etat Canadien a pu rééquilibrer dépenses et recettes et graduellement rembourser la dette colossale, semblable à la nôtre, qui l’étouffait. Vous pouvez encore aller voir comment fonctionne cet Etat. Il fonctionne toujours, dix ans plus tard, sur la base d’un budget en équilibre ! Bravo !
Plus près de nous, la même mésaventure budgétaire touchait le Portugal, qui, en 2005, s’était retrouvé avec un déficit d’exécution de son budget de 6,1 % de son Produit national brut et une dette de 64,7 % de ce PNB. En d’autres termes, huit mois de travail de tout le pays pour rembourser la dette à ses créanciers !
C’est alors qu’est arrivé au pouvoir un socialiste, José Socratés, qui a jugé le problème de la dette suffisamment grave et invalidant pour le pays pour décider de s’y attaquer avec vigueur. Les résultats sont là. Deux ans plus tard, en 2007, le déficit public était tombé à 2,6 % et, en 2008, il est prévu tomber à 2,2 %. Quant à la dette, elle est en légère régression à 63 % environ. Autre particularité, la Sécurité sociale portugaise est en excédent d’1,2 milliard d’euros !
Le diagnostic de José Socratés sur la situation quasi désespérée du pays était qu’elle était due au fait que le pays croulait sous la charge de son administration et du poids de ses institutions et organismes. 700 000 fonctionnaires pour 10 millions d’habitants, soit en termes équivalents pour la France et sa population de 60 millions d’habitants, 4,2 millions de fonctionnaires, un chiffre inférieur pourtant aux effectifs actuels. Et pas moins de 568 organismes publics ou para-publics, instituts ou commissions diverses.
José Socratés considéra que le problème de la dette était suffisamment critique et invalidant pour le pays pour qu’il décide de devoir s’y attaquer en premier. Il décida de ne remplacer qu’un fonctionnaire partant en retraite sur deux et de diminuer le nombre de postes de direction dans la haute administration de 25 %. Il supprima également pas moins de 187 organismes publics. Enfin, il fallut désormais faire preuve de son mérite et de sa compétence pour avoir droit à des augmentations et promotions. Gageons qu’il a dû réduire également sensiblement les avantages qui vont avec les postes.
Côté recettes, le TVA passa de 19 à 21 % avant de revenir ces jours derniers à 20 %. Quant à l’âge de départ en retraite, il a été fixé à 65 ans et s’ajustera automatiquement en fonction de la progression de l’espérance de vie.
Comme vous pouvez l’imaginer, tout ceci ne s’est pas fait sans des manifestations multiples de ceux que ces mesures touchaient. Je ne peux pas vous promettre, d’ailleurs, que José Socratés sera réélu triomphalement aux prochaines élections, mais au moins il aura fait le travail de nettoyage des comptes qui était indispensable et laissera place à peu près nette à son successeur.
Nous sommes, en France, dans une situation financière équivalente qui avait été prise en compte (un peu) dans les débuts de la campagne présidentielle avant de tomber aux oubliettes. Sans doute était-ce un sujet trop "difficile" pour les Français ou trop risqué pour les candidats. Depuis, vous n’en avez quasiment plus jamais entendu parler. On hésite même à dire qu’effectivement "il n’y a plus d’argent dans les caisses" pour ne pas affoler les électeurs. On est passé du remplacement d’un fonctionnaire sur trois à un sur deux. On n’a toujours pas conclu sur l’avancement de l’âge de la retraite d’un petite année à 61 ans, et notre Sécurité sociale est toujours largement en déficit sans que nous ne sachions comment équilibrer les comptes sans grève générale. Enfin, on a l’impression que l’on crée tous les jours de nouveaux organismes, Hautes Autorités, Centre d’étude de ceci ou de cela, sans jamais faire le compte de ceux existants, s’assurer que le nouvel organisme ne fait pas doublon avec des organismes déjà existants ni bien sûr en supprimer. Avec les avantages statutaires qui vont avec car, bien sûr, ces messieurs, comme on dit chez l’Oréal, "le valent bien" !
Quant au train de vie de l’Etat que vous financez, c’est toujours bling-bling...
Dette : l’exemple allemand
L’Allemagne, elle aussi, a des problèmes de déficit public supérieur aux exigences du traité de Maastricht de 3 % maximum du Produit intérieur brut. Elle s’est également attaquée à le maîtriser, en même temps que la France, du temps des gouvernements Raffarin et De Villepin. Mais, contrairement à nous, avec succès puisqu’elle est "rentrée dans les clous" du traité et surtout qu’elle poursuit l’effort pour arriver à un budget totalement équilibré en 2010. Il est vrai que son ministre des Finances, issu du gouvernement de coalition et socialiste, est intraitable sur le sujet et fortement soutenu par Angela Merkel. Il a donc acquis une vraie crédibilité sur ces objectifs.
L’Etat allemand souffre de la difficulté structurelle et organisationnelle d’avoir deux sources de dépenses indépendantes, l’Etat fédéral et les Landërs, les régions, qui ont en principe toute liberté pour fixer leurs budgets. La conjugaison de ces deux libertés budgétaires fait qu’il est difficile de gérer un budget global et un déficit qui se calcule globalement au niveau de la nation. Une situation qui est très proche de celle de la France depuis que nous avons créé les régions et leur avons donné leur indépendance budgétaire.
Sur le plan industriel, le patronat allemand et ses syndicats ont pris le taureau par les cornes et se sont attelés avec l’aide du gouvernement à améliorer leur compétitivité, en revenant parfois sur des avantages salariaux et statutaires et en particulier sur la durée du temps de travail. Effort dont nous avons vu quelques effets dans les usines françaises de certaines sociétés allemandes qui ont appliqué les mêmes principes avec l’assentiment des syndicats locaux et du personnel (Bosch à Venissieux, etc.). C’est d’ailleurs cet effort du secteur industriel qui a permis à l’Allemagne un retournement spectaculaire de sa balance des paiements.
Sur le plan de la gestion des finances publiques, l’idée est d’arriver à un équilibre budgétaire sur l’ensemble d’un cycle économique. Car, effectivement, il y a des années fastes et des années difficiles comme celles que nous vivons actuellement et également des cas de force majeure qu’il faut bien assumer.
Le gouvernement envisage donc d’instituer au plus haut niveau de la Constitution, la Loi Fondamentale article 109, des obligations de déficit maximum sur l’année (aux alentours des 3 %), sur un cycle économique à définir (on parle d’un déficit de 0 à 0,75 % maximum), ou sur les deux. Et pour pouvoir le respecter dans leur système de budget de dépenses indépendant entre Etats, Landërs, et Sécurité sociale, de mettre en place un "Conseil de stabilité" regroupant à parité représentants de l’Etat (Bund) et des Landërs.
Ce sont les propositions communes du chef du groupe SPD au Bundestag et du président du Bade Wurtemberg, CDU, Günther Ottinger à la commission de réforme du fédéralisme. Planning des activités de cette commission : propositions définitives à faire approuver par le Bundestag aux deux tiers des votants en octobre/novembre et par le Bundesrat qui représente les régions début 2009.
Objectif fondamental : ne pas faire supporter aux générations futures la charge des inconséquences de gestion de la génération actuelle ! On peut rêver.
Bravo l’Allemagne en tout cas... et à quand une telle remise en cause intergénérationnelle en France ?
Crédit image : Michaelski