Du plombier polonais au couvreur ukrainien
Rappelez-vous ! C’était pendant le long débat sur le TCE. Le thème du plombier polonais était devenu une obsession, confinant au mythe, cristallisant les peurs de voir prochainement dans notre pays des emplois menacés, surtout dans le domaine de l’artisanat et de certains services, délaissés par notre jeunesse. S’y exprimait la crainte d’une régression salariale, due à la concurrence d’une main-d’oeuvre moins exigeante sur le plan salarial, moins regardante vis-à-vis du droit du travail, du fait de la porosité des frontières, de la libre circulation de la main-d’oeuvre.
Le débat
s’est apaisé, provisoirement peut-être. Mais, paradoxalement, dans le pays où
nous nous y attendions le moins, qui était devenu notre bête noire, se pose à peu
près le même problème que chez nous, toutes choses égales par ailleurs, du
fait notamment du rapide développement de l’immobilier et du départ de
quantité d’artisans attirés par les salaires d’outre-Manche. Dans le domaine de
la construction, on cherche des électriciens, des ingénieurs, des
architectes. Le pays s’est littéralement vidé d’une main-d’oeuvre
spécialisée dans le domaine de la
construction,attirée par des salaires parfois quatre fois plus élevés en
Angleterre, ce qu’on appelle parfois la "ruée vers l’ouest"... Depuis
peu, le marché polonais de la construction connaît un boom impressionnant, et
les jeunes Polonais ne sont pas plus attirés que les petits Français par ces
métiers considérés comme ingrats et mal payés, même si les salaires ont tendance
à augmenter, du fait même de la pénurie.
De ce
fait, la nature ayant horreur du vide, la Pologne fait appel aux pays voisins.
Pour pallier le manque de main-d’oeuvre, les petites entreprises, souvent des
sous-traitants, embauchent des
Ukrainiens, des Biélorusses, et même des Roumains, ce qui oblige le gouvernement
polonais à revoir le dossier concernant la main-d’oeuvre étrangère. Les besoins
sont évalués à environ 200 000 ouvriers dans l’immédiat. Si déjà quelques
milliers d’Ukrainiens sont officiellement détenteurs d’un visa de travail, il y
aurait sur le territoire polonais entre 60 000 et 200 000 travailleurs
saisonniers de ce pays travaillant sur les chantiers ou dans l’agriculture.
D’où
peut-être bientôt une "nouvelle ruée vers l’ouest"... dans l’attente d’autres encore ? Le jeu de dominos aura-t-il une fin, car on peut toujours trouver plus à
l’Est de quoi satisfaire un marché du travail totalement instable, en
perpétuelle restructuration. On peut toujours trouver moins cher.
En
France, le 1er janvier 2007, Roumains et Bulgares bénéficieront non pas
d’une libre circulation, mais d’une ouverture
partielle du marché du travail concernant certains métiers déficitaires,
essentiellement dans le bâtiment, la restauration, l’agriculture, le commerce
et la vente. L’autorisation de travail subsiste, mais elle est simplifiée.
Pour
l’instant, il semble que le problème de main-d’œuvre étrangère ne suscite pas de débat passionné en Pologne,
mais celle-ci sera-t-elle vraiment contrôlée, et
comment réagiront tous ces bras qui vont quitter l’agriculture, dès lors que se
posera le problème douloureux de sa restructuration/modernisation ? Il
semble aussi que cette fuite en avant ne soit pas accompagnée d’un effort de
formation adéquat, et c’est là que le bât blesse. De plus, cet appel de main-d’œuvre
venant de l’Est va produire forcément à terme un nouveau déséquilibre dans un
pays comme la Roumanie, qui va rapidement se développer et requérir des
compétences, notamment pour les
entreprises de l’Ouest qui y font leur
miel.
Les
euro-optimistes diront que ce processus est sain et normal, et que le marché,
toujours providentiel, finira par établir un équilibre dans lequel les salaires finiront par s’ajuster
mutuellement, après une période d’instabilité créatrice, liée aux inégalités
provisoires de développement.
Mais peut-on partager ce qui n’est peut-être qu’une conviction discutable, si l’Europe, ou ce qui en tient lieu actuellement, ne réfléchit pas au long terme et ne réglemente pas ce processus sans fin apparente, générateur d’instabilité et de frustrations sociales ?
Source : Célia Chauffour- Le Monde (30 octobre 2006)