mardi 17 décembre 2013 - par alain-desert

Economie : instabilité, effets non-linéaires. Et les politiques dans tout cela !

Les sociétés deviennent de plus en plus structurées, interdépendantes, en particulier les économies des pays développés et émergents qui de niveau d’intégration en niveau d’intégration, enrichies de nouveaux organes de régulation, de nouvelles institutions, multiplient les relations entre les éléments qui les composent, accroissant ainsi les interactions et conduisant inéluctablement à l’édification de systèmes de plus en plus complexes. Alors comment agir dans un monde qui se complexifie ? C’est un des enjeux majeurs qui se profile devant nous, et nos dirigeants devront changer radicalement leurs modes de pensée pour ne plus penser local, mais global.

Quelle différence y a-t-il entre un objet (ou système) compliqué et un système complexe ? Comment aborder la réalité complexe, l’analyser, la comprendre, et disposer des meilleurs outils pour agir ? La complexification du monde, des économies en particulier change la nature des systèmes qui ne répondent plus, ou moins qu’auparavant aux principes de causalité [*]  et de linéarité [*]

Dans le cadre d’une approche systémique [*] appliquée à l’économie, celle qui me paraît la plus appropriée aujourd’hui et qui malheureusement est peu utilisée, je limiterai le propos de cet article en regardant uniquement comment la complexité d’un système en général, produit et subit des effets de non-linéarité [*], dont peu de politiciens et économistes sont conscients et prennent en compte dans leurs décisions. Des décisions qui sont souvent basées sur des hypothèses et des prévisions erronées, résultats de méthodes classiques de type analytique, et ne prenant pas en compte ou pas suffisamment ces phénomènes.

Tout d’abord il peut être nécessaire de passer par la case « définitions » pour lever toute ambiguïté sur la terminologie utilisée (plus de définitions à la fin de l’article).

C’est quoi un objet ou un système compliqué ?

Un objet ou un système compliqué est doté d’un nombre important de composants, qui peuvent être eux-mêmes compliqués, souvent liés entre eux, exigeant bien souvent un certaine expertise pour le comprendre, le gérer, le réparer, le piloter, … (exemples : voiture, avion, train, téléviseur).

C’est quoi un système complexe ?

On trouvera plusieurs définitions chez les auteurs qui se sont intéressés à la complexité et à l’approche systémique (Edgar Morin, Jean-Louis Lemoigne, Joël de Rosnay, …). Joël De Rosnay a apporté une définition qui a le mérite d’être simple et claire, celle que je retiens :

Un système complexe est un ensemble composé de nombreux éléments en interaction dynamique, organisé en fonction d’un but.

(Exemples : cellule vivante, être vivant, système écologique, système économique, système social, système monétaire)

C’est quoi la non-linéarité ?

La non-linéarité est une particularité d’un système dont le comportement n'est pas linéaire, c’est-à-dire qui ne satisfait pas à la propriété simple où les sorties sont proportionnelles aux entrées. Certains systèmes non linéaires peuvent même présenter un caractère chaotique.

On parle aussi d’effets non linéaires, caractérisés par des valeurs, des formes, etc…, qui ne sont pas directement proportionnelles à l'action appliquée en entrée du système.

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La complexification du monde, de l’économie en particulier, rend-il ce monde plus fragile ou plus vulnérable ? Cela mériterait en soi un développement à part. Si la réponse est « oui », pourquoi alors les complexifier davantage ? Si la réponse est « non » alors le risque n’est-il pas de perdre le contrôle de ces systèmes tant la complexité les rendra « incompréhensibles » non seulement aux yeux des citoyens, mais également aux yeux de ceux qui ont la charge de les faire évoluer, de les entretenir, de maintenir leurs équilibres. On voit nettement aujourd’hui avec la crise ce que sont les notions d’équilibre (ou déséquilibre), de stabilité (ou instabilité), dans les systèmes économiques. En cela, elle a été très pédagogique.

Aujourd’hui nos gouvernants nous offrent sur un plateau un bel exemple de complexité ; la fiscalité. Le gouvernement veut remettre à plat le système fiscal ; c’est évidemment une très bonne idée, mais on voit que le problème n’est pas simple, tout simplement parce qu’il s’agit d’un ‘objet complexe ‘ et qu’il n’est pas inutile tout d’abord de l’étudier avant même de le réformer. Sa complexité est telle que le premier ministre a avancé l’idée qu’il fallait au minimum un quinquennat voire 10 années pour tout remettre à plat. Une belle plaisanterie, une farce gouvernementale, qui impose plus que jamais à passer les idées politiques au tamis du réalisme. Au fur et à mesure de la mise à plat, le système a tout le temps de se complexifier davantage. Où est l’erreur ? La simplification ira-t-elle plus vite que la complexification ou bien l’inverse ?

On voit bien que nos politiques n’ont pas été formés au monde de la complexité et restent toujours ancrés sur des approches analytiques ou réductionnistes, celles qui deviennent insuffisantes lorsque le monde devient trop complexe. Une nouvelle approche est nécessaire, l’approche systémique  [*], rarement enseignée dans nos écoles, qui en rien ne vient concurrencer les autres approches mais plutôt les compléter.

Pour mieux comprendre la non-linéarité, le sujet essentiel de l’article, mieux vaut partir d’exemples.

  1. La fiscalité

Je reviens sur la fiscalité qui nous livre effectivement un exemple intéressant de non-linéarité. Vous avez sûrement entendu parler de la courbe de Laffer. Cette courbe a la forme d’une cloche et nous dit tout simplement qu’à partir d’un certain niveau de prélèvements obligatoires, les recettes de l’état diminuent si la pression fiscale augmente davantage (plus l’état augmente les impôts et moins il perçoit ! eh oui). Un beau paradoxe. C’est très simple, si le taux de prélèvements obligatoires est à 0%, l’état perçoit 0 euro ; si le taux de prélèvements obligatoires est à 100%, c’est déjà moins évident, mais il y a gros à parier que l’état percevra des sommes dérisoires, car qui est prêt à travailler (dans la légalité bien sûr) pour verser tout son revenu à l’état ? De cette vision, la courbe doit passer nécessairement par un maximum avant de décroître.

Vous avez certainement été alertés par les médias que l’état avait beaucoup de mal en ce moment à faire ‘rentrer’ l’argent et que le rendement de l’impôt s’essoufflait quelque peu. Jusqu’à présent la courbe de Laffer n’était qu’une théorie griffonnée sur un bout de papier, jamais expérimentée ; une vérité d’économiste jamais vérifiée et faisant souvent débat dans le microcosme économique.

La France est-elle en train aujourd’hui en grandeur nature d’expérimenter et vérifier cette théorie ? On peut le penser, car beaucoup de signaux clignotent, alertant sur le fait qu’on est sûrement proche du sommet de la courbe (rendement dégressif des recettes, travail au noir, travail gris, ras-le-bol fiscal, fraude, exil fiscal, etc..). Autant de phénomènes qui affaiblissent le rendement de l’impôt et font basculer sur l’autre versant de la courbe. Sur cette courbe, on voit bien qu’il y a toujours 2 niveaux d’imposition qui conduisent au même montant de recettes pour l’état. Il serait bien entendu assez agréable du point de vue du contribuable (et de l’efficacité économique) que le niveau choisi soit le plus faible. Les physiciens le diront, une théorie n’est réellement admise que si elle est validée par l’expérience. La France expérimente !

  1. La bourse

La bourse peut être considérée comme un sous-système d’un système global (le système économique). Elle assure un certain nombre de fonctions, mais il me paraît difficile de dire qu’elle est vraiment orientée vers un but contrairement à un être vivant qui lui a une finalité, celle de survivre.

Ce que j’énonce peut être nuancé si on pense que certaines banques centrales mettent sciemment en place des politiques monétaires orientées vers la valorisation des actifs et en particulier les actions (la FED serait un peu dans cette optique à travers ses opérations de Quantitative Easing, pour créer ce qu’on appelle « l’effet richesse »). Dans ce cas un élément externe oriente la bourse vers une direction, la hausse évidemment.

Lorsqu’on regarde les courbes d’évolution des indices boursiers, on a beaucoup de difficultés à trouver un type de réponse (au sens réponse du système à des actions appliquées à son entrée) par rapport à tous les facteurs influençant le « système bourse » sans cesse en mouvement. Je pense qu’on a bien affaire à un système non linéaire qui se prête peu à la prévision, justement à cause d’une dynamique qui répond à mon avis de moins en moins aux principes de causalité [*] et de déterminisme [*]. Le krach boursier est l’évènement type qui valide son caractère non-linéaire. Dans cette acception de « non-linéarité » appliquée à la bourse, on peut aussi dire que la ‘réponse’ n’a apparemment rien de très logique dans sa forme (difficile par exemple de voir des périodes d’équilibre, des effets de seuil [*], des effets de saturation [*], etc…) ; par contre on voit mieux les phénomènes de bulles. Elle valide l’équation :

« Instabilité + imprévisibilité = catastrophe assurée » (Ces sont les fameux krachs boursiers).

Le graphe représente l’historique du CAC40 sur 20 ans.

CONCLUSION

La nature est riche de systèmes complexes et de phénomènes non-linéaires, particulièrement dans les écosystèmes et chez les êtres vivants qui pour conserver leurs équilibres thermodynamiques sont dotés de mécanismes complexes capables de maintenir leurs paramètres physiologiques dans des fenêtres étroites (cas le la glycémie, du cholestérol, de la température corporelle, …).

L’économie n’échappe pas aux règles qui régissent la complexité. Celle-ci est grandissante vu le nombre de relations qui mettent en contact des éléments toujours plus nombreux. Attention cela ne signifie par pour autant que nos systèmes économiques iront vers de meilleurs équilibres, même si nos dirigeants orientent leurs actions vers ce but. De nouvelles boucles de rétroactions [*] viendront à la fois équilibrer ou bien perturber les systèmes en générant des phénomènes d’amplification.

Ainsi, comme je l’ai dit, de nouvelles formes de pensées doivent voir le jour autant pour analyser, comprendre, prévoir, et enfin agir avec la meilleure efficacité. Les politiques devront apprendre à penser autrement, à effectuer les nécessaires remises en question, à trouver les catalyseurs d’idées nouvelles pour faire naître enfin de nouvelles forces créatrices dans un monde qui bouge. Faire évoluer les modes de pensée vers des visions globalisantes et non réductionnistes : un vaste programme, aussi vaste qu’indispensable !

Alain Desert

 

 

 

Quelques définitions

 

Approche systémique

L’approche systémique est une discipline qui permet de déchiffrer la réalité complexe qui nous entoure, pour tenter de mieux la comprendre, et agir sur elle avec plus de pertinence. Elle envisage les éléments d’un système complexe en tant que partie intégrante d’un ensemble dont les différents composants sont dans une relation de dépendance. Elle offre l’avantage d’étudier les propriétés émergentes du système.

Dans cette approche on voit intervenir les notions suivantes : relations, interactions, boucles de rétroaction, niveaux d’organisation, équilibre, déséquilibre, divergence, délai, contrôle de flux, comparateurs, effecteurs, structures, fonctions, limites, interfaces, énergie, information, matière, etc...

Approche analytique

L’approche analytique tend à décomposer un système en éléments simples pour mieux les étudier. Cette approche faire perdre les interactions entre éléments et les boucles de rétroaction. On perd donc la possibilité de détecter ce qu’on appelle les propriétés émergentes émanant de la complexité du système, de son organisation. On fait donc disparaître la notion de globalité.

Principe de causalité

Principe qui rend les systèmes prévisibles. La cause précède toujours l’effet. Les mêmes causes produisent les mêmes effets. Les causes et les effets sont bien identifiables. (Dans les systèmes complexes, il devient difficile d’identifier les causes et les effets du fait des nombreuses boucles de rétroaction).

Déterminisme

Le déterminisme est une théorie selon laquelle la succession des événements et des phénomènes est due au principe de causalité. Un système évoluant selon un principe déterministe peut facilement être mis en équation. Les états futurs du système sont déterminés par ses états antérieurs.

Exemple : système planétaire dont les mouvements sont régis par les lois de Kepler

Système non linéaire

Système dont l'évolution de ses éléments dépend en général de celles de plusieurs autres, et ce de façon non proportionnelle ou surtout non additive.

Boucle de rétroaction

Dans une boucle de rétroaction, des informations sur le résultat d’une transformation ou d’une action sont renvoyées à l’entrée du système sous forme de données.

Si ces nouvelles données contribuent à faciliter et à accélérer la transformation dans le même sens que les résultats précédents, on est en présence d’une boucle positive. Ses effets sont alors cumulatifs.

Par contre si ces nouvelles données agissent en sens opposé aux résultats antérieurs, il s’agit d’une boucle de rétroaction négative. Ses effets stabilisent le système.

Dans le premier cas il y a divergence (croissance, explosion, implosion, mort du système), et dans le second cas il y a maintien de l’équilibre.

Non-linéarité - Effet de saturation

Au-delà d'une certaine valeur de la variable d’entrée, la variable de sortie du système ne change plus ou atteint une limite.

Exemple : amplificateur qui sature et produit des parasites

Non-linéarité - Effet de seuil critique

En dessous d'une certaine valeur, rien ne se passe. Au-dessus, un effet commence à se manifester.

Exemple : contraction musculaire avec le potentiel d’action.



2 réactions


  • vesjem vesjem 17 décembre 2013 18:16

    @l’auteur
    Très bon article simplificateur , mais moi , j’attendais de savoir quel serait le cours des actions de monsato demain ,pour spéculer ce soir ;
    J’ajouterais modestement car n’étant pas un spécialiste , qu’il suffirait d’étudier la psychologie des « grands investisseurs » uniquement (très peu nombreux comparés à l’ensemble , dont chacun fait partie) , pour simplifier ce système chaotique , voire bordélique ;
    ....mais je pense que c’est déjà le cas .
     


  • Laurenzola Laurenzola 17 décembre 2013 18:54

    @l’auteur,

    Votre article est intéressant, mais sans entrer dans une théorisation de l’économie mondiale, fusse-t-elle systémique, un seul élément tangible est à l’origine de l’instabilité extrême des marchés financiers : la pléthore d’outils spéculatifs regroupés sous la bannière des produits dérivés.

    A la base, ces produits devaient assurer le risque des investissements, ils sont devenus de véritables armes de destruction massive, dans les mains de quelques institutions financières, le cas Goldman Sachs concernant la Grèce donne une petite idée des conséquences des fameux CDS, à méditer...

     


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