jeudi 10 janvier 2019 - par Clark Kent

Faut-il taxer les riches ?

Tout bon « young leader » a appris au catéchisme de l’ « école de Chicago » que le moindre impôt entrave forcément la croissance et qu’une augmentation de la pression fiscale directe tue l’économie. Les experts ne manquent pas pour venir expliquer ce phénomène érigé en axiome aux JT de 20 heures, en s’appuyant sur des diaporamas Powerpoint remplis de camemberts, barres et histogrammes en 3D de plus en plus élaborés. Tout comme les médecins de Molière s’exprimaient en latin de cuisine (1) pour masquer leur ignorance et tenter d’impressionner de plus ignorants qu’eux, les émules de M. Langlet jonglent avec les graphiques pour agrémenter leur idéologie d’un vernis scientiste.

Pourtant, s’il est évident que les impôts entament la marge de profit, ce qui agace les actionnaires et les forcenés du retour sur investissement (ou rendement du capital investi), nuisent-ils vraiment à l'économie globale, et leur réduction a-t-elle un impact positif sur sa stimulation ?

La réponse est claire : les allégements fiscaux encouragent la délocalisation économique et le dumping social, mais ils sont inefficaces et inutiles en ce qui concerne les décisions d'investissement. Lorsqu'on interroge les responsables d’entreprises sur les facteurs importants dans leurs décisions d'investissement, les impôts arrivent loin derrière les marchés, les fournisseurs et la main-d'œuvre (3) qui représentent une proportion beaucoup plus importante du budget d'une entreprise que les taxes et sont déterminants pour assurer la pérennité de l’organisme concerné. Même les crédits d'impôt à l'embauche affectent peu la décision d'embauche des DRH pour le recrutement de personnel qualifié (4).

Pour rester dans l’univers économique que nous connaissons et sans faire de plans sur la comète, on peut constater qu’aux États-Unis (5), les états à taux d'imposition élevés, tels que le Minnesota, obtiennent de meilleurs résultats en termes de croissance économique, de chômage, de revenu familial médian et de maintien sur place des entreprises que les états à faible imposition tels que le Mississippi ou l’Alabama. Les impôts élevés permettant les dépenses publiques consacrées à l'éducation, à la formation de la main-d'œuvre et aux infrastructures sont en corrélation directe avec le revenu, le faible taux de chômage et le maintien des entreprises locales. Il ne faut pas voir seulement un des deux plateaux de la balance, mais s’intéresser aussi à la contrepartie, voir la valeur que les entreprises retirent des services publics financés par les impôts en termes de main-d'œuvre instruite et d'investissements dans les infrastructures collectives, transports et communication.

En fait, ce que devraient expliquer les animateurs Powerpoint des JT, c’est qu’en réalité, la croissance économique est directement liée aux taux d'imposition ; il suffit de comparer la croissance économique annuelle mesurée par la variation en pourcentage du produit intérieur brut (PIB) au taux d’imposition des particuliers le plus élevé et au taux d’imposition des sociétés le plus élevé. Si les impôts étaient un frein à la croissance économique, on devrait constater une relation inverse entre la croissance de l'économie d’un pays et un taux d'imposition élevé. Le PIB devrait augmenter plus rapidement d’autant plus que les taux d'imposition des particuliers et des sociétés sont bas. Si les taxes étaient un facteur majeur de dissuasion de la croissance économique, les courbes des graphiques Powerpoint des JT devraient aller dans des directions opposées : le PIB devrait baisser dans les mêmes proportions que l’augmentation des taux d'imposition.

 

Pendant la crise économique qui a suivi le krach boursier de 1929, les taux d'imposition des sociétés et des particuliers aux Etats-Unis (6) ont augmenté, et de 1934 à 1937, le PIB a augmenté respectivement de 17%, 11% et 14% par an. Les taux d'imposition des sociétés les plus élevés ont grimpé à plus de 50% dans les années 60, sans que l’on constate un ralentissement de la croissance économique. Il en va de même avec les taux d'imposition les plus élevés sur les particuliers les plus riches, qui étaient de 91% dans les années 1960. Par contre, depuis les années 1980 après les réductions d’impôts, rien n’indique que l’économie globale (et non pas les profits des investisseurs) se soit développée plus rapidement que par le passé, alors que les économistes pensaient qu’ils avaient un impact presque magique sur l’économie. On pourrait même constater le contraire à travers les phénomènes de paupérisation des classes sociales les plus démunies constatés dans tous les pays occidentaux.

Le PIB augmente plus fortement dans les périodes où les taux d'imposition sont les plus élevés que lorsque les impôts sont réduits ; dans les pays réels, ceux qui existent, les taux d'imposition n’ont pas un impact négatif sur la croissance économique globale, contrairement à ce qu’affirme le credo récité tous les soirs à l’heure du dîner. Statistiquement, dans l’ensemble, il n’ya pratiquement aucun lien entre les taux d’imposition des riches et des entreprises et la croissance économique globale.

Il est faux de prétendre que des taux d’imposition élevés sur les riches et les entreprises nuisent à la croissance économique et à la création d’emplois ou que leur réduction ait un effet de stimulation proclamé. Par contre, l’augmentation des impôts des riches serait non seulement plus équitable, mais ce serait aussi un moyen efficace de stimuler l’économie par l’amélioration des infrastructures et d’aider les pauvres. Et tout cela sans même remettre en question les système économique lui-même.

 

  1. - Le latin de cuisine est proche du « macaronique », langue inventée au 15ème siècle en Italie, substrat du « macronique » moderne dont se délecte la volaille à bijoux dans les poulaillers d’acajou.
  2. - entreprises de l’économie réelle : celles qui assurent par leur acticité la production de valeur ajoutée sur laquelle spécule la finance casino.
  3. – une main-d’œuvre qualifiée porteuse d’un savoir-faire et d’une culture d’entreprise ne conserve son potentiel économique que si une rémunération équitable incite les salariés à rester dans l’entreprise.
  4. – les gains de productivité (qui ne sont pas liés directement à la profitabilité et peuvent tout aussi bien se traduire par un autofinancement et/ou une diminution des prix de vente) amènent les entreprises à remplacer le personnel non qualifié par des robots, il faut chercher ailleurs la solution à l’emploi de ce personnel. La formation professionnelle, interne ou externe est une piste souvent évoquée mais rarement aboutie.
  5. – on ne peut comparer que ce qui est comparable ; on ne peut pas se livrer à ce type d’observation en Europe, car l’UE n’est qu’un espace géographique dans lequel des états ont réalisé des conventions d’échanges commerciaux obéissant à un principe de « subsidiarité » trompeur. Ces états ont des caractéristiques très hétérogènes et disparates dans leurs législations, alors que les Etats-Unis sont une fédération intégrée (avec un gouvernement fédéral, une armée et un passeport unique pour ses citoyens).
  6. – les conséquences du traité de Versailles ne permettent pas de faire une analyse pour les pays d’Europe à la même époque : la dette de guerre imposée à l’Allemagne et les destructions des infrastructures à reconstruire en France faussent toute tentative d’analyse.



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