Fin de partie pour l’Euro
L’existence même de l’Euro se retrouve aujourd’hui menacée. Cette monnaie unique servant de trait d’union entre des économies très diverses est ainsi sur le point de rendre l’âme. Faute de mécanisme inhérent à l’Union Européenne qui permette les transferts fiscaux, l’Euro est en donc aujourd’hui réduit à diffuser de la crise économique et bientôt des chocs politiques en lieu et place de stimuler la croissance et la prospérité… Le rêve européen s’est donc transformé en instrument de torture tourné contre des nations qualifiées d’irresponsables et qui ne doivent être secourues qu’en ultime recours afin d’éviter aux pays « sains » d’être contaminés par leurs déficits. Complétons cette description tragique par l’évocation de taux d’intérêts européens ayant été remontés – de manière invraisemblable et par deux fois ! – ces derniers mois et par une austérité (imposée aux nations indisciplinées) qui achève d’y étouffer toute perspective de croissance en aggravant irrémédiablement la dynamique de leurs déficits.
Le défaut de conception européen – selon lequel un pays en difficulté ne peut faire appel à la politique monétaire ou bénéficier de transferts budgétaires afin de régler ses problèmes intérieurs – est en train de déboucher sur une crise majeure, économique et financière certes, mais également politique car ces nations se rendent compte qu’elles ne reçoivent aucun soutien en échange de l’abandon de leur souveraineté. Il va pourtant de soi que seuls des mécanismes de transferts de liquidités en direction de ces nations en grand péril sont susceptibles de remédier à leur perte de solvabilité tout en inversant des courbes du chômage et des revenus qui évoluent dans un sens extrêmement défavorable et bien-sûr inverse. Pire encore puisque les tentatives de la part de ces pays fragilisés de relancer leur consommation intérieure ont été vertement balayées d’un revers de main par les pays « exemplaires » ayant systématiquement et partout imposé une rigueur ayant achevé d’asséché leur paysage économique.
Un rappel élémentaire des différences fondamentales entre pays souverains et nations ayant abdiqué tout contrôle sur leur politique monétaire aurait cependant permis d’éviter l’implosion européenne. L’insolvabilité des pays d’Europe périphérique n’aurait effectivement jamais été remise en question s’ils avaient été pleinement soutenus par une Union Européenne qui dispose du privilège d’imprimer à volonté une monnaie liquide et convertible qu’elle est à même d’injecter en direction de ses membres nécessiteux. Un groupement de pays bénéficiant de cette faculté de créer une devise, couvrant une telle zone géographique et reflétant une telle force de frappe ne peut jamais fait faillite, sauf de son propre gré comme le démontre le récent épisode américain où le Congrès rechignait à relever le plafond de l’endettement. Le Japon, dont les ratios des dettes ramenés au P.I.B. sont plus du double des nations les moins enviées des PIIGS, ne s’acquittent-il pas – grâce à un Yen qu’il imprime en masse – de taux négligeables sur sa dette souveraine ? Un pays bénéficiant d’une assise certaine – et qui a la chance d’emprunter dans sa propre devise ! – sera ainsi toujours en mesure de créditer des comptes, de payer ses intérêts et ses factures via l’activation de sa planche à billets…
L’Union Européenne n’a cependant pas voulu faire appel à cette solution basique et, aujourd’hui et à ce stade, elle ne le peut plus car elle manque de temps ! Alors la BCE s’est certes remise à acheter les Bons du Trésor de ces pays fragilisés afin de tenter de rassurer quant à leur solvabilité mais elle ne fait que gagner un tout petit peu de ce temps précieux qu’elle et tous les dirigeants de l’Union ont négligemment gaspillé. Cette fièvre acheteuse – qui ne règle en rien les problèmes de fond – la met en outre dans une position très inconfortable car, très clairement, elle devient de facto un acteur majeur dans les enjeux fiscaux et budgétaires intra européens. Voilà donc cette institution qui– sans aucun mandat électif – décide, à la faveur de ces achats de Bons du Trésor émis par tel ou tel autre pays, de transferts de liquidités en faveur de telle ou de telle autre nation alors que des décisions cruciales et sensibles de cette nature se doivent d’être de la seule responsabilité des élus européens et nationaux… En l’absence de toute autre institution européenne, la BCE est pourtant aujourd’hui le seul et unique instrument dont on fait usage (à contre emploi, presque contre nature et au milieu des tirs de barrages allemands) comme courroie de transmission financière au sein des membres de l’Union.
Pourtant, ces mêmes allemands qui ne tarissent pas de critiques envers les grecs ou les portugais et leurs gouvernements laxistes taxés de ne pas assez payer d’impôts, de ne pas travailler assez dur ou de se la « couler douce » en profitant de prêts fort avantageux consentis pas les banques du Nord, ces allemands devraient sérieusement revenir à la réalité et saisir les schémas de fonctionnement de leur modèle à l’exportation. L’attitude allemande n’est-elle pas déconcertante alors même que ses propres comptes ne sont précisément excédentaires que par la grâce de ces nations qualifiées de dépensières et vivant au-dessus de leurs moyens ? La balance commerciale de l’Union par rapport au reste du monde étant plus ou moins équilibrée – c’est-à-dire qu’elle exporte hors de son territoire autant que ce qu’elle en importe – et l’Allemagne étant de très loin le principal exportateur européen, cette situation n’est rendue possible qu’à la faveur d’une solide demande intérieure émanant des autres pays européens qui, si elle devait décliner sérieusement, menacerait dangereusement les intérêts allemands. Comment ces nations indisciplinées seraient-elles en mesure de réduire leurs déficits massifs – et donc de forcément modérer leur fièvre dépensière – dans une conjoncture où le partenaire commercial dominant (l’Allemagne) se doit de continuer à enfler ses excédents sans pouvoir compter sur un Euro qu’il n’est pas capable de dévaluer sur les marchés internationaux ?
L’Allemagne est ainsi un des passagers de ce paquebot qui chavire – passager de première classe certes – mais qui sera affecté comme tous les autres par la coulée à pic du projet européen… L’Union et les technocrates qui la dirigent en sont néanmoins toujours au stade du déni en dépit de mesures d’austérité imposées à des populations meurtries qui exacerbent encore et toujours plus les déficits tout en parachevant la fracture politique du continent. Ainsi et malgré le stade très avancé de la maladie, voire la situation moribonde de l’Union, les dirigeants européens et nationaux font toujours preuve d’une absence pitoyable et de volonté politique et d’inventivité conceptuelle pour sauver l’Euro. Et pour cause puisque le pays le plus riche de cette Union est comme tétanisé et que ses dirigeants sont systématiquement en retard d’une bataille par rapport aux évènements. Sans oublier bien-sûr leurs sempiternelles admonestations en direction des peuples et des gouvernements du « Club Med » et leur rejet catégorique et sans appel de toute innovation qui pourrait permettre à ces pays de respirer un peu mieux (et de stabiliser les marchés) comme l’augmentation du Fonds de Stabilité ou la mise en place des « eurobonds »…
Il est donc plus que probable que l’Allemagne se retirera prochainement de l’Union monétaire, croyant ainsi sauver son économie et conforter ses citoyens industrieux, tout en cherchant à recapitaliser ses banques. Elle attirera vraisemblablement dans son orbite les pays du Benelux et l’Autriche et sera ainsi à même de reconstituer un bloc autour d’un deutschemark tout puissant qui rachètera à bon marché le reste des actifs européens. Une sorte d’ « anschluss” économique.