Friedrich G. Jünger contre l’industrialisme
Friedrich G. Jünger, auteur de la Perfection de la technique dont il sera question ici, est le frère du fameux écrivain combattant allemand Ernst Jünger. À l'heure où cet article est rédigé, il est si mal connu en France que sa page Wikipédia francophone ne dit rien de lui, sinon qu'il est le frère d'Ernst Jünger, suivi de sa bibliographie. Les Germanophones sont beaucoup plus diserts, on les comprend puisque Friedrich Jünger fut Allemand, mais en même temps la page reste brève – contrairement à son fameux frère, côté francophone comme germanophone.

Source éditeur
Un peu d'Histoire
Cette fratrie ressort de la révolution conservatrice allemande des années 1920-1930, c'est dire comme on les prend pour « de sales nazis » (1). Il est vrai qu'entre les révolutionnaires conservateurs, ils furent quelques uns à « nazillarder », mais dans le vécu époqual qui pouvait bien réagir, surtout selon nos critères moraux actuels ? Ne soyons pas anachroniques (2).
Friedrich Jünger, tout comme Ernst et la révolution conservatrice, pour être nationalistes, étaient aussi marxistes, et fortement impressionnés par le soviétisme dont ils s'inspiraient. Ici se crée « une tresse historico-idéologique », puisque le nazisme pratiquera le soviétisme du « grand plan » tout en critiquant le communisme, dans une démarche pangermanique néanmoins orientée vers des buts délirants méta-nationaux allant même contre le peuple allemand, sur une base simili-néopaïenne fallacieuse, sorcière charlatane. La grande débilitation vingtiémiste … La révolution conservatrice n'en est pas là, bien que son devenir fut débilité (3).
Pour être clair, citons la page germanophone de Wikipédia :
Den 1933 an die Macht gekommenen Nationalsozialismus lehnte Jünger zunächst als Vollendung der Demokratie, als zu „bürgerlich“ und provinziell ab, zumal die Rhetorik der neuen Nazier Machthaber zu Beginn plakativ eine Friedenspolitik und eine Beschränkung auf Deutschland in den Mittelpunkt gestellt hatte.
Le national-socialisme, qui est arrivé au pouvoir en 1933, l'a d'abord rejeté [Friedrich Jünger] comme l'achèvement de la démocratie, car trop « bourgeois » et provincial, d'autant plus que la rhétorique des nouveaux dirigeants nazis s'était concentrée au début de manière frappante sur une politique de paix et une restriction à l'Allemagne.
Et ce n'est pas le seul grief anti-Friedrich Jünger des « nazillards ». Inversement d'ailleurs, Friedrich Jünger ne put être qu'anti-nazi, puisqu'anti-technique (4). Les nazis en effet, étaient en cela à la pointe de la modernité, à la manière des méthodes industrielles et de management, toujours courantes sous la macronie. Visez un peu cette fichue « tresse historico-idéologique » ! …
Mais concentrons-nous sur la Perfection de la technique (Perfektion der Technik, 1946 pour sa première édition) – le reste viendra tout seul. C'est un ouvrage dans lequel Friedrich Jünger était aussi anti-marxiste, puisque Karl Marx (en plus de ses saillies antisémites comme les nazis) valorisait la technique.
Reprenons encore le Wikipédia germanophone :
Die im und gegen die nationalsozialistische Gesellschaft entwickelte Kulturkritik führte Jünger nach 1945 bruchlos weiter, da er die vorangegangenen zwölf Jahre nicht als „Zivilisationsbruch“, sondern vielmehr als Symptom der negativen Potentiale moderner Zivilisation überhaupt deutete. Ähnlich sahen dies seinerzeit auch Herbert Marcuse („Einige gesellschaftliche Folgen moderner Technologie“, 1941) und James Burnham („The Managerial Revolution“, 1941) in den USA ; Jünger, Marcuse und Burnham nahmen damit die Befunde des Soziologen Zygmunt Bauman („Dialektik der Ordnung“, 1992) in vielem vorweg. In den Nachkriegsjahren hatte Friedrich Georg Jüngers Technikkritik die erste große Debatte in Westdeutschland über die Technisierung der Lebenswelt ausgelöst. Seine „Perfektion der Technik“ muss daher, noch vor Max Horkheimers und Adornos „Dialektik der Aufklärung“ und Heideggers „Frage nach der Technik“, als wichtiges Gründerdokument der neueren konservativen Technikkritik diskutiert werden, wie es seit einiger Zeit auch geschieht.
La critique culturelle développée par Friedrich Jünger dans et contre la société nationale-socialiste s'est poursuivie sans relâche après 1945, car il a interprété les douze années précédentes non pas comme une « rupture de civilisation » mais plutôt comme un symptôme du potentiel négatif de la civilisation moderne en général. Herbert Marcuse (« Quelques conséquences sociales de la technologie moderne », 1941) et James Burnham (« La révolution managériale », 1941) ont vu la même chose aux États-Unis à l'époque ; Jünger, Marcuse et Burnham ont ainsi anticipé les découvertes du sociologue Zygmunt Bauman (« Dialectics of Order », 1992) de plusieurs manières. Dans les années d'après-guerre, les critiques de Friedrich Georg Jünger à l'égard de la technologie ont déclenché le premier grand débat en Allemagne de l'Ouest sur la mécanisation du cadre de vie. Sa « Perfection de la technique » doit donc être discutée avant la « Dialectique des Lumières » de Max Horkheimer et Adorno et la « Question sur la technologie » de Heidegger, en tant que document fondateur important de la critique conservatrice la plus récente de la technologie, comme cela se produit depuis un certain temps.
Un point contemporain
On le voit : nos gouvernants actuels ont tout à gagner de la stigmatisation fallacieuse de Friedrich Jünger comme « nazi » (et avec lui tout ce qui est issu de « la Nouvelle Droite » depuis les années 1970 : tels que le philosophe Alain de Benoist, l'idéologue Guillaume Faye, le penseur et libraire François Bousquet, les revues Éléments, Nouvelle école et Krisis, le magazine Rage Culture et sa droite vitaliste, et toute autre manifestation avoisinante telle que le libertisme et le national-anarchisme, etc.).
En effet, nos gouvernants industrieux sont avides de technologie au point que – à l'heure où des tweets du président américain sont censurés par Twitter-même – il est permis de parler de corpocratie – règne des corporations, plutôt que de démocratie (5).
Ce néologisme est cohérent avec notre sujet, l'ouvrage de Friedrich Jünger. En effet, dans la Perfection de la technique, il est question d'une société anonyme nommée « le collectif technique ». Il s'agit en fait d'une hydre inhérente à l'usage et au développement du machinisme.
C'est que la machine, et plus généralement nos techniques hypermodernes, surmodernes ou post-modernes, mais aussi immordernes … la machine/technique aurait ses raisons, que la raison ignore, malgré les théories sociales :
Analyse historique
p.227 aux éditions Allia : Les théories sociales n'ont pas changé la face du monde ni la vie de l'homme. Foisonnantes au XIXème siècle, elles ne sont ni le commencement ni le point décisif. […] Les théories sociales se basent sur un autre processus, un autre mouvement, dont la force irrésistible les produit et les encourage. Sans ce mouvement les précédant, elles demeurent immobiles ; avec lui, elles se forment, avancent et s'organisent. L'appareillage agit sur l'organisation du travail, et la théorie ajuste celle-ci à l'appareillage. La machine donne naissance aux théories sociales ; le socialisme du XIXème siècle, pour autant qu'il acquiert de l'influence, est un socialisme des machines [ce qui exclut l'actuel socialisme conservateur de Jean-Claude Michéa, ndr]. Ou, pour le dire plus précisément, un socialisme derrière lequel se tient la machine qui reçoit de la machinerie des impulsions, la formation de sa volonté.
Avec cette volonté, il y a une forme « d'impressionisme » chez Friedrich Jünger, de la part de la société anonyme du « collectif technique » – et on serait presque tenté de parler de techno-animisme. Nous y reviendrons.
Suite : Les changements suscités par la machine dans la vie de l'homme, les conséquences d'une division croissante du travail par la machine [théorisée par Adam Smith sans machinisme, ndr] forment le point de départ des théories sociales. Nous pouvons le vérifier à chaque étape franchie par l'élaboration de la théorie. Au début du siècle, époque des balbutiements de l'industrie machinique, on ne pouvait s'en faire une idée claire. Beaucoup d'essais et de tâtonnements jalonnent la pensée d'un Saint-Simon, source pour nous de grande confusion. En 1814 a paru son ouvrage De la réorganisation de la société européenne [en pleine révolution industrielle, ndr], le premier où l'opposition entre le capital et le travail, les employeurs et les ouvriers, est mise en exergue [même si Adam Smith en parlait déjà en vérité évidemment exacerbé par Karl Marx ensuite, ndr]. Le régime de la propriété est soumis à une critique en règle, la question ouvrière devient centrale, un socialisme chrétien visant la réforme de la société est recommandé. Saint-Simon se bat encore contre la féodalité et travaille à une organisation industrielle de l’État, dans laquelle les forces machiniques sont peu pensées. Partant, ses propositions sont contradictoires, confuses et sans effet ; elles sont adaptées à une situation antérieure à une industrialisation de grande ampleur et une mécanique automatisée. Mais on peut déjà étudier chez lui la connexion de l'appareillage et de l'organisation car sa théorie est le prodrome de l'organisation technique.
En somme : gauchisme et capitalisme, même combat progressiste, sous les apparences niaiseuses du conflit social. Cela a aussi été amené par Nestor Capdevilla, dans le Concept d'idéologie, pourtant sans lien avec Friedrich Jünger. C'est dire le (men)songe dans lequel nous vivons toujours (6).
Écologisme réel, contre industrialisme
p.248 aux éditions Allia : Marx ne comprit rien à la machine, il ne la perça pas à jour, car sinon, il ne l'aurait pas considérée comme un instrument et un accessoire d'un monde fondé sur des lois économiques. Elle est tout sauf cela. [C'est un monde, c'est une culture, ndr.] Il ne pouvait le savoir car à son époque, personne ne le savait. Personne n'avait conscience qu'il est impossible de gérer une économie à l'aide des machines, que l'économie qu'elles génèrent est une illusion ne pouvant se maintenir que par l'expansion permanente de la machine, c'est-à-dire par une exploitation accrue pratiquant la déprédation. [Car la machine ne travaille pas, elle ne crée donc pas de valeur au sens d'Adam Smith pas plus qu'au sens de Karl Marx, en tant que chose ! ndr.] Nul ne savait que l'on ne peut fonder d'économie, de légalité économique sur des machines, qui à long terme ne permettent même pas l'équilibre des comptes dont l'homme gérant l'économie à l'aide de sa comptabilité en partie double s'assure en permanence. Toute la légalité économique intégrée par Marx pour étayer la technique en devenir tombe en ruine dès l'élaboration de ses théories. [Lire aussi, ndr.] La planète, soumise à une exploitation toujours plus intensive depuis l'ère des découvertes, ne suffit pas à apaiser cette frénésie d'exploitation. L'augmentation de l'espace utilisable, de tous les substrats de l'exploitation ne fait que voiler ce qui aujourd'hui apparaît aisément à quiconque réfléchit, à savoir que l'usure [ce qu'on intègre comptablement sous forme d'amortissement ! ndr] excède les usages et que l'homme est de plus en plus acculé par sa mécanique automatisée. La machine recèle une volonté qui ne vise pas les calculs économiques ni la sécurité et la prospérité […]
En somme, Friedrich Jünger est un écologiste, doublé d'un décroissant tout comme les héritiers actuels de la Nouvelle Droite des années 1970. L'écologie, dès le XIXème siècle, est antimoderne d'ailleurs, car l'industrialisme détruit le paysage. Rien à voir avec nos pseudo-écologues industrialistes contemporains dotés de rollers, de casques de sécurité et de portables produits en série !
Existence contre scientisme industriel
p.259 aux éditions Allia : […] le travail, c'est-à-dire la vie humaine, ne se laisse pas rémunérer par de l'argent. Le travail et l'argent sont deux choses totalement inadéquates l'une à l'autre. De ce fait, toute économie et tout système monétaire sont le lieu d'une profonde injustice qui ne peut être levée. De même que je ne peux payer une œuvre charitable, je ne saurais non plus rémunérer un travail volontaire, librement accompli pour moi, en me considérant comme quitte. Le souci justum pretium [juste prix], du justa praebere [rétributer justement] doit donc être ma constante préoccupation. Tout travailleur mérite un salaire mais ce n'est qu'au sein d'une pensée complètement matérialisée, mécanisée [industrialiste donc, ndr] que celui-ci peut constituer en même temps la valeur du travailleur. Cette leçon justifie le rang du Manifeste du Parti communiste, centenaire puisque paru en 1948 [Jünger écrit en 1946 sa première édition, ndr] considéré comme le « programme du parti théorique et pratique complet ». Le Manifeste décrit et dépeint une association d'exploiteurs ; il rend visible l'exploiteur et ses méthodes. Là réside son mérite, et non dans la scientificité de ses exposés. Le socialisme scientifique est une contradictio in adjecto. La communauté humaine ne se laisse pas fonder scientifiquement, ramener à un système ou établir sur un principe.
On notera alors évidemment, que c'est tout à fait la prétention de LREM, et de tous ceux qui aujourd'hui, par scientisme (croyance absurde en un dogme tout-scientifique), prétendent pouvoir régler industriellement la question du Covid – question qu'ils ont d'ailleurs eux-mêmes industriellement créée au plan médiatique en chaînes de diffusion. Ils sont dans un covidisme idéologique …
Quant à la Perfection de la technique, on commence à comprendre que cette perfection, comme toutes les utopies, tourne à la dystopie la plus sombre. Tout ce qui est parfait, au fond, est imparfait de rejeter l'imperfection ! Une sagesse, qu'avait très bien comprise le marxiste Henri Lefebvre, au passage, débouté du Parti Communiste comme tant d'autres (la Somme et le reste). Jean-Paul Sartre de même, avait compris qu'une véritable raison dialectique restait suspensive (Critique de la raison dialectique). Ou bien encore : le profond gauchiste Guy Hocquenghem, restait ouvert sur l'immatériel (l'Âme atomique, pour une esthétique d'ère nucléaire) …
En tout cas, tous nos communistes résiduels aujourd'hui, ainsi que toute espèce de gauchiste, et encore de centristes roses, sans parler des militants-réflexes-moraux de tous les mondes plus ou moins bien-pensants et/ou politiquement corrects – peut-être surtout Franciliens – gagneraient à lire la Perfection de la technique à partir de cette page 259 aux éditions Allia et suivantes, car le Manifeste du Parti communiste y est fort intelligemment pensé.
Mais embrayons quant aux capitalistes-mêmes :
L'industrialisme joue aussi contre le libéralisme, le capitalisme et le néolibéralisme
p.275 aux éditions Allia : […] les grandes agglomérations technicisées forment la pointe du processus historique [songeons aux caméras de surveillance mais aussi à la domotique de la maison connectée désormais, ndr]. La domination en elles du concept actif de force entraîne une transformation et une absorption de la propriété. Les tentatives n'ont pas manqué de supprimer les tensions, d'apaiser le conflit visible ici. Elles ont échoué. Or, pourquoi devaient-elles échouer ? Le machinisme n'est-il pas issu du régime de la propriété ? Certes, mais il s'en détache et se retourne contre lui. Il ne peut se déployer à l'intérieur de ce régime, ni avec lui, parce que celui-ci a pour limite celles des choses dont le dominum dépend. C'est précisément parce que la propriété est domination juridique complète du propriétaire sur une chose que la limite de cette dernière ressort si nettement. Les frontières entre propriétés se manifestent clairement car le dominum plenum accorde au propriétaire l'autorité exclusive [ce qui n'est plus le cas avec les actuelles servuction et coopétition, ainsi que la location généralisée de logiciels par Internet, emblématiquement Facebook et Windows 10 contre données d'usage personnelles]. Si le pouvoir dont dispose le propriétaire est interrompu de l'extérieur, les limites des choses se brouillent. Dans un régime intact de la propriété, toute modification des limites entre les choses doit être fixée par un contrat de propriétaire, ou, si elle est réglée par des lois, doit être exactement définie. Les limites ne peuvent être bouleversées par un tiers. Or la machine provoque ce bouleversement [car tout dépend de la société anonyme du « collectif technique » au sein de la division industrialiste du travail, ndr].
Les capitalistes de la machine du XIXème siècle croyaient encore pouvoir être à la fois des propriétaires et des capitalistes de la machine. Mais cela se révèle impossible, comme la perte progressive des qualités de propriétaire par le capitaliste le montre. La spécificité de sa propriété se perd, sa singularité se dissout [il est loin le bon vieux libéralisme d'Adam Smith et l'on a même tort de croire en la possibilité d'un néolibéralisme puisque tout dépend du « collectif technique », ndr].
On voit très bien aujourd'hui que toutes les lois de nos Républiques corpocratiques, démocraties putatives, sont en réalité des (dé)régulations d'ajustement par « pragmatisme stato-financier ».
Les dérégulations sont des re-régulations, et les nouvelles régulations ne sont que des paramétriques. Comme dans une machine, le politique en est réduit à agir sur des variables en soupape.
Au fond, nos élus exercent le rôle de machinistes socio-économiques et le pire, c'est que la plupart d'entre nous n'attend plus rien d'autre d'eux que cette vaste « gérance » : un néologisme managérial est parfait …
L'industrialisme nuit gravement à la propriété comme à la solidarité
p.275 aux éditions Allia : Le capitalisme utilisant des machines qui s'appuie sur la propriété ne peut être qu'un phénomène provisoire ; il tend vers le collectif technique et se fait absorber par lui lorsque la mécanisation [l'industrialisme, ndr] atteint un degré suffisant. L'expérience nous apprend que ce degré est d'abord atteint par les moyens de locomotion et de transport mécaniques. Le capitalisme machinique privé forme le point de départ du collectif technique. Celui-ci se transforme lui-même en capitaliste. Ou selon la devise de Marx : « La société communiste est le capitalisme universel. » Il faut cependant remarquer à l'occasion de cette formule que société communiste et collectif technique ne sont pas identiques [bien qu'ils mènent le même combat progressiste, ndr]. Au point où nous en sommes, le concept d'une société communiste ne peut être appliqué, car le pouvoir de décision appartient au collectif technique. Le sens du concept de société communiste disparaît dès que nous perdons de vue ce collectif, ne serait-ce qu'un instant [Jean-Claude Michéa a donc raison de valoriser un socialisme conservateur quoiqu'il se trompe d'ennemi en accusant le libéralisme : les libéralistes eux-mêmes se font avoir, ndr]. De ce fait, la phrase de Lénine : « Le socialisme, c'est l'électrification » est infiniment plus précise. Toutes les représentations du socialisme deviennent plus claires, mais aussi plus étroites et plus froides à mesure qu'elles entrent en relation avec le collectif technique. Que cette relation vienne à manquer, et il s'y attache quelque chose de vague et de flou.
Où sommes-nous donc arrivés ? Le capitalisme de propriétaires travaillant avec des machines se dissout partout par la force de sa propre contradiction interne. Mais par quoi est-il remplacé ? Par ce qui s'annonçait déjà, mais sans le personnalisme qui s'y attachait encore à ses débuts, un mouvement anonyme, un concept anonyme de force [la « roue de l'Histoire », ndr].
Tout est clair, à présent – sans jeu de mot. Il faut alors remarquer à quel point cela rejoint les prédictions de l'économiste pro-capitaliste Joseph Schumpeter, qui se désolait de constater ceci : que la tendance inter-phage du capitalisme (7) produisant effectivement un état de fait communiste, dominé par des monopoles. Nous y sommes énormément, tout comme dans les pires films de science-fiction où les grandes corporations font la loi – « Républiques corpocratiques ».
p.290 aux éditions Allia : En expropriant aujourd'hui, l’État ne crée pas de nouvelle propriété pour lui et pour autrui, il fait autre chose : il étend le collectif technique [donc l'industrialisme de République corpocratique, ndr]. Les prétextes sous lesquels l'expropriation a lieu peuvent porter les noms qu'ils veulent, l'Etat ne fait rien d'autre que de pousser en avant le collectif technique.
C'est le règne du technicien, décrit dans les premières centaines de pages de la Perfection de la technique. Nous dirions aujourd'hui encore « le règne de l'ingénieur » (8), et il faut voir comme nos universités parlent d'ingénierie culturelle, après les ingénieries sociales, les ingénieries pédagogiques, etc.
C'est la folie du scientisme, emblématiquement dans l'actuel covidisme idéologique.
Le positivisme industriel soumet tout
p.297 aux éditions Allia : Dans le collectif technique, la réduction de la substance précède l'usage intensifié [comme dans la notion de « Ressources Humaines », ndr]. Ceci inclut d'emblée une perte de propriété, sa déchéance au sein du collectif. Le traitement du sol en est la preuve. Certains trouveront peut-être exagéré de considérer qu'avec la suppression de la jachère et le début des engrais artificiels [jusqu'à Bayer-Monsanto par exemple aujourd'hui et tous les OGM, ndr] une attaque décisive a été menée contre la propriété paysanne. Elle devient évidente avec l'apparition de la machine dans l'agriculture [le tracteur avec l'électicité, cela remonte à peine à un siècle ! ndr]. Nous ne contestons bien évidemment pas la nécessité des engrais artificiels dans le collectif. Mais avec eux commence la déprédation, par eux nous appartenons au collectif, qui est, pour le dire précisément, un monde sans humus, un monde qui, sans relâche, enlève l'humus préexistant, dans lequel le nouvel humus peine à se former. L'engrais artificiel répandu sur le sol atteste que l'humification ne suffit plus. Le sol, cette terre qui portait autrefois le propriétaire à travers la guerre et le feu, commence à monter des signes singuliers de carence.
p.318 : L'expansion de la machinerie au XIXème siècle est liée à des forces élémentaires et conduit à un contrecoup de ces forces sur l'homme. Le passage de la machine à vapeur à la bombe atomique équivaut à celui du capitaliste propriétaire au collectif technique.
p.321 : Ce processus suffit à ébranler tout l'ordre juridique. Le droit ne peut plus désormais se guider sur les choses, et la personne ne peut plus s'appuyer sur les limites réelles. Elle devient elle-même un composant.
De manière générale de toutes façons aujourd'hui, tout ce qui ne bénéficie pas d'un premier filtrage, d'une première évaluation, d'une imprimatur « officielle », etc. est jugé nuisible, nauséabond et dangereux, comme le professeur internationalement reconnu Didier Raoult qui n'avait rien demandé. Il faudrait que tout soit positif comme en Droit, ce qui est ridicule ! Envie du pénal, disait Philippe Muray …
La vie est châtrée de partout, même si le spontanéisme est encouragé : s'il termine en *isme, c'est qu'il n'est plus la spontanéité … or ce concept vient des milieux gauchistes révolutionnaires, de façon compréhensible à présent : ils concourent inconsciemment à interdire toute spontanéité, et se vautrent au Rotary Club, mais aussi dans le Tout-Paris (Île-de-France), y compris depuis les Autres Régions du territoire. Les fameuses « gauches caviars », « bourgeoisies-bohèmes », mais aussi les « centristes du bonheur » macroniens et affairistes mondialisateurs de droite (9).
Nous subissons tous encore-toujours, internationalement, le positivisme.
L'idéologie d'un saint-simonien français, Auguste Comte. Friedrich Jünger en parle, dans les citations de cet article, à propos des théories sociales qui rêvaient d'un industralisme solidariste, d'un industrialisme de l'amour …
Emmanuel Macron a beau être un jeune président, il est aussi bien vieux. Tout comme la clique qui contribua à sa montée en puissance dans l'espace public, et qui contribue toujours à notre oppression au sourire à visage humain …
Ainsi donc, les impressions ou les effets « techno-animistes » de notre monde, qui font qu'on croit impossible d'échapper « au progrès », « à la roue de l'Histoire », « à l'avenir », etc. ne sont au fond que les conséquences de notre mentalité positiviste, et des politiques ingénieriques de gérance qui en découlent confusément entre États et Corporations.
La République corpocratique universelle est industrialiste – machiniste, technicienne. Mais toute la « volonté » que semble exercer les circonstances, est faite en vérité des renonciations politiques et personnelles à vouloir réellement. Il faut donc vouloir l'anti-positivisme, et tant pis si cela confine au négativisme, ou si cela nous fait passer pour des négativistes. S'il le faut aux yeux positivistes, nous serons négativistes sans souci (10).
p.369 aux éditions Allia : La volonté se donne à connaître par des actions qui supposent une résistance, car elles seraient sinon incompréhensibles. Sans résistance point de volonté, car sans elle il n'y aurait rien à vouloir. Cette résistance peut elle-même être comprise comme volonté ; notre volonté rencontre en chacune d'elles une autre volonté. Pour pouvoir agir, notre volonté doit se heurter à une autre, de ce heurt naît l'action. L'aspect volontaire de notre action n'est rien d'autre que la résistance qui nous fait face.
_____________________
(1) Alors que cette révolution conservatrice comptait des ressortissants de la religion juive telle que l'éminent professeur Leo Strauss.
(2) L'anarchronisme est aussi fruit du chronocentrisme, équivalent temporel de l'ethnocentrisme spatial, ainsi que de l'égocentrisme personnel.
(3) Il est juste évident que l'éminent professeur Leo Strauss n'aurait pas cautionné l'holocauste, or les soviétiques aussi, étaient complotistes antijuifs. C'est ainsi que peuvent exister, aujourd'hui, des Alain Soral …
(4) On songe aussi, à nos façons d'envisager Martin Heidegger, qui eut une relation durable avec Friedrich Jünger jusqu'à collaborer parfois ; sur la question de la technique, justement.
(5) Comme dans la pire science-fiction, à la manière des « Technos-Technos » ou « Sainte Eglise Technologique », dans le terrible univers d'Alejandro Jodorwsky où se déploient diverses aventures. La civilisation nord-atlantique vit de Républiques post-romaines, Républiques corpocratiques. LREM d'ailleurs, n'est qu'une corporation.
(6) Le même (men)songe, nous fait prendre la révolution conservatrice allemande pour un pré-nazisme, alors que les choses sont plus compliquées que cela.
(7) La tendance à se dévorer entre soi.
(8) À voir, cette excellente conférence d'un ingénieur « qui en est revenu ».
(9) Christophe Guilluy en parla le premier.
(10) En quoi nous suivrons le professeur Leo Strauss, dans son anti-positivisme.