Gaz et huiles de schiste : le grand bluff de l’indépendance énergétique américaine
Le rapport "World Energy Outlook" de l’AIE, l’Agence Internationale de l’énergie, publié fin 2012 a déclenché pléthore d’articles sur la prétendue indépendance énergétique des Etats-Unis en 2017. Le dernier en date, L’énergie change de maîtres ( Nouvel Observateur- 12 septembre 2013), annonce rien de moins que ceci : "L’Amérique des forages innombrables recouvre son indépendance".
Dans cet article, finie la domination de monarchies pétrolifères, place à la production abondante, moins chère des nombreux forages de gaz et huiles de schiste sur le territoire américain. Sans aucune nuance, ces articles sur un avenir glorieux des énergies non-renouvelables ne semblent apporter aucune réserve à cet optimisme. En contrepoint, l’article du Monde Diplomatique de mars 2013, Gaz de schiste, la grande escroquerie, soulève de sérieux doutes sur cette prétendue révolution et ce supposé nouveau partage énergétique mondial. Au lieu d’une Amérique lancée sur les rails d’une période de croissance et plus compétitive, l’auteur, Nafeez Mosadddeq Ahmed, voit plutôt une nouvelle bulle spéculative sur le point d’éclater.
D’abord, selon un article du New York Times du 25 juin 2011 " Insiders sound an alarm amid a natural gaz rush" : "l’extraction du gaz de schiste pourrait se révéler moins facile et plus coûteuse que ce que prétendent les compagnies comme l’indiquent des centaines de courriers et documents échangés par les industriels ainsi que les analyses des données recueillies sur plusieurs milliers de forages". D’autre part la revue Petroleum review ,principale publication de l’industrie pétrolière britannique, met en doute la fiabilité et la durabilité des gisements de gaz de schiste américains. (Source : Ruud Weijermars et Crispian Mc Credie/ Petroleum Review/ janvier 2011). Depuis que la SEC, commission de contrôle des marchés financiers, autorise les compagnies à chiffrer le volume de leurs réserves selon leur bon vouloir, de telles annonces sont soumises à caution.
Le Nouvel Obs du 19 septembre 2013 publie l’interview de Timothy Mitchell, historien américain qui déclare :" Le gaz de schiste s’est transformé en un champ de spéculation fianancière pour les banques et les investisseurs privés. Après l’effondrement du marché des crédits hypothécaires, les financiers étaient en quête d’un nouveau terrain de chasse. [...]. Comme les profits escomptés risquent de ne pas être au rendez-vous, il faut s’attendre à une série de banqueroutes, fusions et rachats ;.. qui feront autant de commissions pour les banques.".
Ensuite, sur un plan strictement économique, il n’est pas certain que l’exploitation des gaz de schiste soit rentable à long terme. Le rendement d’un forage chute brutalement de 60 à 90% au terme de la première année.
Enfin, les spécialistes des placements financiers, qui n’ont que le tiroir-caisse pour seul horizon, sont parfaitement conscients de la formation d’une bulle spéculative. Selon Wolf Richter, dans Business Insider ( 5 juin 2012) : "L’extraction dévore le capital à une vitesse étonnante, laissant les exploitants sur une montagne de dettes lorsque la production s’écroule. Pour éviter que cette dégringolade n’entame leurs revenus, les compagnies doivent pomper encore et encore, en compensant les puits taris par d’autres qui le seront demain. Hélas, ce schéma se heurte à un mur, celui de la réalité".
Rex Tillerson, Pdg d’Exxon Mobil, a tenu le 27 juin 2012, un discours réaliste et peu optimiste : " On est tous en train d’y laisser notre chemise. On ne gagne plus d’argent. Tout est dans le rouge. "( Source : Wall Street Journal)
"Pour obtenir les sommes astronomiques nécessaires au forage très spécifique du gaz de schiste, les producteurs ont du emprunter à des conditions complexes et exigeantes" précisait l’analyste John Dizard dans le Financial Times le 6 mai 2012.
Au final, l’illusion d’une quelconque prospérité due à la découverte de gaz et huiles de schistes ne tient pas face aux énormes contraintes financières et une bulle artificielle est en train de se créer.
Depuis 2008, le nombre d’installations de forage pour le gaz a été divisé par quatre aux Etats-Unis, alors les installations pour le pétrole ont été multipliées par sept ! » selon le site Un avenir sans pétrole. Mais ces nouveaux espoirs d’indépendance énergétique des Etats-Unis grâce au pétrole de schiste semblent promis aux même désillusions que le gaz de schiste selon le site américain Forbes.com. Dans un long article remarquablement documenté, titré : "Pourquoi le boom du pétrole de schiste pourrait finir plus tôt que vous croyez" daté du 13 mai 2013, le journaliste Christopher Helmann pointe au moins 2 raisons pour lesquelles les USA ne seront pas indépendants à la fin de cette décade comme trop d’articles le mentionnent en France. A lire en anglais ici
- Les investissements sont trop importants (achat de terrain, forages, autres cout d’extraction et d’exploitation) et les prix de vente du pétrole de schiste ont chuté de 58% entre 2011 et 2012. Ces prix trop faibles ne permettent pas au pétrole de schiste d’être rentable aujourd’hui ou demain car les conditions d’extraction et d’exploitation ne changeront pas.
- L’OPEP, le plus puissant cartel pétrolier mondial ne va pas rester les bras croisés. Il lui suffit d’augmenter ses quotas de production pour faite chuter ses prix et décimer ainsi tous les producteurs marginaux de pétrole de schiste aux Etats-Unis.
Les Etats-Unis produisent aujourd’hui, c’est un fait, plus de pétrole qu’ils n’en importent, mais cela ne préjuge aucunement d’une indépendance énergétique future. Par ailleurs de grandes réserves de pétrole conventionnel existent au Texas et dans d’autres états mais elle ne sont pas aujourd’hui considérées comme des vecteurs de croissance. Ed Hirs, professeur en économie de l’énergie à l’Université de Houston cite à ce sujet, le paradoxe de l’économiste qui n’a pas pris la peine de ramasser un billet de 100 $ posé au milieu d’un trottoir très fréquenté pensant qu’il ne pouvait s’agir d’un vrai billet de 100 $, car alors quelqu’un d’autre l’aurait déjà ramassé ."
Et encore, nous n'avons pas abordé dans ce billet, le problème écologique bien réel. A lire ici