mardi 16 juin 2009 - par Michel Koutouzis

Hydrocarbures : des capitaux douteux en Amérique Latine

 Dans un environnement conçu comme entropique, les grandes compagnies pétrolières sont attirées par l’idée d’une mise en place des infrastructures nécessaires à leurs exploitations par l’attraction de « capitaux du marché libre » accoutumés à des investissements à risques.
 
Ainsi, en Colombie, en Bolivie, au Paraguay, à l’Equateur, pour ne donner que quelques pays en exemple, se multiplie le phénomène de « one purpose company » agissant au sein du marché obligataire et qui trouve majoritairement son financement au sein des places offshore.
 
Par ailleurs, des compagnies habituées à des environnements hostiles, issues principalement de Russie, n’hésitent pas à proposer leurs services, parfois en holding avec des compagnies occidentales ou régionales (Mexique, Colombie, Brésil). Ces travaux concernent aussi bien des gazoducs que des réseaux routiers et des infrastructures portuaires.
 
Il se crée ainsi, sous la pression de l’urgence, et sans régler préalablement les questions posés par le manque de coopération régionale et de la coopération bilatérale, un maillage de projets industriels extrêmement opaques, dont on identifie mal les protagonistes.
 
Faute de vouloir assumer les adaptations inhabituelles à leur modus vivendi, les compagnies pétrolières, échaudées par des discours politiques (qui sont eux mêmes prisonniers de la pression sociale qui les a, à juste titre, engendrés), s’accommodent de solutions souvent périlleuses, acceptant des montages financiers et des capitaux qu’elles ne contrôlent pas. Les Etats eux-mêmes dans le cadre de la mondialisation de l’économie et d’une pénurie des investissements, se lancent, comme le souligne le professeur Michael Bagley, à des « appels d’offre » internationaux souvent emportés par des compagnies fiduciaires « mieux offrant » dont l’identité reste floue. Michael Bagley souligne très explicitement le danger pour les compagnies pétrolières « de se trouver à leur insu impliquées dans des affaires de blanchiment ».
 
Washington, sous la pression du département d’Etat, a fini par s’intéresser à ce problème, qui risque de poser des problèmes de sécurité aux Etats - Unis et plus encore à certaines de ses compagnies pétrolières. Ainsi, dans le cadre du North American Security and Prosperity Partnership (SPP), elle prévoit la mise en place d’un bureau permanent de contrôle visant l’équité et la minimisation des risques concernant plus particulièrement les investissements énergétiques. Cela cependant ne concerne que le Mexique qui fait partie de l’ALENA. Dans le même cadre, il est prévu une commission tripartite (Etats - Unis, Mexique, investisseurs institutionnels), pour superviser le financement des infrastructures portuaires à construire, au Canada et au Mexique.
 
La continentalisation de l’économie de la cocaïne étant un fait, la jonction déjà aboutie du crime organisé avec le monde des affaires et ses efforts de créer des contacts avec l’économie formelle, pourraient dans d’autres conditions être relativement anodins. Mais dans l’environnement financier actuel, des risques de sécurité majeurs (d’autant plus qu’ils concernent un secteur hautement stratégique) sont évidents. Comme l’indique David Luhnow dans son langage diplomatique, se référant à la compagnie nationale Mexicaine : The value of an acquisition of Citgo by Pemex would include « noneconomic » factors for national and continental energy security that may be hard to quantify but are nevertheless real and substantial.
 
La Banque Mondiale dans son rapport de 2008, avec son propre langage, s’inquiète de l’utilisation maximale du marché obligataire dans le secteur des infrastructures qui a une conséquence très néfaste sur le retour de l’investissement : « Il est curieux que le climat de confiance observé ne se soit pas traduit par un retour du capital dans la région. Les entrées de capitaux semblent avoir atteint leur niveau le plus faible depuis le dernier trimestre de 2007, où elles sont tombées à moins de 10 % de leur niveau record d’avant la crise ». Malgré une légère reprise constante depuis 2006, il semble se dégager des chiffres de la Commission économique des Nations Unies pour l’Amérique latine et les Caraïbes (CEPALC) que indiquent que les années 2004-2008 ont été marquées par une sortie nette de capitaux estimée, en moyenne, à $12 milliards par an. Même aux moments les plus critiques de la crise de la dette des années 1980, la région n’avait pas connu de sorties nettes de capitaux de cette importance car le retrait des capitaux privés avait été compensé par les prêts d’organisations multilatérales et d’autres mécanismes de financement exceptionnels. C’est bien le signe, en tout cas pour les investissements déjà accomplis au sein des secteurs précités, que nous sommes en présence de capitaux « prédateurs » qui ne se fixent que pour réintégrer juste après, en tant que « dividendes » le marché international.
 
D’ailleurs, au sein de ce même rapport, la Banque Mondiale exhorte les pays de l’Amérique Latine et des Caraïbes à prendre des mesures pour combattre le blanchiment de l’argent, problème qui devient urgent… car « certaines faiblesses structurelles de la région favorisent le recyclage des fonds et tant qu’il ne sera pas remédié comme il convient à ces faiblesses, les mesures purement législatives risquent de s’avérer insuffisantes ».



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