lundi 5 mars 2007 - par JDCh

Inflexisécurité à la française...

La France, comme une bonne partie de la planète et en tout cas tout ce que l’on appelle le "monde occidental", est en fin de transition entre un "monde industriel et mercantiliste" et une "ère post-industrielle et globalisée". Je parle à dessein de fin de transition car la situation de notre pays est un peu celle de quelqu’un qui, pour continuer son voyage, doit changer de train. Nous étions jusqu’alors dans la navette entre ces deux époques, avons-nous envie de prendre le TGV qui est sur l’autre quai ou préférons-nous attendre en gare que... rien ne se passe ?

L’époque "industrielle et mercantiliste" avait deux caractéristiques : un, une grande partie des emplois étaient des emplois de production de biens de consommation ou d’équipement et deux, les États, au travers des barrières douanières et de politiques bilatérales d’échanges économiques, jouaient un rôle clé dans les échanges commerciaux internationaux. Cette ère est révolue... Croire que l’on pourrait y revenir est illusoire... Réfléchir comme si ce n’était pas le cas est naïf si ce n’est stupide voire suicidaire...

Les chiffres passés parlent d’eux-mêmes, de 35% dans les années 50, en passant par 25% en 1980, le pourcentage d’emplois industriels en France est maintenant aux alentours de 15%. En moins de trente ans, 40% des emplois industriels ont disparu... et cela ne va pas s’arrêter même si naturellement le rythme en nombre absolu d’emplois supprimés se ralentit déjà (1% de 15% c’est moins que 1% de 25% !).

On attribue à la mondialisation et aux délocalisations vers des pays à bas coûts salariaux cette destruction d’emplois, c’est exact mais incomplet. Il est peut-être utile de rappeler que le phénomène a commencé bien avant la montée en puissance Chinoise et qu’il a démarré lorsque les robots Japonais ont rendu "ringardes" les usines tayloristes Américaines ou Européennes : les ouvriers Japonais n’étaient pas à l’époque moins bien payés que les ouvriers Français... Ils étaient simplement moins nombreux à produire plus, et ils produisaient au rythme des commandes. La France, comme l’Allemagne, a d’ailleurs fort bien robotisé son industrie dans les années 70 et, bien que détruisant de très nombreux emplois, a maintenu et amélioré à la fois le niveau de qualité des produits manufacturés en France et la productivité de ces usines (un exemple qui parle à tout le monde est celui des voitures Françaises de qualité médiocre à l’époque qui égalent maintenant les voitures Japonaises ou Allemandes en terme de fiabilité et souvent de qualité de finition).

L’émergence de la Chine (et de l’Asie du Sud Est en général) a certes apporté une possibilité de gain de productivité en permettant de réduire, dans un rapport de 1 à 5 voire plus selon les industries, le coût de la main d’oeuvre inclu dans le prix d’un produit mais elle n’a pas apporté que cela : en devenant "l’usine du monde", cette zone a "mutualisé" les moyens de production de nombreuses entreprises, lissé les volumes et donc "flexibilisé" les coûts de fabrication.

Pour un produit manufacturé donné, le coût de la main d’oeuvre ramené au prix de vente par l’industriel est un facteur de décision mais il doit être comparé aux coûts de la matière première ou des composants du produit souvent bien supérieurs ainsi qu’aux coûts de transport ou de non-qualité inhérents à toute production délocalisée et sous-traitée. Nous sommes arrivés à un point où à flux de production régulier et utilisant pleinement l’outil de production, ce "coût de main d’oeuvre à la pièce" n’est plus déterminant. Ce qui est dorénavant déterminant, c’est la flexibilité de l’outil de production, sa capacité à maintenir un "coût à la pièce" constant alors que les commandes ne sont pas au niveau attendu, alors que le produit sur lequel le marketing misait beaucoup fait un "flop", alors que le produit ne se vend qu’au moment de Noël ou encore alors que le grand client industriel connaît un retard important et diffère ses demandes de livraison... On pourrait multiplier les exemples.

Si vous demandez à un manager de choisir entre un modèle à forts coûts fixes qui ne peut donc être rentable qu’au dessus d’un certain niveau de production et un modèle à coût fixe limité et à coût principalement "variabilisé" c’est à dire dépendant mécaniquement du niveau de production, il n’y aura jamais photo. Tout bon dirigeant dont la mission est, avant de penser à améliorer ses profits, d’assurer la pérennité de l’entreprise choisira le modèle à coûts variables. Par ce choix, il sait qu’un coup dur n’entraînera pas forcément la faillite de l’entreprise. Si un produit est un "flop commercial", c’est le sous-traitant chinois qui assumera financièrement le fait qu’il y a moins à produire...

Résumer le phénomène des délocalisations industrielles à une guerre économique avec des pays à faibles coûts salariaux est donc une erreur. La véritable guerre économique est entre des économies à forts coûts fixes et des économies à coûts "mutualisés"/"flexibilisés"/"variabilisés". La lutte pour produire le jouet en plastique à 3 euros ou le T-shirt en coton à 2 euros est évidemment déjà perdue, celle pour assembler un téléphone portable, un écran plasma ou un ordinateur l’est également et celle pour continuer à construire des voitures, des avions, des turbines électriques pas encore... Le taux "horaire" de nos ouvriers représente finalement un facteur peu déterminant dorénavant, notre vision "inflexible" du monde industriel l’est. Les constructeurs automobiles en utilisant beaucoup d’intérimaires et en mutualisant la production des composants d’une voiture au sein d’une chaîne de sous-traitance à plusieurs niveaux ont trouvé une réponse satisfaisante... pour l’instant. Ils ont "variabilisés" leurs coûts de production mais il leur faut sortir, année après année, des modèles à succès, différents et bien positionnés pour pérenniser leur modèle...

L’ère dite "industrielle" était une époque où la demande était plus forte que l’offre. Un fabricant de télévisions dans les années 50 savait qu’il vendrait ses téléviseurs s’il était capable de les amener sur le marché à un prix abordable pour le consommateur. L’ère "post-industrielle" dans laquelle nous sommes est une époque où l’offre est pléthorique, où il faut capter l’attention du consommateur, adresser des marchés de niche de plus en plus étroite, convaincre souvent par des critères "immatériels", créer le besoin par l’innovation... Le succès de l’iPod n’a rien à voir avec le fait que ses objets portables sont fabriqués par un sous-traitant asiatique "à bas coûts salariaux" : il est dû au fait que l’objet est beau, que l’utilisateur sait s’en servir très vite et très facilement, que sa connexion à iTunes est "sans couture"... Apple n’aurait jamais pu non plus devenir un fabricant de lecteurs de musique digitale si elle n’avait pas pu s’appuyer sur un sous-traitants nommé Inventec (qui aurait pu être Flextronics, Solectron ou un autre) acceptant de mettre en place des chaînes d’assemblage et garantissant une montée en charge de la production dépendante du succès commercial de l’iPod.

Quand on voit les politiques de tous bords se pencher sur le lit du malade Airbus, quand on entend les syndicalistes "inflexibles" de la CGT ou de FO s’exprimer sur tel ou tel plan de restructuration, quand on voit l’énergie et l’argent dépensés pour essayer de sauver un mode de conception de l’entreprise industrielle qui a maintenant plus d’un siècle, on prend peur car le TGV sur l’autre quai annonce son départ et tout ce petit monde -y compris ceux qui les écoutent- va rester en gare...

Nos voisins, soumis exatcement aux mêmes conditions économiques, on fait des choix, accepté le changement, pris en considération l’inéluctable et sont en train de rebondir. En caricaturant, les Britanniques ont fait leur deuil de l’industrie manufacturière mais ont construit une économie de la finance et des services qui n’est pas délocalisable (le "back-office" de la City se trouve à Edimbourg...), les Allemands ont sélectivement et intelligemment organisé la délocalisation partielle de leurs industries en Europe centrale (Pologne Slovaquie...) et généralisé dans leur pays la flexibilité du temps de travail, les Danois ont misé sur l’innovation (ce pays qui compte 12 fois moins d’habitant que la France investit un tiers de ce que la France investit en capital-risque soit 4 fois plus par habitant) et la fameuse "flexisécurité" dont certains de nos politiques parlent sans vraiment en expliciter le contenu fondamental...

Les Danois ne sont pas d’épouvantables ultra-libéralistes, individualistes sans humanité, prêt à sacrifier la cohésion sociale de leur petit pays pour permettre l’enrichissement de quelques uns. Non, les Danois culturellement à mi-chemin entre leurs voisins Suédois et Allemands ont simplement compris que monter dans le train de l’autre côté du quai était impératif, que la transition que cela implique est fondamentale et que leur modèle devait être amendé lourdement pour se remettre à fonctionner de façon "flexible et sécurisée"... Ils ont surtout compris que la globalisation n’est pas simplement porteuse de délocalisations industrielles, qu’elle nécessite de la compétitivité, de l’innovation et de la flexibilité économique dans tous les secteurs et que, bien adressée, elle peut constituer une opportunité pour leur pays pourtant peu soupçonnable de "dumping social".

Il est bien évidemment très difficile d’isoler une mesure, un dispositif ou un symptôme dans le modèle Danois qui soit à l’origine de son succès lui permettant d’avoir un taux de chômage de moins de 5% contre 9% en France et surtout un taux d’emploi de 77% contre moins de 60% chez nous (sur la population âgée de 15 à 65 ans - cf A quoi cela sert-il de compter les chômeurs ?).

On peut les lister en "vrac" :

  • aucune contrainte légale sur la durée du travail ou le contrat de travail (notamment sur les conditions de rupture de ce contrat) ce qui permet aux entreprises d’ajuster leurs effectifs et la durée de travail de ceux-ci à leurs besoins économiques ;
  • pas de salaire minimal et un recours important au temps partiel (21,5% contre 16,5% en France) avec pourtant une différence de revenu d’un facteur 3,4 entre les 20% les moins bien rémunérés et les 20% les mieux payés (contre plus de 4 en France)
  • prise en charge à 90% (pour les petits salaires) du salaire pendant 4 ans par l’assurance-chômage mais avec une forte dégressivité de l’indemnité ramenée à 60% du salaire pour le salaire moyen (contre 71% en France) ce qui conduit, en conséquence bien sûr du faible taux de chômage, à une dépense globale d’indemnisation des chômeurs qui a été divisée par presque 3 en 15 ans alors qu’elle a augmenté de presque 50% en France sur la même période ;
  • obligation dès la deuxième année de chômage de passer 75% de son temps en formation ou en stage... ce qui dissuade un certain nombre de gens de rester plus de un an au chômage car ils n’ont pas envie de retourner sur les bancs de l’école ou de faire un stage dans une administration (!) et ce qui permet aux gens en transition d’être reconvertis en fonction des besoins du marché de l’emploi ;
  • dépenses "actives" de lutte contre le chômage de 1,6% du PIB (contre 1% dépensés visiblement de façon inefficace en France) financés par l’impôt sur le revenu payé par quasiment tous les Danois (contre moins de 50% des Français) rendu ainsi conscients de l’effort financier collectif demandé ;
  • utilisation massive des préretraites volontaires ou mise à la retraite anticipée (10 fois plus qu’en France) actant le fait que la génération qui a aujourd’hui plus de 55 ans est, pour partie, "non recyclable" dans le marché de l’emploi alors que le pays a déjà un taux d’emploi très élevé ;
  • taux de syndicalisation des travailleurs Danois de 80% contre 8% en France qui s’explique par la nécessité d’adhérer à un syndicat pour souscrire une assurance-chômage mais qui révèle également la possibilité pour le salarié Danois de ne pas souscrire d’assurance-chômage s’il le souhaite ;
  • taux de rotation annuel de l’emploi de 30% (presque un Danois sur trois change de job chaque année dont une fois sur quatre parce qu’il a été licencié et trois fois sur quatre parce qu’il a trouvé un meilleur job) contre moins de 15% en France ;
  • 1% de chômage de longue durée contre 3-4% en France ;
  • excédent commercial de 3% du PIB contre un déficit commercial d’un peu plus de 2% en France ;

Cet inventaire à la Andersen est, mes lecteurs en conviendront, loin de l’ultra-libéralisme dont parfois je suis accusé : il peut même parfois paraître paradoxal et ne devient cohérent que si l’on considère toutes ses composantes. Il assemble la flexibilité économique condition indispensable à la création de valeur et de richesses, la mise en valeur de la mobilité professionnelle comme une assurance de pérennité dans le monde du travail, une responsabilisation de tous les citoyens par l’impôt, l’obligation de prise en charge par lui-même pour le citoyen-chômeur et...

...finalement, une reconnaissance par tout un chacun du monde tel qu’il est et non tel qu’il pourrait être si rien n’avait changé.

En relisant cet inventaire, avouez que nos débats gaulois sur le CNE, le CPE ou le contrat unique paraissent bien anecdotiques quand on voit le chemin qu’il nous faudrait faire pour traverser le quai et monter dans le TGV Danois !

Pour ceux qui m’auraient mal lu, je ne me fais pas ici l’avocat du système Danois et je pense que la recette que nous devons appliquer en France pour fabriquer notre train peut être différente mais vérifions simplement que nous ne construisons pas un train-corbillard et que la largeur des rails et la tension dans les caténaires sont compatibles avec le monde dans lequel notre économie est intimement imbriquée.



14 réactions


  • ZEN zen 5 mars 2007 11:53

    Bel éloge de la flexibilité et de la mutualisation de la précarité, érigée en règle économique généralisée, pour le plus grand profit des « capital-risqueurs » dont fait partie l’auteur...


  • gigabyte_land (---.---.84.124) 5 mars 2007 12:22

    Votre article est très intéressant sur la partie décrivant le système de Flexsécurité instaurée au Danemark.

    Cependant vous vous lancez dans le catastrophisme d’anticipation, comme c’est à la mode actuellement.

    L’industrie lourde française a vécu, elle est décédée il y a 30 ans déjà.

    La petite industrie est moribonde et n’en a plus pour longtemps.

    Cependant les Entrepreuneurs Français on déjà sû faire face et de la plupart des entreprises se créent maintenant sur les Services et le biens non délocalisables.

    Si la France n’était pas attractive, les fonds US qui s’investissent actuellement en masse en France iraient tout bonnement ailleurs.

    Le problème n’est pas la flexibilité de l’emploi qui va très bien en France depuis les 35H pour cause d’annualisation du temps de travail.

    Le problème est la sécurité : L’UMP a voulu ériger la flexibilité sans mettre en place les filets de sécurité Danois.

    D’où le tollé sur le CPE, CNE et autre joyeusetées prévues par les duettistes Sarkozy/Villepin


  • (---.---.37.71) 5 mars 2007 12:26

    « est en fin de transition entre un »monde industriel et mercantiliste« et une »ère post-industrielle et globalisée« . »

     ?? Ca fait drolement longtemps que les services ont dépassé l’industrie ! (Année 70 ?) Quant au mercantilisme, cette politique du XVIIme siécle, mieux vaut ne pas en parler !

    Par contre, il est vrai qu’il existe toujours un décalage en la réalité et la perception que les gens en ont. C’est ainsi qu’ils se focalisent sur la résolutions de problémes qui n’existent plus depuis longtemps : Persistance d’agréga, comme le dit Pareto, ce génie. La gauche en France, est encore mentalement au XIXéme siécle, à Londre.


  • Forest Ent Forest Ent 5 mars 2007 12:47

    Article intéressant et bien écrit, qui entrelace habilement plusieurs argumentations.

    Ce qui est vrai, c’est que la mécanisation a fait beaucoup reculer le besoin de main d’oeuvre. Le 19ème siècle a vu la mécanisation des campagnes, et la reconversion des paysans en ouvriers. Le 20 ème siècle a vu la mécanisation des usines et la reconversion des ouvriers en cols-blancs. La fin du 20ème siècle a vu la mécanisation des travaux de bureau, et là, dilemne ...

    Cela dit, on n’arrive pas à des productions primaires et secondaires nulles, et le contrôle de ce qui reste continue à représenter un enjeu majeur. A quoi bon des services à l’industrie quand on n’a pas d’industrie ?

    Les comparaisons entre pays sont biaisées. Il n’est pas possible de comparer de « grands pays » comme la France et l’Allemagne à de « petits pays » comme l’Irlande, la Hollande et le Danemark. La comparaison avec l’Allemagne est plus intéressante : elle reste un pays industriel, et n’a pas tout délocalisé pour l’instant. La désindustrialisation anglaise date des années 1930 : c’est un choix fait volontairement (par Churchill il me semble) comme suite à la crise de 1929.

    Enfin et surtout, il y a un jeu de mot sur le mot « flexibilité ». Il est vrai que les entreprises modernes ont besoin de souplesse. Mais ça n’a rien à voir avec la flexibilité du contrat de travail comme suggéré ici. Ce qui est en cause, c’est le management !

    Cela reste un article intéressant et une bonne base de discussion pour confronter des visions sociales.

    Points d’accord :

    - le progrès technique est inéluctable

    - il implique des bouleversements sociaux, et des modifications des structures des entreprises

    - on a besoin d’un minimum d’échanges extérieurs.

    Points de désaccord :

    - la mondialisation telle qu’est pratiquée n’est pas inéluctable

    - la mondialisation un rôle de régulation d’autant plus fort des états (ou équivalents comme l’UE)

    - l’Europe devrait avoir un rôle pour limiter les échanges en cas de besoin, créer le protectionnisme nécessaire au développement de nouvelles technologies, concurrencer efficacement les Etats-Unis, qui sont notre adversaire commercial stratégique.


  • ZEN zen 5 mars 2007 14:01

    Je veux bien que l’on nous parle du Danemark, mais il faudrait y regarder de près.Ce modèle n’est pas tout à fait aussi performant que ce que l’on nous dit, outre qu’une partie du chômage n’est pas comptabilisée.

    Pour plus d’infromations (voir surtout la partie consacrée au chômage) :

    http://travail-chomage.site.voila.fr/index2.htm


    • Fred (---.---.155.75) 5 mars 2007 17:29

      Tiens encore ce site internet que les gens utilisent pour montrer que la France travaille plus que les autres pays alors que les etudes utilisees dans ce site pour la France ne prennent pas en compte les vacances et autres absences. On dirait l’ifrap de la droite. On va essayer de nous faire croire que l’emploi public en France n’est que de 19.4% mais bien sur.


  • Comenius (---.---.172.144) 5 mars 2007 15:32

    En 2004, le Danemark a plus de préretraités (187 200) que la France (139 700) pour une population active dix fois plus faible. Avec les autres mesures de marché du travail, le nombre réel de chômeurs est 2,52 fois le nombre officiel. Le taux de chômage réel devient 14,65 % au lieu d’un taux officiel de 6,38 %. La tromperie est dévoilée. Avec une évolution de sa population active identique à celle du Danemark depuis quinze ans, non seulement la France n’aurait plus aucun chômeur officiel, mais le chômage réel serait résorbé pour l’essentiel. Et cela sans introduire une plus grande flexibilité des contrats de travail.

    Si de plus la France avait eu recours à la même proportion de préretraites que le Danemark (6,78 % de sa population active), le chômage réel aurait entièrement disparu et beaucoup d’emplois à temps partiel seraient redevenus des emplois à temps plein. Inversement, si la population active du Danemark avait augmenté dans la même proportion qu’en France (+12,1%), tout en créant aussi peu d’emplois (43 600 en quinze ans), le nombre de chômeurs aurait augmenté de 372 500 et le taux de chômage réel serait devenu 24,0 % de la nouvelle population active (après son augmentation).

    Comme l’on voit, le succès apparent du Danemark ne doit rien à la flexicurité, mélange de flexibilité et de sécurité (discours bien connu). En fait, le modèle danois n’a aucun mérite pour résoudre le problème du chômage, une fois enlevés les artifices qui cachent le chômage réel et encore moins en tenant compte de la démographie de l’emploi.

    Lire Danemark et chômage : le modèle danois n’a aucun mérite pour un document très complet et de grande qualité, avec des tableaux statistiques et les sources utilisées. D’autres aspects y sont aussi abordés : indemnités de chômage, coût du travail, durée effective du travail.
    — 

    Au Danemark en 2004, pour un nombre officiel de 176 400 chômeurs, 268 300 personnes étaient enregistrées dans les « mesures de marché du travail » (labour market policy measures), des préretraites pour l’essentiel. Le chômage réel était donc de 444 700 personnes. La population active étant de 2 766 300 personnes, le taux de chômage officiel était de 6,38 %. Mais, en réintégrant les 268 300 faux inactifs (préretraités ...) dans la population active, celle-ci devenait 3 034 600 personnes et le taux de chômage réel 14,65 %. Ce taux est un minimum, car ne prenant pas en compte les « invalides » pour raisons sociales.

    En France en 2005, pour 2 420 000 chômeurs au sens de l’Anpe (catégorie Defm 1) et 2 717 000 chômeurs au sens de l’Insee, le nombre réel de chômeurs en équivalent temps plein était de 4 092 000, soit un taux de chômage réel de 14,53 % (compte tenu de la correction sur la population active) . Pour rester comparable aux données danoises, l’équivalent en chômage des emplois à temps partiel n’est pas pris en compte ici. Lire Le chômage réel en France : 1996 et 2005 sur le même site.
    — 

    Le modèle français est le plus honnête en matière de chômage, ou le moins habile pour en cacher l’étendue, comparé au modèle danois, anglais ou hollandais. Le recours aux préretraites massives est utilisé au Danemark, l’invalidité pour raisons sociales (sans réelle invalidité médicale) est la mesure principale en Angleterre (Royaume-Uni) et aux Pays Bas, ce qui n’empêche pas l’utilisation d’autres mesures pour cacher l’importance du chômage. Dans ces trois pays, le chômage réel est de deux à trois fois plus important que le chômage officiel et se trouve comparable au chômage réel en France.
    — 

    Enfin, le Danemark produit et exporte du pétrole et du gaz, ce qui arrange beaucoup les finances publiques et permet de payer un nombre considérable de préretraites pour faire baisser le chômage apparent en diminuant la population active.


  • cambacérès cambacérès 5 mars 2007 19:42

    La réponse est peut-être là....

    http://actuantichomage.monsite.orange.fr/


  • Droopy (---.---.71.189) 5 mars 2007 21:22

    Super, vive la flexibilité !! Pour les autres hein ? Pas pour vous ! Ben oui, c’est mieux d’encenser la flexibilité dans un fauteuil d’expert bien confortable à la situation inflexible.


  • (---.---.190.171) 5 mars 2007 22:33

    Je lis

    «  »" # aucune contrainte légale sur la durée du travail ou le contrat de travail (notamment sur les conditions de rupture de ce contrat)...

    # pas de salaire minimal et un recours important au temps partiel (21,5% contre 16,5% en France) ... «  »"

    Comment peut on parler de temps partiel si il n’y a pas de durée légale du travail ?


  • (---.---.99.137) 7 mars 2007 15:30

    Au lieu de dénicher de prétendus privilèges, il vaut mieux regarder quels sont les privilèges incontestables. Ainsi, ça se bataille ferme au sein de l’UMP pour succéder à Debré à la présidence de l’ assemblée nationale, pour moins de 3 mois, jusqu’aux élections. Le maire de Lingolsheim bataille ferme pour décrocher le poste. Le salaire ? 60 000€ mensuels et une voiture de fonction avec chauffeur à vie ainsi qu’un bureau au sein de l’assemblée. Alors qu’un tel poste CDD ne servira à rien, nos élus démontrent une fois de plus que leurs privilèges, ils y tiennent. On aurait aimé qu’au nom de l’intérêt général ils suppriment ces privilèges injustifiés, mais non , ils se précipitent pour bénéficier du gaspillage.


  • (---.---.111.13) 9 mars 2007 09:07

    MERCI , pour ce brillant Article. MERCI .

    A lire les réactions à votre article, nous restons bien dans la civilisation des «  » MOI-JE - CENTRE DU MONDE «  ». Cette mentalité ne semble pas vraiment correspondre à la prise en gare de « vos tgv » qui passent . Par contre, il est logique de penser que quelqu’un(/quelques-uns) les envoient ; et quand ces personnes qui les envoient se fatigueront , on criera "mais, qu’ est-ce que j’ai fait au bon dieu (ou même au Bon Dieu ), s’il existait il ne permettrait pas tous ces malheurs..)


  • cdg (---.---.200.228) 10 mars 2007 19:19

    globalement bon article mais quelques remarques : 1) les interimaires qui travaillent pour un constructeur auto comme vous l ecrivez sont statistiquement consideres comme travaillant dans les services (leur employeur officiel est un societe d interim) et non dans l industrie. Ca fausse donc un peu les chiffres sur le declin de l industrie.

    2) sur le plan economique c est clair que le modele d une entreprise flexible qui permet d absorber les hausses ou baisses de production est celui qui a de l avenir. Par contre, dans un pays mine par le chomage de masse et la hantise de la pauvrete (50% des francais craignent de devenir SDF) dire que vous risquez de perdre votre emploi pour cause de production insuffisante est une declaration de guerre pour ceux qui l entendent et qui s imagine tout de suite a la rue

    Pour le reste, je lisais un article sur toyata qui va bientot devenir le premier constructeur auto mondial. Quel est leur success ? Se remettre en question, etre centre vers le client et le produit. Un jour j ai lu une intgerview sur l automobile du futur. On y interviewais PSA et renault (cocorico) mais aussi le PDG de toyota et de GM. Devinez, le seul qui ai parle de « produit » c est celui de toyota (voiture hybride de memoire). Les autres ont fait un bla bla financier soupoudre de considerations generales Et apres on s etonne du resultat ! Le probleme majeur en france c est que tout est fossilise et que rien ne change. On ne change pas une equipe qui perd pourrait etre notre slogan (que ce soit au plan economique ou politique d ailleurs)

    3) comme vous le dites, l asie a mutualisee la fabrication. Donc si un client commande moins, l autre commandera peut etre plus. C est l avantage d etre tous au meme endroit. Malheureusement cet endroit n est pas en france ! (mais tout n est pas perdu pour les francais, ils peuvent s y installer)

    4) quand au petit dessin, il explique bien l un de nos problemes : un petit jeune qui prend dans la tete toutes les contraintes (comme la flexibilite qui les fait vivre avec des revenus ridicules ou au crochets de leurs parents) et de l autre un « senior »pepere". D ou l exil de ceux qui le peuvent et les emeutes de ceux qui sont coinces et sans espoir


  • Arnaud DELOSTE (---.---.37.125) 21 mars 2007 12:00

    Je dis simplement bravo pour la puissance explicative de votre article. Il évident que la réalité du succès de nos chers voisins est bien plus « complexe » que le laisse voir la perception de nos candidats. Les raccourcis qu’ils prennent avec la flexisecurité danoise, notamment Ségolène Royal, est affligeante pour la personne qui voyage un peu et qui essaye de sortir de l’idéologie patente dans lequel notre pays est enfoui. L’incurie est le dénominateur commun de bien de nos candidats. La médiocrité du protectionnisme n’est pas en reste. Après introspection, je crois qu’en définitive, nous français, sommes suicidaires. J’ai la conviction que nous ne prendrons pas le TGV Danois. Nous resterons en gare et prendrons peut-être le dernier tortillard. J’en suis le premier affligé...


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