jeudi 25 juillet 2013 - par Sébastien Walther

Ivry-sur-Seine : bientôt, l’amoncellement ?

L’Observatoire Régional des Déchets d’Île-de-France (ORDIF) a fait part pour la première fois depuis 2008 d’une augmentation du volume de déchets par habitants. Une mauvaise nouvelle pour les promoteurs du projet de renouvellement de la centrale d’incinération d’Ivry-sur-Seine, qui tablaient justement sur une diminution pour valider l’idée du projet et faire admettre aux habitants la possibilité de se passer du site pendant de longue années, le temps des travaux.

« Le Syctom n'est pas en mesure de renoncer à un site d'une capacité de traitement de 700 000 t de déchets ménagers ». C’est ainsi que s’exprimait en 2004 François Dagnaud, le président du Syctom (Syndicat intercommunal de Traitement des Ordures Ménagères). C’est pourtant bien ce qui risque de se produire dans les années à venir, si le projet de reconstruction de l’Unité d’Incinération des Ordures Ménagères (UIOM) d’Ivry-sur-Seine est entériné. Première conséquence, les millions de tonnes de déchets traités annuellement par le plus important site d’incinération de France vont devoir être envoyés plus loin pendant les travaux. Mais la deuxième accumulation pourrait être celle des taxes et des dettes qui ne manqueront pas de venir rattraper un projet discutable et discuté.

Des conséquences mal mesurées

Il est bien difficile de se projeter dans l’avenir de la collecte et le traitement des déchets, et la prospective en la matière est un exercice périlleux. En témoigne cette réflexion, datant de 2010 d’une opposante EELV au projet soulignait l’aberration des prévisions notamment sur les chiffres pris en compte sur une probable diminution du volume des ordures. A l’époque on dénonce un projet surdimensionné, qui ne prendrait pas en compte les accords de Grenelle et la réduction des déchets qu’ils impliquent. Sauf que depuis, la tendance s’est inversée : nous produisons plus de déchets qu’avant par habitants, avec en prime, une population qui augmente. Du coup, le projet, qui prévoit une réduction d’un gros tiers des capacités d’incinération risque à l’inverse de se retrouver… sous-dimensionné par rapport aux besoins. Dès lors, en plus de la question de la destination des déchets actuellement traités par Ivry-sur-Seine pendant la durée des travaux, va peut-être se poser celle des déchets qui la future centrale ne pourra pas incinérer.

Un projet mal maîtrisé ?

Au moment-même où la Cour des Comptes fustige dans un rapport la pléthore d’agents de l’Etat en régions et au niveau des collectivités locales, il semblerait pourtant qu’il manque du monde à certains endroits. En effet, à Ivry-sur-Seine, en dehors de la mairie et du Syctom, à l’origine du projet, personne, au niveau de l’Etat, ne semble vraiment s’intéresser à une dépense prévue de plus d’un milliard d’euros. Le Syctom a en effet l’intention de raser l’actuel UIOM d’Ivry-sur-Seine pour reconstruire à la place…la même chose, ou presque. Il est vrai que cette centrale qui fournit électricité et chaleur à plus de 100 000 équivalents logements est la plus ancienne de France. Mais depuis environ dix ans, elle a déjà fait l’objet d’investissements pharaoniques, non seulement pour être mise aux normes anti-pollution de l’air, mais aussi pour prolonger sa durée de vie et améliorer les filières de tri existantes : plus d’une centaine de millions d’euros ont déjà été investi. Les résidents de la communauté d’agglomération, qui paient tout cela, via la taxe sur les ordures ménagères, ont de quoi s’interroger sur le bienfondé de ces travaux et ces dépenses, réalisés à partir de 2005, alors que le Syctom envisage la destruction du site depuis... 1999 : « Le réaménagement du centre d'Ivry-sur-Seine est également envisagé, afin de réduire sa capacité à 400 000 tonnes par an en 2010 ». Suite notamment aux études de faisabilité entamées en 2007, le « réaménagement » du site a depuis pris la forme d’une destruction pure et simple, alors que la poursuite des travaux de rénovation pourrait suffire et revenir nettement moins cher.

Un dossier de financement fumeux

Le volet financier n’est d’ailleurs pas le moins opaque des écrans de fumée dressés autour de ce projet d’incinérateur. En dehors du Syctom, le principal contributeur au projet est l’Etat, pour environ 10% d’un montant évalué de manière assez sommaire dans le dossier du maître d’ouvrage : « le coût du projet s’établirait entre 737 et 787 millions € HT. Il s’agit de coûts bruts, hors coût de dépollution du sol, hors coût des installations externes au site et hors acquisition foncière... Compte tenu de la complexité du projet et du fait que certains éléments techniques sont encore à préciser, ces estimations comportent une marge d’incertitude de l’ordre de 20% annoncée dans les conclusions des 3 études  ». Le contribuable saura certainement se souvenir de ces multiples approximations lorsqu’il devra régler la note. Mais il n’est pas sûr que le Trésor Public accepte que nous réglions nous nos impôts « à plus ou moins 20% ».

De son côté, le syndicat intercommunal espère une aide de 10% du montant de la facture sous formes de subventions. Sauf que l’Etat pourrait bien ne pas répondre à hauteur des besoins. Dans des projets similaires comme celui de la centrale Isseane à Issy-les-Moulineaux, l’Etat n’a financé que 2% d’une réalisation de 600 millions d’euros. Même dans le meilleur des cas, il reste au moins 90% des fonds à trouver, ce qui ne semble pas poser problème au Syctom : « l’autofinancement peut être estimé à 10%. Le reste du projet sera financé par emprunt  ». Des explications un peu courtes et légères, sachant que le rapport d’activité du Syctom 2012, page 40, mentionne déjà un endettement de plus de 500 millions d’euros. Avec 80% d’emprunt sur un projet qui dépassera largement le milliard d’euros, le Syctom ne semble donc pas se formaliser outre mesure de quasiment tripler son endettement. Quant à ses créanciers, ils ne semblent pas s’en émouvoir outre mesure. Une bien curieuse approche du financement de l’économie... réelle.




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