mardi 22 janvier 2008 - par Francois de la Chevalerie

L’autre scandale de l’amiante *

Aujourd’hui, seulement 3,5 % des bâtiments abritant de l’amiante ont été traités en France. Quelles sont les raisons de cette étonnante situation alors que le danger de l’amiante est connu ?

Compte tenu des capacités de traitement actuelles, il faudrait deux siècles avant de débarrasser le territoire d’un matériau dont la nocivité a été reconnue en 1997. De fait, les pathologies liées à l’inhalation de poussières amiantées sont nombreuses : fibroses pulmonaires, plaques pleurales, cancer de la plèvre, cancer bronchique. Selon une période d’incubation courant entre quinze et vingt ans, l’amiante tue inexorablement. 10 000 cas déjà diagnostiqués, 100 000 morts d’ici 2025 ! Pas moins de 42 000 personnes ont déjà demandé réparation au Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante (Fiva). La situation française n’est pas exceptionnelle. Une étude réalisée à l’hôpital Erasme à Bruxelles suggère qu’un adulte européen sur sept présenterait des signes pulmonaires d’exposition à l’amiante. Selon ce document, 25 000 nouveaux cas de cancers (10 000 mésothéliomes, 15 000 cancers du poumon) sont provoqués chaque année par l’amiante en Europe et en Amérique du Nord.

Malgré un état des lieux alarmant, pourquoi l’enlèvement de l’amiante n’est-il pas entrepris de manière systématique ? Pourquoi tant d’immeubles demeurent-ils imbibés d’amiante au risque et péril de leurs occupants ?

Souvent méconnue, la raison de cette situation tient au coût exorbitant des opérations à engager. En moyenne, 1 350 euros la tonne retirée. A cela, s’ajoutent des charges substantielles : immobilisation du bâtiment pendant la durée des travaux, transfert du personnel vers un autre site, réorganisation de la logistique, etc. Les frais à couvrir sont lourds. Par exemple, pour un immeuble doté d’une superficie de 10 000 m2, le coût approche 30 millions d’euros.

Même si l’obligation de désamianter ne devrait relever que de la seule urgence sanitaire, la réalité est autre. Dans le secteur privé, la décision de procéder aux opérations de désamiantage dépend généralement de la direction de l’entreprise. Celle-ci en évalue la pertinence au regard de ses coûts généraux, d’autres priorités. Faute de trésorerie, certaines entreprises s’en exonèrent. Si d’autres y répondent, certaines s’imposent par ailleurs d’égales économies. L’opération est ardue ! Qui plus est, le montant des travaux est rarement établi. Sur les chantiers menés en Île-de-France, les dépassements de budget avoisinent 25 %. Compte tenu de ces éléments, les sociétés gestionnaires de parc immobilier se trouvent dans l’impossibilité d’entreprendre les travaux d’un seul tenant. Pour les plus solides d’entre elles, un plan échelonné sur plusieurs années est mis en place. Cependant si certaines entreprises administrent directement leur patrimoine, d’autres en externalisent la gestion auprès de sociétés de conseil spécialisées dans l’immobilier d’entreprise. Inévitablement, ces dernières se montrent frileuses à suggérer à leur client un surcoût si, comme c’est souvent le cas, elles leur garantissent des charges d’exploitation à taux faible. Parfois la multiplication de propriétaires hébergés sur un même site conduit à une quasi-impossibilité de faire. Comment créer un « besoin commun » parmi les 90 propriétaires alors que chacun prétextera d’une situation particulière. Comment faire valoir à une personne issue du golfe Arabique qu’il devra débourser 150 000 euros pour son 400 m2 alors que dans son pays nulle loi ne l’y oblige ? De telle sorte que le désamiantage de la tour s’apparente à la quadrature du cercle. A cette situation s’ajoute la crise immobilière. A chaque exercice, les actifs immobiliers d’une entreprise sont réactualisés en fonction du prix du marché. En cas de baisse, il faudra envisager une dépréciation d’actifs, ce qui grèvera les comptes. Les gestionnaires seront alors tentés de reporter les opérations de désamiantage dans l’attente d’un marché plus prospère.

Le secteur public se comporterait-il mieux ? A priori, il devrait montrer l’exemple. Même si des plans d’action existent, beaucoup sont réajustés à la baisse s’ils ne sont pas tout simplement biaisés. Certains programmes trient entre les urgences alors que tout bâtiment douteux devrait être traité. Là encore, comme explication, le manque d’argent ! Etriquées dans leurs budgets, les administrations sont condamnées à l’inertie. Par exemple, beaucoup d’hôpitaux ont été construits dans les années 60 avec de l’amiante. Alors que le fait est connu, peu ont été nettoyés. Inévitablement l’exposition à l’amiante poursuit son œuvre, contaminant patients et personnel hospitalier. Au CHU de Caen, parmi les employés, des pathologies liées aux fibres se sont développées. Dans l’urgence, la direction a acté un plan de 140 millions d’euros sur cinq ans. Alors que l’établissement aurait dû être fermé, l’activité s’y poursuit. Contre toute attente, ce sont parfois les occupants d’un immeuble qui traînent les pieds. A Paris, la Maison des sciences de l’homme regorge d’amiante. Après maintes tergiversations, l’autorité de tutelle a décidé de délocaliser l’établissement en banlieue parisienne, ce qui a provoqué la colère d’une partie des occupants, pourtant exposés au risque. Cependant la palme de la mauvaise gestion revient au chantier de la faculté de Jussieu. Alors qu’il aurait fallu fermer l’immeuble, depuis 2002 les opérations sont menées chaotiquement, multipliant les retards. Résultat : les travaux ne sont toujours pas achevés, cent personnes atteintes et dix morts.

Bien que la responsabilité de l’Etat soit sanctionnée par les tribunaux, l’attentisme domine sur fond de manque d’argent. Malgré l’importance des demandes d’indemnisation (fonds financé par l’Etat et la branche accidents du travail de la Sécurité sociale, 1,5 milliard d’euros)*, apparemment cela ne suffit pas pour suggérer une politique plus radicale. Pendant ce temps, les ravages causés par les fibres progressent.

Quel remède ? Deux pistes doivent être envisagées. D’une part, la réduction de la facture du traitement de l’amiante passe par la mise en oeuvre d’autres procédés. Celui, actuellement dispensé, la torche à plasma, est très coûteux. D’autres propositions doivent être expérimentées. Il importe d’en faciliter les validations techniques, d’aider à des solutions alternatives. D’autre part, compte tenu de la complexité des opérations mêlant désamiantage et réorganisation immobilière, des sociétés spécialisées pourraient piloter les tâches à accomplir. Forte de l’expérience acquise, elles pourront travailler rapidement et favoriser l’éradication de l’amiante dans de plus brefs délais.

Ces deux points acquis, au lieu de baisser les bras, mieux vaut favoriser l’émergence d’une filière française de l’amiante, intégrant à des solutions techniques originales un savoir-faire de gestionnaire d’immobilier. L’enjeu en vaut la peine : mettre un terme à ce fléau, toujours persistant, en France et ailleurs.

* Le montant moyen des indemnisations varie de 20 000 euros pour les plaques pleurales à 100 000 pour les mésothéliomes.



13 réactions


  • morice morice 22 janvier 2008 11:40

    Sans vouloir faire dans la dérision au sujet d’un sujet aussi grave, à signaler que les américains ont trouvé comment désiamanter deux grandes tours en très peu de temps... En rendant tous les sauveteurs malades depuis.... car c’était bien de l’amiante au WTC, ces énormes nuages blancs. Les deux bâtiments en étaient truffés. A se demander pourquoi ils furent rachetés alors que le propriétaire était au courant... avant même d’investir...


  • ZEN ZEN 22 janvier 2008 11:57

    Un fléau qui est aussi une bombe à retardement..Combien de victimes dans les prochaines années : ?on parle de 200000à 500000 ...Ayant eu le triste privilège de perdre deux personnes très proches, décédées à la suite de manipulation non réglementée d’amiante dans une usine de pâte à papier, je suis assez sensibilisé par ce scandale...


  • Forest Ent Forest Ent 22 janvier 2008 12:02

    Il existe déjà une filière française de désamiantage, et en particulier "d’inertage" des déchets.

    Sans vouloir remettre en cause l’article, qui me semble sur le fond très juste, on peut relativiser un peu le risque par le fait que dans beaucoup de cas, quand l’amiante a été bien isolé, il n’est pas dangereux tant qu’on n’y touche pas.

    En fait, l’exposition ne concerne pas surtout des gens travaillant dans des locaux amiantés, mais des gens qui y interviennent, et surtout des techniciens de la maintenance et du bâtiment, singulièrement exposés.


  • ZEN ZEN 22 janvier 2008 12:54

    @ Forest

    "on peut relativiser un peu le risque par le fait que dans beaucoup de cas, quand l’amiante a été bien isolé, il n’est pas dangereux tant qu’on n’y touche pas.

    Le cas de Jussieu (entre autres) montre la nocivité du produit, l’usure des gaines et des protections entraîne inévitablement des catastrophes sanitaires...la moindre réparation entraine la dispersion de ces fibres dangereuses pour la plèvre . Il n’ y a pas à relativiser, il faut éradiquer et au plus vite, quel qu’en soit le coût...


  • Emmanuel W 22 janvier 2008 14:16

    Le Monde Diplomatique

    Archives — Avril 2002 - La caution des scientifiques :

    http://www.monde-diplomatique.fr/2002/04/HERMAN/16337

    Texte utile pour les victimes de l’amiante qui aimeraient rencontrer certains protagonistes.


  • Diego Diego 22 janvier 2008 17:19

    On enlève de l’amiante et on met de la laine de verre à la place, le problème est certes amoindrit mais la laine de verre n’est que de l’amiante en moins pire.

    Et dans 30 ans il faudra la virer !!

    Vive la politique du moins pire !


    • Forest Ent Forest Ent 22 janvier 2008 21:22

      Tout à fait d’accord. Rien ne montre que la laine de verre ne soit pas aussi dangereuse.

      En plus, ça pique partout.


  • docdory docdory 22 janvier 2008 18:01

    @ Chevalerie 

     

    "matériau dont la nocivité a été reconnue en 1997 " dites -vous ? La première démonstration formelle de la toxicité mortelle de l’amiante a été publié en 1903 ou 1910 , je ne sais plus exactement , dans une revue française consacrée aux maladies professionnelles ( le scandale n’en est que plus grand ! ) 


    • stephanemot stephanemot 23 janvier 2008 10:50

      très juste doc,

      si le lobby amiante (ex CPA) a retardé l’échéance jusqu’en 1997 (après une première série de lois peu contraignantes en 1977), les méfaits du matériau étaient connus de longue date.

      dans d’autres pays (ex Canada, gros producteur), tout continue comme si de rien n’était.

       


  • Diego Diego 22 janvier 2008 22:51

    La laine de verre et la laine de roche sont la meme matière que l’amiante, c’est juste que les fibres sont globalement plus grosses. Les grosses fibres ne pénetrent pas les pores mais dans le tas il y a des fibres aussi petites que celles de l’amiante. Le problème est donc amoindri mais pas résolu.

     

    Faites de l’isolation en paille c’est plus sain et moins cher !!!


    • ARMINIUS ARMINIUS 23 janvier 2008 09:17

      Il y a aussi les isolants naturels, disponibles en rouleaux et en plaques comme la laine de mouton, la laine de plumes,la laine de coton et la laine de chanvre,la plus intéressante à mon avis car le chanvre, insecticide naturel, n’a pas besoin d’être traité:c’est le moment de relancer la culture du chanvre, abandonnée dans ma région depuis la fin des Corderies Royales , fournisseurs de la marine à voile.


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