mardi 18 février 2014 - par Pierre Rondeau

L’économie est idéologique

Depuis la fin du XIX° siècle et la révolution marginaliste, les économistes ont cherché à formaliser et modéliser leur matière afin de lui octroyer une légitimité scientifique. La volonté était de dépasser le cadre subjectif de l’économie et d’imposer une neutralité absolue, une crédibilité dans la recherche sans biais idéologique ou historique.

C’est ici que se situe la frontière entre les sciences herméneutiques, dites les sciences humaines et sociales, et les sciences nomologiques, les sciences dures. Alors que les premières dépendent de l’observation du chercheur et de sa subjectivité dans l’action, du cadre spatio-temporel, les secondes n’accordent aucune place à l’histoire, à l’individu et au biais méthodologique. Seul compte la primauté des modèles et leurs objectivités fondamentales.

 

QUESTIONS ÉPISTÉMOLOGIQUES

Lorsqu’on souhaite résoudre un problème mathématique ou une équation physique, les démonstrations s’imposent à nous, nous ne sommes pas dépendants de notre histoire, de notre mentalité, de notre culture. Le résultat final sera unique et ne dépendra d’aucune idéologie particulière. Contrairement à l’économie qui est, à l’origine, une véritable science herméneutique, liée à la pensée du chercheur, à sa place, à son statut, à son idéologie. Les réponses apportées par la science économique seront toujours biaisées par l’origine subjective du répondant.

Il est impossible de formaliser, de modéliser le social, de tout ce qui est dépendant de l’économie, de façon totalement neutre. Les hypothèses fondamentales seront toujours liées aux pensées de l’auteur, qu’il affirme telle ou telle considération, elles seront strictement idéologiques et subjectives, il n’y a pas d’objectivité dans les sciences humaines, elles décrivent un réel particulier sans apporter une réponse globale. L’induction logique ne peut avoir sa place dans la science économique.

Cela consiste à passer d’un fait particulier à un fait général, sans prendre en compte les évènements extérieurs. Ainsi, une analyse a posteriori d’un phénomène mineur prendrait une importance majeure pour justifier la mise en place de politiques économiques particulières. A partir d’un raisonnement biaisé et considérablement teinté d’idéologies.

 

DES HYPOTHÈSES MULTIPLES

Lorsqu’on raisonne en économie, il faut poser des hypothèses fondamentales : quel est l’équilibre considéré ? Équilibre partiel ou équilibre général ? Est-ce que toute chose égale par ailleurs ? Les marchés sont-ils interdépendants entre eux ? Doit-on se référer à un individu représentatif pour comprendre le monde tout entier ? Se situe-t-on dans une analyse holisme qui fait des agents des êtres dépendants de la société dans laquelle ils sont placés ? Ou, au contraire, se base-t-on sur l’individualisme méthodologique, qui fait de l’individu un acteur du social parfaitement rationnel et maximisateur ?

Pour résumer, on pourra construire deux écoles économiques – les orthodoxes et les hétérodoxes – et aucune ne serait capable d’apporter une réponse exacte aux questions posées. Dans la mesure où chaque hypothèse détermine une variable particulièrement aléatoire, les modifier contraindrait le système et les modèles appliqués. Supposons la chose suivante : nous sommes des économistes adeptes de l’équilibre partiel, toute chose égale par ailleurs et nous croyons aux mécanismes d’ajustement automatique, nous nous basons sur la théorie sociale de l’individualisme méthodologique. En définitive nous croyons (et il s’agit bien évidemment d’une croyance) que les agents sont des êtres parfaitement rationnels et adaptables, qu’il n’y a aucune interdépendance entre les marchés et que l’équilibre est et sera toujours naturel. Si crise il y a, c’est tout bonnement du fait d’une trop grande intervention étatique et d’une incapacité donnée au marché à se réguler seul.

 

L’IDÉOLOGIE DU CHERCHEUR

La question est donc de savoir comment perçoit-on les individus. L’économie est la science des échanges dans un contexte de rareté, comment les agents coopèrent face à un risque de pénurie : chômage, crise de sous-production, déséquilibre macroéconomique, etc. C’est un jugement idéologique et particulièrement subjectif, le chercheur doit décider, pour répondre à la question, si nous sommes des acteurs sociaux capables d’influencer le phénomène ou, au contraire, des individus totalement prédéterminés et façonnés par la société, par les institutions ou par l’origine sociale.

Par exemple, mettre en place une libéralisation du marché du travail afin de lutter contre le chômage, si nous acceptons les agents capables de se battre égoïstement et individuellement pour leur propre réussite personnelle, cela aboutit au bonheur collectif résultant de la somme des intérêts particuliers. Au contraire, favoriser des politiques de soutien de la demande dépend de la façon dont nous percevons les ménages, influencés ou non par leur origine sociale et conditionnés dans l’échec ou dans la réussite. Ici, le tout n’est pas réductible au jeu des parties.

On voit bien ici en quoi l’économie est une science particulièrement idéologique et il serait tautologique de dire que c’est idéologique de le croire. Prendre des décisions économiques c’est déjà prendre parti avec un thème particulier, l’économie est forcément de droite ou de gauche, elle ne peut être neutre, elle ne peut pas séparer les jugements scientifiques et les jugements de valeur. Un économiste va raisonner à partir d’une analyse théorique préconçue, à partir de sa propre philosophie politique et de ses convictions éthiques, consciemment ou inconsciemment.

Un économiste, un professeur, un chercheur doit toujours présenter ses convictions avant d’énoncer ses thèses, il ne peut pas prétendre à la neutralité ou à l’indifférence politique. Son discours est forcément teinté d’idées personnelles et de jugements de valeur qui influencent sa démarche scientifique et ses conclusions pratiques. Il ne peut pas être l’expert adepte de la neutralité axiologique venant sur les plateaux de télévision présenter « les solutions pour sauver la France ». Lorsqu’il s’adresse aux citoyens, il le fait avec une considération particulière.

Les économistes sont des hommes politiques modernes, fidèles à des croyances distinctes. Lors d’un débat, personne n’a raison et personne n’a tort. Comment d’ailleurs le savoir puisqu’il est impossible de formaliser le réel, les vérifications n’ont lieu qu’a posteriori et jamais un économiste pourra reconnaître son erreur. Pour véritablement prendre une décision, il convient alors de connaître tous les tenants et les aboutissants du phénomène : en ces temps de crise économique et de chômage, il n’y a pas de consensus large mais une pluralité de point de vue dépendant des idéologies de chacun.

Pierre Rondeau @Lasciencedufoot



7 réactions


  • Francis, agnotologue JL 18 février 2014 10:33

    L’économie n’est pas une science, c’est au mieux, un art. Comme la prévision météorologique, avec la différence que si la météorologie est un art qui demeure objectif, on ne peut en dire autant de l’économie.

    Cette subjectivité que vous décrivez si bien se résume par cette phrase : ’ La compréhension est une adéquation à nos intentions ’ ou en langage moins soutenu : ’Chacun voit midi à sa porte’.

    C’est en cela qu’elle peut devenir une idéologie. Enseigner l’économie, ça doit pas être évident !

    Je ne crois pas que les économistes sont des hommes politiques : La politique c’est l’action ; la science c’est le savoir ; l’économie est quelque part entre les deux.

    Les politiques aiment le pouvoir, c’est bon ; les savants sont amoureux du vrai ; les artistes sont amoureux du beau ; les économistes sont des idéologues.


    • Pierre Rondeau 18 février 2014 10:44

      Les économistes sont des hommes politiques dans le sens où ils agissent tels des technocrates pour le bien de leurs concitoyens. Ils sont dans l’action déduite, à partir de leurs travaux d’étude. Au sommet de leur tour d’Ivoire, ils sont persuadés de détenir la vérité et lorsqu’ils se trompent, ils rejetteront toujours la faute sur le camp adversaire. Les ambitions au sein des laboratoires de recherche ressemblent à la recréation de l’Assemblée Nationale, un florilège de coup bas et d’hypocrisie pour la quête du pouvoir. C’est à celui qui s’approchera le plus du prince et lui donnera les meilleurs conseils.


    • Francis, agnotologue JL 18 février 2014 10:59

      Je voudrais préciser mes propos ci-dessus en ajoutant qu’il ne faut pas confondre les économistes et les chercheurs dont l’objet est l’économie. Nuance.

      Et je recommande cette excellente vidéo, je devrais dire, ces 5 excellentes petites vidéos regroupées de Noam Chomsky, Bernard Maris, Ignaccio Ramonet, Omar Aktouf, suivies d’un grand débat patchwork beaucoup plus long.


    • Pierre Rondeau 18 février 2014 11:18

      Un excellent film très pédagogique qui aborde les bonnes problématiques. 


    • lsga lsga 19 février 2014 18:23

      L’économie EST une science.

       
      L’approche financière est PSEUDO-SCIENTIFIQUE.
       
      Les concepts d’argent, de monnaie, de crédit, de taux d’intérêt, sont à ranger à côté du sexe des anges. 

  • Inquiet 18 février 2014 10:56

    Juste une précision : même pour les sciences « dures » la dialectique s’applique.


    Rappelons-nous du fait qu’aussi bien Einstein que les adeptes de la physique quantique, ont amenés à pondérer les affirmations d’un certain Newton.

    Plus récemment, que dire de la mise en perspective de l’Energie Noire et de la Matière Noire, qui représenteraient 95% de l’Univers.
    Autant dire, que le « Monde Intelligible » ne représente que 5% (Energie + Matière « connues »).

    Dès lors, si on ne peut pas être sûr de 5% de Tout, c’est qu’on n’est quasiment sûr de Rien.

    C’est pour cela, que tout sujet faisant intervenir l’Humain, devrait avant tout s’occuper du « mieux être » pour l’Humain, car dans la séquence le Choix se fait toujours avant la Raison.
    Lorsqu’on est un « animal social » il est logique de choisir l’intérêt de son espèce et non l’intérêt des sociopathes qui nous gouvernent.

    Et peut importe les arguments statistiques, mathématiques, scientifiques .... un « 2+2 » ne viendra jamais justifier la lente agonie d’un SDF mourant de faim ou de froid, ou de manque de soins.


  • Antoine Diederick 18 février 2014 22:06

    l’économie politique est une discipline qui n ’aurait jamais du sortir de l’université, elle aurait du y rester définitivement et non pas devenir l’outil incertain des idéologies actuelles....


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