jeudi 3 mai 2007 - par Jimd

L’Euro et la BCE boucs émissaires

Les deux candidats au second tour de la présidentielle française ont lancé des attaques contre la Banque centrale européenne (BCE) qui est accusée de freiner la croissance et l’emploi par un euro fort. Ces attaques sont-elles justifiées ou relèvent-elles d’un combat politicien et démagogique ?

Euro fort, quel impact pour l’économie ?

Le niveau de l’euro fort ou faible a forcément des effets contradictoires. Notre facture énergétique étant en dollar, un euro fort réduit le montant de nos dépenses énergétiques. Dans la lutte contre l’inflation, un euro fort contribue à contrôler la demande et joue donc en faveur de la lutte contre la hausse des prix. Par contre un euro fort handicape nos importations en rendant leur prix plus élevés en devise étrangère. L’impact net est difficile à évaluer.

Euro fort ? pas si simple.

Quelques faits  : L’euro s’est apprécié de 5% par rapport au dollar depuis le début de février 2007. Mais il s’est beaucoup moins apprécié face à la livre sterling et a connu une dépréciation face à la couronne tchèque et face au forint hongrois. Un indicateur intéressant, car il prend en compte le poids des échanges, est le taux pondéré des échanges face à 24 devises et calculé par la BCE. Sa hausse n’est que de 2.7% et ce taux est encore plus faible qu’en 2004 quand les économies de la zone euro étaient en plus mauvaise situation. Si nous regardons la nature des échanges, il y a un déplacement vers l’est : les exportations vers les pays souhaitant adhérer à l’union (Turquie comprise) et la Russie ont augmenté à un taux annuel de 20% dans la deuxième moitié de l’année dernière. Elles représentent maintenant 19% du total contre 13% en 1999. Les exportations vers l’Asie ont elles aussi augmenté rapidement. Non seulement le niveau des changes ("fort" ou "faible") a un impact net difficile à évaluer, mais la réalité de ce niveau, l’euro fort, peut être discuté quand on regarde la globalité des chiffres et des situations.

Replacer le débat dans le contexte européen

Après avoir abordé l’impact du niveau de notre monnaie et tenté d’avoir une vue globale de la situation sans se focaliser uniquement sur le dollar il est important de se tourner vers les autres pays de la zone euro. L’euro est la monnaie européenne et si nous regardons au-delà de la France le niveau de l’euro ne semble pas poser les mêmes problèmes dans les autres pays. Cela est probablement dû au niveau de notre déficit extérieur (26 milliards d’euros en 2006) ainsi qu’à la campagne présidentielle dans laquelle il est facile de stigmatiser l’euro en l’accusant de freiner l’économie. Mais dans le même temps, en Allemagne, la balance commerciale est en surplus de 160 milliards d’euros et le débat ne se pose pas du tout dans les mêmes termes. Il existe aussi des différences de perception. Quand l’euro n’était pas en place nous regardions le deutschmark fort et stable avec une certaine admiration... et maintenant que nous avons une monnaie forte avec une BCE attachée à sa stabilité et crédibilité, nous en faisons la source de certains de nos problèmes. La psychologie est assez importante dans ce domaine et encore une fois l’Europe est diverse : les Allemands s’accommodent d’une monnaie forte car elle apporte en Allemagne un sentiment de patrimoine, un effet de richesse car la monnaie permet d’acheter plus à l’étranger. Autre élément, l’hétérogénéité des économies européennes : croissance forte en Irlande (6% en 2006) ou croissance plus faible en France (2% en 2006). Inflation (relativement) élevée en Espagne ou faible en Finlande. Au vu de ces disparités, il est extrêmement difficile pour la BCE de définir une politique monétaire optimale pour toute la zone.

Quel contre-pouvoir politique ?

Les candidats à l’élection se prononcent pour un changement de statut de la BCE ou pour une inflexion de la politique monétaire pour prendre en compte la croissance, ou alors sur le niveau de l’euro... Les Etats-unis sont souvent pris comme référence, leur banque centrale serait plus préoccupée de la croissance. Mais quel est le pouvoir politique en Europe qui permettrait d’être un contrepoids à la BCE, qui pourrait infléchir, peser, discuter les décisions. Et, à l’extrême, si nous allons jusqu’à une non-indépendance de la BCE, de quel pouvoir politique sera-t-elle dépendante ? Ce pouvoir politique n’existe pas.

Ce débat autour de la BCE, de l’euro, et de la politique monétaire est assez simpliste et démagogique car il oublie l’hétérogénéité de l’Europe ainsi que le point de vue des autres pays membres de cette union monétaire. Enfin, il cache ce qui est peut-être le vrai problème actuel de l’Europe, la non-existence d’un pouvoir politique européen qui devrait être un préalable à toutes ces discussions.



5 réactions


  • Arnaud 3 mai 2007 15:35

    Juste pour faire remarquer une petite boulette importations à la place d’exportations : « Par contre un euro fort handicape nos importations en rendant leur prix plus élevés en devise étrangère »


  • Webes Webes 4 mai 2007 10:01

    L indépendance de la BCE n a pas à être remise en cause, mais il est certain qu il faut lui inclure dans ses objectifs la maîtrise de l inflation ET de la croissance.

    Les divergences et polémiques a l intérieure de l Europe sur l Euro n ont rien d étonnantes. Car nous avons au sein de l’Europe deux cultures monétaires différentes. D un cote des Italiens, Français et autres qui ont toujours pratiqués la dévaluation afin de rendre leurs économies compétitives a l export (Pour la France ça commence déjà sous Philippe Le Bel appeler « le faux monnayeur ») et de l’autre coté, des Teutons historiquement grand exportateur devant l éternel qui ne raisonnent la monnaie que comme un rempart a l inflation (syndrome traumatique qui date d avant la deuxième guerre mondial).

    C est a cause de ces divergences de culture monétaire que l indépendance de la BCE doit être maintenue car si le politique s introduit dans la gestion de l Euro (11 pays donc autant d intérêts différents), notre monnaie commune ne vaudrait pas plus que celle du Zimbabwe malgré tout le respect que j ai pour ces derniers.


  • Nadette 4 mai 2007 17:00

    Bonjour,

    J’ai entendu aussi dire que le problème n’était pas seulement la relation euro/dollar mais aussi euro/yen et yuan chinois. Donc, je dirais que c’est bien aussi la politique monétaire de nos concurrents qui pèse plus que la supposée surévaluation de l’euro. D’autre part, quand on se plaint de l’euro fort, on a vite oublié les conséquences des dévaluations passées des monnaies nationales. Troisième argument : qui peut dire que les prix n’auraient pas autant augmenté de toute façon depuis l’euro même s’il n’y avait pas eu création de cette monnaie ? Il est plus facile de s’en prendre à l’euro que te tenter de réformer structurellement ce qui ne va pas dans notre pays !


    • Jimd Jimd 4 mai 2007 17:29

      @Nadette Le yuan est assez particulier car son taux est fixe. Il n’est donc pas soumis aux forces d’ajustements sur les marches monétaires. Il semble y avoir un consensus pour dire que le yuan est sous-évalué par rapport a ‘sa valeur fondamentale’ qui avantage les exportations chinoises. Dans ce cas particulier comme la Chine fixe son taux de change, il s’agit d’un levier de politique économique. Merci également de souligner les dévaluations des monnaies nationales (France, Italie....). Cela rejoins le propos de webes sur les différences de culture par rapport a la valeur de la monnaie en Europe. Merci de vos commentaires


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