Et si les États-Unis bluffaient, une fois de plus ?
« l’OPEP n’a jamais été en mesure d’arracher une seule hausse des prix du pétrole, même de quelques centimes. »
L’imposture du choc pétrolier de 1973
par Eric Laurent , mardi 2 mai 2006
Le choc pétrolier de 1973 et ses conséquences relèvent pour une bonne part d’une imposture gigantesque, efficacement orchestrée. La vérité est bien éloignée de la légende : en 1973, il n’y a jamais eu de véritable pénurie de pétrole. Il suffit d’examiner les faits un à un.
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Il suffit d’examiner les faits un à un.
Le 19 octobre, au moment même où le royaume saoudien et ses homologues arabes décident de l’entrée en vigueur de l’embargo, le président Richard Nixon annonce publiquement l’octroi d’une aide militaire d’un montant de 2,2 milliards de dollars à destination d’Israël [1]. Dès le 8 octobre, deux jours après le déclenchement du conflit, le chef de l’Etat américain avait autorisé des avions d’El Al dépourvus d’immatriculation à se poser aux Etats-Unis pour approvisionner l’Etat hébreu en fournitures militaires.
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Plusieurs opérateurs pétroliers m’ont en effet confié que les Saoudiens n’ont jamais appliqué à la lettre l’embargo, utilisant les services d’opérateurs indépendants et de spéculateurs pour le contourner et vendre aux pays théoriquement « boycottés ».
La vérité est bien éloignée de la légende : en 1973, il n’y a jamais eu de véritable pénurie de pétrole.
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Une vérité soigneusement cachée
La crise de 1973 vient de sonner le glas du pétrole bradé et de la toute-puissance des compagnies pétrolières, qui contrôlaient 80 % des exportations mondiales. Au plus fort de l’embargo, les « sept soeurs » - Exxon, Shell, Texaco, Mobil, BP, Chevron et Gulf - publient des bénéfices records. Ceux d’Exxon, par exemple, sont en hausse de 80 % par rapport à l’année précédente. Ces gains proviennent de la plus-value considérable réalisée sur les stocks détenus par ces compagnies.
Les consommateurs soupçonnent ces firmes d’avoir partie liée avec les pays producteurs. Après des décennies de règne sans partage, les grandes sociétés pétrolières voient une grande partie du pouvoir leur échapper, au profit de pays producteurs qu’elles ont pendant longtemps méprisés. Mais le soupçon des consommateurs n’est pas dénué de fondement. En coulisse, dans le plus grand secret, producteurs et majors du pétrole ont noué la plus improbable des alliances ; une vérité soigneusement cachée encore aujourd’hui. Sans cet accord, le « choc » pétrolier n’aurait jamais eu lieu.
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L’OPEP, un coupable tout trouvé
Lorsque Richard Nixon apparaît à la télévision, le 27 novembre 1973, épuisé, butant sur les mots, son allocution marque les esprits : « Les Etats-Unis, lit-il, vont avoir à affronter les restrictions d’énergie les plus sévères qu’ils aient jamais connues, même pendant la Seconde Guerre mondiale. » Ces propos impressionnent, et très vite l’ensemble des responsables désignent le coupable tout trouvé : l’OPEP, et notamment ses membres arabes. Prenant la parole au Sénat, le sénateur Fullbright, président de la commission des Affaires étrangères, un des esprits les plus indépendants du Congrès, déclare : « Les producteurs arabes de pétrole n’ont que des forces militaires insignifiantes dans le monde d’aujourd’hui. Ils sont comme de faibles gazelles dans une jungle de grands fauves. Nous devons, comme amis, le leur rappeler. Ils prendraient pour eux-mêmes des risques terribles, s’ils en venaient à menacer vraiment l’équilibre économique et social des grandes puissances industrielles, la nôtre en particulier [6]. »
L’avertissement est clair, mais les pays producteurs n’ont jamais songé à s’engager dans une épreuve de force avec l’Occident. Ils n’en ont ni la volonté ni les moyens. Pourtant, une campagne extrêmement efficace va souligner les dangers que ces pays en développement font peser sur notre indépendance et notre prospérité. Dans la presse, l’OPEP devient brusquement un « cartel » dictant sa loi, et aucun connaisseur du dossier ne prend la peine de rappeler qu’entre 1960, date de sa création, et 1971, date de la signature des accords de Téhéran, l’OPEP n’a jamais été en mesure d’arracher une seule hausse des prix du pétrole, même de quelques centimes. Pis, durant cette crise, le prix du pétrole, en valeur absolue, n’a cessé de baisser.
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Les vraies raisons de l’imposture
Pourtant, en analysant froidement les faits, on peut se demander si ces cris d’effroi et ces lamentations ne servent pas à masquer une gigantesque manipulation. Depuis deux ans, les responsables de l’industrie pétrolière ne cachent pas que les investissements futurs exigeront des sommes énormes, qui ne pourront être obtenues que par une augmentation notable des prix. Prenant la parole à Rome en 1973, David Rockefeller, président de la Chase Manhattan Bank et chef de file de la célèbre dynastie, chiffre à « 3 trilliards de dollars (3000 milliards de dollars) les besoins de l’industrie pétrolière pour les années à venir en matière d’investissements », et il ajoute : « Pour ces firmes, l’investissement commande la production. » (...)
Un fait essentiel a été soigneusement caché, qui explique l’intervention de David Rockefeller à Rome en 1973, sur les immenses besoins en capitaux de l’industrie pétrolière. A la veille du choc de 1973, les grandes compagnies affrontent d’énormes difficultés financières, qu’elles dissimulent soigneusement. Certaines d’entre elles sont même au bord du dépôt de bilan. Elles ont investi dans des projets dont le coût final se révèle dans certains cas cinq à dix fois supérieur aux estimations de départ...
http://www.agoravox.fr/culture-loisirs/extraits-d-ouvrages/article/l-imposture-du-choc-petrolier-de-9304