La dette à Dudule
Plus que jamais, la dette fait jaser. Il y a ceux qui osent, ceux qui doutent, et puis ceux qui veulent bien mais qui ne sont pas dupes. Un article pour public averti, sérieux s’abstenir.
D’un certain point de vue, ceux qui osent ont raison d’oser.
Ce n’est pas parce que je m’endette si ca va mal, que ca va mal si je m’endette. En effet, la bonne vieille logique d’Aristote est imparable : « A implique B » n’est pas équivalent à « B implique A ». De ce point de vue, je ne suis donc pas infondé de m’endetter. Et si je n’étais pas convaincu, alors usons de la contraposée : « A implique B » est équivalent à « non B implique non A », autrement dit : ce n’est pas parce que je ne m’endette pas que ca ira bien. De ce nouveau point de vue, je ne suis pas fondé de ne pas m’endetter. Dans les deux cas, « endette – moi ».
À peine plus sérieux, il sera invoqué la mécanique implacable du calcul de coin de table : avec des taux d’intérêt de long terme à près de 0 % durablement, une croissance du PIB en valeur revenant à près de 2 % durablement, et une politique budgétaire ni trop ni trop peu dépensière (balance primaire nulle), alors le ratio de dette sur PIB se réduira mécaniquement de 2 % chaque année, durablement. Pourquoi attendre ? Autant commencer à s’endetter maintenant, puisque de toute façon la dette finira par faire chemin inverse à la fin. Rideau.
Enfin, dans le cas où ni l’un ni l’autre de ces arguments n’était suffisant, il serait alors utilisé l’axiome irrécusable : l’impératif catégorique économique, celui qui nous impose d’agir maintenant ou jamais, car c’est là l’instant du drame. Mais pourquoi ne pas attendre juste encore un peu pour voir ? Non, le principe de précaution rase tout sur son passage. Oui mais quand même, et si l’on se trompait sur les bienfaits de la dette ? Tant pis, il vaut mieux des remords que des regrets. On aboutit alors logiquement au fameux « quoi qu’il en coûte » qu’on ne distingue plus trop du « tout est permis ».
De ces 3 arguments prodette, on pourra déduire qu’au pire la dette est une chimère, au mieux elle est salutaire.
Et puis il y a ceux qui doutent, et qui sont ceux dont on doute.
Pourquoi douter de ceux qui doutent ? Parce qu’ils annonceraient la catastrophe qui ne vient jamais ou qui est déjà là depuis longtemps : l’hyper-inflation lié à l’abus de liquidité, ou l’aléa moral lié à l’abus de confiance. En fait, ces sceptiques indécrottables seraient accusés d’être soit des faux – culs, soit des culs – terreux.
Des faux-culs ? Car ils prendraient pour prétexte des divergences de point de vue concernant les hypothèses retenues sur les taux, la croissance, ou autre, pour justifier un désaccord bien plus profond concernant leur façon de voire le monde : pofigisme plutôt qu’interventionnisme. Dans le même genre, on pourrait penser à ces familles qui se querellent pour des questions d’argent, alors que ce sont justement leurs divergences qui motivent leurs querelles d’argent (Montherlant).
Des culs – terreux ? Car ils continueraient de labourer les faits du monde avec des outils dépassés. L’illustration la plus célèbre est celle du papier académique climatérique « This time is different » qui fut brandi comme un épouvantail pour des budgets serrés durant la dernière décennie, donnant ses lettres de noblesse aux 3 % de déficit ou 60 % de dette sur PIB à ne pas dépasser. Cette idée de loi naturelle de la dette à ne pas transgresser peut faire penser à « ce coq qui fut condamné à être brûlé vif pour le crime atroce et contre nature d’avoir pondu un œuf » (Alain Supiot, Homo juridicus).
Ainsi de la dette adulée à la dette à douter, il y aurait désormais un retard impossible à rattraper, la première ayant pris une avance considérable sur la seconde. L’écart serait si important qu’il laisserait la place à une troisième catégorie de dette : la dette à Dudule.
L’instant grivois
Âmes sensibles s’abstenir, c’est ici que des dents peuvent grincer. La dette n’est pas un sujet comique certainement, mais le sérieux qu‘elle impose au plus grand nombre n’est quand même pas confiscatoire, comme dirait l’autre : autrement dit, place à un peu de légèreté.
Il y a donc ceux qui veulent bien de la dette, mais qui ne sont pas dupes. Ils savent bien que la dette se paiera d’une manière ou d’une autre : en monnaie trébuchante par une hausse des impôts ou une baisse des dépenses (ou les deux) ; ou en abus de confiance par le défaut, le seigneuriage ou la dette éternelle. Rien ne peut sortir du chapeau du magicien ou de la lampe d’Aladin sans qu’il y ait un canular quelque part.
Mais bon. Puisqu’il est entendu que l’on a pas trouvé de poudre de licorne plus efficace que la dette pour redonner de la couleur au présent. Puisqu’il est entendu que la dette à tout faire sera utilisée à tout va afin d’imaginer un futur plus fringuant. Enfin, puisqu’il est aussi entendu qu’il vaut mieux aller de l’avant que pisser contre le vent. Alors, autant suivre le mouvement.
Et pour mieux se donner du cœur à l’ouvrage, tout les moyens sont bons. Nos moutons de panurge pourraient alors décider de prendre les choses avec légèreté, comme pour dédramatiser une situation bien mal embarquée. Dans ces cas précis, il existe un procédé qui a fait ses preuves afin de motiver les troupes : la revisite d’air populaires. Curieusement, dans le cas qui nous intéresse, il existerait bien un refrain qui pourrait faire l’affaire, bien au-delà de l’effet qui était escompté au départ : celui de la chanson paillarde « la dette à Dudulle »…
Le reste n’a pas sa place dans l’article, mais pour les amateurs il suffit de remplacer le mot générique du refrain par le mot « dette », et cela fonctionne aussi bien. En effet, il se trouve alors que le ressenti qui nous est décrit, illustre à la perfection l’ambivalence de la dette : bienfaitrice mais encombrante. Sérieux s’abstenir.