lundi 26 septembre 2011 - par Jason

La faillite, nous voilà. Bonjour M. Geithner

Ou les charmes du capital transnational

La déclaration légendaire « La Fayette, nous voici ! » furent les mots que prononça le Lieutenant Colonel américain Charles E. Stanton (1859-1933) sur la tombe du Marquis de La Fayette, au cimetière Picpus à Paris, le 4 juillet 1917. Certains prétendent qu'elle fut inventée de toutes pièces. Quoiqu'il en soit, elle fut reprise à l'Assemblée Nationale par un député il y a quelques années et quelque peu modifiée. Cela donnait : "la faillite, nous voici".

Mais, partant de là, ne faut-il pas tout pardonner aux américains ? Cela n'a pas été l'avis de M. Jean-Claude Juncker, Président de l'Euro Groupe qui a envoyé vertement promener l'émissaire de Wasington Timothy Geithner, Secrétaire d'Etat au Trèsor, lors de la dernière réunion en Pologne. De plus, au cours de cette réunion très importante des ministres des Finances de la zone euro, à laquelle il avait été invité, l'Allemagne s'est refusée à engager plus de fonds publics pour soutenir la zone euro comme le suggérait M. Geithner.

M. Geithner, plein de bonnes intentions a voulu aider les leaders de "la vieille Europe" à résoudre la crise de la dette de certains états. Tel un grand frère dispensant une pédagogie très philanthropique en prêchant la cohérence et la rapidité d'intervention, et surtout la participation financière active des Etats.

Il est facile de deviner quelles sont les intentions de M. Geithner, lui qui voulait faire supporter les risques financiers causés par les actifs pourris des banques américaines par le contribuable américain.

Voici l'extrait de l'article d'"Alternatives économiques" expliquant cela (1) :

"Le qui perd gagne du plan Geithner"

"..... L'innovation du plan Geithner consiste à faire jouer massivement l'effet de levier, en autorisant les investisseurs privés à emprunter jusqu'à douze fois leur mise auprès de la Banque centrale ou bien sur les marchés privés avec la garantie de l'Etat pour racheter les actifs des banques. Pour les convaincre de prendre le risque, les prêts de la Fed, la banque centrale américaine, ne seront garantis que par les actifs toxiques que les fonds auront acquis, ce qui signifie qu'en cas de défaut de paiement ou de faillite, les pertes seront assumées par l'Etat.

On comprend l'accueil enthousiaste réservé par Wall Street au plan. On comprend aussi pourquoi le Trésor a préféré ne pas solliciter l'approbation du Congrès. En cas de plus-value, autrement dit de revente ultérieure des actifs bancaires à un prix supérieur à leur prix d'acquisition, les profits seront partagés entre le privé et l'Etat. En cas de pertes, tous les risques seront aux frais des contribuables."

Mais pourquoi M. Geithner, venant de la zone non-Euro comme le soulignait fort pertinemment M. Juncker a-t-il participé à cette réunion ?

Les raisons en deviennent plus claires à la lecture d'un article de l'hebdomadaire allemand Die Zeit. Je rends compte ici des passages essentiels entre crochets [........].
["Hantés par la peur
Les USA craignent pour leur économie et redoutent la crise européenne de la dette", titre l'hebdomadaire de Hamburg (2)

L'influente chaîne de télévision économique CNBC — qui ne s'intéressait que très peu au vieux monde jusque-là — rend compte presque chaque heure de la fuite devant le risque de l'Euro, tandis que chez CNN on parle de "la crise de l'Euro, ce que vous devez savoir". Un analyste d'un institut financier déclarait : "pouvons-nous nous en sortir" ?

La crainte a aussi envahi Washington. Le président Obama a demandé aux européens en des termes peu diplomatiques de trouver rapidement une solution au problême.

La crainte est plus que justifiée, déclarait Raghuram Rajan, professeur d'économie à l'université de Chicago. L'Europe est le plus important partenaire économique des USA et une récession en Europe aurait des suite incalculables sur l'économie américaine. Rajan considère avant tout les relations entre les banques américaines et l'Europe.

Cependant les instituts d'investissement américains ne possèdent que très peu de créances sur les états fragiles européens. Mais ils sont exposés à un très gros risque. D'une part les banques européennes qui possèdent des titres d'emprunts grecs, espagnols ou italiens sont liées au marché interbancaire américain. Mais en plus, les experts financiers relèvent un autre facteur important. Les banquiers se posent la question : est-ce que mon partenaire dans ces connexions interbancaires, et le partenaire de mon partenaire, etc. est solide ? Et là, personne ne peut répondre à ces questions. Et c'est cette incertitude qui a amené la chute des banques d'investissement Bear Sterns et Lehman Brothers en 2008.

Mais il y a un autre mécanisme et dont M. Geithner ne parle pas volontiers. Il s'agit des "Credit Default Swaps" ou CDS. Il s'agit là d'une sorte d'assurance contre le défaut de paiement. Ces contrats ont joué un rôle décisif dans la chute du plus gros assureur mondial AIG, en 2008. A la suite de quoi les critiques ont exigé la réduction drastique de ces instruments. Mais le lobby des banquiers a jusqu'à ce jour empêché une telle réforme. Et M. Geithner lui-même a veillé à ce que les CDS en devises soient soustraits à toute règle. Plusieurs dizaines de milliards seraient concernés par ces contrats, la somme exacte n'étant pas connue puisqu'il n'existe aucune réglementation. Et personne ne sait ce qui se passerait si les banques devaient monter au créneau en cas de défauts.

L'effet domino, dans ce cas serait assuré. L'économiste Joseph Stiglitz, critique des CDS, craint que ces contrats complexes soient à l'origine d'un obstacle majeur à la solution de la crise européenne. Jusque-là, la BCE a reculé devant une renégociation de la dette. Derrière cela se cache la crainte que si les CDS devaient être négociés, il y aurait immanquablement une réaction en chaîne].

L'intérêt bien compris ou la charité commençant par soi-même, voilà ce qui guide les émissaires de Washington. Edifiant. M. Geithner est venu sauver les banques américaines. Il serait tentant de lui faire dire : ce sont nos banques, mais c'est leur problême, mais cette fois, ce sont leurs banques et qu'ils se démerdent !


(1) Jacques Adda
Alternatives Economiques n° 280 - mai 2009
(2) DIE ZEIT, 22.9.2011 Nr. 39 



3 réactions


  • Alexis_Barecq Alexis_Barecq 26 septembre 2011 13:28


    Excellent article !

    La morgue et l’arrogance des bankster parait chaque jour plus affirmée... C’est parfois juste surréaliste. Plus dure sera la chutte !


  • lechoux 26 septembre 2011 16:10

    Bien dit !

    Je pense que les financiers américains souhaiteraient également prendre des parts des banques européennes avec leur monnaie pourrie dont ils regorgent. Cellel-à même qui remonte face à l’Euro. Ils sont forts ces américains !

    « Les banquiers se posent la question : est-ce que mon partenaire dans ces connexions interbancaires, et le partenaire de mon partenaire, etc. est solide ? »

    Imposer aux banques l’arrêt des prêts interbancaires, les obliger, donc, à souscrir auprès de la BCE et de remettre leurs liquidités également, nous permettrait d’y voir plus clair dans tout ce fatras.

    La loi Bâle 3(et non blâme 3), impose un minimum de 9 % d’actif à posséder par une banque par rapport aux prêts qu’elle concède. Cette mesure est très controversée par les banquiers ; cela me semble pourtant bien faible en cas de crise grave. Ces messieurs aiment se faire peur.


  • Jason Jason 26 septembre 2011 16:29

    Merci à vous.

    Le gouvernement britannique va imposer aux banques de détenir 15% de fonds propres, bien au-delà des accords de Bâle. C’est un progrès.

    @ Alexis_Barecq Les banques ont une fonction importante dans l’économie de marché. Seulement, les gouvernements leur ont laissé la bride sur le cou, et ce depuis très longtemps. On connaît depuis le XIXème siècle le fameux : « Messieurs enrichissez-vous ».

    Ajoutons à cela que trop d’hommes politiques se sont laisé berner par des théories économiques fumeuses.

    On voit les résultats.


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