La responsabilité du sous-traitant
Aujourd’hui il existe une véritable dissociation entre les fonctions de production et de commercialisation, et on voit les marques « distributeur » fleurir. De graves implications sont induites par cette tendance.
En France et en Europe, la personne devant garantir au consommateur (qu’il soit ou non l’acheteur) la sécurité de ses produits est le responsable de la première mise sur le marché. La France a d’ailleurs été récemment été rappellée à l’ordre pour avoir inexactement transposé une directive communautaire d’harmonisation maximale. La loi de transposition prévoyait un recours possible contre toute la chaîne, depuis le producteur jusqu’au distributeur, quand la directive exige une action contre le producteur seulement, dès lors qu’il est identifiable.
Une enseigne de grande distribution, par exemple Leader Price ou Carrefour, va souvent proposer aux clients un produit à marque "distributeur", sur lequel rien, ou rien de lisible, ne trahit l’identité du producteur auprès duquel le distributeur a acquis le bien. Or, la plupart du temps, cette marque de distribution signe de très grosses commandes, ce qui oblige l’entreprise productrice, qui est généralement une PME-PMI, à augmenter son volume de production et à fournir exclusivement à la marque de distribution. L’entreprise est d’ailleurs très souvent également contrainte de verser, légalement ou par des dessous de table, une somme au distributeur pour se voir référencée, malgré les tentatives de législation pour lutter contre cette pratique.
Le distributeur conduit le producteur à se placer dans un état de dépendance économique envers son seul interlocuteur. Parfois, la tentation d’abuser de la situation est trop forte. La moindre négociation entre les deux partenaires devient l’occasion de rappeler que, si le distributeur peut faire jouer la concurrence et laisser son producteur en surproduction et incapable d’honorer les échéances de ses prêts, ce dernier a ainsi en permanence une épée de Damoclès sur la tête. A celle-ci s’additionnent les asymétries d’information dénoncées par les économistes parmi les plus libéraux. Par ailleurs, n’ayant pas pu développer une image de marque et une notoriété, rebondir est pour le producteur beaucoup plus difficile que pour ses concurrents qui se sont développés seuls, même à ancienneté et mérite égaux.
Pourquoi ne pas rendre responsable non celui qui met le produit sur le marché, mais celui qui y impose sa marque ? S’octroyer les lauriers de la qualité d’un produit, et se bâtir une image par ce biais, ne devrait être autorisé que si l’on est l’unique fabriquant de celui-ci, à l’exclusion de tout sous-traitant. Par ailleurs, ce dernier cherchera davantage à améliorer la qualité de ses produits, étant jugé par son distributeur et en même temps confronté au souvenir, bon ou mauvais, du consommateur, qu’il aura intérêt à fidéliser au cas où son distributeur le lâcherait. Aujourd’hui, le consommateur assignera Leader Price ou Carrefour, mais ce dernier se retournera systématiquement contre le producteur sur le fondement de sa mauvaise exécution du contrat et de fourniture d’un produit non conforme ou défectueux.
Cette réforme serait plus acceptable pour les lobbies de la distribution si une option était offerte au distributeur qui devrait pouvoir soit laisser 25% de l’emballage au producteur, soit couvrir la responsabilité de celui-ci. Ainsi le sous-traitant devrait pouvoir acquérir une notoriété suffisante pour se sortir de son état de dépendance économique et négocier avec d’autres distributeurs, ou proposer en dehors du circuit du distributeur ses produits.
Concluons par les difficultés que pourrait causer la pratique de cette réforme : les notions de seuil et de pourcentage d’emballage. A partir de quelle contribution doit-on protéger le sous-traitant ? On ne va pas citer le sous-traitant responsable de la production des aiguilles de l’indicateur des réservoirs des voitures Renault. Et sur quel critère se fondera-t-on ? Le pourcentage du prix de fabrication ? Doit-on compter la prise de risque en tant que coût ? Comment ? Qu’en serait-il de l’assurance ?
Egalement source de problème : les produits n’ayant pas d’emballage à proprement parler, comme les voitures, les fruits. Je crois qu’il devrait y avoir un registre, placé dans chaque rayon, pour pouvoir identifier les produits de ce genre, et le producteur devrait pouvoir à ses frais étiqueter ses fruits, ou les produits vendus sans étiquetage suffisant, comme la vaisselle ou les objets vendus en vrac - les bonbons, les olives, les épices, les bâtons d’encens... Idem en ce qui concerne la sous-traitance des petites pièces : avec le contrat de vente devrait être proposée la liste des sous-traitants.
Un autre problème concerne celui de la sous-traitance des services. Il est certes normal d’autoriser un opérateur à délocaliser à l’étranger son centre d’appel, cependant la prestation ne doit pas, selon moi, être interprétée comme étant exécutée sur le lieu de travail, mais à l’endroit où la prestation dont l’employé est le seul acteur profite. Par conséquent, l’employé devrait être payé et traité dans les mêmes conditions qu’un employé français en France.
Cependant, selon le droit européen actuel (et la directive Bolkestein n’aurait rien aggravé), comme une entreprise européenne peut exécuter ses services n’importe où, en restant tenue par son droit social seul, cette proposition ne vaudrait que si ce service est délocalisé hors des frontières de l’UE. Il me semble qu’indiquer systématiquement le lieu d’exécution de l’obligation essentielle du service que le consommateur achète (on parle généralement du lieu d’exécution de l’obligation du contrat, mais cela ne devrait pas être trop perturbant), par exemple, au début du l’appel, serait plus loyal, et devrait suffire à décourager la délocalisation excessive des services.