Le capitalisme fait de nous des mercenaires
Il est temps d’élargir les débats. Les analystes et la presse ne cessent en effet de se torturer les méninges afin de savoir si la reprise économique – supposée avoir démarré en 2010 – est aujourd’hui sérieusement compromise. Les réponses manquent à l’évidence. Mais les questions posées sont également les mauvaises. Les statistiques macro économiques interpellent – et fascinent – certes les spécialistes mais il devient jour après jour impératif de réorienter ces questionnements. D’autant plus que la population – le citoyen moyen comme l’on dit avec condescendance – n’aura nullement profité de cette brève parenthèse de croissance ayant tout au plus duré une année…
Pour la première fois depuis le milieu des années 70, la population américaine (pour ne citer qu’elle) doit affronter un chômage élevé sans nulle perspective d’amélioration à court ou même à moyen terme puisque l’activité économique semble condamnée à y tourner à (très) bas régime dans un contexte politique qui, en outre, se révèle extrêmement tendu. Cela donne à réfléchir, cela force à toutes les remises en question. L’exubérance irrationnelle des années précédentes était aussi complètement … artificielle ! D’autant plus que cette prospérité – présentée comme résultante d’un capitalisme triomphant et de marchés devenus rois – était prétexte à tous sortes de comportements prédateurs de la part d’individus et d’entités ayant ruiné le système, non sans la bénédiction de nos autorités politiques.
Il nous avait ainsi été expliqué que le seul horizon devait être le profit, qu’il était légitime que cette seule finalité – digne de respect- sous tende et alimente notre énergie et notre soif de réussite. Nous constatons aujourd’hui que cette quête du profit détruit et nos vies et notre planète. Pire encore : elle menace les libertés individuelles ! La consécration du modèle de société anglo-saxon ayant stimulé le commerce à outrance et la consolidation de tous types d’entreprises en conglomérats gigantesques s’est avérée un échec pour la croissance à long terme tout en étant nocive pour la société. Cette philosophie a fait de nous des psychotiques (“sociopaths” pour reprendre l’expression de Taleb) qui rivalisent d’imagination pour détruire de la valeur et – plus grave encore – des valeurs.
Cet acharnement au « laisser faire » érigé au rang de dogme s’est aujourd’hui soldé en tyrannie alors qu’il est tellement plus sain de faire participer le plus grand nombre à la conduite des affaires et des entreprises. Les marchés ont accéléré l’avènement du macro management – c’est-à-dire de l’oligarchie – alors que seul le micro management aboutit à la stabilité et à la réalisation des individus. Le monde académique, celui des affaires come nos autorités économiques partent tous du principe qu’il convient de favoriser les organisations et les banques de taille importantes quand (et même si) celles-ci sont connues pour avoir perdu quasiment tout sens de l’innovation tout en contribuant activement à détruire de la valeur, en tout cas pour la collectivité… Ce faisant, ces cartels et concentrations de pouvoirs – qui installent un air vicié sur l’ensemble de l’activité économique – tuent à petit feu l’initiative privée tout en comprimant nos droits individuels.
C’est pourquoi il ne sert à rien de croire aujourd’hui aux illusions de celles et ceux qui font mine de « réinventer » le capitalisme car – et c’est Marx en personne qui le reconnaissait – le capitalisme se réinvente continuellement. En effet, en constante mutation, il est éternellement en quête de nouveaux artifices, de nouvelles techniques et de sophistication parfois extrême dans le seul but d’optimiser ses profits et de satisfaire à l’instinct d’accumulation. Ce faisant, chaque facette de sa métamorphose fut inévitablement jalonnée de corruption et d’exploitations outrancières se logeant au cœur même de ce système. A bien des égards, l’âme du capitalisme est elle-même foncièrement prédatrice.
Plutôt que de réinventer le capitalisme qui n’a pas besoin de nous pour tout le temps se renouveler, tentons de redéfinir le concept de « croissance » et d’en fixer clairement les priorités comme les limites. C’est peut-être ainsi que l’on pourra enfin couper l’herbe sous les pieds de comportements, ravageurs pour la société, mais qui sont indissociables du capitalisme.