mercredi 10 août 2011 - par Narcisse Jean Alcide Nana

Les apôtres de la prospérité rattrapés par l’apocalypse de la dette

Un accord de désaccords aux relents hémiplégiques nourris au vitriol à Washington. Un compromis aseptisé, prémuni d’un préservatif contre la contagion cyclique de la dette dont les fortes vapeurs s’échappaient des rives du Potomac. La longue stabilité du centre de gravité de la finance mondiale se mue pour l’heure en arbitrage professionnalisé de l’instabilité économique, que cadencent avec nervosité les vagues du super cycle de la dette. Un malaise profond et généralisé, devenu l’ersatz de l’optimisme et de l’assurance conquérante de l’Amérique, terre sainte du marché et de l’industrie.

Malaise au venin de frustrations d’autant plus que le populisme du marché a divorcé avec les priorités et aspirations au bien-être de la majorité citoyenne. Les bonnes autant que les médiocres performances de Wall Street sont accueillies avec une indifférence agacée par la masse. En 1952, c’est 90% de la valeur boursière américaine qui était titre de propriété des ménages. En 2008, les ménages détenaient moins de 37% des valeurs boursières. La bourse se suffit désormais à elle-même comme industrie et s’est enfermée dans la tour d’ivoire habitée par les nouveaux géants industriels. L’industrie du secteur financier, moteur du nouveau capitalisme financier, a multiplié par quatre l’eldorado de sa richesse pendant la dernière décennie et ne s’est pas gênée de faire ses adieux à l’économie réelle. Elle avait congédié, non sans ingratitude, le secteur de la manufacture, au nom du dynamisme et de la performance du marché. Rien qu’en 2007, le secteur financier représentait en volume monétaire plus de 10 fois le PIB mondial. Les banques traditionnelles étaient en plein déclin avec l’apparition des marchés financiers sous le pseudonyme de banques d’investissement. En termes de valeur marchande et industrielle, Microsoft pèse plus lourd que l’Indonésie, General Electric and Wells Fargo font le double de la valeur financière des Philippines, Monsanto et Time Warner dépassent de loin le poids financier du Vietnam et du Pakistan combinés, et GAP représente doublement la valeur marchande du Sri Lanka. 

Curieusement, le mirage éblouissant de la finance industrielle s’est pourtant révélé impuissant à endiguer le cyclone de la dette. Annonce d’une débâcle dans la confusion au sein des murailles imprenables des barons de l’industrie et de la finance. Pas moins de 140 banques américaines ont fait faillite en 2009. La dette américaine équivaut à 90% de son PIB. En 2008, la dette du secteur privé américain atteignait 290% de son PIB. La dette totale des corporations américaines s’est plantée à 76% du PIB. Quant au secteur financier, il s’est appuyé sur la dette à hauteur de 117% du PIB pour son décollage en 2008. Pendant la même année, la valeur totale des investissements immobiliers américains représentait 90% de son PIB.

Pour emprunter un sentiment qui flottait dans les marécages de la Grande Récession de 1929, c’est comme si on assistait aujourd’hui à la tragique métamorphose des « capitaines d’industrie devenus des caporaux du désastre ». Une certitude sans équivoque. Les apôtres intrépides de la croissance économique ont été rattrapés par l’apocalypse du super cycle de la dette. D’ici 2015, la dette globale de la France représentera 94.8% de son PIB contre 81.5% pour l’Allemagne, 124.7% pour l’Italie, 250% pour le Japon, 90.6% pour la Grande Bretagne, 109.7% pour les Etats Unis, et seulement 17.5% pour la Chine. Exit l’âge d’or où on s’abritait derrière les prouesses du marché financier pour s’absoudre de toute infraction et irresponsabilité fiscale.

 Les Eurocrates Dans Le Tunnel du Socialisme Fiscal

Révolue aussi notre profession de foi de charbonnier abusé par le « laissez- faire » du dieu marché à qui nous avions légué les charmes enivrants de l’économie de casino pour enchanter notre quotidien. Nos fonds privés d’épargnes, d’assurances et allocations sociales confiés aux vestales Voodoo de Wall Street et adossés sur bouclier fallacieux d’une devise euro fiat, ont été emportés dans la fumée de la dette toxique financière. Faute d’adultes fiscaux aux commandes de l’économie moderne, on se résigne à faire le décompte macabre des pays candidats à une déflation financière certaine. De gros nuages d’incertitude qui s’amoncellent aux frontières de l’euro, véritable épicentre du ventre mou de la crise financière actuelle. Malaise et rage des eurocrates, qui ont voulu instrumentaliser l’euro pour faire advenir la fiction d’une zone euro en bastion régenté par le condominium Franco-allemand. La furie ravageuse du cyclone de la dette rattrape les pays de la périphérie européenne par effet domino, menaçant une implosion de l’euro de l’intérieur. Après la Grèce, l’Irlande, le Portugal et l’Espagne, l’Italie à son tour joue de la résistance à retardement avant le naufrage financier. C’est que ces pays de la périphérie ont moissonné large dans l’accumulation de leur dette, et, disproportionnellement en euro. Une devise qu’ils ne peuvent pas par ailleurs imprimer.

Pour exemple, le PIB de l’Espagne équivaut à 12% de la zone euro. L’Espagne compte 30% de toutes les nouvelles maisons construites depuis l’année 2000 au sein de l’union. Ces nouvelles maisons, construites pour la plupart avec des capitaux extérieurs, représentent une valeur de l’ordre de 470 milliards d’euros. Ce qui représente prés de 50% du PIB espagnol sans que l’on s’attarde aux détails de sa dette publique et extérieure. L’Espagne, rattrapée aujourd’hui par la bulle immobilière, se retrouve aujourd’hui avec plus d’un million de maisons invendues au bord de ses côtes maritimes. La crise financière aura implanté pour la postérité des stèles-témoins de l’extravagance des hommes : les villes fantômes de la Californie et de Madrid. Pour l’heure, Madrid ne sait par quel bout commencer pour juguler le fardeau de ses 190 milliards d’euros de dette, rien que pour cette année 2011. Ce qui risque fort de nous départager au 21ème siècle, c’est bien la frontière lisible entre pays fortement endettés et pays jouissant d’un taux élevé de crédit, indépendamment de nos affiliations monétaires. Une devise monétaire, fut-elle forte, ne semble plus le gage d’un rempart solide contre le cyclone du cycle de la dette.

 L’effervescence du « concubinage monétaire » des devises a accouché d’une forme de socialisme monétaire dans la zone euro. Mais le flirt monétaire semblait une séduction trop artificielle. Le traité de Maastricht a eu l’ingéniosité d’élaborer les règles d’éligibilité au sanctuaire de l’euro. Mais il a succombé victime d’une crise de mutisme quant aux critères d’excommunication des candidats bienheureux. Oubli coupable que la confusion du capitalisme à une association tribale généreuse dépourvue de codes de responsabilité et culpabilité individuelle pour chaque pays. La crise de l’euro aujourd’hui, a fini par nous momifier vivant dans le sarcophage financier de la dette, nous conduisant malgré nous aux cimetières du socialisme fiscal. L’eurocratie découpait aveuglement ses frontières en fonction du dollar comme unique devise rivale. Cette projection participait d’une courte vue d’échelle d’autant qu’à l’horizon se dressait l’influence du renminbi chinois, du yen, des devises indienne et brésilienne. Du reste, l’euro crucialement manque les critères d’une devise optimale selon le canevas recommandable de l’économiste Robert Mundell. L’euro devrait au préalable satisfaire les exigences de mobilité du capital et de l’emploi, des transferts fiscaux pour absorber les chocs de la récession dans les différentes zones, de flexibilité des salaires et des prix, ainsi que des cycles communs de business. Les injonctions et l’interventionnisme politiques des eurocrates ont simplement escamoté des mesures économiques de la plus simple banalité. Pèlerinage à l’oracle moderne que représente Aldous Huxley, qui n’avait pas si tort de rappeler que la civilisation industrielle n’est pas compatible avec l’auto-reniement de soi-même et l’auto-indulgence jusqu’aux limites qu’impose l’hygiène économique.

Narcisse Jean Alcide Nana, The University of Leicester.

 

Référence

- C, Fred Bergsten, eds., The Long-Term International Economic Position of the United States (Washington D.C., Peterson Institute For International Economics, 2009)

- Eckhard Hein, Money, Distribution Conflict and Capital Accumulation : Contributions to ‘Monetary Analysis’ (New York, Palgrave Macmillan, 2008)

- Wilhelm Hankel & Robert Isaak, Brave New World Economy : Global Finance Threatens Our Future (Hoboken, John Wiley & Sons, 2011)

- Pierre L. Siklos, Martin T. Hohl & Mark E. Wohar, eds., Challenges in Central Banking : The Current Institutional Environment and Forces Affecting Monetary Policy (New York, Cambridge University Press, 2010 )

- Nouriel Roubini & Stephen Mihm, Crisis Economics : A Crash Course in the Future of Finance (New York, The Penguin Press, 2010)

- Russ Koesterich, The Ten Trillion Dollar Gamble : The Coming Deficit Debacle and How to Invest Now (New York, McGraw Hill, 2011)

- Colin I. Bradford & Wonhyuk Lim, eds., Global Leadership in Transition : Making the G20 More Effective and Responsive (Washington D.C., Brookings Institution Press, 2011)

- John Authers, The Fearful Rise of Markets : Global Bubbles, Synchronized Meltdowns, and How to Prevent Them in the Future (Upper Saddle River, FT Press, 2010)

- John Mauldin & Jonathan Tepper, Endgame : The End of the Debt Supercycle and How It Changes Everything (Hoboken, John Wiley &Sons, 2011)



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