vendredi 23 mars 2018 - par

« Les choses qu’on possède, finissent par nous posséder. »

Le grec oikonomia qui donne notre économie, désigne très précisément « la maisonnée, la domesticité ». C'est-à-dire que pour une part des anciens Grecs, l'économisme ne tenait pas lieu de politique. Or, cela perdura jusqu'au XIXème siècle, puisque l'époque féodale (aussi avide fut-elle) n'était pas obsédée par l'économie. Cette obsession est récente, à ne plus savoir que faire (utilisation, gestion, protection) des ressources nationales, et mondiales.

 

C'est dans cette optique, d'ailleurs, qu'on nous vante les voyages spatiaux au petit bonheur la chance - qu'on nous vante le futurisme au gré des petites découvertes et autres rêves scientifiques, avec tous leurs voyages spatiaux. Mais remarquez bien qu'on ne sait ni comment rendre bien habitable une autre planète, ni comment faire décoller de gros vaisseaux (pour un résumé appréciable, voir DirtyBiology, Comment envoyer l'humanité dans l'espace #1, #2). C'est-à-dire qu'on nous blufferait surtout, à nous vanter des lendemains interstellaires qui chantent, afin de continuer comme en 40.

 

« Les choses qu’on possède, finissent par nous posséder. »

Et quand bien même ces « lendemains interstellaires qui chantent » étaient probables, faudrait-il poursuivre dans notre veine ? ... Par quel fault (nécessité), par quel il-faut, continuerions-nous dans la veine ? ... C'est-à-dire que, selon l'adage, « les choses qu’on possède, finissent par nous posséder », et que c'en devient même ridicule, au stade où un richissime n'a de ses avoirs que des marges (largement avantageuses marges, rapport au commun, mais marges pourtant) sans parler de l'inefficacité des reprises de croissance. Tout cela fait pitié au possible, tant il est ridicule de poursuivre dans la veine. Reste que c'en est dangereux, puisque les ressources nationales, et surtout mondiales, ne sont pas illimitées.

 

Le mythe de l'illimité et de l'infinité

La croissance économique porte un joli nom : qui n'a jamais rêvé de croître ? ... Croître, c'est grandir, mûrir, acquérir de l'expérience, s'épanouir ainsi qu'un noble arbre, se développer, etc. Ah ! qu'il est beau de croître, oui, en effet. Néanmoins, n'y a-t-il pas là un énième bluff, avec cette dite croissance ? ...

Voici courir les complotistes et autres conspirationnistes à la rescousse, pour asséner une énième fois à quel point le monde est horriblement gouverné par une « part obscure », un « père obscur » (à vous rejouer une sempiternelle fois les larmes de Luke Skywalker dans la cité des nuages, d'apprendre par l'ignoble Dark Vador qu'il est son fils ... au suivant ! au suivant !). Car nul n'est besoin de comploter ni de conspirer pour comprendre que personne, au début de l'ère industrielle, ne pouvait s'attendre à ce qui allait advenir - quoiqu'il y eut, et comme toujours, des lanceurs d'alerte.

Nos aïeux d'alors, voilà huit ou dix générations seulement, vivaient sur une planète peuplée de moins d'un milliard d'habitants ; au début de notre calendrier, le monde en comptait quelques 200 millions estimés : c'est vous dire la croissance démographique ces malheureuses dernières décennies, précisément grâce à la croissance économique ! ... Non, il ne faut pas le nier : le capitalisme libéral fut un puissant moteur de développement sociotechnique. Non, vraiement, inutile de s'aveugler, de se mentir, ni de s'effaroucher. La preuve ? ... Les autres parties du monde, aujourd'hui, profitent allègrement et dès que possible, des sophistications euro-américaines ! pour le meilleur et pour le pire.

Mais c'est que nos grands aïeux, morts et enterrés et depuis longtemps finis d'être rongés par les vers, vivaient encore dans un monde au futur ouvert, où l'avenir ne semblait pas menaçant, car pas encore fermé en termes d'espaces et de ressources. C'est-à-dire qu'ils pouvaient bien vivre du mythe de l'illimité, ce que nous ne pouvons plus ! ... mais il n'y a pas de quoi en pleurer, puisque ce sont des enjeux aussi palpitants qui se présentent, voire encore plus cruciaux (notre survie en tant qu'espèce).

De plus, nos grands aïeux vivaient encore sur la base de Copernic, Galilée et Giordano Bruno, vantant l'infini du monde et des mondes, avec toutes leurs utopies sociales à la Thomas More, jusqu'encore Charles Fourier. Bref : no limit, and infinite. Autant de slogans avec lesquels la publicité nous serine à longueur d'année toujours, la malheureuse ! ...

 

Obsession possessive

L'obsession possesive ainsi générée, rentre dans le cadre d'une possessivité générale, inscrite en lettres de feu dans la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen dès 1789. Liberté, égalité, propriété. Cette propriété est heureusement fondée (stade 1) sur un habeas corpus d'Ancien Régime (ais ton corps) issu de Grande Bretagne, prônant les droits de la personne sur elle-même - et dont l'aboutissement est la contraception féminine, etc. comme en quelques « bons temps » para-monothéistes, avant et autour du monothéisme ... mais avec l'avantage d'une médecine relativement mieux scientifique désormais (la femme, première propriétaire ? ... mais il faut bien émanciper l'enfant !).

Pour enchaîner sur cette propriété, elle défend encore normalement (stade 2) les avoirs personnels, encontre toute expropriation. Or, ça n'est déjà plus respecté de nos jours que cela, à travers l'invisibilité des monnaies numériques (nos mondes sont absolutistes-financiers, non pas libéraux au sens noble du terme, quoique le néolibéralisme ait repris le terme de libéral, pour désigner son absolutisme-financier digne d'un Ancien Régime financiarisé !) ...

Enfin, cette propriété est aujourd'hui (stade 3) extensive à une large part de ses fruits et usufruits, de telle sorte à avoir rendu possible le capitalisme que nous connaissons. Ce capitalisme se sert des travailleurs comme de simples mains d'oeuvre paramétriques au service du Moloch impersonnel, idiot et insensé de la croissance économique, ès « ressources humaines, facteurs humains » à vous nier toute dignité réelle, sans parler de l'économie elle-même réelle, ignorée et bâclée par la grande finance.

Aussi bien, donc, « les choses qu'on possède, finissent par nous posséder » et nous possèdent-elles déjà, puisque nous dépersonnalisons ainsi (et du moins acceptons en bronchant) cette possessivité étendue à tout l'univers, sottement. (C'est que, on en profite aussi, à quelques piètres niveaux, et puis, vous comprenez, on a ses habitudes ...)

Or, la seule propriété qui vaille, respecte le « stade 2 », sans sauter du premier au troisième comme un cabris pratiquant la stratégie de « diviser pour mieux régner » - et encore que le « stade 1 » ressemble là à une mobilisation individuelle exacerbée. Sorte de néomilitarisme où chacun·e touche une solde minimale, tout comme les soldats médiévaux, hommes et femmes à égalité ; chacun·e, devenu-e brave soldat du cycle industrialisé de l'éternelle production-consommation - un cycle éternel, certes, mais généralisé à des désirs non-nécessaires, ne ressortant plus d'aucun besoin qui vaille, réel, simple et concret (le sot hédonisme n'a rien d'un véritable épicurisme).

 

Les fruits et usufruits de la propriété de « stade 3 » n'ont pas de lien de cause à effet avec cette propriété

L'appropriation de « stade 3 » est donc une dictature propre, fallacieuse, sur tous les fruits et usufruits d'une propriété. Or, entre une propriété et ce qu'elle produit d'elle-même ou avec l'oeuvre de travailleurs, il y une distinction nette, sans lien de cause à effet appropriatif.

Clairement, il n'y aucun lien de cause à effet entre la propriété et son profit excédentaire, sauf en ce qui concerne l'usure normale des choses. A partir de quoi, un véritable solidarisme devient possible, par-devers tous les délires issus des vulgates communistes plus ou moins tragiques, par-devers toutes les lâchetés issues des vulgates socialistes plus ou moins benoîtes.

Il n'y a que l'affairiste, dans sa cupidité, pour vous assurer avoir tous les droits sur les fruits et usufruits de ses propriétés. Hélas, en dehors des tyrans, même les seigneurs moyenâgeux et - plus tôt - les citoyens grecs antiques ... n'ont jamais laissé éclater cette cupidité comme on le fait depuis l'ère industrielle. (Ô complotistes et conspirationnistes, pourquoi iriez-vous chercher les juifs ou les extraterrestres, pour expliquer cela ?)

C'est que, pour l'immense majorité des époques et des mondes para-capitalistes (c'est-à-dire avant, comme autour, du capitalisme) le marchandage n'était pas au principe, et le champ d'action des marchands était sévèrement délimité par la coutume, le droit et la morale. Si on a toujours fait des affaires, on n'était pas affairiste ! cela serait mentir que de prendre nos moeurs actuelles, pour le tout des autres espaces-temps : ce serait chronocentrique, de même qu'il y a un égocentrisme et un ethnocentrisme (nous devons penser l'espace-temps humain dans son altérité géographique comme historiographique). Ne nous laissons pas avoir parce que l'affairisme règne aujourd'hui, et que la plupart l'admet avec praticisme.

Mais un tel discours que celui-ci est-il degôche ?

 

Un tel discours est-il degôche ?

A l'heure où nous sommes exponentiellement 7 milliards sur Terre, 10 en 2050, il faut être le fils·la fille à personne, pour soutenir qu'un tel discours serait degôche. Non : à 7-10 milliards sur Terre, sans ressources illimitées ni mondes infinis, c'est mathématique. Le premier comptable, gestionnaire ou logisticien venu comprend cela (les petites gens vivent l'économie réelle) et il n'y a que les grands influenceurs, pour rester sots (ils ne vivent que de l'économie spéculative).

Faut-il leur pardonner au XXIème siècle, comme on pardonne à nos aïeux des XVIII-XIXèmes ?

Mal' - LibertéPhilo

 

 



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