lundi 18 mai 2009 - par Prospero

Les enjeux du non remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant en retraite

Faut-il accepter la logique purement comptable qui préside au choix de ne pas remplacer un grand nombre des fonctionnaires qui entrent en retraite ?

L’originalité de notre Gouvernement réside dans son côté “check list”. En effet, tout est chiffre : 29000 clandestins à “éloigner” chaque année, les prélèvements obligatoires ne doivent pas dépasser 50% du revenu, règle des 3 tiers à appliquer à la répartition du profit…Mais la bataille la plus emblématique que livre la majorité est celle de la réduction du nombre de fonctionnaires : objectif -34000 en 2009.

Historiquement, le sujet a été lancé en 1997 par l’ Inspecteur général J. Choussat.  Il estimait à 10% des effectifs totaux (500 000) la proportion de fonctionnaires surnuméraires. Les Gouvernements Raffarin et  Villepin avaient repris ce mot d’ordre avec une timidité que ne connaît guère l’actuel Président qui, à la faveur de la crise, annonce sa volonté de restreindre encore plus le taux de remplacement des fonctionnaires partis en retraite afin, dit-il, que les français puissent ”sortir plus fort de la crise“.

La France se met au diapason international. Depuis 2006, l’OCDE conseille aux autorités françaises d’utiliser l’occasion “historique“ que représente les nombreux départ à la retraite pour réduire franchement le nombre de fonctionnaires (au cours des années soixante et soixante-dix, les emplois publics ont progressé à un rythme annuel moyen 3% par an ). L’OCDE, qui prenait acte de la décentralisation et de la montée des dépenses de santé, recommandait de compenser l’augmentation du nombre de fonctionnaires des collectivités locales et de l’hopital public par diminution significative du nombre de fonctionnaires centraux. Or les effectifs ont continué à croître au même rythme que l’emploi privé (1% par an depuis 1980). 

Comment aller plus loin ? En son temps, Mr Choussat recommandait de ne remplacer que trois départs à la retraite sur quatre et cela pendant 10 ans. Monsieur Sarkozy, qui a tant besoin de briller auprès de son électorat, a décidé d’abaisser ce taux à 50% . Au rythme d’environ 30 000 emplois supprimés chaque année, et dans l’éventualité d’une réelection en 2012, les effectifs de fonctionnaires pourraient chuter dans des proportions comparables à celles que l’on observa au Royaume-Uni, durant la période Thatcher (avant que Tony Blair ne soit obligé de recruter des dizaines de milliers de fonctionnaires pour faire face aux carences flagrantes du système de santé ou d’éducation).

Cette réforme pose, nous semble-t-il, trois problèmes.

Tout d’abord problème d’opportunité. On peut se demander si la période de crise que nous connaissons n’exige pas, au minimum, un gel de ce plan. Alors que l’administration Obama recrute 60 000 fonctionnaires afin d’amortir les effets de la récession est-il pertinent d’en détruire 60 000 sur deux ans ? L’intérêt économique qu’il y a à se montrer plus royaliste que le roi n’est pas évident.
 
La crédibilité de cette réforme pourrait se heurter également à un problème de forme. Les Gouvernements Raffarin et Villepin avaient cherché à imposer brutalement une règle forfaitaire. L’irréalisme des objectifs officiels ( les besoins de la population sont restés constants) a entraîné l’embauche de fonctionnaires précaires qui sont désormais, en proportion, plus nombreux que dans le privé.

Il existe enfin un problème de valeur. L’obsession du Gouvernement est que des fonctionnaires en moindre nombre développent une productivité identique à celle de l’industrie (ce qui correspond des gains d’efficacité du travail de 4 à 5% par an). En contrepartie, il est prévu d’affecter la moitié des économies budgétaires sous la forme de hausse de salaires. Tout ceci semble affaire de technique et de bon sens, nous disent nos gouvernants. Et c’est bien cela le problème.

Jusqu’ici la fonction publique a représenté une sorte d’image idéale de la condition salariale. Elle correspondait à notre imaginaire collectif, tel qu’il a été faconné par le mythe républicain. C’est ce qui permettait aux français d’accepter de payer des services publics riches en main d’oeuvre en échange de la cohésion sociale qu’il s procurent et d’une modération relative des salaires des fonctionnaires. Ces derniers, un peu à l’image de beaucoup d’artistes, compensaient leur manque à gagner monétaire par une rémunération symbolique : celle qui résulte de la nature collective de leur travail consacré au service de tous. 

C’est la survie de l’ exceptionnalité du travail fonctionnaire qui est en jeu. Trois évolutions la menacent : 

 Le contexte économique et sociale : une population française paupérisée ou menacée de l’être, qui doute des vertus protectrices de l’Etat et supporte de moins en moins les prélèvements obligatoires. 

 Une jalousie , analysée par Danièle Linhart dans son dernier ouvrage “Travailler seuls ?” que l’on peut résumer ainsi : on assiste à rejet parfois violent des fonctionnaires de la part de salariés du privé dont le travail s’individualise de plus en plus au point qu’il les coupe de la société et rend insupportable à leurs yeux le “privilège” dont bénéficie encore, et se targuent, les fonctionnaires, qui oeuvrent pour la collectivité.

Enfin, le manque total d’imagination du Gouvernement pour lequel productivité rime forcément avec compression du personnel, incapable qu’il est d’envisager d’autres pistes plus innovantes axées sur la qualité du service rendu à travers par exemple son individualisation.


21 réactions


  • Vilain petit canard Vilain petit canard 18 mai 2009 15:59

    Ce parti-pris imbécile de ne pas remplacer un fonctionnaire sur deux qui part en retraite, a déjà abouti à la multiplication des vacataires, sous-payés et précarisés sans limitation de temps ou presque. Comme on était déjà censé depuis longtemps ne pas alourdir les effectifs, on en avait déjà mis partout.

    L’Etat est donc le premier employeur de France à ne pas respecter le Droit du Travail, puisque ces contrats-bidons sont sous le régime du Droit Administratif, qui autorise 150 contrats à durée déterminée de suite sans embauche définitive. Et quand je dis 150, c’est une clause de style, en fait le nombre maximum n’existe pas !

    Le présupposé est qu’il y a trop de fonctionnaires en France. On se contrefout de savoir ce qu’ils font, ces fonctionnaires trop lourds, il y en a trop, c’est tout. Pourquoi ? Parce que. Il y a trop d’enseignants, il y a trop de services de contrôle, il ya trop de chercheurs, et en plus ils ne foutent rien, c’est bien connu, ils ne publient pas autant que les Anglais, etc. Evidemment, quand il ya une crise, on est bien content de les trouver, les fonctionnaires, mais tant que ça tient, on réduit.

    Tout ça c’est du calcul électoral. Grosso modo, 5 ou 6 millions de fonctionnaires sur 30 millions de votants, ça fait 20 % de votants qui sont également fonctionnaires. Plus on leur tape dessus , en s’étalant sur leurs « scandaleux avantages » ou leurs « privilèges » (privilégié au SMIC, tu parles), plus on se met 80 % de l’électorat dans la poche. C’est la bonne vieille recette populiste poujadiste, reprise par Le Pen et maintenant perfectionnée par la Droite.

    En plus, affaiblir l’Etat, c’est tout bénéf’ pour les Copains : moins de contrôles pour gêner les « vrais » entrepreneurs, qui sont les nouveaux seigneurs, et moins de service public, qu’on pourra recréer sous une forme privée pour se faire des sous.

    Alors oui, l’opportunité est discutable, la forme est criticable, et le concept de productivité est souvent difficilement applicable à du service public. Quelle est la productivité d’un enseignant ? D’un flic ? D’un infirmier ? En effet, la piste de la qualité de service est intéressante, mais attention à l’Assurance Qualité et à ses dérives bureaucratiques (je connais bien le problème, je suis en plein dedans).


    • Le petit département éclairé 19 mai 2009 13:41

      VPC,
      Je suis bien d’accord avec vous. Les opposants systématiques à l’emploi public doivent être éclairés et nous allons nous y employer. Savent-ils par exemple, que parmi les postes qui progressent le plus, ceux de la fonction publique territoriale,on compte 2 tiers d’ouvriers et d’employés rémunérés en moyenne 1417 euros par mois ? (http://www.insee.fr/fr/themes/document.asp?ref_id=ip1182&reg_id=0 )
      Le véritable problème n’est pas lesurplus de fonctionnaires mais l’incapacité du privé à offrir (surtout dans les services) des emplois suffisants et reconnus


  • xray 18 mai 2009 18:46


    Des institutions fantômes (Que du papier !)  
    Ponctuellement, les médias produisent un éclairage positif sur des institutions qui ne sont rien d’autres que des images. 

    Ces images masquent des fonctionnaires incompétents, intouchables,  payés à prix d’or pour ne rien faire et pour seulement obéir. (Pour obéir à qui ?) 

    Ces fonctionnaires intouchables sont au service d’un pouvoir qui gagne à pourrir la vie du plus grand nombre. Le pouvoir est entre les mains de ceux qui contrôlent le capital de la Dette publique. 

    Ces fonctionnaires n’ont pour activité que de répondre aux courriers des requérants pour leur expliquer, en des tournures de phrases recherchées, qu’ils ne sont pas compétents. 
    Voire encore de mettre directement à la poubelle les courriers véritablement dérangeants. 

    En dehors de cela, par nature, les fonctionnaires sont toujours à la recherche de quelque chose à voler. Pour eux, l’Europe est un terrain de chasse idéal. L’Europe, ils sont « POUR » ! 


    Le bourbier européen 
    http://n-importelequelqu-onenfinisse.hautetfort.com/archive/2009/05/09/le-bourbier-europeen.html 

    La dictature de l’image 
    http://echofrance37.wordpress.com/ 


  • Dark-Vador Dark-Vador 18 mai 2009 20:24

    A mon avis encore et toujours de la désinformation ! l’auteur oublie de parler de la descentralisation qui a créer des centaines de milliers de poste de fonctionnaires des collectivités territoriales (departement, regions comunnauté de communes etc...) ils sont parfois trois ou quatre a faire la meme chose ! ne pas renouveler des fonctionnaires d’etats partant en retraite me semble un devoir de décence vis a vis de nos enfants qui auront a payer une dette déja trop importante ! mais pour certain, la dette on s’en fout c’est les suivants qui paierons !


    • Le petit département éclairé 19 mai 2009 13:25

      Actias :
      Vous êtes loin du compte.
      Ce ne sont pas 20 000 ou 30000 emplois qui ont été supprimés « par ci par là » dans la fonction publique mais près de 120 000 depuis 2002, soit une diminution de près de 5% de l’ensemble des effectifs de la fonction publique. Le phénomène est désormais suffisamment important pour expliquer le mécontentement de nombreux étudiants qui trouvaient un débouché dans la fonction publique et sont désormais inquiets (surtout des filles, très représentées parmi les fonctionnaires et,remarque-t-on, sont souvent les « meneuses » de pas mal de blocage d’universités).


  • Candide Candide 19 mai 2009 02:25
    à l’auteur

    Bof pour l’article, probablement écrit par un fonctionnaire qui prêche pour sa chapelle. Il y a en France 1 fonctionnaire sur 3/4 actifs. Moi je me dis que si on commençait par :
    1- Supprimer le statut de la fonction publique, comme partout ailleurs en Europe et dans le monde. Et indexer les salaires au mérite.
    2- Diminuer les strates administratives surnuméraires, suivez mon regard....
    3- Réorganiser la fonction publique territoriale, celle qui a le plus de fonctionnaires en doublon,
    4- Degraisser réellement le mammouth une bonne fois pour toute, qui consomme de plus en plus et produit de pire en pire.
    5- Rendre le vote syndical obligatoire, ce qui élargirait la base syndiquée aux autres salariés du privé. Les syndicats aujourd’hui sont dirigés par des fonctionnaires, ce qui ne manque pas d’air.

    Déjà commencer par là et on verra.

    Ensuite, monsieur l’auteur, Obama embauche 60.000 fonctionnaires aux usa dites-vous. 
    Peut être, je ne sais comment vous pouvez affirmer ça, alors qu’ici on appelle un fonctionnaire quelqu’un qui bosse pour la collectivité, que les Etats Unis sont constitués d’Etats précisément (51) et que chacun gère son personnel à sa façon. Ici pas de planque à vie, US Postal vient de virer 25000 fonctionnaires sans que personne ne s’en émoive, ils retrouveront du boulot ailleurs. Les collèges et high school sont très souvent indépendants, donc les profs sont en place tant qu’on a besoin d’eux et je peux vous garantir que les profs bossent ici et que chaque établissement en connait le nombre (sic...pauvre Education Nationale (re sic )). Donc il ne faut pas comparer ce qui n’est pas comparable, le fonctionnaire français a un statut unique au monde.

    • Le petit département éclairé 19 mai 2009 14:16

      Monsieur Candide,
      Votre plan de réforme est audacieux. Il est bon de voir que notre pays conserve en son sein des ferments de changement mais portez vous votre ire au bon endroit ?
       Que l’on attende des fonctionnaires (dont je ne suis pas) un service performant est la moindre des choses compte des ambitieuses missions qu’ils ont à remplir dans une République dite sociale (si j’en crois le préambule de la Constitution de 1958 à laquelle je vous renvoie et dont on se demande si elle figure aussi dans vos objectifs de guerre).

       Et oui,les fonctionnaires travaillent et, chose étonnante, produisent les services qui leur permettent de vivre. La qualité des services publics français, si l’on veut bien s’émanciper un moment des idées recues, n’a pas à rougir des comparaisons internationales. On pourrait citer la qualité des infrastructures de transport , de communication ou de santé qui font de notre pays, selon une étude récente, le pays le plus attractif en la matière pour les investisseurs étrangers. J’attire votre attention sur les remarquables performances du service public en matière de redynamisation de l’espace rural (http://www.maire-info.com/article.asp?param=10083&PARAM2=PLUS) : lafrance est l’un des tres rares pays européens où l’on observe une inversion des flux migratoires ville/campagne.
      Encore un effort pour être républicain Mr Candide.
      DG


    • Candide Candide 19 mai 2009 17:55

      Je ne vois pas en quoi le fait de dire quelques vérités serait anti-républicain. La Déclaration des Droits de l’Homme n’a jamais été appliquée dans les faits et vous le savez autant que moi, c’est une vaste fumisterie. Le problème aujourd’hui est que la France ne s’est pas réformée à temps, que son administration pléthorique est la plus importante au monde par habitant et surtout la plus chère. Le Problème est que la France n’a PLUS les MOYENS de payer tous ses fonctionnaires exédentaires. Je ne fais pas de procès d’intention aux hommes, croyez le bien, je fais le procès de ce système absurde, courtelinesque qui fait qu’en France on embauche des fonctionnaires la plupart du temps par clientèlisme (dans les conseils généraux, c’est même la règle), sans savoir ce que l’on va en faire et surtout comment les payer. Ce système qui aboutit à créer des emplois sous qualifiés, sous rémunérés, démotivants et sans avenir. Est-ce cela que vous voulez voir perdurer à l’infini ? 

      Quand la France sera enfin déclarée en faillite (c’est déjà le cas mais on se garde bien de vous le dire) vous descendrez encore dans la rue, mais cette fois pas pour protéger vos sacro-saints avantages acquis, simplement pour demander à être payés pour nourrir vos gosses. Moins de fonctionnaires, convenez en permettrait de mieux les rémunérer et pourquoi au mérite, sans la garantie de l’emploi à vie, ce qui permettrait d’attirer les meilleurs, ce qui remettrait l’émulation au centre du processus, et qui a terme serait profitable à tous. On dira ce qu’on voudra mais ici aux USA on m’a branché mon électricité un dimanche matin à 6 heures (ils sont venus sur place) et mon téléphone le même jour. J’ajoute que j’avais demandé ces deux brancchements la veille ! Idem pour la poste qui distribue le courrier 2 fois par jour , le dimanche inclus.

  • Massaliote 19 mai 2009 09:27

    Petit rappel : un grand quotidien économique américain, pardonnez moi de ne pas me souvenir de son nom, expliquait à ses lecteurs que le modèle français, qui compte tenu de la fréquence et de la durée des grêves et mouvements sociaux devrait se « casser la gueule », devait sa capacité de réaction et de résistance à l’excellence de son administration.

    Une raison de plus pour « Sarko l’amerloc » de détruire cette dernière. Des réformes, d’accord, le nivellement à l’aune du modèle mondial, non !


    • Candide Candide 19 mai 2009 18:01

      Evidemment ! En cas de cris grave les systèmes centralisés sont ceux qui tanguent le moins violemment. On a connu ça aussi dans les pays communistes : la Corée du nord, pas plus que Cuba ne sont touchés. Le seul truc c’est que ces systèmes sombrent tranquillement mais sûrement. Et quand les autres pays seront repartis, les français se demanderont encore comme à chaque fois : « mais pourquoi on n’en profite pas nous aussi ? » Et surtout « mais pourquoi on a toujours autant de chômeurs, pourquoi les prix sont toujours aussi élevés etc, etc. »



  • Vilain petit canard Vilain petit canard 19 mai 2009 11:33

    @ Céline

    D’autant que je suis souvent d’accord avec vos interventions, Céline... et ici une fois de plus : moi aussi je pense que ce qui manque le plus, c’est le management. Mais c’est à mon avis lié au problème de cette fameuse efficacité et donc au problème de l’évaluation.

    Quand on travaille on a besoin de savoir où on va, à quoi ça sert, et sur quoi on va être évalué. Donner du sens à l’action, c’est d’ailleurs le but du management (et non pas « incarner une autorité », ou "animer une équipe", ce genre de niaiseries). Faute de sens, on tombe dans la gestion, qui elle-même se réfugie dans la comptabilité. Il est significatif qu’on essaie de nous faire croire à l’heure actuelle qu’un bon manager est fatalement un bon gestionnaire, comme si ces deux mots étaient équivalents. Si ce qu’on évalue n’est pas clair, et surtout si ce qu’on évalue n’a pas de sens, on court à la débilité.

    Je vais prendre des exemples concrets.

    Je travaille dans un service de contrôle de l’Etat (donc a priori répressif, si on regarde par le petit bout de la lorgnette). Je surveille des établissements et relève les non-conformités, puis je dis aux exploitants qu’ils doivent y remédier. Comment va-t-on évaluer mon activité ?

    Premier procédé : on va compter le nombre de visites que je fais, car plus j’en fais, plus je suis censé être efficace. Le présupposé qu’on m’envoie est  : votre boulot, c’est d’inspecter, alors inspectez au maximum (productivité). Rien ne me dit que plus j’inspecte, plus les entreprises vont être conformes, mais je suis évalué sur le nombre de rapports, alors je fais du kilomètre et je ponds du rapport. Même si je ne trouve rien à voir, je prouve juste que je suis passé. J’augmente ma « productivité » mais en fait, on ne me demande pas d’évaluer l’effet qu’ont mes inspections. Appliqué aux enseignants, ce principe débouche automatiquement sur l’augmentation des effectifs d’élèves, car un prof, c’est bien connu, son boulot, c’est de faire des cours devant des élèves, et donc, plus il y a d’élèves, plus il est productif.

    Deuxième procédé : on va compter le nombre de non-conformités relevées, ou plutôt le nombre de sanctions. Le présupposé est : plus on cogne, plus ça va rentrer dans le rang. Je vais donc traquer la non-conformité, et établir un maximum de PV ou tout autre sanction reconnues par mon évaluateur. C’est la politique du radar fixe. On me demande de ne rien comprendre, juste de sanctionner. Plus de PV, plus de productivité. C’est la politique qu’on impose actuellement à la police : le résultat, c’est qu’on trouve bizarrement de plus en plus de sanctions, alors que la criminalité est justement censée régresser. On voit bien que quelque chose cloche.

    A noter qu’on peut mixer les deux procédés, en évaluant à la fois le nombre d’interventions et le nombre de sanctions. On pourra même calculer le rendement de mes inspections, en faisant un calcul simple nb sanctions / nb visites. Et même pourquoi pas, donner la médaille du PV à l’inspecteur le plus productif.

    Troisième procédé, plus intelligent en apparence : on va évaluer le nombre de non-confomités qui sont revenues à la conformité après mon passage. Le présupposé est à ce moment : il est bien d’avoir un maximum d’entreprises conformes (et non plus le contraire). Nous voilà avec du sens, et un sens donné à mon action bien plus profond que dans les deux premiers procédés, et un peu plus orienté sur le bien public. Oui, mais... je vais pouvoir infléchir ma pratique et accumuler des mini-constats de mini-non-conformités, qui se résoudront sans problème, et j’obtiendrais un score détonnant... en faisant un boulot peu efficace. C’est la politique actuellement imposée à la police, avec l’indicateur « du taux d’affaires résolues ». On arrête un gamin avec dix barrettes de shit dans la poche, ça fait : une arrestation, et dix affaires résolues (détention de stupéfiants). Qui lui a vendu ça, on verra à un autre moment, si je ne trouve jamais, c’est pas grave, j’aurais 10/11 = à peu près 90% d’affaires résolues, je suis super-productif.

    Ce sont des exemples directement tirés de ma vie professionnelle, j’ai juste un peu gommé les particularismes de mes fonctions, et donné quelques exemples à côté pour mieux faire comprendre. Quand il faut « mobiliser les équipes autour d’un projet commun », j’avoue que ces chiffres ne me donnent pas beaucoup d’aide. Pourquoi ? Parce qu’un indicateur, sans le sens, n’est qu’un chiffre vide, qui finit par acquérir son propre sens : on fait de l’indicateur parce qu’il faut faire des indicateurs.

    Si on ne sait pas quel est le but de notre action, on ne peut pas trouver un indicateur qui corresponde. Et dans les discours politiques qui nous submergent, je ne trouve aucun sens susceptibles d’orienter l’action des fonctionnaires. « Lutter contre » la délinquance, par exemple : allez, dites-moi ce qu’il faudrait faire, dans quel ordre, avec quelle stratégie ? Débrouillez-vous, faites du chiffre, c’est tout ce qu’on vous demande. Et « lutter contre le chômage », hein, comment on fait, amenez-moi le chômage, que je lutte contre lui.

    A quoi sert-on ? Et bien, personne ne nous le dit, c’est à chacun de trouver, et c’est ce qui fait que de nombreux agents de l’Etat se sentent en déshérence actuellement. Heureusement qu’il existe des managers intermédiaires, qui justement sont en contact avec les équipes de terrain, pour corriger le tir... quand ils le corrigent. tenez, posez la question autour de vous : à quoi sert l’Education Nationale, justement ? Et à quoi sert le Ministère de l’Agriculture ? Vous verrez les réponses, c’est édifiant.

    Il est regrettable que nos dirigeants en restent à une espèce de philisophie de bistrot (« la justice c’est fait pour punir les méchants », ou « l’agriculture, c’est une histoire d’agriculteurs », ou encore « les Affaires Etrangères, c’est pour faire des affaires avec les étrangers »). Du coup, rien n’avance, et tout le monde s’engueule, puisque chacun a sa petite opinion su rle sens des actions.

    Tant qu’on en restera à ce niveau de discours, on l’avancera pas et on se disputera sur des chiffres vides... de sens. Revenons aux fondamentaux : demandons-nous clairement à quoi sert l’Etat, et mettons-nous d’accord là-dessus. Tant qu’on aura pas fait ça, on patinera et on accumulera les fausses bonnes idées. Qui peuvent faire couler le navire.


    • Louisiane 19 mai 2009 12:25


       @ Vilain petit canard

      Excellent moment de pédagogie qui, à mon avis et malheureusement, ne fera pas changer d’un iota la position des anti-fonctionnaires parce que la chasse aux sorcières est ouverte depuis longtemps.
      La seule pédagogie qui prévaudra, c’est celle du fric. Quand les gens comprendrons que les services privatisés n’ont pas pour but de rendre service à l’ensemble de la population mais seulement à celle qui peut être rentable, et qu’il leur faudra courir aux quatre coins pour recevoir son courrier ou se faire soigner, alors certains commenceront à tirer la gueule.
      Quant au secteur privé, on y a tous affaire chaque jour. Et trouver un garagiste qui ne soit pas un voleur ou un médecin qui prenne le temps de vous soigner réellement relève de la gageure. Je n’évoquerais même pas les supermarchés qui font payer un max des produits achetés au rabais aux producteurs (le lait, par exemple).
      L’ensemble du secteur privé est basé sur la concurence et la rentabilité. Y avoir affaire, c’est risquer de se faire voler d’une manière ou d’une autre sauf cas de plus en plus rare d’honnêtes travailleurs qui font leur métier correctement.
      On pourrait donc redonner un sens au travail des fonctionnaires mais aussi à celui du secteur privé et aux consommateurs (dans le cas où ils ont le choix du prestataire de service).
      Se poser la question du sens de l’Etat et de sa mission vis à vis de la population serait effectivement une bonne manière de ressouder le lien social entre tous les gens qui préparent leur retraite en travaillant et sans attendre de parachute doré.


    • Walden Walden 19 mai 2009 13:45

      Remarquable analyse, il y a là matière à un excellent article sur la question smiley


    • Vilain petit canard Vilain petit canard 19 mai 2009 13:52

      J’avoue que j’y ai pensé, mais bon, quand j’aurai davantage de temps. Merci.


    • bright13 bright13 19 mai 2009 14:36

      VPC...j’ai l’impression qu’on bosse dans le même bureau et j’adhère bien évidemment aux mêmes conclusions puisque j’ai fait les mêmes constants...pilotage par objectifs...c’est terrible quand les objectifs n’ont pas été identifiés par ceux qui font le travail !!


    • Céline Ertalif Céline Ertalif 19 mai 2009 15:17

      Excellent commentaire à nouveau. Je suis d’accord à 100% avec Vilain petit canard.

      Sur les mots management, évaluation, etc... Une anecdote : je me rappelle un jour, au cours d’un colloque professionnel consacré à l’autisme, les parents d’un jeune enfant gravement handicapé protestent avec véhémence : « qu’est-ce que ça veut dire handicapé mental ? Nos enfants sont débiles ! ». Le ton était dur, une souffrance était exprimée... Je raconte cette anecdote, dans un contexte qui n’a rien à voir, pour souligner une chose : l’usure des mots face aux réalités qu’on n’arrive pas à transformer.


    • Flo Flo 19 mai 2009 16:35

      Reste que la chasse aux sorcières, comme vous l’avez fort justement appelée, est d’une virulence et d’une irrationalité surprenantes. Impossible de faire entendre raison à l’aveugle pourfendeur de fonctionnaires, combien même serait-il à cours d’arguments, comme s’il était investi d’une divine mission dont la réussite restaurerait à jamais la justice sociale (atteindre ce louable objectif par l’élimination des fonctionnaires, il faudrait vraiment m’expliquer...).
      Je sais ce qu’est, aujourd’hui, le travail d’un professeur des écoles et le degré d’implication personnelle nécessaire à le faire correctement, dans le souci constant de l’intérêt des élèves (je prend cet exemple car c’est le seul dont je puisse parler en connaissance de cause). Entendre, après cela, les hurlements déments des enragés viscéralement anti-profs (sans qu’ils ne sachent vraiment pourquoi ils le sont) a quelque chose d’ extrêmement rageant et de problématique : est-ce la manifestation d’une grave méconnaissance du sujet, ou d’une volonté non avouée de destruction méthodique de toutes les instances oeuvrant pour l’intérêt collectif ?
      A moins qu’il ne faille incriminer l’endoctrinement prodigué par des médias dont il n’est pas utile de rappeler une fois de plus la légendaire neutralité bienveillante...
      Je pense que les réactions qui vont suivre constitueront une excellente illustration de mon propos.


    • Vilain petit canard Vilain petit canard 20 mai 2009 15:40

      Flo
      Je crois que le fonctionnaire sert un peu trop facilement de bouc émissaire. On s’appuie sur le déplaisir qu’on a de payer des impôts, par exemple, on assimile dans le même grand sac tous les« fonctionnaires », pour conclure dans une grande généralisation « ils sont tous pareils, y font chier à nous pomper notre fric et à nous faire remplir des papiers ». Dans les années 50, Poujade (le Père Tutélaire de Nicoud et de Le Pen) avait même obtenu une quasi-majorité à la Chambre avec des âneries pareilles.

      Mais les fonctionnaires, ce sont aussi les infirmières ou les pompiers, ah zut, ça ne marche plus, mais ce n’est pas grave, on continue à entasser tous les fonctionnaires sous la pancarte « profiteur ». C’est curieux d’ailleurs, on paie bien le boulanger pour avoir son pain, mais on ne conspue pas les boulangers en les traitant de « profiteurs ».

      D’où l’intérêt de se demander à quoi sert l’Etat. Chez nous, de très nombreuses fonctions sociales sont assurées par l’Etat (l’Etat, ça rassure), alors que dans d’autre spays, elles sont assurées par le secteur privé. On compare donc des Etats qui ne se comparent pas, dont le périmètre n’est pas identique. Par exemple, avant leur scandaleux bradage, l’Etat investisait dans les autoroutes. Vous vous rendez compte des budgets et des emplois que ça impliquait ? Personne n’en parlait, et pourtant, c’était un rôle important de l’Etat socialement, économiquement, et qui était rentable !!! Maintenant qu’on a tout vendu à des Bouygues et consort, ça ne rapporte plus un rond, et les employés du BTP bossent pour un patron, plus pour l’Etat. On va découvrir dans deux-trois ans que ça ne fait pas le même effet.

      En plus, plutôt en crever que de l’admettre, mais la plupart des Français rêvent d’être fonctionnaires, qui ont paraît-il un statut enviable : à l’abri des turbulences du marché du travail, progression régulière, et même un certain prestige. Encore que les avantages de la Fonction Publique aient beaucoup baissé depuis trente ans (voir le statut des « vacataires »), mais c’est comme pour l’armée, le prestige et l’attraction restent encore vivaces, quoique moins avouables entre amis au bistrot. Alors, et c’est humain, l’envie se nourrit de ces fameux « avantages » censés attribués à l’autre, et se retourne contre celui « qui en profite grassement à nos frais ». Un peu comme ces hommes un peu disgrâcieux, qui critiquent les belles femmes en les traitant de salopes et de connes.

      D’ailleurs, les anti-fonctionnaires, demandez-leur ce dont ils rêvent pour leurs gosses, vous verrez, vous serez édifiés.

      Et de plus l’ambiance budgétaire n’est pas favorable : avec un déficit important, on est tenté de réduire le budget de fonctionnement. Comme un mauvais financier fait avec une entreprise, on réduit l’apparente variable d’ajustement, qui est le personnel. Sans se demander comment faire avec ceux qui restent, ni ce que l’avenir peut réserver, ni les conséquences ultérieures. Comme d’habitude quand on ne réfléchit pas très longtemps, on préfère solutionner les problèmes de long terme par des décisions à court terme.


  • bright13 bright13 19 mai 2009 14:37

    constats (pardon)


  • Dolores 20 mai 2009 14:29


    C’est bien connu, tous les fonctionnaires sont des feignants des incapables et même des ignorants qui sont payés à ne rien faire.
    Tous ceux qui souhaitent leur disparition ont-ils vraiment réfléchi ?
    Prenons l’exemple des enseignants qui sont le plus vilipendés. Il y a 2 solutions :
     - ou on diminue leur nombre et les classes seront surchargées. Les parents pousseront des hauts cris car l’instit ou le prof ne pourrons pas s’occuper du petit chéri individuellement.
    En tant qu’élève, j’ai connu 42 élève au cp. Mais c’était une autre époque où les enfants recevaient une éducation de leurs parents : obéissance aux adultes, respect et politesse.
    Ce qui est loin d’être le cas aujourd’hui.
    - ou on privatise. On a déjà commencer en attribuant des subventions et l’autorisation de délivrer des diplomes à des écoles confessionnelles.
    Seules les familles ayant des revenus suffisants pourrons se permettre de payer la scolarité. Tous ceux qui veulent qu’on détruise l’EN seront cocus : ils continueront non seulement à payer leurs impôts pour fournir les subventions mais en plus ils paieront pour que leurs enfants aillent à l’école.
    C’est ce que veulent les politiques libéraux et ce que certains semblent appeler de leur voeux.

    Il est cependant une classe en pleine expension dont personne ne semble trouver les privilèges exhorbitants et dont souvent on voit mal où trouver le mérite ou à chiffrer les résultats qu’elle obtient.
    Pourtant ils sont nombreux : les ministres, les députés, les sénateurs, les conseils généraux, les conseils régionnaux, nombre de mairies, les commissions de ceci, les observatoirs de cela, la cour des comptes, le conseil constitutionnel ...etc,ect..
    Ils sont bien payés et augmentent régulièrement leurs salaires tout en refusant d’augmenter le SMIC. Ils dilapident l’argent de l’état, qui c’est bien connu n’appartient à personne, pour des convenances personnelles,réceptions, voyages privés. Voyez les augmentations du budget de l’Elysée depuis 2 ans.
    Je n’ai entendu personne parler des privilèges que constituait leur caisse de retraite pendant qu’on s’indignaient de celle des cheminots.
    S’ils étaient tous payés au rendement ou au mérite, la plupart serait aussi pauvres que Job !
    Ils sont bien trop nombreux par rapport aux services rendus aux Français. Dégraissons le mammouth de cette catégorie. Un petit nombre rendrait exactement les mêmes services.


  • amenis 21 mai 2009 12:45

    D’une façon générale , je fais une grosse différence entre le front office et le back office.
    J’ai eu 2 expériences en temps que prestataire de service - majorité de cadres A/A+ :
    - l’une dans un service « informatique » du ministère de l’intérieur
    - l’autre au Centre National de la Fonction Public Territoriale (CNFPT)
    Toute les 2 traumatisantes pour mes convictions de jeune socialiste que j’étais.
    Les 3 points qui m’ont le plus marqués étaient :
    - le désœuvrement (On bosse les concours internes sur les heures de boulot ...)
    - l’irresponsabilité (Le jeu de la patate chaude).
    - l’absentéisme (maladie,syndicalisme,...)

    J’ai quand même pas voté Sarko, mais j’étais content qu’il passe ... ^^


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