mardi 28 février 2006 - par Philippe

M.E. Leclerc : une logique dangereuse

En prenant comme principe d’acheter au plus bas coût possible pour vendre au plus bas prix possible, M.E. Leclerc n’a pas apporté le bonheur qu’il pensait aux consommateurs, et a étreint l’industrie française.

Dans son interview aux Echos du lundi 27 février, Michel-Edouard Leclerc nous le confirme :

  1. son but a toujours été de vendre au consommateur le moins cher possible en achetant le moins cher possible à ses fournisseurs
  2. ses fournisseurs (L’Oréal, Procter, Henkel, Unilever, Beiersdorf, Danone) « ont peur pour leur pouvoir d’achat » et il juge « imprudent » le patron de L’Oréal de rappeler que « le marché français ne représente plus que 6% des ventes ».
  3. et M.E. Leclerc « souhaite du plaisir » à Wal-Mart si celui-ci rachetait une enseigne française car « il vend cher et ne sait pas travailler avec les marges du marché français ».

Certes. Mais pour autant :

  1. Les consommateurs français sont-ils heureux de cette guerre de prix bas ? En payant le prix le plus bas - et le consommateur serait stupide d’acheter plus cher ! - ils contribuent à la mise en place de marques de distributeurs dont l’image est celle de prix et de qualité basse, alors qu’en Angleterre elles ont l’image de rapport qualité/prix élevé, et les distributeurs anglais gagnent bien plus d’argent que les Français, sans que les consommateurs ne s’en plaignent ...
  2. Les fournisseurs français sont-ils encore heureux de travailler en France ? On les voit investir plus à l’étranger qu’en France et s’excuser (Danone, L’Oréal) d’avoir encore de fortes activités en France ...
  3. Les distributeurs français sont-ils heureux des marges pratiquées en France, qui les rendent vulnérables... en France comme à l’étranger, et d’ailleurs, aucun n’a été racheté par un acteur étranger, tant les marges sont faibles et inintéressantes, alors que c’est le cas d’autres marchés (Darty, Castorama par exemple).

Tout sonne comme si la logique de M.E. Leclerc avait enfoncé le commerce alimentaire français dans une situation paupérisée, dans laquelle le consommateur n’a pas trouvé son bonheur.

Apparemment, dans cette interview, il confirme que sa stratégie sera étendue à l’Europe grâce à Coopernic avec Rewe, Coruyt, Conad et Coop Suisse.

Nous ne serons plus les seuls à avoir des entreprises exsangues !

PS : Nous sommes heureux d’apprendre que « avec 3% de résultats nets avant impôt, nos adhérents ne font pas la fine bouche. (...) Et surtout d’accéder à des patrimoines jusque-là réservés à une élite. »



4 réactions


  • marc p (---.---.224.225) 28 février 2006 11:01

    Merci Philippe pour cet article... L’occasion peut être de rappeler que le 1er hypermarché dans le monde était français... (Carrefour Ste Genevièvedes Bois)... cela n’a sans doute rien d’innocent même si on peut y trouver nombres d’avantages.. Je ne peux m’empêcher de penser à cet ami Bulgare qui ne comprenait pas comment des articles de plomberie fabriqués dans son pays coutaîent moins cher Castorama en France que chez lui... (le salaire moyen se situant je pense entre 150 et 200 euros en BG)...


  • Philippe Philippe 28 février 2006 11:29

    Oui, le premier hyper était français et le premier grand magasin aussi : Le Bon Marché, créé par Aristide Boucicault vers 1850. (Lire « Le Bonheur des Dames » de Zola).

    D’anciens salariés (Cognacq et Jay) ont créé la Samaritaine vers 1860/70 avec comme principe d’avoir des salariés heureux.

    En fait, celui qui a créé le mot « distributeur » comme substitution au mot « commerçant » a commis l’immense erreur d’oublier la fonction du commerce qui est de créer des liens.

    La distribution française a donc créé des usines à vendre qui ont étonné le monde entier et le sommet en est les magasins robots qui veulent définitivement remplacer l’homme par la machine.

    Rappelons que chez Wal-Mart au moins, un être humain dit bonjour lorsque l’on entre dans le magasin ... et demande comment ça va ...


  • F.C. Bachellerie (---.---.165.193) 28 février 2006 14:18

    Rappelons tout de même que c’est M. Sarkozy en Juin 2004 qui nous expliquait que baisser les prix des grandes marques en grande surface allait relancer l’économie française. S’il ne s’en vante plus trop aujourd’hui c’est qu’il savait bien déjà à l’époque que c’est la confiance qui relance l’économie, et qu’il est impossible pour un entrepreneur ou un commerçant ou un consommateur d’avoir confiance face à une ’transaction’ dont la valeur n’est pas claire. Imposer des baisses des prix revient donc à faire exactement l’inverse de ce qu’il faudrait faire pour relancer la consommation et l’économie françaises. Il serait beaucoup plus efficace d’adopter des politiques qui enverraient le message clair que demain les prix pourraient être plus élevés qu’aujourd’hui, afin que les consommateurs ne diffèrent plus leurs achats jusqu’à la prochaine ’guerre’ des prix (= spirale déflationniste). Le système des soldes - loué par l’actuel Ministre de l’Economie, qui lui s’y connait en économie - ne fonctionne pas autrement. En s’acharnant sur le toujours moins cher, M.E. Leclerc joue donc contre l’économie et la consommation des français, malgré ce qu’il dit.


  • éric (---.---.56.149) 28 février 2006 20:26

    J’ai toujours été choqué par les campagnes des publicités des magasins Leclerc. Étrangler les fournisseurs pour obtenir des prix bas c’est oublier que les fournisseurs rémunèrent des salariés qui sont aussi des ... consommateurs. Le cas Leclerc est symptomatique de la vision strictement microéconomique des chefs d’entreprises. On ne peut pas demander des prix bas pour ses achats et des prix élevés pour ses ventes. Chaque entreprise répercute sur ses propres fournisseurs le système. La mondialisation de l’économie fonctionne de la même façon : faire fabriquer au coût le plus faible (délocalisations) et vendre là où la demande est solvable. À ce « petit » jeu nos pays occidentaux commencent à perdre, et chez eux, la classe moyenne qui voit disparaître un à un chacun des droits que ses ancêtres avaient difficilement « conquis » et non « acquis » se disloque. Se met en place le « marketing du pauvre » à coup d’ultra discompteurs et autres solderies. La stratégie commerciale y perd de sa lisibilité. Les consommateurs que nous sommes tous ne savent plus quel est le juste prix d’un produit ou d’un service. Nous trouvons 20% moins cher après quelques jours le produit payer « plein pot » précédemment. Bref, nous passons tous, notre temps à vouloir de plus en plus pour de moins en moins et nous finissons... de trop, donc licenciés.

    http://classemoyenne.hautetfort.com/archive/2006/02/06/le-marketing-de-la-pauvrete-dernier-rebond-du-capitalisme.html


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