jeudi 14 octobre 2010 - par Christian Laurut

Misère et grandeur du Travail Libre

Le capitalisme est à son apogée ! Depuis l’implosion des pays communistes de l’Europe de l’Est et la conversion du communisme chinois à l’économie de marché, il n’y a plus aucun concurrent sérieux sur l’ensemble de la planète pour lui disputer le premier rôle. Ce grand triomphateur s’est même payé le luxe de phagocyter son ennemi historique, le socialisme, en lui faisant subir une évolution quasi darwinienne et lui assignant la fonction officielle d’organe régulateur des masses. Dans cette société ainsi devenue « socialo-capitaliste » les rôles sont donc bien distribués, chacun gérant au mieux les intérêts son propre fonds de commerce politique. D’une certaine façon, nous pouvons dire que qu’il n’existe plus de « classe exploitée », au sens marxiste du terme, puisque les salariés (cf. le prolétariat) ont engrangé d’innombrables acquis sociaux dans le même temps que les patrons (cf. la bourgeoisie) ont accumulé de faramineux profits financiers. Acquis sociaux et profits financiers, socialistes et capitalistes, cheminent donc main dans la main, en assez bon équilibre, sur une ligne qui ne s’étroitisera sans doute jamais tant que la croissance pourra être maintenue à un chiffre positif.
Le concept de « classe exploitée », ou de « travailleur exploité » ne fait donc plus recette dans le discours politique, se voyant irrémédiablement remplacée par la notion de « prise en charge » qui a désormais le vent en poupe ! C’est la grande idée de notre nouvelle société consensuelle et son développement ne connaît pas de limite. Cette aspiration est devenue quasiment universelle et habille tous les comportements des populations actuelles. En effet, depuis la fin de la seconde guerre mondiale, les superprofits capitalistes, rendus possibles par l’abondance de l’énergie fossile bon marché, ont permis de financer les grandes prises en charge (assurance maladie, chômage, retraites, aide sociale) et de gommer ainsi toutes les aspérités sociales susceptibles de troubler la paix du ménage socialo-capitaliste.
Tout va donc presque pour le mieux dans la meilleure des sociétés, la plus richissime que l’histoire ait jamais connue. Les capitalistes ont leurs profits, les salariés ont leurs acquis, les retraités ont leur prestations, les sans emplois ont leurs allocations, etc……
Il est pourtant une classe dont personne ne parle, qui ne manifeste ni se manifeste, et qui échappe à toute prise en charge patronale ou étatique. Une classe que personne ne protège, qu’aucun organisme n’assiste et qu’aucun dispositif ne soutient…. Une classe qui n’est certes exploitée par personne, mais qui, objectivement, peut être qualifiée de défavorisée au regard de la palette d’avantages et de garanties dont bénéficient à des degrés divers toutes les autres classes. Cette classe défavorisée est celle des travailleurs indépendants non réglementés, que nous nommerons plus simplement « travailleurs libres ».
Qui sont les travailleurs libres ?
Pour bien définir ce qu’est le « travail libre », il convient tout d’abord de faire le point sur le système français des professions réglementées . Une profession réglementée est une profession contrôlée par des lois locales ou étatiques et régie par une association professionnelle qui en fixe les critères d’accès, évalue les qualifications et les diplômes des candidates et candidats, et accorde le certificat, le titre réservé ou le permis d’exercice aux candidats qualifiés. La France est championne du monde toutes catégories pour le nombre de ces professions, ces dernières étant avant tout un fruit de l’histoire et représentant la forme moderne des communautés de métiers de l’Ancien Régime.
Si nous pouvons facilement admettre l’intérêt pour le citoyen d’avoir une garantie déontologique lorsqu’il utilise les services d’un professionnel réglementé, il n’en reste pas moins que ce système est contraire à la liberté d’entreprendre, qu’il freine le développement économique et qu’il valide des monopoles générateurs d’injustice et de favoritisme.
Même s’il est vrai, comme indiqué plus haut, que ce système est hérité de l’histoire de France, il s’est considérablement développé avec la société industrielle et les professions réglementées sont aujourd’hui beaucoup plus nombreuses qu’au 18ème siècle. En fait, ce phénomène témoigne une fois de plus de la maladie infantile de la société socialo-capitaliste c’est à dire la déresponsabilisation de l’individu par le réglementarisme tous azimut.
Il y a aujourd’hui environ 2,3 millions de travailleurs indépendants non salariés en France (contre 23 millions de travailleurs salariés). Le travailleur indépendant a le choix entre plusieurs statuts juridiques possibles selon qu’il exerce en nom propre ou en société. S’il exerce en nom propre il peut être : profession libérale, artisan, commerçant. S’il exerce en société, il peut être : gérant majoritaire de Sarl, ou associé de société en nom collectif.
Sur ce total de 2,3 millions, nous pouvons évaluer à 800.000 le nombre de travailleurs indépendants exerçant des professions réglementées. Ces professionnels sont apparemment indépendants et autonomes, mais ils bénéficient en fait d’une protection contre la concurrence, parfois d’un monopole, voire d’une clientèle captive.
Il reste donc environ 1,5 millions de travailleurs indépendants exerçant des professions non réglementées, qui sont aujourd’hui les seuls individus à prendre de véritables risques dans leur activité professionnelle, mettant souvent en jeu leur patrimoine personnel pour démarrer, consolider ou soutenir leur emploi. Ils ne bénéficient d’aucun "filet de sécurité" en cas d’échec et ne peuvent pas compter sur une indemnisation de type Assedic, ni sur aucun recours judiciaire de type Prud’hommes. De plus, l’administration fiscale et sociale les considère à l’identique des travailleurs salariés et ne fait pas de distinction entre les revenus salariés et les revenus non salariés pour l’établissement de l’impôt et des prélèvements obligatoires.
Or, nous considérons qu’un revenu obtenu en prenant des risques financiers, personnels, commerciaux et judiciaires ne peut être taxé de la même façon qu’un revenu obtenu sans engager de responsabilité personnelle, ou obtenu dans le cadre d’une profession protégée. Cette notion de prise de risque nous parait fondamentale, alors qu’elle est totalement ignorée par la loi et le discours politique. 
C’est ainsi que nous proposons de mettre en œuvre les 4 mesures suivantes :
MESURE N°1 : Création officielle du statut de « Travailleur Libre »
Nous proposons que le travail indépendant non réglementé soit étendu à toutes les activités (sauf monopoles d’état) et soit dénommé Travail Libre. Les travailleurs libres constitueraient ainsi la véritable force vive d’une société au sein de laquelle la majorité des individus refuse l’aléa professionnel et abdique tout effort non garanti de résultat. 
Plus précisément, et contrairement à certaines tendances actuelles (dont le rapport Attali), nous ne proposons pas de faire passer dans le domaine non réglementé certaines professions actuellement réglementées, mais plutôt de faire cohabiter chaque profession réglementée avec une homologue non réglementée. Dans chacune des ces professions, nous aurons donc des professionnels agréés et des professionnels non agréés. Outre qu’elle est de nature à stimuler l’activité économique, cette mesure est une affirmation bien haute et définitive que chaque individu est capable de décider tout seul de faire appel à un professionnel agréé ou non agréé, sans qu’il soit besoin de le lui imposer par la loi.
Nota. Pour ce qui concerne les professions médicales et paramédicales (médecins, pharmaciens, dentistes, infirmiers, ambulanciers, etc…), les prestations des praticiens non agrées ne seront bien évidemment pas prises en charge par la sécurité sociale. Pour ce qui concerne certaines professions dites offices ministériels ou publics (notaires, huissiers ,avoués, etc…), celles ci seront purement et simplement fonctionnarisées, ce qui, d’une part, mettra fin à leur scandaleux monopole népotique hérité du Moyen Age et, d’autre part, rendra à ces professions faussement libérales leur véritable fonction d’agent public.
MESURE N°2 : Suppression de l’impôt sur le revenu pour les travailleurs libres
Cette mesure vise un double objectif de justice et d’efficacité économique.
La justice : Par la mise en oeuvre de cette mesure, justice est enfin rendue à ceux qui, à contre courant d’une pensée unique sécuritaire, optent délibérément pour l’aventure économique, au risque de perdre leur patrimoine personnel, voire leur liberté physique. Le salaire d’un individu salarié, tout comme le revenu d’un individu non salarié doivent être considérés comme la juste rémunération du travail effectué. Par contre, il n’existe pas de dispositif de valorisation du risque engagé pour obtenir le revenu. Nous proposons que l’exonération fiscale des revenus du travail libre soit considérée comme le "salaire du risque". De cette façon, le travailleur libre percevra une double rémunération proportionnelle à sa réussite : son revenu (ou bénéfice), salaire de son travail et son exonération d’impôt, salaire de son risque.
L’efficacité économique : Dans la société actuelle, il est un fait acquis que le développement économique et la création d’emplois reposent essentiellement sur les petites entreprises et les TPE (très petites entreprises), pendant que la plupart des grandes entreprises réduisent leur activité, délocalisent et licencient leurs salariés. Cette perspective de double revenu (réel pour le bénéfice et virtuel pour l’exonération d’IRPP), ajoutée à la mesure d’ouverture quasi totale des domaines d’activité, constituera un accélérateur impressionnant pour la création d’entreprise et d’emploi. Les candidats au statut de travailleur libre se multiplieront et le chômage diminuera dans la même proportion. 
MESURE N°3 : Liberté des cotisations sociales pour les travailleurs libres
Le terme "cotisation" est un doux euphémisme. Une cotisation est une souscription aux dépenses communes d’un groupe auquel un individu a choisi librement d’adhérer. Or, ce n’est pas le cas pour les cotisations sociales des travailleurs indépendants actuels qui n’ont pas choisi librement d’adhérer à une caisse maladie, d’allocation familiale ou de retraite. Ces adhésions sont imposés par la loi, et les cotisations associées constituent en réalité des prélèvements obligatoires, que nous appelleront tout simplement "impôts" pour faire plus simple.
Pourquoi obliger un travailleur indépendant à adhérer à une caisse maladie ou de retraite ? Le travailleur indépendant est un individu libre et responsable, il risque son patrimoine financier et sa liberté physique. Cela suffit largement à prouver qu’il n’a pas besoin que l’état l’oblige à se protéger "malgré lui". Le travailleur indépendant devenu « travailleur libre » doit donc être libre de se prémunir ou pas contre la maladie ou la vieillesse.
La Retraite : La plupart des travailleurs indépendants actuels ne prennent pas leur retraite, ou la prennent bien plus tard que les salariés, il est donc inutile et injuste des les obliger à cotiser alors qu’il pourraient plus utilement faire fructifier tout au long de leur vie les sommes dédiées aux cotisations. Le système actuel de retraites est par ailleurs particulièrement injuste puisqu’il est basé sur une solidarité inversée : les mal portants payent pour les bien portants. En effet un individu qui cotise toute sa vie pour sa retraite et qui meurt le jour de celle ci, aura cotisé intégralement pour celui qui reste en bonne santé longtemps après son départ en retraite. Cette logique est particulièrement choquante dans une société qui prétend baser sa politique sociale sur la solidarité du plus fort vis à vis du plus faible. Dans le cas du système de retraite, c’est tout simplement l’inverse !!!
Les travailleurs libres doivent être les initiateurs d’un nouveau système de retraite basé sur une logique de responsabilité et de justice. Des caisses de retraites spécifiques pourront ainsi être créées, fonctionnant sur le même principe que les assurances, avec une liberté et une souplesse des cotisations et de la capitalisation.
La Maladie : Les travailleurs indépendants actuels utilisent en moyenne 8 fois moins l’assurance maladie que les travailleurs salariés. Quant aux dépenses d’arrêt de travail, elles sont quasiment nulles pour les travailleurs indépendants, alors qu’elles constituent la principale cause du déficit de la sécurité sociale pour les salariés. Cela s’explique aisément dans la mesure où un travailleur indépendant fait passer son travail avant ses ennuis de santé (d’où peu de frais médicaux) et où il ne peut se permettre de s’absenter (d’où pas d’arrêt de travail). Dans ces conditions, il paraît inutile d’obliger les nouveaux travailleurs libres à s’assurer contre la maladie et il convient de leur laisser la liberté de s’assurer auprès de caisses d’assurance privées qui pourront ajuster le montant de leurs cotisations à leur fréquence d’utilisation de prestations médicales ou pharmaceutiques.
MESURE N°4 : Création d’un statut juridique spécifique pour les entreprises de moins de 10 salariés gérées par travailleurs libres
Les travailleurs salariés refusent la précarité et cette revendication peut être considérée comme légitime. Toutefois, il faut constater que les travailleurs indépendants actuels qui gèrent des petites entreprises (profession libérale, entreprise en nom propre, EURL, SARL à gérant majoritaire) sont généralement dans une situation de précarité au moins aussi forte que celle de leurs propres salariés. Ils ne bénéficient d’aucune garantie, si faible soit elle, en cas de défaillance de leur entreprise. Ils se retrouvent alors dans une situation de perte d’emploi non indemnisée et ne peuvent utiliser aucun des dispositifs de réinsertion mis à la disposition des salariés. En d’autre termes, ils vivent dans la précarité mais doivent, de par la loi, assurer la sécurité de leurs salariés.
Cette injustice flagrante n’est jamais évoquée dans aucun discours politique, ni relayée par aucun média. La chape de plomb de la pensée unique s’abat alors sur cette idée, jugée comme étant "politiquement incorrecte". Nous considérons que ces petites entreprises doivent bénéficier d’un statut juridique nouveau, nommé tout simplement "Petite Entreprise Individuelle" (P.E.I.) et que ce statut doit les exonérer des principales dispositions du Code du Travail concernant les règles d’embauche et de licenciement.


3 réactions


  • Jean-Pierre Llabrés Jean-Pierre Llabrés 14 octobre 2010 10:52

    Le capitalisme est à son apogée !

    Non. Le capitalisme ne sera réellement à son apogée que le jour où il intégrera, enfin, une dimension authentiquement humaniste !
    Pour y parvenir, Il convient de faire évoluer le Capitalisme « ordinaire » vers un Capitalisme intrinsèquement Écologique, Anthropocentrique, Philanthropique et Équitable grâce à l’instauration d’une Allocation Universelle transitoire suivie de la génération d’un Dividende Universel permanent et évolutif, « fonds de pension national et privé », sorte de coopérative-capitaliste, solidairement et collectivement géré par une structure spécifique, indépendante de l’État et représentative des citoyens-électeurs-contribuables qui résoudra le problème du chômage et permettra l’Acquisition Citoyenne du Pouvoir Économique.
    (cf.
    Mémoires présidentiels : 2012 - 2022)
    Un nanti capitaliste (monomaniaque & sans complexe).



  • Le péripate Le péripate 14 octobre 2010 11:13

    Une bouffée d’air pur. Mais vous rêvez : les Altruistes Conscients ont pour mission de protéger les Imbéciles contre les Exploiteurs. Je ne sais pas dans quelle catégorie ils rangeront le « Travailleur Libre » mais ce sera forcément l’une des deux.


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