mercredi 29 janvier 2014 - par Véronique Anger-de Friberg

« Nudge » : un petit coup de pouce aux grands effets, ou comment le Nudge peut orienter vos décisions

Si vous pensez que le « Nudge » est une variante du yoga ou la toute nouvelle campagne de pub du leader des meubles en kit, vous n’y êtes pas du tout. Le nudge, qui ne devrait pas tarder à devenir aussi célèbre que le cri de ralliement de la marque suédoise, est une méthode issue de la Behavioral Economics(« économie comportementale » en bon français). Éclairages avec Éric Singler, directeur général du groupe BVA, pionnier du Nudge en France.

À la frontière de l’économie expérimentale et de la psychologie, le Behavioral Economics étudie le comportement d’Homo sapiens devenuHomo œconomicus : l’Homme économique… théoriquement rationnel. Cette discipline a pour but de comprendre pourquoi l’être humain n’agit pas toujours de façon rationnelle, même s’il possède toutes les informations lui permettant de prendre la « bonne » décision. Une syllabe efficace pour résumer cette méthode douce, paternalisme bienveillant qui se targue d’influencer nos décisions sans que nous en ayons forcément conscience…

Le pape du Nudge est le psychologue expert en psychologie cognitive américain d’origine israélienne, Daniel Kahneman[1]. Ce professeur de Princeton University (New Jersey, USA) a reçu le Prix Nobel d'économie pour ses travaux sur la théorie des perspectives en 2002. Un « petit coup de pouce » (« nudge » en américain) bienvenu pour le Behavioral Economics, qui acquiert ainsi ses lettres de noblesse.
 
Pour le directeur général du groupe BVA Eric Singler, qui codirige[2] la toute nouvelle BVA Nudge Unit, un département transversal au groupe, ce petit coup de pouce est aussi un petit coup de pied dans la fourmillière... Passionné de Behavioral Economics depuis le début des années 2000, il rappelle que les pionniers de cette discipline sont des anti-conformistes, voire des rebelles.
 
La vérité sur l’Homo œconomicus…
Né au milieu des années 1970 avec les premiers travaux de Kahneman réalisés en collaboration avec des économistes, notamment Amos Tversky, le Behavioral Economics réunit la psychologie et l’économie, deux univers qui jusque là ne se côtoyaient pas.
 
« Au départ, on ne dénombre pas plus d’une dizaine d’acteurs du Behavioral Economics  » précise Éric Singler. « Et à cette époque, les premiers chercheurs à s’intéresser à la part d’irrationnel dans la prise de décision sont controversés, car ils remettent en cause le postulat de base selon lequel l’Homo œconomicus est un être rationnel. A ce titre, il est plutôt censé analyser et traiter l’information en soupesant les pour et les contre des différentes options pour prendre sa décision de façon rationnelle, et dans son intérêt propre.
Or dans la réalité, Kahneman et Tversky ont constaté, d’abord en partant de leur propre comportement (l’introspection est une hérésie en science expérimentale…) qu’eux-mêmes se laissaient facilement guider dans leurs décisions quotidiennes par l’envie du moment où l’environnement du choix. Influencent notre jugement, des « biais cognitifs » et émotionnels inhérents à la nature humaine (erreurs de perception, d'évaluation, d'interprétation logique… souvent inconscientes), que la théorie dominante refuse de prendre en considération.
 
Se fondant sur l’expérimentation (l’étude d’individus en situation de décision dans la « vraie vie ») ils ont mis en évidence les raisons expliquant la distorsion entre le comportement supposé de l’Homo œconomicus censé « maximiser l’utilité » et son comportement réel. Ils ont ainsi démontré que les états émotionnels, le rapport au temps, les normes sociales ou l’environnement du choix, jouaient un rôle beaucoup plus important que nous l’imaginions dans le processus de décision. Par exemple, en dépit de l’aspect irrationnel de ce choix, la plupart des gens préfèreront un petit bénéfice maintenant plutôt qu’un bénéfice plus fondamental dans longtemps...
 
Forts de leurs expérimentations, ils ont développé une théorie selon laquelle le décisionnaire était un être moins rationnel qu’envisagé. Des heuristiques spécifiques et des limites (« les biais ») font de nous des êtres hybrides à la fois rationnels et émotionnels, individuels et sociaux. Ils ont ainsi identifié une centaine de biais caractéristiques remettant en cause la théorie jusqu’alors admise de l’Homme économique rationnel. C’est en 1971 qu’ils publient leur premier article dans une revue académique[3] : « La Croyance dans la loi des petits nombres ». La Behavioral Economics était née !  ».
 
Depuis les années 1970, les chercheurs qui s’intéressent à ce champ de recherche sont de plus en plus nombreux. « Plus encore depuis que Kahneman a obtenu le Nobel d’économie pour ses travaux sur la décision. Une première pour un psychologue ! » s’enflamme Éric Singler. « Fin 2009, Kahneman publie le livre d’une vie de recherche, revenant sur l’ensemble de ses travaux : Thinking fast and slow (traduit en français par : Système 1, système 2 : les 2 vitesses de la pensée). Son livre démontre que l’individu, qui se pense rationnel (système 2) est en fait beaucoup plus système 1 (émotif) ».
Nous serions donc des animaux motivés par des reflexes ancestraux de survie de l’espèce tout autant d’être des êtres évolués façonnés par notre culture et notre environnement…
 
Une grande efficacité à un coût nul ou réduit
Depuis les années 1970, plusieurs anciens collaborateurs de Kahneman ont également sorti leur livre. Le professeur d’économie à l’université de Chicago, théoricien de la finance comportementale Richard Thaler, autre grand nom de la Behavioral Economics, publie Nudge. La méthode douce pour inspirer la bonne décision(Éds. Vuibert) en 2008 avec le juriste et philosophe Cass R. Sunstein, ancien membre du département de l’OIRA (le Bureau de l'information et des affaires réglementaires américain). L’an dernier, Sunstein a également publié Simpler. The future of government et son prochain ouvrage Why the nudges ? paraîtra dans quelques mois aux Etats-Unis.
 
" L’étoile montante de la behavioral economics, Dan Ariely, professeur au MIT, professeur de psychologie et d’économie comportementale à la Duke University en Caroline du Nord (USA), fondateur du Centre for Advanced Hindsight et co-fondateur de BEworks, publie Predictably Irrational : The Hidden Forces That Shape Our Decisions, puis The Upside of irrationality en 2010 et The Honest Truth about Dishonesty (La vérité sur la malhonnêteté) en 2012. Extraordinaire débatteur et conteur, ses conférences TedX ont été vues des millions de fois sur Youtube » précise Éric Singler, qui a rencontré Ariely à la Duke University et mène plusieurs expérimentations avec lui.
 
Le Nudge et l’éthique
« Dans Nudge, Thaler et Sunstein s’interrogent sur la façon dont les États et le collectivités peuvent orienter les décisions dans l’intérêt général » poursuit Éric Singler. « Par exemple : comment inciter les citoyens à renoncer à la cigarette, les encourager à manger plus équilibré, à faire de l’exercice, à se préoccuper de leur santé, à épargner pour leur retraite (en particulier aux Etats-Unis), à accepter le don d’organe, à contribuer à la protection de l’environnement, à respecter les règles de sécurité routière, etc. ? Comment passe-t-on de la bonne intention à la réalisation ? Comment « l’architecture de choix » peut-elle orienter la décision de manière à ce que les individus se comportent de la façon désirée ?
 
Le gouvernement disposait jusqu’à présent de 3 leviers : imposer, subventionner/taxer, informer. Le Nudge représente un levier complémentaire : l’incitation consciente ou non pour orienter le comportement dans le sens souhaité… Un exemple souvent cité, un peu trivial, pour illustrer les effets du Nudge est l’expérience menée à l’aéroport d’Amsterdam. Une mouche a été gravée au fond des urinoirs pour encourager la gent masculine à viser… ce qui a amélioré de manière significative la propreté des toilettes, et donc diminué les coûts de nettoyage ! C’est toute la philosophie du Nudge : permettre beaucoup d’efficacité à un coût nul ou réduit. En période de crise budgétaire, c’est évidemment un atout considérable.  ».
 
Il n’empêche que cette méthode incitative pose des questions éthiques. Toute stratégie pouvant inciter à changer de comportement (en bien) et à réformer la société sans recourir au bâton et à la carotte ou à la culpabilisation permanente semble aller dans le bon sens. Le revers de médaille, c'est l'utilisation de ces stratégies Nudge pour manipuler ou orienter les comportements, pour infantiliser, déresponsabiliser ou manipuler en substituant le réflexe à la réflexion et pas forcément dans l'intérêt général. Quels que soient les buts poursuivis (bons ou mauvais), pour ses détracteurs, le Nudge relève de la manipulation psychologique.
« Les plus réfractaires considèrent effectivement qu’il faut donner son consentement éclairé, actif, et que le citoyen ne doit en aucun cas être manipulé, même pour son bien ou celui de la société.
Les praticiens de la Behavioral Economics assument totalement qu’il existe un comportement observé et un comportement souhaité. Ils souhaitent engendrer un comportement vertueux avec une architecture de choix pertinente. Ils cherchent à orienter vers la « bonne » décision, mais ils n’obligent en rien.  » temporise Eric Singler.
 
Objectif : améliorer les politiques publiques
« Best seller mondial, Nudge. La méthode douce pour inspirer la bonne décision a suscité un énorme intérêt chez les praticiens des politiques publiques. David Cameron tire le premier en créant le Behavorial Insights Team au Royaume-Uni dès 2010. Baptisé par les médias UK Nudge Unit, cette unité engage 13 experts de Behavioral Economics comme hauts fonctionnaires. Leur mission ? Concevoir des actions publiques de façon à les rendre plus efficaces pour aider les citoyens à choisir ce qui est le mieux pour eux-mêmes et pour la société. ».
 
La Nudge Unit Anglaise étant un organisme Etatique, la notion de confidentialité sur les recherches ne s’applique pas comme pour les entreprises privées : « Les équipes publient leurs travaux et communiquent pour faire connaître leur savoir-faire. Tout le monde peut donc y avoir accès et s’en inspirer, ce qui, naturellement, favorise une diffusion rapide et à grande échelle » se réjouit Eric Singler.
 
L’expérience britannique fait des émules. En 2013, le président Obama crée lui aussi sa Behavioral Insights Team confiée à Maya Shankar. Il recrute également l’économiste française Esther Duflo, professeur au MIT, spécialiste de la pauvreté : « Elle s’inspire des expérimentations de la Behavioral Economics en milieu réel pour mieux comprendre la réalité des facteurs qui sous-tendent la pauvreté afin de mieux la combattre. Son livre Repenser la pauvreté (Seuil, 2012) fait référence. En 2008, Barack Obama avait déjà discrètement enrôlé quelques uns des meilleurs experts du Behavioral Economics dans son équipe de campagne... » glisse Éric Singler.
 
Le Canada, l’Australie, le Danemark s’y mettent également tandis que la France fait un peu figure de retardataire. « Curieusement, le Behavioral Economics ne suscite pas autant d’intérêt en France » regrette-t-il. « Le chercheur en psychologie Olivier Oullier, professeur à l’université d’Aix-Marseille, vice-président du Conseil mondial de l'ordre du jour du Forum économique mondial sur les neurosciences et le comportement est l’un des seuls à s’intéresser sérieusement à cette discipline  ». Ses travaux lui ont d’ailleurs valu d’être désigné Young Global Leader par le Forum Economique Mondial en 2011.
 
Remettre en question la routine
BVA est le pionnier du Nudge en France : « Nous collaborons avec le SGMAP [4](Secrétariat Général pour la Modernisation de l’Action Publique, rattaché au Premier ministre), avec le Service d'information du gouvernement (SIG) ainsi qu’avec plusieurs ministères. Nous travaillons avec la direction des Finances publiques, qui souhaite encourager les Français à utiliser internet plus fortement dans leurs relations avec l’administration fiscale (pour le paiement de l’impôt sur le revenu, des amendes, etc.). Aujourd’hui, seulement 35% des citoyens utilisent les outils numériques dans ce contexte. Bien que tout soit facilement accessible et plus rapide en ligne, la majorité continue à renvoyer des déclarations papier pré-remplies, à téléphoner pour obtenir des renseignements ou se présente aux guichets. Plus surprenant, ce sont les jeunes qui utilisent le moins internet pour leurs déclarations d’impôts alors qu’ils sont par ailleurs de grands utilisateurs du Net.
 
En fait, les contribuables ne se posent pas la question du changement de leurs habitudes si celles-ci ne causent pas de problèmes. La BVA Nudge Unit observe les comportements actuels pour comprendre pourquoi ces pratiques, qui coûtent cher à l’Etat sans pour autant satisfaire les utilisateurs, continuent à prédominer. En d’autres termes : quels sont les freins, mais aussi les bons leviers, à l’adoption d’internet dans les pratiques avec l’administration fiscale ?
La première étape du nudge consiste, en effet, à remettre en question cette routine. La politique par défaut est de ne plus envoyer au contribuable de déclaration papier à signer et à renvoyer, mais de l’inviter à faire sa déclaration directement en ligne. S’il rencontre des difficultés, il peut toujours téléphoner et demander qu’on lui envoie l’imprimé pré-rempli. Nous avons proposé une méthode contenant 38 nudges, dont 8 principaux destinés à accélérer le passage au numérique.
 
Le Nudge cherche vraiment à répondre à cette question : comment, par rapport aux politiques publiques, travailler sur les architectures de choix ? La Behavorial Economics, davantage axée sur la recherche fondamentale, essaie de comprendre les décisions. Le lien entre les deux, c’est : quand vous comprenez les décisions, vous pouvez créer des Nudges, donc des architectures de choix. La Behavioral Economics est le terreau qui permet le Nudge. Et le Nudge promet 2 choses fondamentales dans le contexte actuel, pour les décideurs politiques ou économiques : l’efficacité redoutable d’une politique par défaut avec des changements de comportements importants. Pour résumer, je dirais que le nudge est l’exécution du dernier mètre… ».
 
Qui ne dit mot consent…
La politique par défaut repose souvent sur la notion de permission, avec le système Opt-in (la personne donne son consentement explicite) / Opt-out (la personne ne refuse pas)En d’autres termes : « qui ne dit mot consent »…
 
« Dans la réalité, on s’aperçoit que les individus ont tendance à suivre les normes sociales (ce qui est recommandé, ou l’exemple des concitoyens). C’est le biais du statu quo et des normes sociales » constate Éric Singler. « Pourtant, si on interroge les gens, certains justifieront leur choix, même si l’on sait que leur décision est le résultat de l’effet opt-in/opt-out ».
 
La technique du choix par défaut est celle utilisée pour les dons d'organe dans les pays où le don est courant (en Autriche, 95% des citoyens sont donneurs). Les individus acceptent de figurer sur la liste des donneurs lorsque l'option cochée par défaut est d'être donneur, même s'ils ont la possibilité de refuser. En revanche, dans les pays où le don n’est pas la norme (comme en France ou en Allemagne où seulement 12% des citoyens sont donneurs) le choix par défaut n’existe pas. Il faut avoir donné un consentement de manière explicite.
 
Il existe toujours un combat entre les tenants de la Standard Economics et la Behavioral Economics : « Les économistes standard, certains psychologues ancrés dans des enseignements obsolètes… se méfient de la Behavioral Economics. Ils se sentent attaqués sur leur pré-carré et certains sont réticents et considèrent encore les spécialistes du Behavioral Economics comme s’attaquant à des problématiques secondaires. Mais la Behavioral Economics est tous les jours reconnue de façon plus forte, comme en témoigne encore l’attribution en 2013 du Nobel d’économie à Robert Shiller, expert mondial de la Behavioral Economics. Le cabinet McKinsey vient aussi d’éditer un rapport dans lequel il affirme : « Longtemps hérétique, la Behavioral Economics est aujourd’hui mainstream  » (tendance)  » se félicite Éric Singler. La Behavioral Economics semble avoir gagné…
__________________
 
*Éric Singler est directeur général du groupe BVA, intervenant majeur des études marketing et d’opinion à l’international et 4ème institut d'études en France et dans le top 20 mondial. Co-fondateur et global CEO d’In Vivo BVA, Éric Singler est membre du comité scientifique de l’Adetem (Association des Etudes Marketing) et co-Président du Club Neurosciences et Marketing. Spécialiste depuis 25 ans du marketing et des études dans le domaine de la grande consommation, des groupes agroalimentaires et cosmétiques, il est également l’auteur de : Le packaging des produits de grande consommation (Dunod/LSA, 2006). Son ouvrage sur le Behavioral Economics et le Nudge est attendu pour le printemps 2014. 

[1] Il est également renommé pour ses travaux sur le jugement dans l'incertitude (les biais cognitifs et émotionnels) réalisés en collaboration avec l’expert en psychologie mathématique Amos Tversky (nota : ces liens dirigent vers des sources Wikipédia).
[2] Avec Richard Bordenave, directeur marketing et innovation, et Étienne Bressoud, directeur marketing sciences de BVA.
[3] À part La Théorie des perspectives, le plus important de ces articles est Le Jugement dans l'incertitude : Heuristique et biais paru en 1974 dans la revue Science (Source : notice biogaphique de Daniel Kahneman sur Wikipédia).
[4] Le SGMAP regroupe l’ensemble des services en charge de la politique de modernisation pour une cohérence dans la modernisation de l’action publique.
 


16 réactions


  • Txotxock Txotxock 29 janvier 2014 09:57

    Surtout ne soyez pas en retard d’une mode…


  • hunter hunter 29 janvier 2014 10:38

    salut à tous !

    au dessus de ce cadre pour intervenir, figurent les rappels du site, quant à la teneur des interventions réactives !

    Prenons juste la première :

    « - Proscrivez tout contenu injurieux, outrancier, haineux (raciste, sexiste, homophobe) et commercial »

    Ce n’est pas un article, c’est de la pub !

    Et non Madame l’auteure, je ne suis pas un homo economicus comme vous dites, et nous sommes je pense, des milliards dans ce cas !

    Je demande à la modération de retirer ce papier inintéressant, qui n’apporte rien, aucun élément culturel, aucun espace de débat !

    Ce site n’est pas premièrement destiné à ce que certains « auteur(e)s », publient pour toucher un petit billet !

    Je suppose que je vais encore être censuré, voir interdit de commentaires, comme sur l’article d’hier sur IOR machin !

    Adishatz

    H/


  • Luc-Laurent Salvador Luc-Laurent Salvador 29 janvier 2014 12:28

    Bravo à l’auteur pour cet excellent article, riche et très bien référencé qui éclaire un aspect pas forcément bien connu de la recherche au carrefour de l’économie et de la psychologie.
    La réaction de Hunter est attristante mais compréhensible car il est très clair que, malgré les éloges qu’il mérite, cet article présente un défaut sérieux : il est aussi lisse que possible, avec juste un début d’esquisse de controverse concernant la possibilité de manipulation via le Nudge.

    La chose amusante est que c’est ce petit grain de sable qui est le plus révélateur du caractère très « lisse » de l’article au point que oui, il peut sembler, en effet, relever d’une forme de publicité bien qu’à mon sens il n’en est pas et constitue, de par son caractère incontestablement informatif un article de qualité qu’Agoravox peut s’honorer et se féliciter d’accueillir.

    Revenons à ce grain de sable : il est révélateur de ce quelque chose ne va pas dans la mesure où, comme l’arbre qui cache la forêt, il masque l’immense plage des résultats de la psychologie sociale qui, depuis largement plus d’un siècle a démontré, preuves incontestables à l’appui, la parfaite (sic) irrationnalité de l’homme de la rue.

    Autrement dit, l’économie comportementale ne semble novatrice que par effet de perspective, dans le contexte d’une théorie économique imbécile (quel autre mot ?) en cela qu’elle postulait un homo oeconomicus qui serait un agent parfaitement rationnel pour maximiser son intérêt.

    Un tel postulat dans le contexte de ce que l’on connaît scientifiquement du comportement humain via la psychologie sociale (et notamment de ses travaux portant sur les dynamiques collectives et leurs ENORMES processsus d’influence dont sont issus toutes des techniques de propagande qui seront bientôt centenaires) est le signe très sûr d’un « autisme mental » assez caractéristique des mathématiciens qui se piquent de modéliser le réel en se donnant toutes les conditions initiales confortables pour résoudre leurs équations en se fichant complètement de savoir si elles sont vraisemblables ou pas.

    Pour qui a une once de psychologie, la théorie économique classique, en tant qu’elle est basée sur l’hypothèse d’un agent rationnel est une pure fadaise destinée à raconter à peu près ce que l’on veut aux politiciens qui n’y comprennent rien, d’autant moins que des philosophes se seront piqués de déblatérer à partir de telles hypothèses.

    Autant dire que l’approche de l’économie comportementale est la bienvenue au sens où, de par son son axiomatique, elle est et plus réaliste et donc, plus plausible.

    Toutefois, elle ne peut pas ne pas laisser un goût de « big manip » précisément parce qu’elle se construit dans un déni de tous les travaux antérieurs de la psychologie sociale qui avait suffisamment établi qu’il est vain de chercher de la rationalité derrière le comportement de l’homme de la rue dans sa vie de tous les jours.

    Bref, l’économie comportementale est le pur produit d’un marketing intellectuel assez irritant car in fine terriblement conformiste puisque continuant à favoriser la vision mensongère d’un individu autonome, indépendant du groupe et dont les processus cognitifs présenteraient seulement quelques biais pendant que la réalité de l’humain comme intrinsèquement mimétique, moutonnier continue à être tue, de sorte qu’on peut continuer à jouer à gogo de ce biais maximal qui consiste pour chacun à croire que son comportement découle d’une décision qu’il a prise en toute indépendance, cad, librement et rationnellement, PARCE QUE, par principe, chacun se pense libre et rationnel dans ses processus de pensée et de décision.

    Si le grand public était éduqué à cette réalité de son fonctionnement cognitif, il deviendrait un dangereux obstacle au bon fonctionnement panurigque que le système entend perpétuer afin de maximiser son pouvoir sur les masses. Le catéchisme de l’individu libre et autonome comme élément constitutif du mythe démocratique a encore de beaux jours devant lui.

    Ne serait-ce que par la volonté farouche avec laquelle chacun tend à refuser de reconnaître sa nature intrinsèquement mimétique.

    Voilà, c’était un peu long, mais j’ai dit tout ce que j’avais à dire. Merci à ceux qui m’auront lu jusques là smiley


  • hunter hunter 29 janvier 2014 13:11

    Rassurez-vous Luc-Laurent, ma réaction est selon vous attristante, toutefois en ce qui me concerne, je ne suis en rien attristé, si ce n’est toutefois, par la formidable énergie humaine perdue, gaspillée dans de nombreux domaines, pour tenter de pérenniser un système socio-économique à bout de souffle : les manips’ mentales des « marketeurs » et autres parasites publicitaires, sont étudiées dans toutes les bonnes facs (avec méthodes pour les décoder et éviter de tomber dans leurs pièges), et la lecture d’auteurs comme Lebon ou Bernays, explique facilement les tendances humaines sur lesquelles ils surfent !

    Je suis plus enthousiaste quand sont publiés ici des articles concernant les solutions que certains imaginent et développent, en matière de recherches énergétiques, en matière de préservation d’écosystèmes et biosphère, plutôt que de lire un énième blabla pseudo-technico-scientifique, développé par quelques petits malins, qu’ils vont vendre cher à un bon nombre d’aculturés des grandes multinationales, espérant encore mieux fourguer à des masses abruties, leur camelote inutile, dont elles pourraient fort bien se passer !

    Par contre Luc-Laurent, je persiste et signe : ce papier est une sorte de turlutte écrite à une société (son acronyme est répété très souvent), ainsi qu’à son dirigeant, dont on voit même la trombine !

    Maintenant, l’auteure a parfaitement le droit de s’envoyer qui elle veut, et si elle manifeste un attrait pour ce Monsieur soit, (il ne m’appartient pas de commenter les goûts et les couleurs) mais de là à essayer de nous refourguer ses fadaises, je dis Basta !

    Oublions le terme de « pub » si vous voulez, disons que c’est une promotion très marquée, et dans tous les cas, elle n’a pas sa place ici !

    Par contre je vous rejoins, si les masses étaient plus éduquées, elles ne sombreraient pas aussi facilement dans les pièges de toute cette clique de vendeurs, et ce bôô système de consommation exacerbée, serait sans doute tombé depuis longtemps !

    L’humanité s’en porterait bien mieux, et surtout la biosphère, mais c’est là un autre et vaste débat !

    Be seeing you

    H /


    • Luc-Laurent Salvador Luc-Laurent Salvador 29 janvier 2014 14:09

      @ Hunter
      Nos orientations de base sont assez proches mais je trouve attristant que vous demandiez qu’un article soit censuré.
      Je suis pour la liberté d’expression, tant pour Dieudonné que pour ceux qui ont des perspectives qui semblent « lisses » et conformes à la société « libérale » car dans le combat qui reste à mener, nul ne sait qui sera un allié ou un antagoniste.
      Une personne qui s’intéresse à la psychologie des foules ne peut pas être foncièrement mauvaise.
      Par contre, vos attaques ad hominem, désolé d’avoir à vous le dire, sont aussi vaines qu’inutiles. Elles vous desservent et vous avez certainement mieux à faire pour contribuer à la lutte dans laquelle vous semblez engagé.
      Bref, ne perdons pas de temps, allons à l’essentiel...vous ne croyez pas ?


    • hunter hunter 29 janvier 2014 14:28

      Luc-Laurent

      Vous avez raison, j’ai sans doute été un peu violent en demandant le retrait du papier ! Ce n’est pas bien malin, je l’avoue, mais écrit sous la colère, car hier j’ai été outrageusement censuré par la modo sur un autre papier, donc j’étais un peu énervé !

      Du coup un autre internaute Sirocco, qui avait fait un commentaire avant le mien mais dans la même veine, a aussi été censuré !
      En plus je suis un peu patraque ce jour, mais....je ne vais pas raconter ma vie.

      Comme mes commentaires étaient critiques mais appelaient au débat, j’avoue avoir digéré moyennement cette censure, alors voir un papier tel que celui-ci, assez plat, vous en avez convenu, être publié et me voir censuré, ça m’a énervé !

      C’est une réaction idiote, je vous le concède, mais que voulez-vous, je reste un être humain, qui parfois laisse parler des sentiments, sans les passer au filtre de la raison.

      Empêcher les gens de s’exprimer, pour moi c’est la pire offense ! je me suis bien souvent pris le bec ici avec des participants, mais lion de moi l’idée de virer leurs propos, et loin d’eux l’idée de virer les miens !

      Donc je regrette d’avoir appeler à cette censure, ce n’est pas du tout dans mes habitudes, et je présente des excuses à l’auteure, pour ces propos qui ont dépassé ma pensée.

      Adishatz

      H/


    • Luc-Laurent Salvador Luc-Laurent Salvador 29 janvier 2014 14:36

      Bravo pour la (encore trop rare) capacité à reconnaître et assumer vos excès, tout à fait compréhensibles au demeurant, puisque tellement humains.
      Ravi aussi de vous compter au rang de ceux qui sont contre toute censure.


  • hunter hunter 29 janvier 2014 14:30

    « d’avoir appelé » et non pas appeler !

    Bon je vais aller me charger en aspirine, là, la migraine commence à être très très forte !

    H/


    • leypanou 29 janvier 2014 15:17

      Sur le fond, vous avez raison. Probablement, il ne faut pas censurer l’article mais à quoi il sert et à qui ?

      J’ai surtout trouvé drôle la mention d’Esther Duflo, professeur au MIT, spécialiste de la pauvreté (elle a fait Ulm je crois) : c’est tout simplement ridicule. Prétendre vouloir éradiquer la pauvreté en s’appuyant sur la même infrastructure complètement pourrie qui est la possibilité de l’accaparement des richesses par une infime minorité de parasites, dont les spéculateurs sur les céréales justement, c’est se moquer du monde.


  • Aita Pea Pea Aita Pea Pea 29 janvier 2014 18:22

    Etant réfractaire de nature ,je pisserais en dehors de l’urinoir si j’y vois une mouche gravée à l’intérieur .Fuck !


  • hunter hunter 29 janvier 2014 19:52

    bien parlé Aitea !

    H/


  • alinea Alinea 29 janvier 2014 22:22

    Ce texte est tout à fait à l’image de ce qui se fait dans les universités de nos jours : beaucoup de mousse pour pas beaucoup de bière ; en gros, mis à part les nombreuses références que je n’ai pas ouvertes, le contenu enfonce des portes ouvertes !
    Mais bon, je suis, oui, une chieuse qui a fait des études à une époque où le contenu des matières enseignées était dense et leur nombre petit, tandis qu’aujourd’hui le contenu est pauvre pour une prolifération de choix !


  • Qaspard Delanuit Gaspard Delanuit 30 janvier 2014 04:11

    « Le nudge, qui ne devrait pas tarder à devenir aussi célèbre que le cri de ralliement de la marque suédoise »

    Quelle marque suédoise et quel cri ?? 

  • Eric Singler 30 janvier 2014 12:21

    Bonjour, je dois dire que j’ai hésité à répondre aux commentaires en me demandant si mes réponses étaient susceptibles de vous interesser. J’ai donc chois de le faire et je verrai bien après ce que vous en pensez (sans doute pas beaucoup de bien mais bon, donnons une chance au débat d’idées...).

    l’ambition de l’interview est simplement de faire partager la connaissance et susciter de la curiosité relative à la behavioral Economics et l’une de ses applications concrètes qu’est le Nudge. Pourquoi une tel souhait ? Pour une seule raison : car je suis convaincu que si les pouvoirs publics veulent être plus efficaces dans la période budgetaire très serrée à laquelle nous sommes confrontés, il n’est pas ininteressant de connaître les opportunités nouvelles mises en évidence par les scientifiques et les chercheurs. Ma conviction profonde est que la behavioral economics aide à comprendre la réalité des motivations qui sont à la base de nos comportements. Et que seule une compréhension approfondie de celles-ci peut permettre de concevoir des politiques publiques efficaces pour le bien être de chacun et de la collectivité. Même si vous pouvez les trouver naïfs ou utopiques, les behavioral economists sont animés par une véritable volonté de construire un monde meilleur ! Attaquez par exemple, comme le fait l’un des commentateurs esther Duflo, me paraît être pour le moins très dommage. Cette jeune femme brillantissime qui pourrait sans doute faire une carière très rémunératice dans le privé se consacre pleinement (allez voir sa bio sur wikipedia si vous voulez en savoir plus) à la lutte contre la pauvreté en essayant de véritablement comprendre les raisons individuelles de la pauvreté au travers d’enquêtes de terrain dans les pays émergents. Son livre est bourré de propositions très concrètes et novatrices. On peut être d’accord ou pas avec ce qu’elle propose mais - et je ne la connais personnellement pas - douté de la réalité de ses motivations me paraît vraiment à côté de la plaque.

    D’une manière plus général, l’objectif des behavioral economists est de nous aider à prendre des bonnes décisions pour nous-mêmes ou notre collectivité. Vous le savez bien, beaucoup d’entre nous aimeraient manger de manière plus équilibré, faire plus d’exercice pour sa santé, passer des intentions aux actions pour se comporter mieux envers la planète ou les autres. Mais dans la vraie vie il y a souvent un grand écart entre les bonnes intentions et le comportement souhaité. C’est la dessus que travaille le Nudge : comment nous aider à passer à l’acte en prenant les bonnes décisions pour nous mêmes. Et sans jamais nous les imposer ! Un exemple Nudge réel pour essayer de vous faire toucher du doigt les mécaniques et objectifs du Nudge. La Nudge Unit de David cameron vient de publier les résultats d’une de leurs actions en faveur du don d’organe. la majorité des individus se disent favorables mais les donateurs effectifs sont en nombre insiffisants. cela provoque 3 décès par jour au Angleterre du fait d’un manque de donneurs. Pour changer cela, la Nudge Unit a modifié la page du site internet qui propose d’adhérer au programme de dons. Juste en ajoutant une phrase et un logo de l’organisme. Le logo sert à attirer l’attention (c’est ce que l’on appelle jouer sur la saillance en behavioral economics pour vous inciter à prendre conscience du choix que l’on vous propose). la phrase est fondamentale : If you need an organ, would you have one ? If so please help others« . Elle joue sur 2 leviers comportementaux importants identifiés en behavioral economics (et par des psychologues avant) : la norme sociale et la réciprocité. Au final après ce changement, le nombre de donneurs d’organes a été significativement renforcé pour atteindre un potentiel de 96000 supplémentaires par an. Voilà pourquoi en complément de l’arsenal traditionnel des pouvoirs publics que sont la loi, les taxes et subventions et l’information, le Nudge qui s’interesse à la manière de proposer des choix aux individus est une approche interessante au moins à débattre.

     


  • MoucheStick 27 février 2018 14:28

    Vous voulez faire pareil chez vous ? MoucheStick propose la solution sur https://www.mouchestick.com. Découvrez vite l’ensemble de nos autocollants pour toilettes, révolutionnaires et ultra-résistants, pour reproduire la fameuse mouche des toilettes ou mouche des urinoirs.


  • adrien 25 août 2019 17:25

    en ce qui concerne la sécurité, le nudging est utile également et efficace pour un faible coût : faire la promotion de la prévention en acquérant des réflexes dirigés par l’émotion beaucoup plus forts que le fait de prendre des décisions appuyées sur le rationnel : « Rationalité limitée et sécurité » : http://www.officiel-prevention.com/formation/conseils/detail_dossier_CHSCT.php?rub=89&ssrub=183&dossid=587


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