samedi 18 mai 2013 - par scripta manent

« Science » économique et recettes de cuisine éditoriale

Propulsée sur le devant de la scène par la crise profonde et durable que nous traversons, la « science » économique offre une magnifique tribune aux experts autoproclamés, qui abusent de sa faiblesse de science « molle ».

Pour écrire un article, la recette est simple : vous vous emparez d’une mauvaise nouvelle (cela ne manque pas par les temps qui courent) ; vous la commentez avec les idées à la mode et les mots clés du moment ; c’est prêt, vous pouvez servir. 

Pour illustrer cela, nous avons retenu un article du mensuel L’Expansion (« Le magazine qui donne du sens à l’économie », mai 2013, page 25), pour la seule raison que cet article est emblématique du procédé. 

Danièle Licata nous y explique pourquoi « L’Amérique distance l’Europe », qui est « engluée dans la récession » (pouahh … c’est la mauvaise nouvelle),

La première raison serait que la BCE « hésite encore à mettre des dettes publiques et des actifs en grande quantité dans son bilan ». Voila qui va faire bondir Mario Draghi, qui a annoncé urbi et orbi le contraire. Ce ne sont pas les liquidités qui manquent en Europe. Ce sont les banques, y compris la BEI (Banque européenne d’investissement), qui rechignent ou tardent à financer la trésorerie ou les projets des entreprises.

Des « effets de richesse plus puissants » résulteraient de la stratégie monétaire des USA. Pourquoi ? Comment ? De quels « effets de richesse » nous parle-t-on ? En quoi un « effet de richesse » (les riches s’enrichissent et les pauvres s’appauvrissent ?) favoriserait-il la reprise économique alors que, comme l’ont rappelé - entre autres - l’OCDE et l'OIT, le développement des inégalités est un facteur récessif ? Donnez 1.000 € à un miséreux : il ne va pas les épargner. Donnez les à un nanti : il les mettra dans un tiroir.

Un enchaînement de causes et effets nous est ensuite proposé, sur un rythme soutenu. Le point de départ serait que « la flexibilité du marché du travail » est plus grande aux USA (exact, c’est du genre « merci d’être venu ce matin, mais vous êtes viré »). « Du coup, la productivité du travail retrouve sa tendance d’avant la crise, et avec elle la profitabilité des entreprises. » De là à en déduire qu’il suffirait de licencier sans préavis ni indemnités les surnuméraires qui peupleraient nos entreprises pour que celles-ci redeviennent florissantes, il n’y a qu’un pas … C’est malheureusement un peu plus compliqué, notamment parce qu’un chômeur dans la misère a peu de chance de soutenir la consommation.

Il y a aussi « la baisse de certains coûts de production, notamment énergétiques, grâce à l’explosion du gaz de schiste » (on appréciera au passage cette « explosion du gaz », souhaitons que ce ne soit pas prémonitoire). Il y a là « un net avantage pour les industries très consommatrices d’énergie ». En voila une bonne nouvelle … pour la planète …

 Il se trouve que Danièle Licata est aussi l’auteure du blog « solid’Eco » (http://blogs.lexpansion.com/solid-eco/about/ « comment la solidarité crée de la croissance »), qu’elle présente comme suit : « nous avons uni nos forces, nos réflexions, nos impressions, nos sentiments (c’est tout cela l’économie solidaire) et petit à petit le projet a pris forme pour devenir aujourd’hui une réalité avec la certitude commune que la société de demain va se faire, dans les pays développés, sur une économie plus solidaire et responsable. » Fort bien mais, sur ce terrain, l'Amérique distance aussi l'Europe ? 

 www.citoyensunisdeurope.eu

 Sur les inégalités de revenus et leurs effets :

http://www.citoyensunisdeurope.eu/analyses-et-informations/l-ocde-appelle-a-la-reduction-des-inegalites-de-revenus-t239.html

http://www.citoyensunisdeurope.eu/analyses-et-informations/organisation-internationale-du-travail-oit-de-meilleurs-emplois-pour-un-monde-meilleur-t299.html



15 réactions


  • Julien Julien 18 mai 2013 10:04

    Merci pour cet article qui insiste bien sur le fait qu’on a là une « science molle », et qu’on peut raconter un peu tout et n’importe quoi, sans pour autant paraître dans le faux.
    Pourquoi ?
    Parce que l’économie concerne un système complexe difficile à modéliser (tout comme l’écologie). Cependant, je suis persuadé qu’il y a moyen de modéliser au premier ordre de manière propre inspirée de la simulation système :

    https://en.wikipedia.org/wiki/Systems_simulation
    http://en.wikipedia.org/wiki/Bond_graph

    Des pistes de recherche doivent se trouver dans l’économie mathématique. Evidemment, c’est un gros boulot de recherche.
    C’est sûr que ça changerait des fichiers Excel de nos « experts économistes » dirigeant l’Europe (qui demandent au service informatique lorsque Excel ne veut pas s’ouvrir).

    Bref, je pense qu’il faudrait créer un nouveau laboratoire national avec 30% d’économistes, et le reste de mathématiciens et physiciens volontaires voulant participer à cet effort de modélisation. Ce serait probablement plus utile que d’inlassablement rajouter de la « matière noire » pour simuler la dynamique des galaxies.


  • scripta manent scripta manent 18 mai 2013 10:40

    A Julien

    Voila une idée fort intéressante.
    La modélisation mathématique appliquée à l’économie (« économétrie ») a jusqu’a présent surtout été le fait d’économistes nourrissant un complexe à l’égard des sciences dites exactes. Dans les années 70, les manuels ont commencé à être truffés de formules supposées reproduire les réalités du monde économique et, à quelques notables exceptions près, chacun s’est cru obligé de se livrer à ce sport, mais sans y être vraiment préparé ...
    Il est certain qu’une collaboration entre des économistes compétents (donc non péremptoires et plus portés sur la réalité que sur leur dada théorique) et des scientifiques avertis des ressources de la modélisation mathématique et physique pourrait produire des résultats intéressants. Peut-être d’ailleurs cela a-t-il déjà été pratiqué ?
    Au bout du compte, il restera cependant que l’économie devrait être au service du social. La « mécanique » économique ne devrait donc pas être déconnectée d’objectifs sociaux clairement identifiés. ll y a là une différence fondamentale d’approche entre les adeptes du libre jeu du « marché » (« ultralibéralisme »), qui jouent au mécano, et ceux qui pensent que l’économie s’inscrit dans un modèle social qu’il faut d’abord déterminer. 


    • Julien Julien 18 mai 2013 13:31

      Peut-être d’ailleurs cela a-t-il déjà été pratiqué ?

      Pas à ma connaissance, et j’en doute : les disciplines ont tendance à se replier sur elles-mêmes, et les « managers » qui dirigent aujourd’hui le système de recherche ne prendront jamais des initiatives aussi novatrices. Le système de la recherche scientifique fonctionne comme l’explique feu Jacques Harthong :

      http://moire4.u-strasbg.fr/JHideas.htm

      Pourtant, les interdisciplinarités sont nécessaires en économie à mon avis, car les « experts économistes » qu’on voit passer à la télé ont à mon avis toujours tendance à parler d’une action, sans parler des rétro-actions correspondantes (si vous avez fait de l’électronique, cela doit vous parler) : bref, ils n’ont pas de vision système, ce qui est un comble pour un économiste.

      Sur un tout autre sujet, je pense qu’une telle approche serait également nécessaire pour chiffrer la puissance massique nécessaire à une telle bestiole pour voler :

      http://news.nationalgeographic.com/news/2009/01/090107-pterosaur-picture.html

      Il faudrait donc réunir des paléontologues et des mécaniciens des fluides pour travailler sur le sujet. Pourquoi ? Pour savoir si la théorie suivante *doit* être correcte, ou pas :

      http://www.dailymotion.com/video/x160xn_1-3-la-terre-en-expansion_shortfilms#.UZdlzBWbHRY

      Tout autre sujet, c’est vrai, mais la nécessité de travailler ensemble est encore flagrante.
      Je ne vous parle pas des paléontologues qui se demandent comment Amphicoelias faisait pour s’alimenter :

      http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/f/f4/Amphicoelias_altus_scale .png

      Encore une fois, il faut chiffer, quantifier ; et pour cela, il faut la modélisation mathématique.


  • pidgin 18 mai 2013 11:32

    Sur la valeur très relative des « oracles » de certains économistes :
    http://www.agoravox.fr/actualites/economie/article/tous-les-economistes-serieux-vous-106197 qui proposait la création d’un prix Diafoirus.
    C’est toujours d’actualité !
    Et l’un des commentateurs (Jason) avait écrit :
    « Il semblerait que les trouvailles des économistes ne soient que des boîtes à outils dans lesquelles les affairistes (il faudrait dire les affaireux) et les politiques puisent à leur guise, les uns pour profiter, les autres pour endormir.
    Je suis favorable à la création d’un prix Diafoirus. Mais il faudrait remettre au goût du jour la vieille pratique qui faisait renifler aux médecins les selles du patient pour établir un diagnostic. Les lauréats auront pour tâche d’aller renifler les selles des banquiers pour prédire l’avenir
    .  »


  • pergolese 18 mai 2013 16:19

    Le « système » économique est trop instable et donc imprévisible et probablement incontrôlable.

    Un peu comme la météo et peut-être même pour les mêmes raisons.


    • scripta manent scripta manent 18 mai 2013 18:06

      A pergolese
      Instable et difficilement prévisible, certainement.
      Incontrolable, peut-être pas quand même.
      Prétendre contrôler l’économie dans un contexte de laisser-faire total (pas d’action sur la monnaie, ni sur les changes, ni sur les douanes, frontières totalement perméables ...) est certes une gageure. C’est malheureusement à peu près la situation dans laquelle nous sommes.
      Par contre, en s’en donnant les moyens, c’est à dire en revenant sur 3 décennies d’abandons de pouvoir par la « puissance publique », on peut agir avec une chance raisonnable d’obtenir les résultats attendus. 
      http://www.citoyensunisdeurope.eu/notes-du-portail-f69/1973-2013-de-l-etat-souverain-a-l-etat-soumis-diagnostic-t530.html


  • Peretz1 Peretz1 18 mai 2013 19:53

    Julien. C’est fait, à ma façon de spécialiste des systèmes d’information. J’ai concocte un modèle simple, visible dans mon bouquin « En finir avec les crises et le chômage » qui vient de sortir. Sans mathématiques mais avec la description mécaniste du fonctionnement de l’économie d’un pays. 

    À l’auteur, alors on serait keynésien ? Bravo !

    • scripta manent scripta manent 18 mai 2013 20:13

      A Julien
      Je cite votre éditeur (Edilivre) :
      « Bonheur et prospérité. Deux termes qui ont toujours fait rêver. Dans un monde où les marchés financiers dominent la société, l’auteur reprend les fondamentaux de l’économie sous une forme dynamique susceptible de lui redonner un visage humain. D’une plume acérée, il démonte la pensée unique qui a pénétré insidieusement les esprits de nos dirigeants depuis les années soixante-dix, persuadés qu’il n’y aurait pas d’alternative à notre système économique.
      Évitant l’incantation et le catastrophisme de la plupart des commentateurs politiques ou économiques, il démontre qu’il est encore possible de changer ce système. Il réussit à mettre au point des modèles originaux utilisables par tout pays occidental dit avancé, qui, bien appliqués, devraient à terme permettre de renouer avec le plein-emploi.
       »
      Cela met en appétit !
      Ceci dit, le plein-emploi n’est pas un objectif simple à définir.


    • Peretz1 Peretz1 18 mai 2013 20:53

      À l’auteur. Le plein emploi me paraît au contraire simple à définir. C’est la fin du chômage structurel. Pour l’atteindre il faut introduire des forces contra cycliques. Le problème c’est que c’est long. Le dogme monétariste anglo-saxon dit que cela va venir tout seul. La théorie keynésienne dit que l’Etat doit intervenir. Il faut de la croissance. Et pour la croissance il faut de l’investissement. Et pour l’investissement il faut la confiance. C’est tout bête. Mais elle ne se décrète pas. La solution, a mon humble avis, consisterait a augmenter le pouvoir d’achat (fordisme) des classes les plus défavorisées, pour éviter l’épargne. C’est décrit dans mon modèle monétariste macroéconomique sous forme graphique simple. On peut lire gratuitement les premières pages sur Edilivre.com. Mais le schéma est en annexe. Désolé, il faudra se fendre de 20,50 eu. P.S. Louis Peretz et non Julien


    • scripta manent scripta manent 18 mai 2013 21:01

      A Peretz1
      Oui, l’une des clés, de la justice et de la reprise de la consommation, est effectivement la réduction des inégalités. C’est ce que disent l’OCDE (quelquefois) et l’OIT depuis un moment.
      Pour que la reprise de la consommation crée de l’emploi chez nous, il faut ensuite qu’elle ne profite pas surtout aux ... importations. 
      PS : merci d’avoir corrigé le « A », avec mes excuses.


    • Julien Julien 19 mai 2013 13:52

      @Louis Peretz

      Je viens d’indiquer votre livre à un collègue qui pourrait bien se laisser tenter. Pour ma part, je suis déjà très pris.

      Cependant, quand les gens parlent de « Plein Emploi », ça me fait toujours bizarre. Quel est le but de l’humanité quand elle progresse scientifiquement et technologiquement ? Entre autres, à moyen terme, travailler sur des tâches toujours de plus haut niveau, et arrêter de faire des tâches  répétitives qui pourraient être faites par des robots. Par exemple, il faudrait remplacer les caissiers par des robots tant que possible ; ce qui veut dire beaucoup de chômage, et c’est tant mieux ! La contrepartie, c’est qu’il faut introduire un revenu universel. Bref, la croissance, le plein emploi, c’est bien joli, mais il faut essayer de voir dans quelle mesure c’est compatible avec une vision à plus long terme. Autre élément à prendre en compte, évidemment : l’écologie.


    • scripta manent scripta manent 19 mai 2013 14:22

      A Julien
      Tout-à-fait d’accord.
      C’est ce que j’ai essayé d’exprimer en disant que le « plein emploi n’était pas un objectif simple à définir  ». Mais vous le faîtes beaucoup mieux !
      Ce qui devrait être visé, plutôt que le plein emploi salarié dédié à la course insensée à la « compétitivité », c’est le bon emploi des aptitudes et aspirations de chacun, dans le monde salarié bien sûr, mais aussi dans les diverses activités (notamment bénévoles) qui peuvent concourir à un modèle de société privilégiant le bien-être et la coopération.
      Un article pour illustrer les multiples facettes du « travail » :
      http://www.citoyensunisdeurope.eu/les-mots-pour-le-dire/pib-travail-gratuit-produit-interieur-brut-indicateur-piege-t402.html


  • Peretz1 Peretz1 19 mai 2013 17:43

    Re Scripta manent.(Je suis d’accord pour que l’écrit reste). Il faut surtout envisager la poursuite d’un rééquilibrage vers le plein emploi à partir des services. Il y a actuellement un déferlement exponentiel des informations (dans son sens large d’activités de toutes sortes) qui augmente la complexité de la vie en société dont par ailleurs le nombre d’habitants augmente également dans le monde. Il faudra pour les gérer de plus en plus de spécialistes, de plus en plus d’administrateurs, de gestionnaires dont des fonctionnaires. Désolé pour ceux qui croient que ce sont des parasites, il en faudra.D’ailleurs ils font marcher l’économie comme tout salarié. Effectivement dans le monde bénévole il y a des « occupations » possibles. Mais il faudrait les rémunérer comme pour toute production. Mais je ne suis pas d’accord pour un revenu universel : il me parait indispensable de maintenir la relation de l’argent au travail.


  • Peretz1 Peretz1 19 mai 2013 19:25

    Sans forfanterie je crois qu’il apporte un éclairage nouveau sur le monétarisme mais vu par un spécialiste des systèmes d’information. Bon courage. Et merci pour votre intérêt.


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