mercredi 29 août 2012 - par jean-jacques rousseau

Sortir de la recession : les modèles grec et romain antiques (1/2)

Il est plus qu'étrange aujourd'hui, à une époque qui se prétend éclairée et qui aurait toutes les raisons de l'être - au vu de la somme incalculable de connaissances, de documents et de spécialistes disponibles - que notre vision de l'Antiquité soit en fin de compte aussi parcellaire et décousue, que les pièces de ce puzzle historique soient aussi dispersées... Il s'agit en fin de compte d'une version confuse et réductrice de l'histoire ancienne qui émerge des discours autorisés et dominants. [1]

Les traces historiques étant fragmentées et diffuses faut-il nécessairement que notre connaissance soit aussi lacunaire et déstructurée ? Sous le prétexte raisonnable et vraisemblable de s'en tenir aux faits doit-on toujours maintenir cette vision d'un passé comme étranger à notre propre réalité, comme une suite d’événements contradictoires, uniques et exotiques ? Cela sans jamais atteindre l'analyse des mouvements de fond, la lecture d'un processus global sous-jacent sous la menace qu'une telle tentative soit dénoncée comme spéculative ?

Or une relecture de l'histoire est permise par une nouvelle approche de la réalité. L'émergence du concept de « système » et l'analyse systémique offrent une trame rigoureuse qui permet de reconstituer a posteriori le déroulement logique des événements complexes qui autrement resteraient mystérieux et objet de toutes sortes d'hypothèses invérifiables. De là il ressort que le discours sur l'Antiquité serait en grande partie une fiction, une sorte convention irrationnelle qui conditionne la lecture des événements dans un cadre inadapté à la recherche pluridisciplinaire et la compréhension directe des processus historiques.

Cet article tente donc de démontrer que ce mystère sur l'Antiquité est entretenu par le défaut de recherche pluridisciplinaire selon une méthodologie cohérente. A fin de renouveler ce débat et progresser dans l'étude de notre sujet nous proposons ici une approche en trois étapes :

  1. La présentation d'une logique systémique qui forme la trame d'organisation et de fonctionnement d'une société. Ainsi son développement suit une courbe d'apprentissage selon l'utilisation de ses ressources, selon sa capacité d'analyse et de réaction ou rétroaction sur les processus internes ou les influences externes. Le dynamisme d'une société peut alors être mesuré par son adaptation aux contraintes et par le maintien volontaire et explicite des conditions de son équilibre et de sa prospérité.

  2. Ce cadre méthodologique révèle que le modèle démocratique grec permet - dans un environnement aux ressources limitées - de dépasser les contraintes et, par un processus d'autonomie démocratique, d'assurer stabilité et prospérité de l’État. La souveraineté de la cité permet une auto-régulation des flux économiques et - par effet différé du processus - sa prospérité économique, sa liberté politique et son rayonnement culturel (ex. Athènes). Cette spirale positive ne sera mise en cause que par la fragilisation interne du consensus social lié à la disparité des conditions sociales et l'irresponsabilité et l'impunité d'une classe commerçante, militaire et aristocratique plus soucieuse de ses intérêts que du bien public.

  3. A Rome l'usurpation précoce du pouvoir par une telle clique [1] aristocratique prive d'effet les institutions utiles auxquelles se substituent des fictions juridiques et pseudo-démocratiques qui dissimulent à peine l'esprit général de cupidité et de spoliation. Le modèle libéral de non-régulation commerciale entraîne pénuries et crises sociales qui sont étouffées par des expédients ruineux et une surenchère autoritaire qui renforce un vaste cycle de déstabilisation politique (ex. modèle impérial romain).

La systémique comme méta-modèle [2

Nous avons pris le parti d'étudier le phénomène de « récession » au même titre que n'importe quel événement historique ou accident technique : comme une expérience dont il est possible de tirer une leçon. Le choix d'utiliser une méthodologie systémique (voir introduction et méthodologie) nous permet de replacer tel événement mystérieux dans son contexte, de le lier à une chaîne de causalité qui apparaît lorsque des facteurs ou agents interagissent entre-eux. Ces interactions « spontanées ou provoquées » vont jusqu'à créer des effets de résonances ou des cycles, considérés comme bénéfiques ou critiques au regard d'une situation stable désignée comme un objectif à atteindre.

Le propre de l'approche systémique est de nier l'idée de fatalité pour démontrer l’intelligibilité et la prévisibilité (la probabilité d'occurence) d'un événement. A partir de là il est permis d'agir en amont sur les causes, de proposer une régulation des processus afin de réduire la probabilité d'apparition d'une situation critique et d'éviter – a priori ou a posteriori - la déstabilisation d'un système organisé.

Nous tenterons ici de formuler une définition simple et progressive de la notion pour ensuite envisager une description schématique.

 

Définition de la logique systémique

Un système (du grec « systema ») se définit comme un ensemble organisé. Joël de Rosnay le caractérise comme "un ensemble d'éléments en interaction dynamique, organisés en fonction d'un but" [3]
« Un système peut être n'importe quoi à la condition qu'il soit doté d'une finalité immédiate, institutionnalisée, complexe ou simple (par exemple, pour Jacob en effet "le rêve de la bactérie c'est de se reproduire") qui le pousse à l'échange entre lui et son extérieur et dans ses ...propres intérieurs. L. Von Bertalanffy père de la "théorie générale du système" affirmait "qu'il y a des systèmes partout". A titre d'exemple, une cellule, une famille, une entreprise, un village, un corps sont des systèmes.L'exploration du système concerne son contexte, sa vitalité au travers de ses éléments, les relations entre ses éléments, aux cycles qui s'y fondent, aux énergies qui se produisent, s'utilisent, s'épuisent, aux changements qui s'y opèrent, aux ajustements qui se font pour conserver un équilibre, traduire une croissance, une rupture, une évolution, une mort. [4]

La systémique est donc l'étude de cet ensemble et de son dynamisme ; c'est à dire l'analyse de son origine, de ses composantes, des influences externes, des interactions et des flux internes qui vont maintenir ou modifier le système dans son organisation et son fonctionnement, puis déterminer ses effets sur son environnement et mesure capacité atteindre un objectif.

Au sens large une approche «  systèmique  » consiste donc à étudier un événement comme une des occurrences d'un processus dont les éléments ou facteurs font système entre-eux par leur relations et interactions au sein d'une dynamique ou dans le cadre d'une organisation plus ou moins spontanée.

Au sens sociologique toute organisation ou société en tant que système complexe obéit à cette logique. Elle est soumise à des contraintes, déterminée par des modèles culturels, socio-économiques, politiques. Des modèles eux-mêmes sous l'influence déterminante d'un processus d'apprentissage par échecs et succès. Cet angle de vue nous permet appréhender une réalité, dont il serait fastidieux voir irréaliste de détailler les cas particuliers, pour nous permettre la perception d'un schéma d'ensemble des facteurs, des cycles dynamiques et des effets. Au delà des circonstances et des aléas on considère le processus qui permet l'apprentissage collectif et l'adaptation aux contraintes d'une communauté. « L’horizon ultime [de la philosophie des systèmes] est alors de comprendre la culture comme un système de valeurs dans lequel l’évolution humaine est enchâssée. » [5]

Cette conception n'est pas nouvelle. La systémique a toujours été utilisée de façon plus ou moins consciente et implicite. Il s'agit d'un langage de la raison aussi naturel que la prose que pratiquait avec aisance M. Jourdain sans le savoir.

L'intérêt de la notion est qu'elle constitue un langage universel susceptible de favoriser le dialogue pluridisciplinaire. [6] A condition cependant d'en définir de façon ouverte les termes et d'en décrire l'utilité pratique. On peut ainsi offrir une syntaxe de base que l'on retrouve dans toute description réaliste d'une organisation et la démonstration d'un processus multifactoriel. A partir de là il est possible de désigner des effets de résonance cyclique qui stabilisent cet ensemble organisé ou aboutissent à son déséquilibre, voir à sa destruction.

Cette logique est partie prenante d'une vision volontariste car on considère qu'un événement est lié à une chaîne de causalité, un ensemble de facteurs et d'influences identifiables voir plus ou moins modifiables sur lesquels il est devient nécessaire d'agir pour corriger les effets perturbateurs et interférences. Il s'agit d'un processus de rétro-action. Ce processus d'adaptation d'une organisation permet d'interrompre les interférences ou d'utiliser ses ressources pour construire un processus correctif afin de réduire l'impact des perturbations, inverser les cycles nocifs et favoriser les cycles vertueux permettant de stabiliser le fonctionnement du système.

Cette logique systémique se distingue de la logique cartésienne de type linéaire en introduisant l'idée qu'il existe plusieurs causes liées à un effet et qu'un effet aboutit à plusieurs conséquences - dont celle de renouveler la cause déterminante de sa réapparition ultérieure - : il est question d'une chaîne de causalité de type circulaire et cyclique.

Cette approche est appliquée dans toute sorte de domaines, la biologie moléculaire, l'informatique, l'organisation et la sécurité des entreprises industrielles par exemple dans l'aéronautique et les enquêtes de type BEA, etc.

« Concrètement, la pensée systémique consiste à regrouper les éléments individuels d'un système sous des points de vue particuliers. [...] La pensée systémique est définie comme « une façon de voir les phénomènes et les corrélations complexes dans leur intégralité selon une approche interdisciplinaire ». L'objectif de l'approche systémique est la modélisation, c'est-à-dire la figuration d'une réalité complexe sous la forme d'un modèle simplifié, plus facilement compréhensible. » [7]

Pour atteindre cet objectif nous allons reprendre ces éléments de base dans une description schématique pour aboutir à un modèle simplifié.

 

Description schématique de la logique systémique

  • La « boîte noire »

« Une boîte noire est la représentation d'un système sans considérer son fonctionnement interne (que ce soit un objet mécanique ou électronique, un organisme, une personne, un mode d'organisation sociale, ou n'importe quel autre système). Ce fonctionnement interne est soit inaccessible (ce qui est semble-t-il l'utilisation première, qui reste courante), soit omis délibérément. (c'est alors un outil théorique qui permet de choisir d'étudier exclusivement les échanges extérieurs).

La boîte noire est représentée de façon élémentaire en affichant les entrées et les sorties mais en masquant le fonctionnement interne. « Tout peut être représenté sous forme d'une boîte noire : un transistor, un algorithme, un réseau comme internet, le fonctionnement d'une entreprise ou les relations humaines au sein d'un groupe. » [8]

Schéma 1 : Chaîne ouverte en "boite noire" avec Entrée et Sortie

On désigne comme Entrée ou Input : les flux qui entrent dans le système. Ceux-ci peuvent être de nature variée, il peut s'agir d'influences, de contraintes, des flux d'informations, d'énergie, de matière, produits, valeurs, etc. qui sont perçus, intégrés ou qui approvisionnent le système. La Sortie ou Output désigne les flux sortants générés par le modèle. La « boite noire  » opère une modification des flux Entrée/Sortie qui subissent une transformation qualitative ou quantitative selon le dispositif interne du modèle.

Schéma 2 : Chaîne ouverte en "boite noire" régulatrice de flux

Cette image de « boite noire » où les entrées et les sorties sont représentées, mais ce qui fait le lien entre les deux est masqué, correspond bien a notre domaine d'étude. Un événement ancien ou le modèle d'organisation et de fonctionnement d'une société disparue comportent une large part d'inconnu. La représentation par un objet obscur d'une connaissance lacunaire et partielle semble appropriée. Le fonctionnement de la boîte noire n'est donc appréhendé que sous l'angle de ces interactions : cette formule a l'intérêt de réduire l'équation a résoudre. Trois catégories d'informations sont différenciées. Les flux en Entrée du système, le modèle lui même, les flux en Sortie.

L'objectif a atteindre est de rendre clair et visible le fonctionnement d'une boite noire : celle-ci devient alors une « boite blanche ».

« Le contraire d'une boîte noire, dit boîte blanche, est un système dont les mécanismes sont visibles et permettent d'en comprendre le fonctionnement. Une bicyclette illustre bien ce type de système parce que, contrairement à ce qui se passe avec une boîte noire, les mécanismes de propulsion, de guidage, d'adhérence et de freinage sont visibles au premier coup d'œil. »

On peut déduire que si l'on connaît les Entrées soit les facteurs et leurs influences (A) et les Sorties soit les résultantes (C) (constatées ou prévues comme objectifs), on peut déterminer le type de fonctionnement et l'organisation interne du modèle (B).

Schéma 3 : Chaine ouverte en "boite blanche"

Ici le modèle n'est plus vu comme une "boite noire", c'est à dire un élément de système dont on ignore le fonctionnement interne, mais caractérisé par une entrée (input) et une sortie (output) liées par une fonction de transfert schématisée par la « boite blanche ». Il est alors possible de signaler l'état des vannes et des réservoirs par des indicateurs. On peut ainsi agir sur les flux en fonction d'un résultat et d'un objectif particulier.

  • La « Boucle de rétroaction »

    Une boucle de rétroaction est un dispositif qui lie l'effet à sa propre cause avec un temps de latence qui correspond au délais d'interaction avec un processus de régulation.

Schéma 4 : modélisation d'un système de régulation avec "boucle de rétroaction"

La boucle de rétroaction permet une régulation des flux en distinguant un dispositif principal et un dispositif secondaire qui va permettre de contrôler le premier selon des valeurs et des objectifs à atteindre.

La boucle de rétroaction à pour origine le flux en Sortie du processus primaire (C) « régulé » dont les caractéristiques et valeurs qualitatives et quantitatives sont détectés. Cette information comme Entrée/Input (A1) d'un processus secondaire « régulant » est traitée par une unité de supervision et de contrôle qui va l'interpréter et évaluer au regard d'un objectif, de critères pré-déterminés ou valeurs de références. L'écart entre la valeur détectée et la valeur souhaitée est traduit en corrections àa effectuer. Ces corrections sont portées par des agents sous forme de consigne ou d'injonction en Sortie (C1) du processus secondaire et en Entrée (A) du processus primaire. Ce flux issu de la rétroaction sera un facteur nouveau dans la fonction de transfert (B). En modifiant l'état des indicateurs et la position des vannes, il modifiera le flux en Sortie (C). Ceci toujours sous le contrôle de l'instance de régulation, car il restera à déterminer si l'effet de l'action rétroactive est détecté, si il correspond à une valeur prévue et à l'objectif ou si une nouvelle correction doit être effectuée.

Cette « boucle de rétroaction » est mise en place dans tout processus de régulation et détermine la stabilité et l'efficacité d'un système. Il s'agit d'un processus particulièrement sensible mais relativement simple a formuler puisque nous avons une équation (EntréeA)*(fonction de transfert B)= (résultanteC) pour le processus primaire et (EntréeA1)*(fonction de régulation B1)=(résultanteA1) pour le processus secondaire, etc. qui se combinent pour atteindre une valeur constante de référence. Ces processus se renouvellent par période ou cycle.

L'échec ou le succès d'un modèle mesure l'adéquation des résultats observés avec un objectif de stabilité ou d'efficacité qui à motivé la mise en place du dispositif. Lorsque les résultantes (C) sont positives on peut en conclure que le modèle (B) est adapté aux contraintes et influences en Entrée (A). Dans le cas contraire une situation de déséquilibre, de crise ou de dysfonctionnement signale que le modèle est inadapté et demande à être amélioré ou réformé.

Tous les systèmes disposent de ce processus de régulation. C'est ce que l'on a découvert dans le domaine des systèmes biologiques avec la stabilisation des valeurs de glycémie, la tachycardie, endocrinologie par exemple. [9] Ces processus sont appliqués dans le domaine de la production industrielle avec le contrôle qualité, etc. Mais on tarde à aborder leur importance en sciences humaines et particulièrement dans l'étude des systèmes politiques ou des modèles socio-économiques. Pourtant ces mécanismes sont couramment utilisés depuis la fin du Néolithique dans la gestion des ressources d'une cité, d'un État [10], permettant de constituer des réserves et d'assurer un flux constant approvisionnement.

En règle générale on se trouve devant un modèle à boucle de rétroaction a chaque fois que l'on trouve un de ces éléments : un flux de ressources, une évaluation quantitative ou qualitative, un capteur, un contrôleur, un observateur, un récepteur, un rapport, etc. soit un dispositif de veille et d'alerte puis de tout autre élément de la chaîne de supervision, de délibération, de conseil ou de transmission d'un ordre, d'une injonction, d'une consigne. etc.

  • Cycles et « effets » systémiques

La notion de cycle est déterminante dans l'approche d'un modèle dynamique. On vient de le signaler dans la répétition d'une boucle de rétroaction.

Le mot cycle provient du grec « κυκλοσ » (kuklos) qui signifie roue ou cercle. Dans une acception primitive, il désigne « un intervalle de temps qui correspond plus ou moins exactement aux retours successifs d'un même phénomène céleste » ( par exemple le cycle lunaire ) , puis par extension une période de temps dont le terme correspond au retour de certains phénomènes qui se répètent selon une séquence identique ( par ex : le cycle des saisons ). Finalement, l'usage du mot a prospéré dans différentes disciplines pour illustrer l'idée « de transformation d'un système qui revient à son état initial » ou « la partie d'un phénomène périodique qui s'effectue durant une période » Les cycles, en gestion et en organisation correspondent aux durées de temps nécessaires au déroulement complet de certains processus. [11]

A la notion de cycle est liée à celle « d'effet » dans les variations qualitatives, quantitative, etc. des interactions et flux d'un processus.

Il existe trois " effets-types " pour une boucle de rétroaction : 1. Un effet "amplificateur" qui renforce et accélère cycle après cycle un processus que celui-ci soit positif ou négatif (c'est à dire favorable ou défavorable à l'objectif recherché par ses conscéquences ; 2. Un effet "régulateur" lorsque l'objectif à atteindre est déterminé et pris en compte par les agents du système qui auront des comportements variables d'accélération ou de freinage selon des directives explicites du programme mis en oeuvre ou implicites au regard des conséquences dans l'évolution du processus et de la situation. L'effet régulateur tend aussi a atteindre une situation de stabilité correspondant ou non à l'objectif à atteindre, selon qu'il existe des causes de résistance au processus ou des mécanismes équilibrants actifs mais peut-être encore non-identifiés ou reconnus dans le système ; 3. A ceux-ci on peut ajouter l'effet "retard". La question du temps de latence est importante dans une rétroaction. Le délai nécessaire entre la "montée" des information jusqu'au dispositif de contrôle, l'élaboration d'une réponse, la communication de celle-ci, l'application des consignes et l'observation-évaluation de l'impact spécifique doit être pris en compte. L'impact réel d'une action se manifeste avec un certain retard. Ce temps de latence non pris en compte peut être source d'erreur lorsque l'action est poursuivie alors que la réponse tarde à se manifester. La sous-estimation d'un effet "retard" peut créer une phénomène de saturation, provoquer l'instabilité, voir la faillite d'un système à forte inertie.   

  • Interactions des modèles et interdépendance des systèmes

Dans les modèles ci-dessus nous avons simplifié par la présentation d'une « chaîne » ou « boucle » ouverte. Or le processus systémique est une « boucle de rétroaction » fermée : c'est à dire une « chaîne de causalité » où l'ensemble des acteurs influents d'un système entrent en interaction.

C'est l'intérêt majeur de l'approche systémique : « Elle autorise à entrer dans la globalité pour la voir et la décoder dans toute l'ampleur qu'elle offre. Elle disqualifie le spécialiste au profit d'un genre plus souple, plus ample qui articule ce qui est séparé et relie ce qui est disjoint. C'est une méthode qui détecte les liaisons, attaches, articulations, solidarités, implications, imbrications, interdépendances, complexités » [12]. Comme « principe organisateur de la connaissance », l'approche systémique nous permet, au travers des interactions, liens et complexités qu'elle repère, "d'apprendre à articuler les points de vue disjoints du savoir en cycle actif" [i].

« Sur le plan structurel l'approche systémique consiste à identifier les éléments constitutifs d'un système, a préciser la limite, champ d'application et interface, à détailler les réseaux d'interrelation (ex. transport et communication), et suivre les stocks, moyens ou ressources à partager. Sur le plan fonctionnel ou dynamique on distingue les flux en entrées/sorties, les centres de coordination et de décision, les circuits d'information sur les flux (ou boucles de rétroaction) permettant d'évaluer l’état général du système. Enfin des ajustements sont réalisés par les centres de décisions en fonction des boucles de rétroaction et de délais de réponse. Ce délai de réponse correspond au temps de traitement des informations « montantes » et au temps de latence des décisions « descendantes » pour se transformer en actions et les actions en effets. De manière générale, on s’aperçoit que la notion d’organisation est structurelle lorsqu'elle construit un système global, elle est fonctionnelle lorsqu'elle utilise sa structure pour atteindre un objectif. On peut représenter une structure par un organigramme, la fonction par un programme.". [13]

 

Nous présentons ici une modélisation simplifiée d'un système social.

Schéma 5 : Intégration et interaction des modèles fonctionnels d'une société

Pour ajouter aussitôt quelques précisions, précautions d'usage et commentaires :

  1. Il s'agit donc d'une modélisation simplifiée qui ne représente d'imparfaitement la réalité complexe d'une diversité d'interactions sociales.

  2. Chaque modèle (culturel, social, économique, politique) a été identifié comme un élément constitutif et fonctionnel d'un plus vaste système (société humaine post-néolithique) de façon plus ou moins arbitraire. Ceci dans le but d'offrir une présentation claire et didactique.

  3. On tente de faire apparaître le modèle-type que nous avons déjà décrit (schéma 4) sous la forme d'un dispositif binaire entre dispositif « régulé » et dispositif « régulant » par boucle de rétroaction.

  4. Le dispositif « régulé » peut être analysé comme association de réservoirs, vannes et réacteurs par catalyse (analyse, synthèse, combinaison). Ainsi dans le modèle culturel « ouverture, stock et diffusion » correspond par exemple : à l'introduction d’œuvres nouvelles ; le dépôt, conservation dans une bibliothèque, un musée ; la restauration, la traduction, l'interprétation, la compilation ; puis la présentation dans une salle d'exposition ; la publication, la diffusion des idées nouvelles dans le milieu culturel lui-même, puis comme « output » du modèle vers le reste de la société et l'étranger. Cette « sortie » est analysée comme la résultante de la fonction de transfert du modèle. [14]

  5. Le dispositif de chaque modèle (B) opérant une fonction de transfert des flux est alors auto-régulé par un dispositif interne « régulateur ». Par exemple dans le modèle culturel : le processus de représentation collective et de création est régulé par la critique, désapprobation ou censure des personnalités ou autorités culturelles elles-mêmes (clergé, académie, etc.).

  6. Les chaînes d'interactions ne sont pas décrites mais on s’aperçoit que les « sorties » d'un modèle correspondent aux « entrées » soit du même modèle dans un processus d'amplification et d'auto-stimulation, soit d'un autre modèle, soit d'une autre société comme système externe, soit de l'environnement naturel comme impact de géographie humaine ou écologique, etc. Par exemple les « Discours » comme « sortie » du modèle culturel : vont revenir en « entrée » influencer de nouvelles créations culturelles ; impacter le modèle social par leur messages ; contribuer aux apports Arts & techniques du modèle économique ; enrichir les débats et les réformes du modèle politique. Ensuite contribuer au rayonnement culturel de la Cité par sa diffusion vers l'étranger et même altérer le système environnemental par les travaux proposés ou les nouveaux modes de valorisation du territoire qu'il inspire ou préconise, etc.

  7. Pour l'ensemble ces différents modèles fonctionnels sont supervisés et stabilisés par le modèle politique comme régulateur du système.

  8. Le modèle politique se doit d'intégrer une hiérarchie de priorité pour mobiliser les ressources du système pour prévenir sa déstabilisation. Il s'agit de discerner parmi les contraintes celles sur lesquelles il est possible d'agir en amont, de celles qu'il s'agit de contourner sans atteindre l’intérêt public et le sens d'un destin commun.

  9. La mesure de l'équilibre général d'un système social confronté à la gamme des contraintes influences et interactions internes ou externes détermine le succès ou l’échec de l'expérience sociale. Ce qui impose la nécessité d'en modifier les postulats, procédures et modalités selon un processus d'adaptation par analyse des risques, évaluation globale et préconisations.

 

Après cette digression méthodologique, revenons à nos ovins grecs et romains. Voyons si cette présentation peut nous aider à mieux discerner l'originalité de leurs antiques modèles socio-économiques.



8 réactions


  • Aldous Aldous 29 août 2012 09:17

    l’idee de l’approche historique est interessant, mais pour l’instant je reste un peu sur ma faim...


    Le modele des cités-etats grecs est interessant car il s’agit de modeles simples, un peu comme les organisme unicelluraires sont de bon modeles pour comprendre le fonctionnement d’organimes pluricelluraires plus complexes.

    Ce qui est primordial de comprendre dans ce modèle de cité-état tres structurés et aux regles generalement assez abouties c’est que quel que soit le regime ( democratie, despotisme, militariste, tyrannie etc.) il y avait une constante : un moment de crise systémique que les anciens appelaient Stènochoria.

    Stèno : étroit
    Choros : lieu

    Ce mot désigne le moment de saturation du developpement d’une cité-état, c’est à dire une limite du nombre d’habitants au dela de laquelle les anciens considéraient que les ressources de la cité ne suffisaient plus pour maintenir sa cohésion et sa prosperité.

    On ne sait pas trop comment les sages determinaient que la stenochoria etait advenue, mais il semble qu’ils n’attendaient pas comme nous que la crise de ressources batte son plein.

    La decision etait géneralement présentée comme un oracle de Delphes ce qui évitait au gouvernants toute responsabilité politique.

    Une fois la stènochoria decretée, la solution etait similaire a l’essaimage que pratiquent les abeilles : La ville affretait des navires et une partie des jeunes de la cité devaient partir pour etablir une colonie outre mer dans un lieu qu’ils decouvriraient.

    Les jeunes etaient choisis equitablement parmi toutes les familles de la cité pour répartir la peine de la séparation qui etait définitive.


    En effet une loi sacrée leur defendait absolument de revenir a la metropole.

    C’est pourtant ce qu’on tenté de faire les jeunes de Santorins (Théra) partis pour coloniser la Lybie.

    Face a l’aridité des côtes africaines, les jeunes de Thèra se decouragèrent et revinrent a leur Ile natale.

    De retour à Théra, leurs parents leurs interdirent l’acces au port et les menacèrent de destruction.

    Ils durent repartir vers les cotes Lybiennes ou ils etablirent les cinques citées de la Cyrenaïque dont la plus importante fût Cyrène. CyrèneApolloniaBérénikèTaucheira et Ptolémaïs constitueront en 300 ap. JC la « Pentapole » (ensemble de cinq citésgrècques de la cirénaïque).

    Ce système permit aux citès grec de croitre sur tout le pourtour mediterraneen et de la mer noire tout en multiant les contacts commerciaux avec de nombreux peuples.

    En France, ce sont les Phocéens surnuméraires qui fondèrent Nice et Marseille.

    Si cette solution a la crise de croissance a bien fonctionné dans l’antiquité, elle est plus difficilement appliquable aujourd’hui. La terre a eté entierement explorée, et les reserves de ressources exploitable pour la contnuation de la croissance s’amenuisent.

    C’est neanmoins un peu de cette méthode qui fonde la mondialisation economique.

    Pour l’anecdote, il faut noter que le mot Stènochoria existe toujours en Grec moderne. Mais son sens a changé : il signifie Tristesse. Le sentiment que tous dans la cité partageaient lors du ddépart définitif de leurs enfants.





  • Leo Le Sage 29 août 2012 09:31

    @AUTEUR/jean-jacques rousseau
    L’analyse systèmique de la réalité passée est une bonne idée.
    Cela augure d’un minimum de sérieux.

    Dans l’espoir de lire la suite ...

     
    Cordialement

    Leo Le Sage
    (Personne respectueuse de la différence et de la pluralité des idées)


  • plancherDesVaches 29 août 2012 14:47

    Remarquable travail.
    Qui a juste manqué de DEUX données de base fondamentales :

    - les Grecs avaient des esclaves. Les salariés le sont un peu quelque part, mais ...

    - les Romains ont attaqué la SEULE Sparte de toute la Grèce car Sparte avait alors fait LE PREMIER DEFAUT DE PAIEMENT DE L’HISTOIRE...
    Les Italiens ont toujours eu un rapport dangereux avec l’argent. Ce qui a donné Ferrari, entre nous, mais aussi plus sérieusement, les masques vénitiens car il fallait être anonyme pour cacher le fait que l’on était endetté A MORT ...
    Notez, les US ont BIEN repris le « modèle »...


    • Aldous Aldous 29 août 2012 17:33

      Tout a fait exact pour l’attaque romaine sur Sparte a cause de son défaut de payement. Les Romains n’appeciaient pas qu’on ne rende pas à César ce qui est à César.


      Ce ne fut pas la seule guerre ebtre grecs et romains.

      Quand Rome se mis a menacer la Grande Grece (les cités grecques du sud de l’Italie) le roi Pyrrhus (roi des Molosses et de l’’Epire) est passé à la postérité pour sa coûteuse victoire sur Rome à Ausculum vers -280.

      victoire qui n’empecha pas Rome de prendre la Grande-Grece...








  • HELIOS HELIOS 29 août 2012 17:13

    ... la demonstration technique est correcte, c’est ce que j’enseigne quand il me reste du temps a quelques etudiants....

    Mais dans la vraie vie, celle qui est faite de chair et de sang, de sentiments de joies et de peines... ce n’est ni une regulation discrete ni un ajustement continue... c’est l’equilibre de la vie qui convient d’ajuster, au moindre mal et avec tout le respect qui est du aux hommes, des plus riches aux plus pauvres.

    C’est en ayant perdu cette perception de l’homme que nous en sommes arrivé là et que nous sommes passé d’un capitalisme industriel chargé d’apporter le bien etre de tous, au plus economique..... au capitalisme financier qui se fiche de l’objectif de la production pour se focaliser sur la machine industrielle elle même, peu importe alors la richesse et sa destination.

    Il n’y a aucune regulation possible quand une partie de la population ne vit plus, et vous le savez bien, un modele ne marche que si il y a homogeneité du milieu... ce n’est plus le cas. Que ce soit les sondes ou les actuateurs, ils ne mesurent qu’une partie du milieu, celle qu’elle peuvent reconnaitre et mesurer

    Merci pour la demonstration quand même c’est interressant.


  • jean-jacques rousseau 29 août 2012 21:34

    Merci pour vos commentaires et encouragements...


    • plancherDesVaches 29 août 2012 21:45

      De rien.

      Les humains ne sont là que pour vivre en société.

      Sauf quelques uns persuadés de leur déification par leur pseudo richesse.


  • Luc-Laurent Salvador Luc-Laurent Salvador 31 août 2012 06:15

    Le fait d’avoir une certaine connaissance de l’approche systémique fait que je trouve cet article intéressant et intriguant.

    Intéressant car la conception systémique m’y semble assez fidèlement restituée, en particulier dans ses travers, cad, le fait qu’elle tire pas mal de sa substance du travail qui a été fait en « théorie du contrôle » et tout ce qui tourne autour de l’auto-régulation, avec un fort biais en faveur du feedback négatif.

    Intriguant car je me demande bien quel lien va pouvoir être fait avec la suite. Si l’auteur réussit à éviter l’écueil consistant à dire que « tout est système » et que « tout est dans tout et réciproquement » qui permet à peu près tous les discours, que va-t-il pouvoir qui lui permette d’argumenter véritablement dans le sens qu’il nous a laissé entrevoir ?

    La chose m’intérese d’autant plus que je suis engagé dans une démarche similaire dans le cadre d’une « psychologie synthétique » que je souhaite présenter ici sur Agoravox sous le rapport de l’autisme. J’ai laissé ça un peu en plan dernièrement mais je vais y revenir bientôt.

    Le modèle que je propose est basé sur une conception de l’organisation comme cycle. Ce que je crois être l’essence même de la pensée systémique car « faire système » ça veut dire, avant toute chose « contribuer à sa propre reproduction ». Se reproduire, c’est ce que le fait le cycle, il ne fait rien d’autre.

    J’espère que l’auteur tient bien ce fil et qu’il ne lâchera pas tout au long de son argumentation. Pour l’amener sans cesse à se reproduire, pour l’amener sans cesse à faire retour aux origines.

    Ce retour à l’Antiquité, c’est bien ça non, un retour aux origines ?


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