Il est évident que dans un contexte de délocalisation industrielle, les grandes compagnies innovantes occidentales et japonaises ont vu dans la recherche de nouveaux standards audio-vidéo l’ultime moyen de se protéger contre les coûts industriels extrêmement bas proposés par les pays émergents. A nous la matière grise et un train d’avance quant aux nouvelles technologies. A eux, la fabrication à très bas coût assortie, pour chaque unité produite, d’une licence rémunératrice.
Le dernier débat du moment concerne la norme des DVD haute définition. Comme à la vieille époque de la guerre Betamax vs VHS, deux camps s’affrontent. Depuis trois ans, deux groupes japonais se battent pour promouvoir leurs formats respectifs : d’une part, le DVD Blu Ray, soutenu par un consortium réunissant Sony, Matsushita, Dell, HP, LG Electronics ou Apple ; d’autre part, le HD DVD créé par Toshiba, avec la participation de Nec et Sanyo. Les grands studios américains ont été appelés à la rescousse pour prendre parti pour l’un ou pour l’autre, à l’aune bien sûr de la sécurité présentée pour eux par ces standards en matière de codage anticopie. Mais la situation est bloquée, chaque camp restant sur ses positions.
C’était sans compter sur la formidable vitesse d’assimilation et la volonté hégémonique de la Chine qui, lassée d’attendre un hypothétique standard universel, a décidé de proposer le sien. Une vingtaine d’industriels chinois, dont le fabricant de télévisions TCL qui a repris les activités de Thomson ont annoncé s’être réunis dans une alliance industrielle baptisée EVD (Enhanced Versatile Disk). Premier producteur mondial de DVD, la Chine semble désormais décidée à sortir de son rôle d’atelier sans valeur ajoutée autre qu’une main-d’oeuvre habile et à bon marché. Les formidables revenus issus de ces fabrications de masse ont été investis dans des laboratoires de recherche avancée, qui n’ont rien à envier à leurs homologues occidentaux ou japonais. Les Chinois se sentent désormais capables de voler seuls au-dessus du marigot des ententes impossibles entre industriels et éditeurs, japonais et américains. Ils en ont les moyens. Derrière les standards de DVD HD, se profilent d’autres guerres, sur la compression numérique, les liaisons sans fil à haut débit et, pourquoi pas, sur les logiciels et systèmes d’exploitation.
La Chine n’est pas un adversaire ordinaire, ni un compétiteur de plus, appelé à être lui-même battu à son propre jeu par des pays où les coûts de production seraient plus faibles encore, lorsque son niveau de vie viendra progressivement à s’élever. La Chine est un prédateur universel, dont la puissance et la capacité d’ innovation devraient rapidement faire réfléchir tous les apprentis sorciers, qui croient encore pouvoir garder, sur ce mastodonte, une longueur d’avance pour lui résister. Tout en le gavant de technologie, sous prétexte de mondialisation. La Chine nous envoie un signal. C’est le premier, mais sans doute est-il déjà trop tard. A moins que, miracle, ce signal ne permette que s’éteignent très vite les querelles entre les battus d’avance.