mercredi 30 juin 2010 - par Tristan Valmour

Systémie et crise systémique pour les nuls

Les journalistes relatent abondamment la crise systémique sans jamais expliquer ce qu’est la systémie. Je vais donc présenter les grandes lignes de l’approche systémique pour mieux comprendre que la crise systémique est une crise de la complexité et des relations.

Qu’est-ce qu’un système ? Ce sont François Balta et Jean-Louis Muller (dans La systémique avec les mots de tous les jours, éditions du Cegos) qui en parlent le plus simplement : « Un système est un ensemble vivant d’éléments en relation, arbitrairement limité, hiérarchisé, organisé et finalisé. »

Ainsi le corps humain est-il un système composé de bras, jambes (etc.), qui sont eux-mêmes des systèmes composés de tissus et cellules nerveuses (etc.), eux-mêmes…. De la même manière, le corps humain est un système qui s’intègre dans des systèmes plus grands : couple, famille, entreprise, ville….

Quels sont les champs d’application de la systémie ? Ils sont nombreux : la thérapie familiale, la communication, la gestion des organisations (associations, entreprises, administrations, collectivités), le management, l’enseignement principalement.

Quel est l’objectif de la systémie ? L’approche systémique a pour objet de gérer la complexité et l’incertitude, de piloter les changements. Elle ne remplace pas l’approche analytique mais vient la compléter dans la connaissance de la complexité. L’intérêt de la systémie est d’étudier un objet non pas isolément, mais par les relations qu’elle entretient avec d’autres objets. L’objet étudié est considéré comme un système en relation avec d’autres systèmes. Pour connaître le corps humain, on peut certes analyser ce qu’est un bras, une jambe (etc.), mais on peut également étudier les relations qu’entretiennent les bras avec les jambes (etc.).

Préceptes cartésiens et préceptes systémiques

Dans Discours de la Méthode, Descartes annonce 4 préceptes qui ont posé les bases de la démarche scientifique moderne.

  • 1er précepte : n’est considéré comme vrai que ce qu’on ne peut mettre en doute
  • 2è précepte : on analyse, soit sépare, décompose et isole les parties d’un objet d’étude
  • 3è précepte : la pensée doit progresser du plus simple au plus complexe
  • 4è précepte : la pensée doit être exhaustive, on ne doit rien omettre

Jean-Louis Le Moigne, l’un des principaux théoriciens de la systémie a de son côté tiré 4 préceptes qui répondent en écho aux préceptes cartésiens. De ces 4 préceptes, on retient que :

  • Le Réel (l’objet) n’existe pas en soi ; il est intimement dépendant du regard du sujet (le modélisateur, le scientifique, la personne qui perçoit et étudie) qui lui imprime une direction en fonction de ses intentions implicites ou explicites.
  • Le sujet n’est ni neutre ni objectif ;
  • Avant d’étudier la nature d’un objet via l’analyse, il faut étudier les relations qu’entretient cet objet avec son environnement comme avec les autres objets. Par exemple, pour connaître une rose, il ne faut pas l’emmener dans un laboratoire, et la disséquer. Il faut observer les relations qu’elle entretient, dans son environnement naturel, avec les autres plantes, avec les gaz, etc.
  • On ne peut interpréter un objet qu’en fonction de son comportement, tout en reconnaissant que la nature de cette interprétation dépend du projet du sujet (celui qui interprète). Ce projet étant orienté, le sujet suit une direction.
  • Face à une situation complexe, il est impossible d’être exhaustif, l’exhaustivité n’est même pas à rechercher parce que les systèmes sont dynamiques, pas statiques. C’est-à-dire que si on prend une photo – image statique – d’un objet, celui-ci ne nous renseignera que sur le passé de l’objet, qui a déjà changé de place, forme, relations, etc.

Les caractéristiques principales de l’approche systémique

Les caractéristiques principales de la systémie, qui permettent à cette démarche de gérer la complexité des systèmes, sont :

  • Considérer le tout plutôt que les parties 
  • Etudier l’objet dans son environnement, via les relations qu’il entretient avec les autres objets 
  • Considérer que les systèmes sont englobants (ils s’intègrent dans des systèmes toujours plus complexes)
  • Considérer que les systèmes ont des objectifs propres
  • Considérer que les systèmes sont auto-organisateurs
  • Considérer que les systèmes ont besoin de variété
  • Les éléments des systèmes sont interdépendants : ils agissent les uns sur les autres ;
  • L’homéostasie règle la vie des systèmes : si un système se transforme légèrement, il aura tendance à revenir à son état antérieur ;
  • L’équifinalité : des causes similaires peuvent entraîner des conséquences différentes et des causes différentes peuvent entraîner des résultats similaires.
  • La rétroaction : X agit sur Y qui agit en retour sur X

Comparatif approche systémique / approche analytique

Dans Le macroscope, Joël de Rosnay aborde les différences essentielles entre l’approche analytique et l’approche systémique :

Quand on analyse, on isole les éléments pour considérer leur nature (ce qu’ils sont) en s’appuyant sur des détails ; les buts sont flous. Quand on fait de la systémie, on relie les éléments pour considérer les effets des interactions dans une perception globalisante ; on connaît les buts mais les détails sont flous.

Quand on analyse, on cherche des preuves expérimentales dans le cadre d’une théorie pour valider les faits. Quand on fait de la systémie, on compare le fonctionnement du modèle avec la réalité pour valider les faits.

Quand on analyse, on modifie une variable à la fois et les phénomènes sont considérés comme réversibles. Quand on fait de la systémie, on modifie simultanément plusieurs variables (par groupes) et on considère les phénomènes comme irréversibles.

L’approche analytique est efficace lorsque les interactions sont linéaires et faibles quand l’approche systémique est efficace lorsque les interactions sont non linéaires et fortes.

L’approche analytique conduit à une action programmée dans son détail quand l’approche systémique conduit à une action par objectifs.

L’approche analytique conduit à un enseignement par discipline quand l’approche systémique conduit à un enseignement pluridisciplinaire.

Pour Françoise Kourilsky (Du désir au plaisir de changer), le passé détermine le présent et le futur dans la démarche analytique, alors que dans la démarche systémique, c’est le futur (la direction que l’on souhaite prendre, nos objectifs) qui influence le présent. La démarche analytique est donc orientée passé-présent quand la démarche systémique est orientée présent-futur. Pour solutionner un problème, la démarche analytique se focalise sur les causes quand l’approche systémique se focalise sur les objectifs à atteindre.

Pour terminer

La mondialisation associée à la rapidité des échanges, rendue possible par la technologie (Internet, transport de personnes et de marchandises) à bas coût, a perturbé les relations entre systèmes.

La mondialisation vue comme ouverture des marchés, n’est donc pas en soi le responsable de la crise systémique, il s’agit d’ailleurs d’une démarche inéluctable inscrite dans le fonctionnement des systèmes. La responsabilité est due à une conjonction entre la vitesse de mutation des relations entre systèmes et la disponibilité des capitaux.

La crise systémique est donc une crise de la complexité ; une crise des relations.

Trois réponses sont possibles : une ouverture et une liberté plus grande des systèmes, un repli des systèmes sur eux-mêmes, la mise en place d’un méta système dictatorial.

Devinez quel est le choix effectué ?



7 réactions


  • Le péripate Le péripate 30 juin 2010 17:15

    Devinons donc, puisque nous y sommes invités.

    Non pas quel choix, ça semble clair entre les lignes. Mais qui fait ce choix ?

    Puisque, si j’ai bien compris, les systèmes sont eux-mêmes inclus dans des systèmes plus larges, la décision ne peut être prise que dans le cadre d’un méta-système. Ainsi donc un méta-système englobant (une dictature parfaite) déciderait de la dictature à venir.

    Pour n’importe qui de sensé ce résultat ferait surgir un sérieux doute sur la méthode.

    Mais pas pour des « scientifiques » qui affirment que le réel n’existe pas en soi. Après tout, s’il n’existe pas de réel, il n’y a pas de vérité non plus.

    Et hop le tour est joué.

     smiley


  • TEO TEO 30 juin 2010 18:47

    Bonne synthèse des concepts de la systémique. Malheureusement on voit moins bien le concept de crise systémique et encore moins appliqué à l’économie et à la finance. Je doute que les « nuls » aient mieux compris qu’avant. A la prochaine !


  • Jean-Paul Foscarvel Jean-Paul Foscarvel 30 juin 2010 21:34

    La systémique fait appel à la complexité.

    Pour cela, des points de vue différents, complémentaires, antagonistes, dialectiques, sont nécessaires.

    L’article est intéressant, jusqu’aux conclusions qui proposent trois alternatives simplistes, quasi manichéennes.

    Si l’analyse est complexe, les solutions également, au risque de retomber dans une fin de l’histoire comme clôture de toute dialectique.


  • Toronto 30 juin 2010 22:16

    Et pourquoi forcément dictatorial le supra système ? Les sous systèmes qui le composeront ne le sont pas ( tous).


  • nightflight nightflight 30 juin 2010 23:54

    Merci pour l’article, je l’ai plussé, le trouvant intéressant à l’extrême.

    Intéressant, mais comportant toutefois une conclusion qui vient un peu à contrario.

    Dommage donc (Pour la conclusion).

    On ne peut pas réduire la complexité du monde à l’économie, résumer l’ouverture des systèmes à des critères financiers.

    J’ai cru comprendre que l’auteur, s’adressait au monde économique, faisant écho au terme « Crise systémique », aussi je considère mes réserves comme étant un peu désuètes.

    Parce qu’au fait, nous constituons bien une société d’êtres humains, sensibles à la souffrance, et donc soucieux de ne nous y soumettre que dans les cas incontournables, et que nous sommes en même temps indubitablement portés vers le changement, l’évolution.

    A condition que le changement et l’évolution ne nous détruisent pas, et il s’agit là d’un point crucial : L’individualité face à la systémique, tout comme d’ailleurs l’individu face à la démarche analytique, pourvu que la vie survive dans de bonnes conditions à ces différentes logiques.

    Finalement, on pourrait dire que si l’individu et la vie qui l’entoure ne sont pas soumis à des mutations mortifères, on ne saurait que trop privilégier l’approche systémique.


  • Tristan Valmour 1er juillet 2010 09:22

    Bonjour à tous et merci pour vos interventions

     

    Si j’avais titré mon billet (qui s’apparente plus à un cours introductif sur la systémie) « systémie », cela n’aurait intéressé que les connaisseurs. En revanche, par l’adjonction de « crise systémique », qui apparaît au second plan, cela parle à tous. Si j’avais voulu parler de la crise systémique, j’aurais titré « la crise systémique pour les nuls ».

     

    Mon projet, rappelé dans le chapô, était de poser les bases de l’approche systémique, et vérifier que la crise systémique était bien une crise des relations inter/intra systémiques. Le but n’était donc pas de traiter la crise systémique, mais de donner les clefs pour comprendre le sens de l’adjectif « systémique », et permettre à chacun d’utiliser les outils de la systémie pour comprendre ce qui se passe.

     

    D’autre part, dans de futurs articles, j’emploierai le vocabulaire de la systémie, et je voulais poser les références pour qu’on me comprenne bien.

     

    Aux origines de la crise, il y a donc un problème de timing conjugué à une disponibilité du capital sans précédent, qui perturbe les relations entre systèmes. Naturellement, j’ai oublié de le signaler, il y a des financiers qui s’appuient sur des modèles mathématiques sensés les préserver du risque. Le problème est qu’ils ont oublié que les autres systèmes tournent en même temps. Leurs modèles sont justes dans un monde figé, et au moment où ils ont été conçus. Ils s’en sont donc remis aveuglément à leurs modèles. Erreur systémique monumentale. En fait, il y a une obsolescence des indicateurs qui ne permettent pas de rendre compte du réel. Pas le temps de développer, mais les systémiciens me comprendront.

     

    Je n’ai pas développé la conclusion, effectivement simpliste, mais pas manichéenne. Je visais en plus le court terme, soit à moins de 20 ans.

     

    La solution qui, à mon sens, a été retenue est la plus simple : un méta système fortement hiérarchisé, que je qualifie de dictatorial. Peut-être est-ce le mot qui choque. Mais c’est ce qui se passe dans à peu près dans tous les pays. Après un vent de liberté, nous assistons à un vent de contraintes. Des systèmes ont pris ou obtenu plus de liberté parce que cela était nécessaire pour le bon fonctionnement de l’ensemble, mais cela est aujourd’hui jugé dangereux et inutile. Par qui ? Pas forcément par quelqu’un ou par un groupe de personnes. Peut-être juste la conséquence de l’auto-organisation. 

     

    Le repli des systèmes sur eux-mêmes, c’est essentiellement la dislocation. Après avoir renforcé des relations, celles-ci s’amenuisent.

     

    Plus de liberté et plus d’ouverture, c’est le libéralisme. Mais le vrai, pas celui dont on parle c’est-à-dire en fait la liberté à une oligarchie, la contrainte aux autres.

     

    En dehors de cela, je n’entrevois pas d’autres possibilités à court terme.

     

    Nightflight, vous avez abordé l’émotion (via la souffrance), et c’est peut-être là que réside le facteur inconnu. D’autant plus qu’on sait (en psychologie) que toute décision s’appuie sur une émotion, pas sur la connaissance.

     


  • Ecométa Ecométa 9 juillet 2010 11:57

    Le terme de « systémie » n’est pas, n’est plus approprié ; c’est celui d’« écosystémie », voire de « métasystémie », ou encore de « métaécosystémie »,  qu’il conviendrait d’utiliser tellement la complexité est grande ! Tout est « écosystème », « métasystème », car rien, aucune chose, aucun système, pas un seul individu, pas un atome, pas une cellule, pas un gène du vivant ; rien, absolument rien n’existe par lui-même et uniquement pour lui-même ! Tout est en interaction et en interdépendance complexes et dynamiques.

    V
    ous ne faites que retranscrire fidèlement ce que vous avez lu et appris sur la systémie ; au lieu de citer la méthode de Descartes qui nous a menés au simplisme scientifique, et sans trop la critiquer, il aurait été préférable de citer le principe cognitif de Pascal, qui, et bien avant tout le monde, était un tenant de la complexité systémique, écosystémique, ou encore de celle quantique !  Que bien avant l’heure il était tenant de la logique écologique !

    Principe cognitif de Pascal :
    « Toutes choses étant causées et causantes, aidées et aidantes, médiates et immédiates, et toutes s’entretenant par un lien naturel et insensible qui lie les plus éloignées et les plus différentes, je tiens pour impossible de connaître les parties sans connaître le tout, non plus que de connaître le tout sans connaître particulièrement les parties ».

    Pour être plus moderne on peut dire : « Toutes choses étant causées et causantes, constituées et constituantes, englobées et
    englobantes,  toutes s’entretenant par un lien naturel et insensible (écosystémique)  qui lie les plus éloignées comme les plus différentes, je tiens pour impossible de connaître les parties sans connaître le tout, non plus que de connaître le tout sans connaître particulièrement les parties  ».

    Vous dites comme une des principales caractéristiques de l’approche systémique : considérer le tout plutôt que les parties… NON ! Il convient de considérer le tout autant que les parties et les parties autant que le tout… surtout ne jamais réduire un tout à une de ses parties quelle qu’elle soit cette partie ; comme réduire l’économie au seul capital : au capitalisme !

    J’en suis désolé mais vous n’avez pas réellement adopté l’esprit systémique ou votre conclusion, votre « pour terminer »,  et votre considération sur la mondialisation économique serait totalement différente ! Le problème est avant tout « fondamental » et la vitesse des échanges ne change rien à l’affaire ; éventuellement cette vitesse est-elle utilisée dans tout ce maelstrom, ceci pour rester polis, par des tenants et des aboutissants qui ont peu à voir avec la notion d’économie.

    Certains, les tenants de la « mondialisation ».. tous  libres échangistes affairistes, veulent imposer une économie mondiale Je ne veux pas être arrogant, mais vous devriez réfléchir à la mondialisation économique comme système : comme écosystème économique ! Il y a comme une aberration systémique, même écosystémique, car il n’y a pas, là, au plan mondial, à proprement parler, un système économique à part entière : tout juste un système d’échanges internationaux ! Un sous-système utile et nécessaire, complémentaire des systèmes nationaux qui sont les seuls et vrais systèmes économiques au sens complet du terme. Le système des échanges internationaux, sous système complémentaire, se justifie par le fait que la perfection n’existe pas, même et surtout pas économie, et qu’aucun Etat ne pourra se satisfaire pleinement économiquement parlant ; que pour des raisons pratiques il convient d’avoir des système économiques nationaux suffisamment ouverts entre eux de façon à s’adresser à un système international d’échanges pour les manques e les surplus qui forcément ne manqueront pas ! Il  y a là une complémentarité, un système complémentaire, qui jamais ne doit devenir principal ; un système secondaire, accessoires, auquel les économies nationales ne devront jamais être subordonnées : qui jamais ne doit devenir principal !

    L’économie mondiale est constituée de l’ensemble des économies nationales qui sont les seuls systèmes économiques complets et complexes qui soient et continuer de les négliger, sans pour autant tomber dans un nationalisme crétin, nous  coûtera très cher  un jour à l’ensemble du monde.


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