jeudi 19 septembre 2019 - par karl eychenne

Taux : rhétorique

Les taux bas font débat. Entre les camps des « il faut » et « il faut pas » en profiter pour emprunter, tous les coups sont permis : figures de style, mensonges, ou blagues à tauxtaux…

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Le taux litote

  • « Vous ne trouvez pas que les taux sont un peu hauts ? », ironise A afin de signifier à B que les taux sont en fait vraiment très bas, et qu’il serait opportun d’en profiter maintenant pour financer des projets dès maintenant.
     
  • « Non, je pense qu’ils sont plutôt bas et qu’il serait temps de nous endetter bien davantage », rétorque cyniquement B afin de signifier à A que même si les taux sont bas, les niveaux d’endettement sont déjà très élevés.
     

    La litote est une figure de style intéressante qui produit son petit effet sur l’adversaire : on minimise le fait, voire on le nie, pour mieux signifier qu’il est évident. Ainsi, le joueur A utilisera un « pas mal » plutôt que de reconnaitre le coup magistral du joueur B
     

Le taux mytho

  • « Je te dis que j’ai vu de l’inflation, là regarde bien ; si tu t’intéresses aux jeunes entrants sur le marché du travail avec de bons diplômes, tu verras qu’il y a quelques tensions sur les salaires ». Ainsi, les taux bas auraient finalement eu un effet sur l’inflation, et la fameuse courbe Phillips n’aurait pas disparue : la baisse du taux de chômage s’accompagne bien d’une hausse de l’inflation.
     
  • « Ce que tu viens de faire est un peu malhonnête, on appelle cela un modèle effectif, un modèle fait sur mesure pour justifier ce que tu veux voir ; moi je te propose de t’intéresser plutôt aux babyboomers ayant la cinquantaine qui ont du mal à retrouver du travail, et qui lorsqu’ils en trouvent doivent accepter des salaires plus faibles ». Ainsi, les taux bas n’auraient finalement pas eu d’effet sur l’inflation, et la courbe de Phillips aurait bel et bien disparue : l’inflation reste faible quelle que soit l’évolution du chômage. 
     

Le taux philo

  • « Ne croyez pas que des taux si bas sont une opportunité pour emprunter : si les taux sont si bas, c’est que quelque chose ne va pas : il n’y a pas de fumée sans feu. Se jeter dans le piège des taux bas serait revêtir une Tunique de Nessus » . Quand Déjanire découvre l'infidélité d’Hercule, elle lui offre une tunique couverte du sang empoisonné. Hercule croit alors que cette tunique va le protéger, mais elle finira par le tuer.
     
  • « Mais non ! les taux bas ne sont pas un mauvais présage : vous vous crispez dès qu’une situation présente les symptômes d’une crise antérieure, regardez ! vous avez même peur d’une courbe de taux inversée. En fait, vous ne voulez pas passer pour des chouettes de minerves ». L’envol de la chouette (Hegel) définirait ce moment où la crise a fini par arriver, mais ce n’est que maintenant que l’on peut commencer à comprendre. Personne ne veut passer pour un chouette de minerve annonçant après coup : « c’était évident ».

     

Le taux pos

  • « Soit les taux bas sont une aubaine, soit ils ne sont pas une aubaine, on ne sort pas de là. Donc, si je te prouve que la proposition « les taux bas ne sont pas une aubaine » est fausse, c’est que forcément la proposition « les taux bas sont une aubaine » est vraie… même si je ne peux pas te le prouver directement. Ce petit raisonnement un peu tordu est pourtant au fondement de notre plus vieille logique (logique classique d’Aristote) et de nombres de résultats mathématiques, c’est le principe du tiers exclu : soit la proposition A est vraie, soit sa négation est vraie ; par exemple, Elvis est mort ou pas mort (vivant donc), il ne peut pas y avoir d’Elvis mort – vivant.
     
  • « Et bien non ! je ne suis pas convaincu par ton argument : si tu me prouves que la proposition « les taux bas ne sont pas une aubaine » est fausse, cela ne voudra pas dire pour autant que la proposition « les taux bas sont une aubaine » est vraie. Cela parait un peu fort de café présenté comme cela, mais c’est ce que nous raconte la logique dite intuitionniste qui veut de vraies preuves, constructives, pas des preuves indirectes. En poussant le bouchon très loin, on aboutit alors à un nouveau paysage de formes mathématiques où « la notion de de vérité devient plus subtile que le simple vrai ou faux que nous utilisons familièrement » (Alain Connes). Ces formes ou plutôt catégories sont appelées… les Topos.
     

Et pour finir, une blague à tauxtaux

Toto à son psy le docteur Draghi :

 

  • Docteur, je fais des rêves bizarres, je vois de l’inflation partout
  • Ces rêves signifient que tu t’inquiètes pour rien
  • Ha bon ? mais pourquoi vous dites cela ?
  • Parce que l’inflation n’existe pas, c’est une histoire qu’on raconte pour faire peur aux enfants
  • Super, mais vous pourriez quand même me redonner des pilules QE ou bien TLTLRO ? 
  • Attends, j’en ai des nouvelles : tiens, prend celles-là, ce sont des pilules Tiering.



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