TVA sociale, franchise médicale, vers une privatisation de la sécurité sociale ?
Pour justifier ses projets de « TVA antidélocalisation », le gouvernement certifie que la baisse des charges sociales entraînera une baisse automatique des prix. Avant cela, le candidat Sarkozy a promis de mettre en place une franchise médicale afin de financer le déficit de la sécurité sociale. Quelles sont les logiques budgétaires et la philosophie économique de ces plans ?
D’entrée, soyons clairs :
notre système social ne peut plus être financé par le travail exclusivement.
Vieillissement de la population, augmentation du coût des soins, diminution du
nombre d’actifs... Tous ces éléments rendent la gestion de notre système de santé
de plus en plus problématique. Les déficits s’accumulent, malgré les plans de
financement successifs. Rappelons que le dernier en date, présenté par Xavier
Bertrand en novembre 2005, était supposé ramener le déficit sous la barre des
10 milliards d’euros.
La franchise médicale
Lors de la "Convention
Santé" de l’UMP, en juin dernier, Sarkozy se demandait : "Y a-t-il une seule assurance sans
franchise ?", confondant Sécurité
sociale et Assurance maladie.
Fillon allait plus loin encore, ne comprenant pas que le paiement d’une
franchise sur les soins de santé soit insupportable "alors qu’une charge de plusieurs centaines d’euros par an pour la
téléphonie mobile ou l’abonnement Internet ne pose pas de questions".
On rappellera au Premier ministre que les salariés versent déjà plus de 15 % de
leurs revenus chaque mois (auxquels s’ajoutent les 23 % cotisés par leurs
employeurs), soit 191,81 € par mois pour un smicard (et 280 € de plus pour
l’employeur) ! Comment mettre en balance, par ailleurs, des dépenses
utiles comme le téléphone portable ou Internet avec cette cotisation
indispensable pour la préservation de la santé de chacun ?
Les premières propositions
de Sarkozy, dans son livre "Libre"
(janvier 2005), situaient ce déremboursement à 500 FF (75 €) par
cotisant. Dans l’élaboration du projet présidentiel, des chiffres différents se
sont succédé, allant de 100 € par an et par personne jusqu’à la
proposition actuelle, réduite à 40 € par an et par foyer. On constate que
ce projet n’est pas récent. Pour plus d’informations sur ce sujet, je vous
renverrai vers "Les Fossoyeurs de la
Santé", le livre du Docteur Christian Lehmann et l’article publié sur
Agoravox en avril dernier (lien).
Tous les efforts du
gouvernement, dans la suite des politiques mises en place par Mattéi,
Douste-Blazy et Xavier Bertrand depuis 2002, vont vers une "responsabilisation des assurés". On remplace le rapport
entre "soignant - malade"
par une relation "marchand -
client", les personnes consultant un médecin devenant de simples consommateurs de soins. On va ainsi,
progressivement, vers une logique économique de marchandisation qui devrait
aboutir logiquement à la privatisation du système de santé, sur un modèle
américain. Pour rappel, le coût global de notre santé représente 10,5 % de notre
PIB, contre 15 % aux USA.
La TVA "antidélocalisations"
Glissant toujours dans le
même sens, le gouvernement souhaite instaurer une TVA sociale, supposée
financer une partie de la sécurité sociale, tout en allégeant les charges
sociales des entreprises. On promet une réduction des prix (hors taxes) correspondant
à la hausse de la TVA par effet mécanique.
Alors qu’on nous parle de
lutte contre la délocalisation, notre main-d’œuvre étant supposée trop chère et
subissant des charges sociales insupportables, posons-nous un instant la
question de calculer le poids de la main-d’œuvre dans le prix d’une voiture par
exemple. Selon vous : 50 % ? 60 % ? Plus ou moins ?
Surprise ! D’après le patron de Fiat, Sergio Marchionne, les coûts
salariaux ne représentent qu’entre 4 et 7 % du prix d’une voiture. C’est pourquoi
la marque italienne a décidé de ne pas procéder à des licenciements lorsqu’elle
a traversé de graves difficultés. Le groupe italien a préservé l’emploi en
constatant que les travailleurs de Fiat et leurs familles étaient aussi leurs
principaux clients et leurs meilleurs représentants.
Lorsque le gouvernement
prévoit une réduction du prix d’une voiture équivalente à la hausse de la TVA
(soit 5 %), cela revient, en fait, à réduire la marge des constructeurs de
4,75 %. Cette hausse de la TVA correspond, de fait, à un transfert de la charge
de la sécurité sociale du travail vers la fiscalité.
Le financement des déficits
Revenons enfin sur la
question essentielle : comment financer le déficit de la sécurité
sociale ? Tout d’abord, replaçons les chiffres dans leur contexte. Le
déficit s’élève à 10,26 milliards d’euros, somme considérable en soi, mais qui
ne représente que 3,4 % du budget du système de santé. Rappelons également que
l’Etat doit 5,1 milliards à ce système. Ainsi que le souligne le rapport de la commission
des comptes de la sécurité sociale (CCSS) de septembre 2006, "l’apurement
de ses dettes par l’Etat à la fin du premier semestre 2006 apparaît très
modeste : il a en effet été payé 254 millions d’euros sur les 5 271 millions
d’euros dus qui ressortent de la situation nette au 31 décembre 2005, ce qui
représente un peu moins de 5 %".
A ce stade, pourquoi ne
pas aller directement vers une solution plus radicale ? On pourrait
supprimer totalement les charges sociales, libérant ainsi 45 % du PIB, en compensant
cet allégement généralisé par le rétablissement des impôts directs sur
l’ensemble de la population. Alors que tous les leaders politiques français
n’ont pas de mots assez élogieux pour vanter les modèles danois ou suédois, on
rappellera utilement que la fiscalité directe dans ces pays se situe à des
niveaux astronomiques par rapport aux nôtres (au minimum 37 % d’impôts directs,
pour tout contribuable !). La participation des utilisateurs dans les
soins de santé est, par ailleurs, nettement inférieure dans ces pays
scandinaves (moins de 15 % en Suède et en Norvège, 17 % au Danemark, contre 24 %
en France).
Dès lors, si l’on convient
que la fiscalité doit remplacer, à terme, le système actuel de sécurité
sociale, il faut rechercher les moyens les plus justes pour effectuer ce
transfert. C’est un Premier ministre socialiste qui nous a dotés de ce moyen.
Michel Rocard, en instaurant la CSG (complétée par la CRDS sous Juppé) en 1990,
a inventé un système de financement qui représente aujourd’hui plus de 55,15
milliards d’euros par an, soit un tiers de la branche maladie de la Sécurité sociale. La TVA sociale, ou quel que soit son nom, serait un nouveau moyen
d’accroître les ressources du système, de façon "indolore". Est-elle
pour autant plus ou moins "égale" pour tout le monde ? La
consommation des ménages est la base même de toute reprise économique, en
France comme ailleurs. Réduire le pouvoir d’achat par une augmentation de la
fiscalité indirecte entraînera automatiquement un ralentissement économique et une
augmentation du chômage. On aurait pu imaginer une réduction des charges
sociales (certainement nécessaire pour les petites entreprises de service),
compensée par un transfert de ces charges vers la CSG. Ces ressources nouvelles
s’appliqueraient à tous les revenus (y compris ceux des capitaux), sans
pénaliser la consommation.
Quant au modèle de soins
de santé que le président de la République veut appliquer en France, il faudra
qu’il se décide enfin. Il a déclaré à plusieurs reprises que le modèle français
ne saurait être remis en cause. "Les
Français n’y sont pas prêts", aurait-il expliqué à ses conseillers. En
attendant que nous soyons enfin prêts pour ce grand changement, le gouvernement
tente, maladroitement, de nous convaincre que nous devons accepter
l’inéluctable pour nous offrir des soins dignes de ce nom, alors que les
Etats-Unis eux-mêmes se tournent vers nous pour comprendre comment nous faisons
pour assurer une couverture sociale équitable et universelle.