mardi 19 juin 2007 - par werbrowsky

TVA sociale, franchise médicale, vers une privatisation de la sécurité sociale ?

Pour justifier ses projets de « TVA antidélocalisation », le gouvernement certifie que la baisse des charges sociales entraînera une baisse automatique des prix. Avant cela, le candidat Sarkozy a promis de mettre en place une franchise médicale afin de financer le déficit de la sécurité sociale. Quelles sont les logiques budgétaires et la philosophie économique de ces plans ?

D’entrée, soyons clairs : notre système social ne peut plus être financé par le travail exclusivement. Vieillissement de la population, augmentation du coût des soins, diminution du nombre d’actifs... Tous ces éléments rendent la gestion de notre système de santé de plus en plus problématique. Les déficits s’accumulent, malgré les plans de financement successifs. Rappelons que le dernier en date, présenté par Xavier Bertrand en novembre 2005, était supposé ramener le déficit sous la barre des 10 milliards d’euros.

La franchise médicale

Lors de la "Convention Santé" de l’UMP, en juin dernier, Sarkozy se demandait : "Y a-t-il une seule assurance sans franchise ?", confondant Sécurité sociale et Assurance maladie. Fillon allait plus loin encore, ne comprenant pas que le paiement d’une franchise sur les soins de santé soit insupportable "alors qu’une charge de plusieurs centaines d’euros par an pour la téléphonie mobile ou l’abonnement Internet ne pose pas de questions". On rappellera au Premier ministre que les salariés versent déjà plus de 15 % de leurs revenus chaque mois (auxquels s’ajoutent les 23 % cotisés par leurs employeurs), soit 191,81 € par mois pour un smicard (et 280 € de plus pour l’employeur) ! Comment mettre en balance, par ailleurs, des dépenses utiles comme le téléphone portable ou Internet avec cette cotisation indispensable pour la préservation de la santé de chacun ?

Les premières propositions de Sarkozy, dans son livre "Libre" (janvier 2005), situaient ce déremboursement à 500 FF (75 €) par cotisant. Dans l’élaboration du projet présidentiel, des chiffres différents se sont succédé, allant de 100 € par an et par personne jusqu’à la proposition actuelle, réduite à 40 € par an et par foyer. On constate que ce projet n’est pas récent. Pour plus d’informations sur ce sujet, je vous renverrai vers "Les Fossoyeurs de la Santé", le livre du Docteur Christian Lehmann et l’article publié sur Agoravox en avril dernier (lien).

Tous les efforts du gouvernement, dans la suite des politiques mises en place par Mattéi, Douste-Blazy et Xavier Bertrand depuis 2002, vont vers une "responsabilisation des assurés". On remplace le rapport entre "soignant - malade" par une relation "marchand - client", les personnes consultant un médecin devenant de simples consommateurs de soins. On va ainsi, progressivement, vers une logique économique de marchandisation qui devrait aboutir logiquement à la privatisation du système de santé, sur un modèle américain. Pour rappel, le coût global de notre santé représente 10,5 % de notre PIB, contre 15 % aux USA.

La TVA "antidélocalisations"

Glissant toujours dans le même sens, le gouvernement souhaite instaurer une TVA sociale, supposée financer une partie de la sécurité sociale, tout en allégeant les charges sociales des entreprises. On promet une réduction des prix (hors taxes) correspondant à la hausse de la TVA par effet mécanique.

Alors qu’on nous parle de lutte contre la délocalisation, notre main-d’œuvre étant supposée trop chère et subissant des charges sociales insupportables, posons-nous un instant la question de calculer le poids de la main-d’œuvre dans le prix d’une voiture par exemple. Selon vous : 50 % ? 60 % ? Plus ou moins ? Surprise ! D’après le patron de Fiat, Sergio Marchionne, les coûts salariaux ne représentent qu’entre 4 et 7 % du prix d’une voiture. C’est pourquoi la marque italienne a décidé de ne pas procéder à des licenciements lorsqu’elle a traversé de graves difficultés. Le groupe italien a préservé l’emploi en constatant que les travailleurs de Fiat et leurs familles étaient aussi leurs principaux clients et leurs meilleurs représentants.

Lorsque le gouvernement prévoit une réduction du prix d’une voiture équivalente à la hausse de la TVA (soit 5 %), cela revient, en fait, à réduire la marge des constructeurs de 4,75 %. Cette hausse de la TVA correspond, de fait, à un transfert de la charge de la sécurité sociale du travail vers la fiscalité.

Le financement des déficits

Revenons enfin sur la question essentielle : comment financer le déficit de la sécurité sociale ? Tout d’abord, replaçons les chiffres dans leur contexte. Le déficit s’élève à 10,26 milliards d’euros, somme considérable en soi, mais qui ne représente que 3,4 % du budget du système de santé. Rappelons également que l’Etat doit 5,1 milliards à ce système. Ainsi que le souligne le rapport de la commission des comptes de la sécurité sociale (CCSS) de septembre 2006, "l’apurement de ses dettes par l’Etat à la fin du premier semestre 2006 apparaît très modeste : il a en effet été payé 254 millions d’euros sur les 5 271 millions d’euros dus qui ressortent de la situation nette au 31 décembre 2005, ce qui représente un peu moins de 5 %".

A ce stade, pourquoi ne pas aller directement vers une solution plus radicale ? On pourrait supprimer totalement les charges sociales, libérant ainsi 45 % du PIB, en compensant cet allégement généralisé par le rétablissement des impôts directs sur l’ensemble de la population. Alors que tous les leaders politiques français n’ont pas de mots assez élogieux pour vanter les modèles danois ou suédois, on rappellera utilement que la fiscalité directe dans ces pays se situe à des niveaux astronomiques par rapport aux nôtres (au minimum 37 % d’impôts directs, pour tout contribuable !). La participation des utilisateurs dans les soins de santé est, par ailleurs, nettement inférieure dans ces pays scandinaves (moins de 15 % en Suède et en Norvège, 17 % au Danemark, contre 24 % en France).

Dès lors, si l’on convient que la fiscalité doit remplacer, à terme, le système actuel de sécurité sociale, il faut rechercher les moyens les plus justes pour effectuer ce transfert. C’est un Premier ministre socialiste qui nous a dotés de ce moyen. Michel Rocard, en instaurant la CSG (complétée par la CRDS sous Juppé) en 1990, a inventé un système de financement qui représente aujourd’hui plus de 55,15 milliards d’euros par an, soit un tiers de la branche maladie de la Sécurité sociale. La TVA sociale, ou quel que soit son nom, serait un nouveau moyen d’accroître les ressources du système, de façon "indolore". Est-elle pour autant plus ou moins "égale" pour tout le monde ? La consommation des ménages est la base même de toute reprise économique, en France comme ailleurs. Réduire le pouvoir d’achat par une augmentation de la fiscalité indirecte entraînera automatiquement un ralentissement économique et une augmentation du chômage. On aurait pu imaginer une réduction des charges sociales (certainement nécessaire pour les petites entreprises de service), compensée par un transfert de ces charges vers la CSG. Ces ressources nouvelles s’appliqueraient à tous les revenus (y compris ceux des capitaux), sans pénaliser la consommation.

Quant au modèle de soins de santé que le président de la République veut appliquer en France, il faudra qu’il se décide enfin. Il a déclaré à plusieurs reprises que le modèle français ne saurait être remis en cause. "Les Français n’y sont pas prêts", aurait-il expliqué à ses conseillers. En attendant que nous soyons enfin prêts pour ce grand changement, le gouvernement tente, maladroitement, de nous convaincre que nous devons accepter l’inéluctable pour nous offrir des soins dignes de ce nom, alors que les Etats-Unis eux-mêmes se tournent vers nous pour comprendre comment nous faisons pour assurer une couverture sociale équitable et universelle.



6 réactions


  • Christian N. ctiani 19 juin 2007 15:24

    Une fois de plus on incrimine les français de faire trop de frais de santé et de ne pas assez travailler pour financer le régime de sécurité sociale. Comme le disait très justement D. Voynet sur France2 dimanche soir, il faut prendre le problème à sa base : nous sommes plus malades aujourd’hui qu’avant, pourquoi ? Parce qu’on mange des pesticides et on respire la pollution automobile toute l’année ! Les cancers ont augmenté de 30% en 20 ans (de mémoire) et cela touche tous les âges ! Un homme sur deux aura un cancer, une femme sur trois aura un cancer ! Pourquoi est-ce que les ostéopathes ne sont pas remboursés, parce que ça ne fait pas vendre de médicaments !

    Devant la sacro-sainte institution médicale, la puissance financière des labos de médicaments et les lobbys agro-alimentaires, c’est encore la vache populaire que l’on trait mais quand il n’y aura plus de lait, attention ça va ruer dans les brancards !

    Christian énervé.


  • Bill Bill 19 juin 2007 15:34

    Faut dire que dans le privé il n’y a pas d’assurés type CMU ou AME, qui n’ont jamais cotisé ! C’est pour ça qu’on nous culpabilise, faudrait pas non plus qu’on cherche les vrais raisons du déficit... Tout ça est bien trop mal géré ! Récement encore le traffic de subutex, à travers ce système, la SS est en train de devenir le premier receleur dans le monde de ce produit de substitut de la drogue...

    Bill


  • 65beve 65beve 19 juin 2007 22:20

    Morale et gros sous.

    1) Le travail au noir (l’économie souterraine) enlève des millions d’euros de ressources à la SS (santé et vieillesse), donc, ce n’est pas bien, c’est puni par la loi et c’est normal.

    Mais maintenant, les patrons vont pouvoir payer les heures sup de leurs employés....sans les charges, donc au noir. Où est la morale ?

    2) Depuis la loi Fillon sur les retraites, n’importe quel quinquagénaire peut se faire procurer une fausse attestation sur l’honneur selon laquelle il a travaillé qques mois en 1964 ou 65, puis en rachetant des trimestres à la MSA ou à l’URSSAF partir à la retraite avant l’heure et à la santé de ceux qui cotisent et qui vont travailler jusqu’à des 65ans et plus dans peu de temps. Où est la morale ?

    Les deux exemples ci-dessus sont pour moi bien plus graves que le misérable qui va se faire soigner les dents grâce à la CMU, ce que je trouve tout à fait moral. La sécurité sociale est le bien de tout le monde et il faut qu’elle le reste !

    Vive la France ! vive la soixanthuitude !


  • TSS 20 juin 2007 10:24

    quand le medecin referent fait proceder à un examen du sang+une radio et adresse le malade chez un specialiste qui 1 semaine plus tard fait faire les mêmes analyses et le mêmes radios et rebelote si le specialiste envoi le malade dans un centre specialisé.

    d’autre part si un malade reccurent doit voir un specialiste tout les 3 mois pour examen et renouvellement de medicaments,il n’est ,si le specialiste fait une lettre au medecin,pas obligé de passer par lui !mais si le spé est ami du generaliste(si,si cela arrive) il ne fait pas cette lettre et c’est 21 € de plus à chaque fois !!

    qui plombe la sécu le malade ou le corps médical ?


  • lyly64 20 juin 2007 11:12

    A l’heure où les débats s’organisent autour de la Franchise Médicale une mutuelle avant-gardiste (ayant déjà créé et testé avec succès le concept de la Franchise Cautionnée), donne son point de vue éclairé sur la franchise santé.

    Trois questions à Jacques Garot : Directeur de Groupe France Mutuelle

    Que pensez-vous du concept de Franchise Médicale tel qu’il est envisagé par le gouvernement actuel ?

    Nous ne connaissons pas encore aujourd’hui les modalités d’application de cette franchise médicale. Cette franchise s’appliquera-t-elle sur tous les actes, par personne, par famille, dans quelle mesure de temps, découpée par périodes ? Les termes exacts de cette mesure, sont en effet essentiels pour prendre pleinement position.

    Néanmoins, le principe de la franchise présente deux grandes caractéristiques : • Laissant à la charge de l’assuré la première partie de ses dépenses, il génère, à due concurrence, des économies pour le Système. • Il responsabilise la personne, par la pénalisation financière qu’il entraîne.

    C’est ainsi qu’en vertu de cette première caractéristique, le montant des franchises retenues, ticket modérateur « par le bas », soulagera considérablement les finances du Régime Obligatoire. En multipliant le montant de la franchise appliquée à chaque acte par le nombre d’actes, on peut évaluer l’économie considérable qui pourrait être réalisée par la Sécurité Sociale dans l’objectif d’équilibrer les comptes.

    La collectivité y gagnerait immédiatement, mais qu’en sera-t-il du citoyen ? Si l’on veut, d’une part, générer beaucoup d’économie et, d’autre part, responsabiliser vraiment chacun d’entre nous, il faut que la franchise soit suffisamment importante pour jouer ce double rôle, mais aussi, qu’elle s’adresse à tous. L’effet de cette mesure sera quasi nul si la franchise ne s’élève qu’à quelques euros et que, comme à l’accoutumée, au nom de l’équité, on exonère les bénéficiaires du RMI, de la CMU, ceux dont les revenus déclarés sont supérieurs de moins de 15 % des revenus donnant droit à la CMU, les femmes enceintes, les enfants de moins de 16 ans, les étudiants, les assurés pris en charge au titre de l’ALD...et plus généralement une grande partie de la population. En revanche, si la franchise est conséquente, elle deviendra pénalisante pour l’assuré, particulièrement pour celui qui est malade et qui plus est, dispose de revenus modestes. Les modalités de cette mesure vont donc être déterminantes pour son efficacité.

    Quoi qu’il en soit, l’application de cette franchise soulève la question de sa prise en charge par les Assureurs Santé Facultatifs. Il pourrait en effet leur être interdit de prendre en charge cette franchise au titre de l’assurance privée. Comment l’Etat va-t-il réglementer le remboursement de cette franchise ? Je soulignerai ici que, pour ce qui nous concerne, nous estimons que le concept de Franchise Cautionnée créé par notre mutuelle et bénéficiant du label AFAQ, présente les avantages des franchises tout en évitant leurs inconvénients. De plus, ce concept leur apporterait un heureux effet modérateur. En quoi votre Franchise Cautionnée diffère-t-elle de la simple franchise ? Et comment pouvez-vous dire qu’elle en évite les inconvénients tout en préservant ses avantages ? Tout simplement,  ? parce qu’elle obtient les mêmes résultats, en préservant l’intérêt collectif autant qu’individuel sans jamais pénaliser l’individu ni la collectivité.  ? Parce qu’elle permet l’exercice de la responsabilité individuelle en renforçant la solidarité. En pratique, nos adhérents acceptent le principe de l’application d’une franchise au remboursement de leurs prestations, parce qu’au moment de faire appel à leur mutuelle pour leurs premières dépenses de santé, la caution qu’ils ont versée, équivalant au pré-paiement de la franchise, leur permet l’immédiat autofinancement de ces premières dépenses. La mutuelle joue bien là son rôle, même si ce n’est qu’après épuisement de la caution qu’elle prendra en charge les dépenses suivantes au titre de l’assurance. Ainsi, l’assuré a tout intérêt à modérer ses dépenses de santé dont il assume en fait personnellement et volontairement, la première partie. Il est responsabilisé sans être jamais pénalisé puisque sa cotisation garantit sa couverture et que toutes ses dépenses de soins trouvent leur financement par l’assurance. Le fait que l’assuré accepte de payer par avance le montant de la franchise en finançant ses premières dépenses avant de les faire assumer par les autres, révèle un haut degré de responsabilité et d’altruisme. Dans la pratique, les assurés jouissant d’une bonne santé et générant moins de dépenses de soins participent davantage à la mutualisation du risque. En effet, en 2006, Groupe France Mutuelle a remboursé tout ou partie de leur caution à 72 % des adhérents FC Santé. Aucun autre système d’assurance santé ne présente, à ma connaissance, ce degré de solidarité mutualiste.

    Selon vous, La Franchise Cautionnée représente la solution pour rétablir les équilibres de la Sécurité Sociale ?

    Si les pouvoirs publics instaurent ces franchises, comme l’ont fait remarquer de nombreux observateurs ou personnalités qui y sont opposés à tort ou à raison, ceux dont les revenus sont les plus faibles en pâtiront davantage et risquent de ne pas se soigner faute de trouver l’assurance au moment où ils en ont besoin. Or, s’ils ont souscrit un contrat de type Franchise Cautionnée, ils trouveront ce financement de la part de leur assurance et pourtant sans cesser d’être responsabilisés, comme je viens de l’expliquer. Ainsi l’effet responsabilisant des franchises est préservé intégralement, et l’effet pénalisant est atténué sinon supprimé. Je n’irai pas jusqu’à dire que la Franchise Cautionnée constitue LA solution pour rétablir les équilibres de la Sécurité Sociale, mais elle peut y contribuer. La responsabilisation qu’elle opère sur le plan de l’assurance santé facultative bénéficie naturellement à l’assurance santé obligatoire. Le réflexe consommateur et la prise de conscience induits chez l’assuré, sont autant de comportements qui accompagneront les Pouvoirs Publics dans leur mission de réduction du déficit de la Sécurité Sociale sans que cela ne coûte à l’Etat, ni en finance, ni en image.


  • guillaume 3 août 2007 12:16

    Il faut voir, qu’en France on n’est pas capable de différentier les traitements et les soins et que c’est une véritable anarchie au niveau des remboursements. Je pense qu’on peut différentier tout de même dans les remboursements sujets à caution les petits soins (grippe et autre), les accidents (crise cardiaque, accident physique, soins nécessitant une opération), les maladies de longue durée (certains cancers, sida, . Dans ces trois types, il est évident, même s’il s’agit de cas mortels, que la solidarité a des limites. J’ai du mal à comprendre qu’on soit remboursé sur la moindre grippe (généralement on est conscient du problème sans consulter un médecin et le traitement est connu). De même, sachant que près de la moitié de la population agée souffre de dégénérescence maculaire, le seul traitement efficace connu coûtant presque 1000 euros par mois, rembourser ce genre de traitement aura vite fait de plomber la sécu. Idem pour le sida et d’autres maladies au traitement extrêmement onéreux. A chacun de s’organiser au mieux et après tout si on est plus riche, il faut bien que ça serve à quelque chose, sans dire que la motivation de le devenir n’en sera que plus forte. Par contre je vois bien la sécu s’occuper en priorité des accidents sanitaires de la vie. Je pense que c’est son rôle premier et qu’elle l’assume plutôt mal.


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